La répétition, ce mouvement sourd et patient qui mène l’existence, porte en elle le tragique et la comédie, tout ensemble, à la manière d’une antique machinerie dont nous serions les modestes rouages. C’est sans doute pourquoi les humoristes, qui connaissent la vanité des choses, en ont fait un ressort, ce qu’on appelle le comique de répétition.

Chaque année, S. et moi, nous tombons malades, à l’heure où s’annonce le repos qu’on attendait. De mon côté, ça s’est manifesté dès le début de la semaine : je me suis traîné, noueux, vétuste, pour honorer mes cours. L’annulation n’était pas pensable — perte trop grande, peu d’entrées, déjà. Nous autres, aux marges de l’économie, nous n’avons guère le choix.

Mais au-delà de la fatigue, de cette mollesse interne qui évide jusqu’au geste, le pire, le plus dur à supporter, c’est l’humiliation d’être, devant l’écran, pareil à un invertébré à demi asséché. Pourtant, dans le délabrement, dans les poches encore industrieuses du for intérieur, j’ai trouvé de quoi repenser la structure du site : organisation thématique plutôt que rubricaire, une circulation plus fluide, plus lisible.

En chemin, le modèle o3 de ChatGPT — à grand renfort de mes efforts en prompt engineering — s’est révélé inapte à la tâche la plus élémentaire : bâtir un layout basique, trois colonnes, l’une escamotable à l’aide d’un toggle. C’est o4 turbo — la vieille machine, à la robustesse éprouvée — qui a repris l’ouvrage et l’a mené à terme.

Je me suis même amusé, pour m’éprouver peut-être ou combler un vide, à verser dans o4 l’intégralité de l’œuvre balzacienne. Il m’en est sorti un document .md, un inventaire de plus de deux mille personnages, leur fonction, leur ascendance, leur destin, une fresque classée par familles — les ambitieux, les rêveurs, les pauvres types —, et, au mur, le graphique pour suivre, à la manière d’un arpenteur obstiné, les chemins de F.B.

Il me faut cependant convenir que je n’ai pas eu, ces derniers mois, le temps, le nerf de tout poursuivre de front. Personne ne m’en fait le reproche. Il n’y a que moi pour en rougir, pour me heurter à ce hiatus insupportable entre ce que je désire, ce que j’accomplis, et cette impossibilité, étrangement, de faire concorder les deux figures.

J’abhorre l’idée que la défaillance pourrait venir de l’âge, de la fatigue, des atteintes sourdes que le corps, à notre insu, enregistre. J’ai, au fond de moi, cette éducation tênue, qui me souffle à voix basse : "Encore un effort. Tu peux."

Et pourtant, quand sonne l’heure, rare, presque honteuse, de "prendre des vacances", cette permission qu’une fois l’an je m’accorde pour accompagner S., le corps, soudain, rend les armes. Il cède. Et moi avec.

Badaboum.