J’efface encore. Encore bien trop grandiloquent. Exagéré. De grandes phrases comme des grands gestes. Du roman. Même si je sais que je vais de défaite en défaite, j’insiste, je persiste, je me borne je m’entête. Voyons voir, et maintenant, où en suis-je, nulle part, c’est bien là que je sens qu’il faut être, se tenir. L’atelier d’écriture s’éloigne, pas sûr que je le rattrape, suis fatigué, tellement fatigué. L’absurdité qui veut se donner de grands airs de sérieux m’achève lentement. Mascarade totale quand je m’interesse au monde je vois des tableaux de James Ensor. Suis sorti acheté des tomates et j’ai vu des monstres. Heureusement ils ne me voient pas, suis totalement inexistant, un vieux qui claudique. La boulangère s’est lassée de mes bonjour stricts, elle ne me demande plus si je suis au courant de ceci ou cela, hier elle m’a tendu ma baguette avec une espèce de petite moue déçue, et un au revoir bonne journée monocorde. Quel marasme. Ecouté des lectures de Robert Pinget, Fiston, et Baga, bien et même très bien, et je comprends pourquoi F a pu dire que peut-être c’était parfois obsolète, dans le monde actuel, les choses vieillissent à une vitesse hallucinante. En tous cas j’ai bien aimé ces textes, c’est ce que je rêvais d’écrire d’une certaine façon quand j’avais la quarantaine, l’inclusion du murmure, de la rumeur, dans le texte sans signe évidence de ponctuation, passage d’un personnage l’autre ainsi sans distingo. J’en ai des cartons pleins dans le genre au grenier. Bon toute déférence gardée évidemment pour F. et pour Pinget, c’est tout à fait modestement que je dis ça. Mais trop compliqué à lire pour le lecteur, beaucoup trop long, trop long et compliqué, on en lit plus, trop fatiguant, demande trop d’attention, on veut de la fast littérature, comme du fast-food. Des trucs vite fait, pas cher. Facile. Ou alors du scandale, de l’horrible, du choquant ( et encore n’en est-on pas fatigué, me demande, possible qu’au bout du compte on finisse par se fracasser les neurones sur les plateformes de streaming.
Est-ce que je suis en train de sortir mon remblai, c’est possible, ça coule bien trop facilement, trop rapidement, saleté d’urgence.
Calme-toi, tu vas mourir et tout le monde t’oubliera, on ne gardera de toi que quelques étrangetés, que l’on se hâtera de balayer du geste de la main, quel torturé celui-là, je les entends déjà. Je suis peut-être parvenu au bout de l’envie d’écrire, je vais me remettre à peindre, recommencer avec la peinture pareil, dans l’autre sens. En ce moment envie de me remettre à l’aquarelle, à l’encre de chine, aller creuser, trouver des formes inédites, celles qui surgissent quand on atteint le bon niveau de fatigue, quand tout le reste est devenu si ridicule qu’on ne s’y aventure plus.
Ce n’est pas encore ça, bien sûr que non, mais il y a une petite idée de forme, à creuser encore, écrire sur le trou pas sur la terre qu’on retire.