Depuis que les hommes ont eu le loisir de se retourner sur ce qu’ils étaient, d’enquêter sur l’origine des gestes qui les commandaient, des paroles qui les liaient, des songes qui les hantaient, il leur est revenu, à l’écart du tumulte, dans les replis de la solitude, de s’inventer eux-mêmes, d’être les auteurs de leur propre destin.
L’invention de l’auteur, c’est l’invention de soi. Ce n’est pas seulement l’acte de jeter sur le papier les figures qu’on porte en soi comme une semence incertaine ; c’est, plus rudement, plus gravement, l’effort de desserrer l’étau des forces obscures, sociales, héréditaires, qui nous plient à leur forme et à leur loi.
Etre auteur, dans ce sens-là, c’est refuser l’assujettissement silencieux aux histoires déjà racontées, aux rôles déjà distribués. C’est tirer de la mélée confuse des influences et des injonctions un chemin singulier, infime peut-être, mais néanmoins nôtre.
C’est, dans les ruines accumulées du passé, retrouver l’impulsion fragile, éphémère, mais entêtée, qui fait que, contre le poids des coutumes, des espérances prêt-à-porter, des peurs communes, on se met debout, on profère sa parole, on trace, même chancelant, une ligne qui ne doit rien à personne.
C’est un labeur sans garantie, sans applaudissements assurés, sans même la certitude de n’avoir pas manqué son propos. Mais il n’est pas d’autre grandeur pour qui veut, un jour, ne pas avoir entièrement trahi ce qu’il pressentait, confusément, au fond de lui, avant que le monde, ses urgences, ses ordres, ses mirages, ne viennent tout ensevelir.
L’invention de l’auteur, c’est l’exercice quotidien, inlassable, de la vérité, à même l’obscurité, contre la tentation du renoncement, de la reddition, de la complaisance.
C’est le travail, infime mais indestructible, par lequel une conscience humaine tente, même à son insu, de demeurer fidèle au peu d’évidence que l’existence lui a confiée.