sur le modèle de Mini Journal de 40 jours 1
Un psychanalyste fictif s’invite dans l’ombre de chaque texte. Il écoute, interprète, laisse affleurer ce que le langage trahit, ce que le corps inscrit. Chaque jour est un entretien sans parole, un fragment d’analyse suspendue, entre bienveillance et lucidité, avec cette seule règle : suivre le fil des tropismes jusqu’au bord du non-dit.
sommaire
Jour 0 · Jour 1 · Jour 2 · Jour 3 · Jour 4 · Jour 5 · Jour 6 · Jour 7 · Jour 8 · Jour 9 · Jour 10 · Jour 11 · Jour 12 · Jour 13 · Jour 14 · Jour 15 · Jour 16 · Jour 17 · Jour 18 · Jour 19 · Jour 20 · Jour 21 · Jour 22 · Jour 23 · Jour 24 · Jour 25 · Jour 26 · Jour 27 · Jour 28 · Jour 29 · Jour 30 · Jour 31 · Jour 32 · Jour 33 · Jour 34 · Jour 35 · Jour 36 · Jour 37 · Jour 38 · Jour 39 · Jour 40
Jour 0
Il y a dans cette première hésitation une tension primitive : la ville comme labyrinthe d’ombres et de souvenirs désossés. Le sujet cherche, sans savoir ce qu’il cherche. Une ancienne affection peut-être, un reflet de soi. Le flou identitaire, la mémoire perforée. Le regard se perd dans l’image, comme dans un miroir sans tain.
Jour 1
Un début fuyant, symptomatique. Refus du geste, de l’origine. Le corps se dérobe, comme la mémoire. La main droite — main dominante, mais aussi main de l’autorité — revient comme une obsession. Derrière la dérive, une quête d’équilibre, de stabilité. La figure de Meyer, incertaine, incarne un appel au secours dans un monde qui parle une autre langue.
Jour 2
Elle est là, ou pas. Ce qui compte, c’est le frisson de l’attente. L’encre devient miracle, la lettre : vestige d’un lien rompu. Brûler, mais ne rien effacer : le symptôme d’une passion non consumée. Le sujet veut fuir, mais reste ligoté à l’écriture comme à un corps disparu. Il y a du deuil dans chaque phrase.
Jour 3
Ici, la mémoire visuelle supplante le récit. Le marbre, la rivière, les visages — autant de fantômes convoqués pour combler une béance. Ce qui apaise, c’est l’oblique, le flou, l’entre-deux. L’amour est cité, mais reste suspendu dans l’ironie douce. L’achat des livres devient acte de foi : preuve dérisoire d’une intimité perdue.
Jour 4
Le sol revient comme un socle angoissé. On voudrait s’enraciner, mais le sol grince, retient. Le corps est dans une tension de chute, d’essuyage, de marche sans fin. La propreté devient métaphore : tentative vaine d’effacer les traces du passé. Chaque banc est un lieu de mémoire, chaque pas une répétition du trauma.
Jour 5
Ici, l’olfactif domine. L’odeur précède tout. Le sujet explore un musée d’objets-fétiches : pirojkis, poignards, cravates… Tous parlent d’un passé figé dans une lumière absente. La maison mentale est peuplée d’ombres bavardes. L’enfance, encore, transparaît dans la minutie du regard. On parle entre les objets, on rit autour des absents.
Jour 6
Cartes et guerre. Une mémoire traumatique affleure. Gallipoli, le sang, les cris. Wikipédia comme refuge aseptisé, une tentative de neutralisation de l’histoire par le savoir. Mais une carte revient, unique, obsessionnelle. Le ruban, la malle, les nuits… autant de conteneurs du refoulé. Le silence final est plus fort que toute parole.
Jour 7
On tente de fuir. Changement d’apparence, d’adresse, de lieu. Le Leica devient le seul confident. Le supermarché : lieu du choix, du simulacre. On veut croire à une vérité par la photo, mais c’est le gris qui revient. Le désir de partir est une constante. L’appareil sans pile : fantasme d’un monde plus pur, sans médiation.
Jour 8
Le texte bascule vers le vertige de la verticalité. Les marches, les chambres de bonnes, les œils-de-bœuf. Tout est regardé, mais rien ne voit. L’enfance se niche dans les interstices : flipper, tasses, guitares sous vitrine. Mitterrand et les pianos. La mémoire du père ? Peut-être. Tout s’engloutit dans un lent glissement vers l’effacement.
Jour 9
Un sourire — il suffit de peu. Le corps en jeu, les gaz, les fleurs ratées. Il y a un deuil ici, mais sans cérémonie. On mange, on parle, on projette. On refuse l’évidence. Le sujet tend la main : geste ambigu, entre amour et abdication. L’odeur persiste, mémoire corporelle d’un choc non intégré.
Jour 10
L’histoire ici est celle d’une disparition. Les noms sont là, mais flottants. Les lieux n’en sont plus. Les tomates ne poussent pas. Il y a dans cette parole une errance géographique qui mime celle du sujet. Ce n’est pas une perte, c’est une érosion douce. Le nom devient un mot vide, et l’enfance : un jardin sec.
Jour 11
Un trop-plein. Un trop proche. Le corps de l’autre devient danger, contamination affective. Le sujet fuit la fusion, choisit l’errance. Marcher pour s’éloigner de soi-même, retrouver le silence intérieur. L’auto-perte devient une stratégie de survie. L’éloignement comme seuil d’intimité enfin supportable.
Jour 12
L’apparition d’un homme déclenche un vertige : une ancienne hypnose resurgit, une mémoire altérée. L’expérience semble mystique, mais débouche sur un retour brutal à la ride, au souci. Il s’agit d’un dédoublement initiatique, un passage fugace. L’élargissement du champ de vision ne dure pas. Il faut que tout tienne encore debout : formule clinique d’un équilibre instable.
Jour 13
Ce texte est saturé de couleurs affectives : rouge, vert, noir. La photographie comme métaphore de la mémoire désirée floue. On ne veut pas tirer le négatif, pas l’éclairer : résistance au savoir, au dévoilement. Le sujet veut conserver une image inaltérée, quitte à renoncer à la vérité. C’est une stratégie de préservation : une forme d’amour.
Jour 14
Ici, une plainte. Le sentiment de dépossession du langage. Les mots ne sont plus à soi, ils ont été pris. Une fleur dans une bouteille devient la trace d’une autre voix, d’un autre récit. Le sujet tente de retrouver la sienne, infime, fragile. Le texte se clôt sur une perte : route, pain, rire — tout s’efface.
Jour 15
Vertige du regard. Le sujet veut voir, tout voir, mais aussi se préserver. Une image l’attire : fragment d’un corps, fragment de mémoire. L’injure ou l’invitation se confondent dans le même geste. La verticalité devient menace. Les toits et les "toi" se superposent. C’est une lutte entre le bas et le haut, entre chute et pureté.
Jour 16
Un souffle. Tout part de là. Écrire, peindre, dire : autant de moyens de continuer à respirer. L’angoisse d’étouffer innerve le texte. Le corps, en manque de confiance, cherche des issues. Ce n’est pas une revendication, c’est un réflexe vital. Un souffle de travers, peut-être, mais encore un souffle.
Jour 17
La voix maternelle surgit, mystérieuse. Un mot tendre mais creux : "mon chéri". La scène est opaque, presque sacrée. Quelque chose se transmet — une croix, une monnaie, un mot. Le texte évoque la filiation dans son ambiguïté : poids et pilier à la fois. L’enfant cherche un sens dans un geste répétitif. Encore un jour : le temps revient comme une boucle.
Jour 18
Un miroir sans reflet d’enfant : énigme. Le corps allégé, comme s’il avait digéré l’absence. Le bubble gum, la boucle, la porte : autant de seuils vers un autre soi. Ce n’est pas triste, dit-il. C’est déjà une réconciliation partielle. Une autre moi ? Peut-être un pas vers l’acceptation d’une version allégée de soi-même.
Jour 19
L’attente devient existence. Les chaises, les jambes, le sol : toute la scène est une salle d’attente métaphysique. Pas de visages. Le sujet est fragmenté, dissous. L’alignement des chaises est celui des jours, des corps. On attend sans savoir quoi. L’appel n’arrivera peut-être pas. Pourtant on reste, par réflexe, par espoir, par fatigue. La vie s’installe dans l’entre-deux.
Jour 20
La bouche s’ouvre soudain : un jaillissement non prévu. Le boléro, la canette, le tempo : autant de métaphores d’une montée pulsionnelle. Le corps participe à un rituel collectif sans en comprendre les règles. Une euphorie rythmique précède l’éclatement. À la fin : le silence. Le sujet a traversé quelque chose, sans pouvoir le nommer, mais c’était là.
Jour 21
Un jeu de chiffres, une équation intime. La nuit souffle et dérange les certitudes. Le "tiers" surgit comme une altérité insaisissable. Il y a un besoin de rébellion douce, une opposition ludique. Le bateau prend l’eau, mais continue d’avancer. Il s’agit moins de réparer que de naviguer autrement. La dissonance devient langage.
Jour 22
Un atelier mental. Une scène qui glisse, hésite, oscille. Le regard cherche un garçon, un feu, une trace. L’art devient mémoire, archive d’un passage. Le lieu n’est plus stable, les chiffres non plus. Tout s’ouvre et se referme. Le mouvement même est l’œuvre. Quelqu’un referme la porte : un seuil est franchi, sans bruit.
Jour 23
Une ligne droite devient exutoire. Bastille, Vaugirard, la ville est traversée comme un corps. La colère s’écoule lentement, se transforme en faim, en course. Il n’y a pas d’amour, juste une demande de respect. Le sujet s’animalise : guépard, serpent. Une fuite qui recentre, un bord du monde qui devient centre provisoire.
Jour 24
Hyperconnexion, hyperprésence. Le smartphone comme interface de trop. Le regard se dissout dans la vitre, les notifications, les gestes interrompus. La table d’à côté devient monde parallèle. La voix qui demande du réseau : c’est la percée, le trou dans le tissu du virtuel. Un sourire réel. Il reste encore des mondes entiers dans un sourire.
Jour 25
Une scène nocturne urbaine, fragmentée. L’ascenseur en panne devient métaphore du temps suspendu. L’enfance cherche des preuves sur Google Earth. La mémoire est désorganisée, mousseuse, désarticulée. Le nom retrouvé déclenche un vertige. L’écran ne confirme rien. Peut-être que le vrai est devenu insupportable. Le doute devient l’ultime refuge.
Jour 26
Explosion d’images. Le passé revient en flashes flous. Un pigeon, un ride, une corde, une cassure. Le corps parle en silence. Il y a eu faute, ratage, mais personne ne juge. La voyante n’a rien vu cette fois. Le récit tourne, s’échappe. Il reste une sensation, un frisson dans la fourrure. Un souvenir animal, archaïque.
Jour 27
Règlement de comptes avec le passé. Le "toi" que tu voulais être n’a jamais existé. Le père devient masque, refuge, trahison. Le verre brisé n’est pas le signal, c’est le départ qui compte. Il y a trop de fleurs fanées, trop de phrases rapiécées. Le sujet glisse hors de la scène familiale. La ville l’engloutit, mais c’est une délivrance.
Jour 28
Geste offert mais ambigu. Donner un tableau, c’est donner un morceau de soi. Le mur vide interroge : est-ce l’âme ou le support ? Le monde réclame des formes, des réponses. Le sujet vacille entre don et commerce. Il voudrait donner sans retour. L’art comme torsion dans la lumière. Une tension vive entre sujet et objet, entre friction et abandon.
Jour 29
Le rouge explose, puis s’efface. Maquillage, révolution, slogans : tout déborde. Le corps féminin devient champ de bataille. La barricade s’installe entre les lèvres et le bouquet. Il n’y a pas de choix, juste des dérives. Le sujet cherche à voir, à faire voir. Ce qu’elle saura ? Peut-être. Peut-être pas.
Jour 30
Venise, Istanbul, Lisbonne : villes-fantômes. Le sujet n’habite pas les lieux, il les traverse par procuration. Pessoa, Giacometti, Peggy : figures interposées. La langue râpe, la mer se tait. L’expérience se dérobe dans la chaleur, le silence. Le sujet cherche un point d’ancrage qui ne soit pas un miroir.
Jour 31
Une spirale sensorielle. Les couleurs coulent, les sons s’effacent. Une robe mouillée, un phare, une goutte. L’érotisme affleure dans un paysage en décomposition. Le volcan dort, mais le corps veille. Le sujet regarde encore : geste d’insistance, d’aveu. Avant de tomber, il faut voir. Voir, c’est résister.
Jour 32
La ville n’a plus de nom. Les lieux brillent mais mentent. Les prénoms, les contes, les souvenirs se défont. Le sujet ne reconnaît plus rien. L’espace est mental, mouvant. On interroge, on espère, on échoue. Tout est à reconstruire, peut-être pour la première fois.
Jour 33
Un feu de signalisation. Une traversée. L’acte le plus banal devient chargé. Le sujet ne fuit plus, il reconnaît. Il revient sans illusion, mais avec une forme de paix. Le fantôme, ce n’est pas Sodome, c’est soi-même. Quelque chose a été perdu, mais pas soi. Pas encore.
Jour 34
Le plafond devient écran. Une tâche, un goût, une glissade. Le corps est allongé, en écoute. Les sons deviennent mémoire. Le lait, le sang, la langue. Ce qui commence ne doit pas être nommé. L’indicible affleure. Le silence parle. Le sujet s’abandonne à ce qui le dépasse.
Jour 35
Le trait est un piège. Le dessin : une tension. Le sujet cherche à comprendre, mais chaque réponse est un leurre. C’est trop simple, donc compliqué. Ou l’inverse. Le poignet hésite. La pensée patine. Le vide du sens ouvre enfin un espace. Commencer, c’est ne rien comprendre. C’est parfait.
Jour 36
L’île a changé. Ce n’est plus une île, c’est une arche. Elle respire, elle saigne, elle avale. Le sujet attend, trop tard. Le voyage a commencé. On ne saura plus qui on est. Courbet, lui aussi, embarqué. Il n’y a plus d’art, plus de rive. Juste un mouvement. Un départ sans retour.
Jour 37
Le pèlerinage n’est pas un lieu. C’est un corps qui revient. Un geste. Écrire. Répéter. Les morts attendent dans la stèle quotidienne. Le sens se perd, se retrouve. Ce n’est pas une question de foi, c’est un rituel d’incarnation. Chaque jour, un fragment de présence contre l’oubli.
Jour 38
Tohou. Ce mot, pâteux, abyssal. La possession commence par le langage. "Mon", "ma", "grrr". Le territoire se referme, se crispe. La peur de l’autre, de l’innommable. L’enfant-animal crie. Le sujet tente de défaire les murs. Mais que reste-t-il si tout tombe ? L’horizon ? Oui, mais flou. Loin. Fatigue.
Jour 39
File d’attente, chaleur, absurdité. L’effondrement psychique est discret : un clic, un sourire, un fantasme d’ayahuasca. Freud fume, Hitler parle, Klimt dégouline. Tout se mélange. L’exégèse devient hypnose. Même la masturbation cherche l’ordre. Mais à la fin, une simple corbeille vidée. Geste dérisoire, mais salvateur. Rire fragile de qui a survécu au délire.
Jour 40
La langue cherche la forme. Flèche, tangente, racle. Boulangerie, billot, couteau à dents. Pas violence, mais attente. L’enfance sous la table. Les motifs comme orgasme discret. Le père comme tueur tendre. Le monde s’ouvre, se racle, se désigne. Écrire, c’est revenir. Écrire, c’est nommer juste avant de se taire.