Difficile de savoir où se situe désormais le vrai travail. Mes cours de peinture se dépeuplent. Une élève ce matin, deux cet après-midi. J’ai regardé l’heure, chose que je ne fais jamais, me languissant que les cours s’achèvent.
C’est que je me suis mis au travail de réécriture tôt ce matin, de six à neuf. Puis, une fois la porte de l’atelier refermée à seize heures, j’ai continué jusqu’à vingt-trois heures. Heure à laquelle je prends une pause pour écrire cette note dans les carnets.
Une fois le fichier Markdown bouclé, il se produit comme un vide. Que vais-je faire de ce texte ? J’ai pensé à le publier comme un simple article dans les carnets, mais il est tellement énorme que je peine à croire qu’un lecteur le lise dans son intégralité. J’ai aussi fait un fichier PDF que j’ai pensé placer à la fin de l’article en question, pour qu’on puisse le télécharger et le lire à loisir. Mais toutes ces interrogations, au final, se sont avérées stériles. Une sorte d’insatisfaction demeure. Du vide et de l’insatisfaction.
Il me semble que ces deux concepts moteurs — qui tournent dans mes textes ces derniers temps : la fatigue et l’appréhension d’un seuil à franchir — produisent des phénomènes étonnants. Notamment ces compilations de travaux d’atelier, ces réécritures multiples : n’est-ce pas comme une sorte de volonté de clore un cycle ?
L’idée aussi de réunir les textes des carnets de manière mensuelle et de supprimer à terme les entrées journalières. D’aller plus vers l’écriture de petites nouvelles, de fictions brèves, comme pour me redonner un nouvel allant. Écrire peut-être de façon plus dissimulée, avec moins de digressions philosophiques, moins d’introspection. Mettre un terme, donc, à l’autofiction, semble se préciser de plus en plus.
Si je fais le point de tout ce que j’ai fait ces derniers mois, c’est tenter de ménager la chèvre et le chou : être un peu dans les carnets, un peu dans l’écriture de fiction, un peu dans l’analyse littéraire. Un peu, c’est-à-dire pas vraiment. C’est-à-dire nulle part, vraiment.
Le fait de publier Essai sur la fatigue me semble être un acte de clôture d’un cycle, me permettant de m’élancer vers un autre, totalement inconnu. C’est pourquoi l’idée de fictions brèves continue à faire son chemin — à titre expérimental surtout — ou comme un bon artisan apprend sur le tas, en pratiquant son métier, tout en allant voir ce que les autres fabriquent, pour en prendre de la graine.
Une chose qui ne cesse de tourner dans ma cervelle, c’est cette phrase : Soit tu écris pour un public, soit tu écris pour des critiques littéraires. Il faut choisir. Quelle que soit ta décision, il y aura une perte. Choisis ce que tu veux perdre. Et je n’ai pas franchement envie de choisir les critiques littéraires, évidemment.
C’est aussi un challenge que celui de créer des histoires qui n’ont l’air de rien, mais qui en disent bien plus que ce qu’elles ont l’air de dire. Des histoires où l’action seule raconte les personnages, sans se perdre dans des conjectures métaphysiques brumeuses. Des histoires avec du suspense, pourquoi pas. Des histoires avec des fausses pistes, avec une promesse à la fin, un joli lapin blanc, un pot aux roses.
Je crois que la fiction est ce qui se tient au-delà de la fatigue et du fameux seuil que je ne cesse plus d’entrevoir. Il faut juste un peu plus de travail encore pour y parvenir.
Quand je dis travail, ce n’est pas écrire. C’est réécrire, composer, structurer, lire, relire, réécrire encore. C’est pénétrer dans une nouvelle névrose, mais d’une façon mieux armée, avec un état d’esprit neuf.
C’est drôle, car ça me fait aussi penser à cette retraite qui devrait arriver cette année. Pas de raison de penser que la retraite est un terme. Au contraire, ça peut tout à fait être un recommencement. De toute façon, on recommence tout le temps. Il n’y a pas vraiment d’âge. C’est le job, voilà tout.