Lecture de Claude Simon, Les Géorgiques, et aussitôt emporté par le rythme, la musique, l’humour qui (pour moi) s’y dissimule à peine et le tout si terrien, bien terre à terre, alors que le sens d’un récit recherché par réflexe pavlovien s’éparpille dans chaque phrase en images fractales se déployant ainsi comme source et conséquence sans plus de conséquence que ce mot lui-même.

Est-ce la connaissance d’un art équestre, une tradition de cavalerie, qui des deux chevauche l’autre de la langue ou de l’auteur, une alternance forcément, un coup l’un un coup l’autre. Il n’écrit qu’au présent son texte participe, témoigne, d’un présent de l’écriture d’être présent à. D’une offrande, d’être recueil, receptacle. En le lisant lentement avec circonspection on peut deviner des strates des couches géologiques se superposant d’un instant présent à un autre. La couche de correction, de réécriture étant issue du même impératif de justesse que celle du premier jet. Se précisant seulement par des critères de justesse d’obédience musicale. D’où une cohérence que le sens cherche en vain s’il ne se fie à l’oreille.

Une destruction chirurgicale de la forme ancienne dont par lambeaux découpés au scalpel, il effectue « un collage » façon cubiste. La relation à la peinture comme à la musique c’est à dire à l’art sans la pensée sur l’art, mais par exercices pratiques, semblables à ceux proposés dans les ateliers de F. Quelque chose effectué en tous cas dans une régularité de métronome, très modestement, du matériel que l’on travaille, polit, assemble et ajuste comme le font les artisans, mais toutefois mué par une intention « aristocratique », d’ailleurs même intention relevée en son temps dans « les vies minuscules » de Pierre Michon. Mais peut-être « aristocratique » est exagéré ou en dessous, c’est une autorité dans l’acception de ce terme où l’auteur et la langue collaborent ensemble à la faire sourdre d’elle-même, une autorité qui s’accouche par la langue et celui qui se laisse conduire et la conduit. C’est maladroitement dit, mais suffisant pour le recreuser ensuite, ne pas l’oublier. Mais veut-on dire quelque chose en amont de l’écrire, de l’instant présent où une volonté qui souvent nous dépasse s’inscrit de façon plus ou moins hermétique. Ou bien dans ce cas n’est-ce pas là le travail de pénétrer par les sens dans l’hermétisme, et par le son, le rythme, la période non pas l’éventrer mais mettre au monde un objet d’apparence insensée si on le regarde avec de vieilles lunettes.

Etrangement lire Claude Simon me réconcilie avec la peinture et la notion d’atelier tout entière.

Le malentendu du journal, du carnet, s’il tombe sous les yeux d’un tiers s’y reconnaissant, y compris son auteur. Le même malentendu que dans la vie de tous les jours où sont émises des formes sonores, visuelles, sensorielles essentiellement et à qui on impose de vouloir dire quelque chose qui révélerait, dévoilerait une vérité bonne ou mauvaise… un sens. Alors qu’il ne s’agit que de son et d’images de rythmes qui s’entrelacent, se trouvent fortuitement des assemblages éphémères. A la simplicité romanesque s’oppose une résistance de tous les sens désormais en éveil. Une simultanéité de résistances contre l’illusion du linéaire. Cette simultanéité peut aussi bien être un synonyme du collectif. Alors que la temporalité nécessite un sens comme un sujet, une histoire.