Le fait que nous soyons déjà morts,
et que ce que nous nommons la vie
ne soit qu’un état plus ou moins fumeux,
oscillant entre rêverie et dépression —
purgatoire pour les uns,
enfer pour d’autres,
et pire encore :
paradis pour ceusses qui régissent cet univers carcéral.
Les milliardaires.
Ce serait ça, le paradis sur terre :
avoir tout pouvoir pour faire avaler autant de mensonges qu’on peut
aux foules
avec des mots comme
liberté
fraternité
égalité
tout en les ratiboisant copieusement d’année en année
jusqu’à les voir crever
les unes après les autres
dans le grand dépotoir
des dégâts collatéraux
du bien-être.
Je m’emballe.
Pont-Neuf.
Plus de première fraîcheur.
Mais je m’emballe quand même.
Je le vois.
Je le sens.
Or donc, tout serait écrit d’avance,
y compris cette phrase.
M
A
I
N
T
E
N
A
N
T
et
de surprendre la supercherie,
qu’est-ce que ça va encore coûter,
me demandai-je —
soudain —
faisant bien entendu semblant d’être effaré,
puisque je suis quelque part déjà,
depuis plusieurs millénaires,
plusieurs kalpas,
avec mon petit calepin,
six pieds sous terre.
Il faut que je me raccroche à l’époque.
Il le faut,
sous peine de décrocher
un direct du gauche
à tout ce qui passe dans mon champ de vision.
Ces monstres —
ils sont absolument partout.
Je m’en suis fait la réflexion en allant au pain.
Il fait beau.
Une lumière exceptionnelle
qu’on peinerait à penser artificielle.
Mais —
il suffit que l’on soit ravi par cette idée qu’elle puisse l’être —
et aussitôt
l’on se retrouve au sol,
traîné par les bras ou les jambes
vers le pot aux roses,
par des ombres hostiles,
au souffle de chacal,
forcément belliqueuses,
abjectes.
Sans quoi,
comment pourrions-nous avoir l’opportunité
de tester notre stoïcisme,
notre indifférence crasse
au bien comme au mal,
et à toute l’étendue des nuances entre deux.
Donc je disais :
l’éternité peut sembler bien longue,
une fois cette certitude acquise
que nous sommes bel et bien morts et enterrés.
Et que
la ronde des saisons nous rappelle parfois —
par éclats —
des clameurs oubliées.
Un vieux chant de coq enroué.
Le camion des ordures.
Une odeur de métal dans l’air.
Alliage d’un parfum d’encaustique
et de fourrure de chat.
Fil de vierge scintillant,
serpentant dans l’air pailleté
de poussières d’amiante.
je
demeure
Et nous place,
comme toutes les fins d’avril,
entre sanglots
et fou rire.