Attirance pour ce qui s’accroche, parasite, étouffe — l’ensemble créant presque une sculpture fantastique, une œuvre monstrueuse, a priori, qu’il faudra bien trouver belle. C’est-à-dire : naturelle, ou juste._


Hier soir, ce petit bruit m’intriguait plus encore que les quelques jours précédents où nous l’avions surpris dans la salle de bain.
L’intuition me vint alors de redescendre dans la cour, puis d’ouvrir la trappe de la cave.
Et là — catastrophe. Des profondeurs obscures montait le son caractéristique d’une cascade.

La chatte tournait autour de la béance et se frottait à mes mollets.
Peut-être — mais ce n’est qu’hypothèse — se réjouissait-elle enfin ?
Cela faisait à peu près le même temps que nous avions découvert ce bruit qu’elle s’était mise à devenir nerveuse, à miauler en venant nous voir — et, évidemment, nous n’y comprenions rien.

Deux ou trois jours environ.

Ce qui est étonnant, c’est que l’office des eaux ne nous ait pas prévenus, cette fois-ci.
D’habitude, nous recevons un email pour signaler une consommation anormale.
Déplacer le meuble qui dissimule la trappe du sol, dans la cuisine, n’est pas une mince affaire.

La panique monte assez vite quand je m’aperçois que la trappe est coincée.
Impossible d’accéder à ce fichu robinet.
Retour à la remise, à 22 h, pour chercher une masse et briser la trappe.
Mais celle-ci est armée de ferraille. La panique devient rage.
Du genre : "On avait bien besoin de ça, en ce moment."

Ce serait le moment d’allumer une cigarette, si je fumais.

Soudain, la ferraille cède.
Je l’écarte juste assez pour glisser la main vers le robinet.
Et là — miracle — la trappe se décolle toute entière.
Mais elle se coince dans l’étroite ouverture.
Je me retrouve avec la trappe coincée au poignet.
C’est tellement con que je me mets à rire. Nerveusement.


Une tension si forte qu’un rien suffit à faire basculer vers le rire ou les larmes.
Dans ces moments-là, on est dans l’émotion brute, chaotique.
Submergé.

La pensée tourne à vide.
On ne parvient pas à prendre ce fichu recul, cette distance par rapport aux événements — et surtout à soi-même.
On perd le contrôle.

C’est justement à cela qu’il faudrait pouvoir être attentif.
Je crois que ce chaos n’est pas lié à l’événement lui-même, mais à toute une chaîne longue et souterraine.

Il faudrait pouvoir la remonter jusqu’à retrouver l’ÉVÉNEMENT initial
celui qui, la première fois, nous a bouleversés à ce point.
Celui que nous réactivons sans cesse, toute une vie durant.


Mon père entrait dans des colères homériques quand quelque chose lui échappait.
Un marteau tombé, un clou de travers — et le monde entier en prenait pour son grade.
Et bien sûr, nous dérouillions : ma mère, moi.

Cela signifie que l’événement premier s’est sans doute produit dans mes trois premières années.
Je ne me souviens pas qu’il ait levé la main sur mon frère cadet.

Et cet événement — aussi terrifiant que fécond — a-t-il existé tel que je le décris ?
Ou bien est-ce mon imagination qui l’a déguisé en mythe d’effroi ?
Et à un tel point d’intensité qu’il semble, au fond, désirable dans sa répétition.


Nous avons fait appel à N. pour installer la voile triangulaire dans la cour.
Le parasol déglingué, malmené par les bourrasques, avait terminé sa course à la déchetterie.

N. est l’antithèse de mon père en matière de bricolage.
Pas un mot. Des gestes précis.
La toile est désormais tendue — un triangle vert turquoise vibrant avec le rouge des lauriers.

Je m’évade par un accord de couleurs.
Mais quelque chose se cache sous cela : la notion de plan.

Faire un plan avant d’agir, en bricolage ou en urgence, réduit les chances de paniquer.
Sauf si la panique est précisément ce qu’on cherche.


Et si une journée n’était qu’une répétition ?
Si le but n’était pas la résolution, mais la prise de conscience ?

L’écriture répond à ce présent de l’insomnie.
Elle se nourrit de ce qui se produit dans le présent.

Comme si l’insomnie débordait de la chambre.
Comme si elle envahissait toutes les pièces — la cour, l’atelier.

Comme si elle prenait possession du lot, au sens cadastral du terme.
Pour tenter de maintenir un équilibre par l’excès.
Une panique comparable à celle que j’ai vécue devant la trappe, pour contrer une fuite — une hémorragie.


Lu quelques pages encore du roman de Clarke.
Rama — nom hindou pour un vaisseau démesuré, porteur de mondes.

Le style est trop détaillé à mon goût.
Envie de le réécrire, en plus sobre, plus elliptique.
Les personnages sont caricaturaux. Mais peu décrits, donc l’imagination est libre.

Même sans être emporté, je poursuis : une heure par nuit, parfois deux.
Autrement, j’écris.

Je lis et j’écris durant mes nuits d’insomnie.
Je n’arrive pas à peindre.
La peinture, c’est le jour. C’est le soleil.

Et contre toute attente, alors que "solaire" évoquait jusque-là mon père,
je m’aperçois que ce mot nimbe bien plus ma mère.


Elle ne paniquait pas.

Dans mon enfance, elle trouvait des solutions à tout.
Égorgeait une poule. Assommait un lapin.
Elle se contenait. Jusqu’à ce qu’elle ne le puisse plus.
Alors elle sombrait : dépression, alcool, peinture.

Et quand elle voulait faire mal, elle le faisait froidement.
Avec des mots précis, des images chirurgicales.

À côté d’elle, mon père avait l’air d’un gros poupon en colère.
Peut-être est-ce cela qui a provoqué mon mépris.
Un mépris pour ce reflet de soi qu’on n’accepte pas.


L’œil du cyclone — ce lieu où tout peut être remis en question.
Les tempêtes comme les beaux jours.

Peut-être n’est-il utile qu’à cela : prendre conscience de la frontière entre confort et inconfort.
Une frontière émotionnelle.

On peut être érudit, brillant, lucide —
et rester un nouveau-né émotionnel.

Et que fait l’Académie dans ce domaine ?
Rien.

Elle bourre les crânes.
Elle laisse les cœurs en jachère.
Parce qu’on gouverne mieux par les sentiments que par les idées.


Je reste un moment au salon avec mon épouse.
Je subis les premières minutes du journal télévisé.
Cascade de tragédies.

Qu’un fait divers — aussi horrible soit-il — soit à ce point instrumentalisé par la politique…
Me sidère.

Ce cynisme, cette récupération permanente,
c’est obscène.

Mais je parle dans l’insomnie, bien sûr.
Avec cette lucidité étrange qu’elle procure.
Cette sensation de supériorité sur tous ceux qui dorment.

Mes propos sont probablement altérés.


Tentative d’écrire à F. au sujet de son : « Et toi, ça va ? »
Difficile d’écrire à quelqu’un dans la réalité.

La virtualité est si forte désormais, que les liens authentiques semblent suspects.
Toujours cette obsession du pourquoi, de l’intention.

Et la difficulté à simplement dire : merci.
Donner des nouvelles.
Dire je t’aime.

Comme si nous avions été ponctionnés de nos données au point de ne plus avoir de gestes sincères.
Comme si seule restait l’abdication devant le ridicule de nos actes.


Le fou est celui qui est libre de sa parole.
Et que nul ne prend au sérieux.

Il s’exile du sérieux pour en rejoindre un autre.
Une solitude sans frontières.

Ici, personne ne peut t’atteindre.
Tu es déjà mort. Crucifié.

Est-ce qu’on se retourne sur un crucifié ?
Renaître est rare. Et quand on en tient un, on ne le lâche plus.

Sa présence efface toutes les autres.

Être libre de sa parole, c’est peut-être la seule vraie liberté.


Et dans la vie de tous les jours, c’est le réflexe d’équilibre qui l’emporte.
Répondre par oui ou non.
Ne pas trop se répandre.
Ne jamais parler de soi.

De cette absurdité profonde :
être là, plutôt que de ne pas y être.


Prendre conscience de l’immaturité d’un cœur peut conduire au jardin.
Pour arroser les plantes.
Cela ne compense rien.
Mais cela fait du bien.

D’autant que la saison s’y prête.
Prendre soin d’une fragilité arbitraire vaut bien la solidité de nos routines.

Au terme d’une vie, bien des impressions ne se nomment plus que comme cela.

L’incompréhension du début comme de la fin serait un bon début.


Un peu plus tard me revient une phrase de mon père :

« On dirait qu’elle a un manche à balai dans le cul. »

Confusion typique : entre aviation et nettoyage.
J’appris plus tard que ce genre de femme ne vole pas.
Ni ne nettoie.
Elle a juste — ce fichu manche dans le cul.

Et ça ne doit pas être bien confortable. Pour ce que j’en imagine, bien sûr.


Lecture de quelques textes en prologue du roman.
L’exercice de l’été.

Toujours cette difficulté des commentaires — à les lire comme à les écrire.
C’est un groupe. Mais je ne pense pas en faire partie.

Il y aurait des choses à dire, spontanément.
Mais je m’abstiens. Je me méfie de cette spontanéité.

Comme si elle appartenait à une espèce éteinte.

Désormais, c’est l’interaction. L’algorithme.

Commenter, c’est jouer le jeu.
Mais on a le droit de rester sur le bord.
D’être spectateur.