Plus je lis, plus j’éprouve de difficultés à écrire. L’envie se heurte à un mur infranchissable, un mur que je construis moi-même, de mes propres mains, avec mes propres moyens et surtout mes lacunes. Cela paraîtra enfantin à la plupart des gens que je fréquente. Pour eux, cette souffrance n’a aucun sens. Ils diraient : « Tu ferais mieux de peindre. » Et ils auraient raison. Après tout, je m’interroge peu sur la nécessité d’écrire, cette même nécessité qui m’ordonne de lui obéir, d’une manière si servile que cela me dégoûte rien que d’y penser.
Plus je lis, plus je mesure cet écart étrange entre l’envie qui me presse d’écrire – souvent des choses insignifiantes – et ce que pourrait être, si je faisais encore de nombreux efforts, des efforts surhumains, la véritable littérature. Et là se présente le choix : en rire ou en pleurer.
Plus je lis, plus j’ai conscience que je lis mal, que j’ai toujours si mal lu. Que la lecture ne m’a jamais servi qu’à la façon d’un miroir avantageux. Et désormais, apercevoir ce reflet m’est devenu insupportable. Il y a sans doute du désir, mais tellement terni par l’envie, la jalousie, l’idée du manque, d’une pauvreté voire même d’une misère qui resterait collée à qui je suis, indécrottable.
Plus je lis, plus je décortique lentement les phrases, les paragraphes, les pages entières avec une lenteur anachronique. Comme si cette nécessité de prendre tout le temps possible pour lire une page m’était imposée comme sanction pour avoir osé jadis lire tout et n’importe quoi dans une fulgurance, un appétit d’ogre, ou d’aventurier cupide et imbécile.
Plus je lis, plus je vois à quel point je suis éloigné du moindre amour, de l’amour véritable, simple, authentique, et ce depuis toujours, comme si tout devait m’être adressé et que je n’adresse presque jamais rien, résidant dans une maladresse propre à l’égocentrisme des petits enfants.
Plus je lis, plus je me rends compte que je ne sais pas plus lire que je n’ai su aimer qui que ce soit, pas même moi. Je me rends compte que j’ai toujours été si loin du compte, incapable de déchiffrer les signes, tant ceux provenant d’autrui que ceux émanant de moi vers les autres.
Plus je lis, plus je me complais à m’en vouloir de mes inaptitudes, plus je sombre dans le ridicule, le grotesque de tout cela. Et paradoxalement, plus j’ai l’étrange sensation que cela me fait du bien.
Plus je lis, plus je ressens ce besoin de prendre tout le temps possible, de vouloir atteindre une sorte de plénitude du temps par la lecture et l’écriture. Mais cette quête est floue, indéfinissable, comme si je ne savais pas vraiment ce que je désirais atteindre. Est-ce le moment présent, l’éternité, ou simplement une illusion de contrôle sur le temps qui m’échappe ?
Tout cela semble sans intérêt, une démonstration, une exhibition.
J’ai découvert Christian Garcin par l’intermédiaire de F.B. (proposition n° 17) et j’ai lu hier soir jusqu’à tard dans la nuit « Les vies multiples de Jeremiah Reynolds ». Le sujet est fascinant, l’histoire et l’intrigue captivantes, et la manière dont elle est documentée me laisse sans voix.
Aujourd’hui, j’écris ces lignes le 7 juillet, à 7h du matin. Je n’arrive pas à accepter l’idée que l’extrême-droite puisse remporter les élections législatives. Ici, la candidate du Front Populaire s’est retirée, nous laissant face au RN et à Renaissance. Une comédie répétitive, ordinaire des élections de tout acabit.
C’est étrange d’imaginer la relecture de ce passage, qui ne sera publié que le 18 juillet. À ce moment-là, les jeux seront faits, ou tragiquement, une sensation prévisible d’accablement me saisira à la lecture des résultats ce soir-là.