
Des images mentales. Écrire trois paragraphes autour d’une image mentale. D’après une proposition d’atelier d’écriture de F.B de 2019
Préparation à l’exercice. Tout ce qui vient comme d’habitude.
Un homme éprouve toujours des difficultés pour comprendre ce dont il s’agit. Quelqu’un propose quelque chose, par exemple un sujet d’écriture, trouver une image mentale et s’arrêter seulement sur celle-ci pour écrire, et la première chose qui vient à l’esprit de notre homme c’est qu’il ne comprend rien à ce que l’autre lui dit. La première image mentale est donc ce brouillard entre deux individus.
Admettons que le mot brouillard s’avance dans le paragraphe. Est-ce bien ce que l’homme veut dire pour tenter d’énoncer la difficulté de comprendre ce que l’autre dit. A qui tente t’il d’énoncer cette difficulté ? Qui est le vrai lecteur puisqu’il s’agit d’écriture. Et Pourquoi ne dit-il pas tout simplement les mots confusion, trouble, déstabilisation, peur, angoisse, idiotie ? Pourquoi le mot brouillard masque t’il tous ces autres mots, pourquoi le mot brouillard s’impose t’il dans la phrase comme une façon temporaire ( mais du temporaire qui risque de durer car l’homme ne se relit jamais. Car l’homme quand il veut se relire n’y parvient pas, il ne voit que du brouillard flottant à la surface de son texte.
Le brouillard est associé à une image. Peut-être l’image d’une route qui s’enfonce dans le brouillard. Le fait qu’une route s’enfonce dans le brouillard crée en l’homme qui marche sur cette route une angoisse car on tout à coup il peut ne plus savoir où mène cette route, ou encore il sait, par habitude, où mène cette route puis le brouillard le fait douter de cette certitude.
Le brouillard rend flous les contours d’une certitude, celle qui, il y a un instant, se tient au premier plan recule dans un plan lointain.
Il est sorti de chez lui pour se rendre au village et soudain il est là sur cette route doutant qu’il existe encore un village, c’est à dire que l’image qu’il se fait de son but ( acheter le journal, poster une lettre, son but ) s’évanouit, est remplacé par un rideau de brouillard.
Est-ce un homme ou un enfant ? L’enfant sort de la maison pour se rendre à l’école au village voisin. Il marche sur la route goudronnée et se rend compte il ne voit pas au delà de cinq ou dix mètres devant lui. Son imagination entre en action. Qu’est-ce que peut dissimuler le brouillard ? Tout est possible à cet instant, et il est horrifié de continuer cependant à avancer. Il se retourne et voit que derrière lui le brouillard a déjà mangé la route, la maison qu’il a quitté.
N’importe quoi peut surgir de ce brouillard. Le pire comme le meilleur. Mais, la plupart du temps, on imagine le pire. L’enfant dispose naturellement d’une posture défensive face au brouillard. Du brouillard il ne peut rien sortir de bon. C’est à dire comme dans les cauchemars, on sait d’avance, c’est ce que l’on veut savoir coûte que coûte. C’est ce à quoi on s’accroche malgré soi. Le brouillard est synonyme d’effroi.
Des flashs rapides associés à l’image du brouillard. Ne pas laisser la cervelle tisser d’histoire à partir de ces flashs.
Arriver à l’entrée du pont et ne pas voir le bout de celui-ci. Il y a une blancheur irréelle à ce moment là. On ne voit rien, les contours ont disparu, sans contour il n’y a plus de pilier, plus de filin, plus de chaussée. Il n’y a qu’une rumeur incessante que l’on devine tout autour de soi, celle du fleuve qui coule sous le pont. A quelle époque de l’année ? sans doute entre mars avril car il fait jour déjà, les arbres sont déjà en fleur car une odeur de fleur est perceptible associée à celle du sang , de la pourriture, les abattoirs se trouvent juste sous le pont.
En forêt, l’irruption du brouillard, monstre protéiforme, par nappe montant du sol avalant les fougères, étouffant la bruyère. Il y a la route goudronnée, une longue route droite et des chemins de traverse perpendiculaires. Les nappes de brouillard sont tapies à quelques mètres en retrait de chacun de ces sentiers. On pédale plus fort pour arriver plus vite au bout de la route goudronnée avant que l’horreur nous happe, on pressent qu’elle peut surgir et nous dévorer à chaque instant. Une odeur de décomposition accompagne l’effort de vouloir s’enfuir
Les sons lui parviennent amortis par le brouillard de ce qu’il faut bien nommer une conversation. Quelqu’un d’indistinct s’adresse à l’enfant à l’homme, au vieillard, mais aucun des trois n’arrive pas à déterminer vraiment qui lui parle c’est juste une silhouette, bien qu’elle paraisse familière. On croit que c’est une route, peut-être une route qui traverse de part en part une forêt, mais ici il s’agit de la mémoire, d’essayer se souvenir d’un moment de confusion qui semble se répéter comme un écho dans un espace vide.
Et maintenant la nouvelle proposition d’écriture sur la nouvelle ( mars-avril 2024 )
Amasser des matériaux, construire au sol les éléments d’une charpente.
Le mot bible ; dans bibliothèque. La Bible arrachée au sable, c’est un des titres que j’ai retenu. Mais jamais lu, à peine feuilleté. Le fait que Werner Keller veuille prouver les déclarations de l’Ancien Testament. L’aversion pour la preuve. Celle par neuf ou par quatre, de tout temps.
Le livre est une tête coupée réduite que les Jivaro actuels conservent dans d’étranges cloisons pour se préserver de l’ennui plus que pour apprendre quoi que ce soit de nouveau sur le Dehors.
La collection de livres, un amas de bouquins, le trésor de l’oncle Picsou dans lequel on le voit plonger tête la première.
L’idée de la bibliothèque proche de celle du cimetière. Les différences de formats, de matériaux, égales à celles des sépultures, et un regard ironique mais en dessous plutôt triste, désespéré sur ces deux idées qu’on joint par dépit.
R. me tint un long moment en haleine tout comme Shéhérazade son Sultan, chaque soir extirpant un nouvel ouvrage de son bazar me promettant qu’à sa mort j’en hériterai. Qu’allais-je donc faire de cette gigantesque amas d’encre et de papier, l’angoisse monte encore rien que de m’en souvenir. Rien. Dans l’impossibilité de choisir une hypothèse d’usage, bientôt je renoncerai à R. comme à ses livres. Ce qui est à rapprocher de l’image du renard prit au piège qui préfère se ronger la patte et s’en aller clopin clopant ( ou cahin caha )
L’homme affalé dans un canapé se tient devant ses livres comme un seigneur protégé par ses sbires et je suis toujours ce pauvre hère que l’on jette à ses pieds pour implorer une justice qui ne vient pas.
Le fait de désirer un livre et s’empêcher de le lire. Une sorte de volonté d’abstinence provoquée par un indicible malheur, l’obligeait à chercher une jouissance singulière pour se rendre singulier. Puis il se mit à acheter des livres par dizaines dans une frénésie incontrôlable. Les lisait-il ? non. Il les possédait et ça lui suffisait pour imiter le plaisir ou le pouvoir, pour effectuer une incartade dans la gabegie d’avoir
Ce type était tordu. Il imaginait qu’en possédant des livres il acquerrait un poids dans le monde. Quand sa bibliothèque s’écroula et l’ensevelit, il eut l’air fin.
Puisque cette femme de toute évidence ne l’aimait plus, il lui laissa ses livres. On se demande encore à quelle fin, pour quelles raisons, et comment continua t’il sa vie n’ayant plus le moindre livre à sa disposition.
Il aurait pu comprendre à la première perte qu’il ne servirait à rien de racheter des livres, de se reconstituer une bibliothèque. Peut-être que la condition dans laquelle il se trouva ne l’empêcha pas de le faire.
Jamais un livre lu ne mérita à ses yeux d’être relu. Il y avait tellement d’autres livres à lire. Mais, s’il avait su lire il se serait rendu compte qu’il relisait toujours le même livre.
En mettant le nez dans un vieux livre on peut sentir parfois l’odeur d’un trèfle à quatre feuilles. Mais c’est une odeur plus désirée que véritable, la plupart du temps , en étant réaliste, on voit bien que les feuilles sont au nombre de trois.
La bibliothèque d’Alexandrie est une représentation réduite de la grande bibliothèque Akashique. Il faut trépasser trois fois minimum , comparer les deux objets de ce fantasme de bibliothèque pour se rendre compte de l’étendue vertigineuse et dérisoire de notre imagination.