Je lis beaucoup, et souvent des choses aussi hétéroclites que monomaniaques – à petites doses, pour ne pas trop en abuser. Internet est un terrain fertile pour cela. L’un des thèmes récurrents qui m’interpelle est la soif de silence, exprimée par certains, et qui fait écho à la mienne.

Curieusement, chaque fois que je lis sur le silence, une envie irrépressible de faire du bruit monte en moi. Une réaction presque pavlovienne, comme ces interminables repas dominicaux de mon enfance où, au milieu des palabres adultes, il était interdit aux enfants de parler. « Vous dites n’importe quoi pour vous rendre intéressants », nous lançait-on.

Ma grand-mère paternelle, particulièrement prompte à brider notre effronterie, interrompait d’un ton sec chaque mot que mon frère ou moi tentions de placer :
— Mais quand donc vas-tu te taire ?

Ce refrain, aussi agaçant que comique, déclenchait en nous un défi silencieux : troubler ces conversations autant qu’il nous était possible. La créativité devenait notre arme. Je lançais des provocations mi-sérieuses, mi-insolentes :

— Pourquoi les pierres n’auraient-elles pas une âme, comme les arbres et les insectes ?
— L’anglais, c’est facile, il suffit de parler français à l’envers.

Ce jeu nous faisait rire, mon frère et moi, mais la frustration grondait sous la surface. Ces souvenirs me reviennent parfois, étrangement précis, comme l’eau d’un évier qui se vide en tourbillonnant de plus en plus vite.

Aujourd’hui, les anecdotes familiales continuent, mais elles ont pris une tournure différente. L., six ans, a signé un mot de l’école à la place de ses parents, comme une preuve d’autonomie désarmante. J’ai ri en l’apprenant, bien sûr. Mais ma femme, moins amusée, a vu dans cet acte un signe grave de désobéissance.

Nous avons évoqué les enfants d’aujourd’hui, qui semblent évoluer dans des réalités plus complexes que les nôtres. « M. dealait des cartes Pokémon il y a deux semaines », ai-je rappelé, entre l’amusement et la perplexité. Ces petits actes de rébellion enfantine m’apparaissent comme une manière pour eux d’exprimer leur place dans un monde en mutation.

Je crois qu’avec l’âge, nous ne nous souvenons pas si bien de notre propre enfance. Nous la reconstruisons, l’enjolivons, lui donnons une cohérence qu’elle n’a jamais eue. Chaque souvenir devient une fiction, chaque vide, une narration. Et pourtant, nous persistons à chercher du sens dans ces fragments épars, comme si l’obligation de tirer des leçons justifiait tout.

Alors, quoi faire de l’information ? L. forge les signatures. M. revend des cartes Pokémon. Est-ce une tragédie éducative, ou simplement une part de ce théâtre de l’enfance qui nous échappe toujours ?

— Tu m’énerves, tais-toi ! a fini par dire ma femme, excédée par ma désinvolture.
Je n’ai pas répondu. J’ai remis mon casque audio et poussé le son à fond.