Troubler le trope : écrire malgré les moteurs foutus

Un trope, c’est quoi ? Un cliché, oui, mais mieux. Un schéma narratif, une figure qui revient. Le héros élu. L’objet magique. L’arc de transformation.
C’est balisé, c’est propre. Tu poses une prémisse, tu tends un fil, tu coches les étapes. À la fin : une histoire. Une belle. Une qui tient la route.

John Truby en a fait un système. Dans Anatomie du scénario, il prône la narration comme machine bien huilée. Une histoire qui avance, qui transforme, qui révèle.
Mais derrière cette structure rassurante, un imaginaire politique : la fiction comme autorité. Une seule trajectoire, un centre fort, une vérité imposée.
Narrativement, c’est l’État. Politiquement, c’est le grand récit. Socialement, c’est la norme.

Trope Modèle Truby
Le héros élu Seul lui peut sauver le monde
L’objet moteur L’artefact qui change tout
Transformation guidée Faiblesse → victoire

En face, une autre approche : celle de Malt Olbren, ce maître fictif des ateliers d’écriture, inventé par François Bon. Olbren défend le désordre, la tangente, le grain de sable. Il prône les récits qui n’en sont pas, les histoires qui déraillent. Pas de plan, pas de finalité. Juste une tension, un bloc, une boîte avec quelqu’un dedans, coincé.

Trope Variante Olbren
Le héros élu Figé dans l’attente ou la folie
L’objet moteur Détourné, oublié, inutile
Transformation guidée Pas de résolution, juste un glissement

Et moi, là-dedans ? Je n’écris ni comme Truby ni comme Olbren. J’oscille. Je tente. Et souvent, je cale.

Exemple.

Ma bagnole doit passer le contrôle technique début mai. 275 000 bornes. Elle roule encore, mais à peine. La portière ferme mal. La rouille gagne. L’analyse pollution, signalée l’an dernier, va sûrement faire tomber le couperet. Je me réveille la nuit en pensant à ça. Pas à la mort, pas à l’amour : au contrôle technique.
Si elle passe pas, c’est foutu. Plus de voyage en Espagne avec S., plus de projet d’été.
Et cette angoisse-là — ce moteur qui menace de lâcher — c’est ça mon récit.

Pas une quête. Pas une épopée.
Juste une panne annoncée. Un voyage peut-être annulé.
Une peur à bas bruit, qui grignote.

Et voilà : le moteur narratif, c’est pas toujours celui qui pousse en avant. Parfois, c’est celui qui grince, qui tousse, qui crève sur le bas-côté. Et écrire, alors, ce n’est pas tracer une ligne claire, mais ramer à contre-courant de la panne.

C’est peut-être ça, la troisième voie. Ni grand récit, ni désordre absolu.
Juste : écrire parce que ça va mal. Parce qu’on a plus le choix.
Parce qu’on ne sait pas quoi faire d’autre.