C’est la dernière lettre. La fin de la file. Celle qu’on appelle en dernier, celle qui ferme la marche, qui ferme la bouche aussi. Le Z n’a pas le panache de l’A, ni la tension explosive du X. Il est la lettre du « trop tard », du « tout a déjà été dit ». Et pourtant, il vibre. Il vibre comme une fin qu’on entend encore.
Son origine est ancienne. Le Z vient du zēta grec (Ζ, ζ), qui lui-même descend du phénicien 𐤆 (zayin), une lettre dont le nom signifiait littéralement « arme » ou « épée ». Ce n’était pas simplement un son, mais un signe chargé : il portait en lui l’idée d’un geste, d’un pouvoir, d’une coupure. En hébreu moderne, zayin désigne encore un fusil. Ce n’est donc pas une lettre douce, même si sa prononciation actuelle — [z] — lui donne une allure feutrée. En français, elle se faufile, elle glisse, comme un serpent lettré. Mais dans ses racines, elle tranche.
On oublie parfois que le Z a connu l’exil. Dans l’alphabet latin archaïque, il a été écarté, jugé redondant. Les Romains l’avaient supprimé, remplacé par d’autres combinaisons plus utiles. Ce n’est que plus tard, quand ils ont eu besoin de transcrire des mots grecs, qu’ils l’ont réintroduit. En fin d’alphabet. Comme un rappel, un ajout, un corps étranger toléré du bout de l’ordre.
C’est peut-être pour cela que le Z a toujours gardé quelque chose de marginal, de rebelle, de provisoire. Il est la lettre de ceux qu’on oublie. Des Zéros, des Zébras, des Zélateurs de l’ombre. Il n’ouvre rien, il conclut. Il ne commence pas, il désigne la fin. Mais il le fait avec panache, parfois même avec un éclair. Zorro, bien sûr, est son héros : il signe d’un Z qui veut dire trop tard pour les méchants.
Graphiquement, le Z est une énergie. Une foudre qui descend. Une diagonale qui résiste. Une lettre dessinée avec la rapidité d’un coup de sabre. C’est une lettre tendue. Elle contient en elle un départ, un retour, un raccourci. Elle traverse, elle tranche, elle claque.
Le Z est peut-être le contre-alphabet. Celui qu’on suit quand on veut sortir du récit linéaire. Il parle pour les dernières places, pour les mots rares, pour les enfants du dictionnaire. Il est l’ultime, mais il n’est pas le moins. Il vient à la fin, mais parfois, il renverse le sens.
Un alphabet qui commence par Z serait une révolution discrète. Une manière de dire : et si tout ce qu’on pensait fini était déjà en train de recommencer ?
À ce titre, on ne peut que recommander la lecture de Z ou souvenirs d’historienne, de Claire Zalc (Éditions de la Sorbonne, 2021), qui place elle aussi cette lettre en tête de l’alphabet personnel et politique. Dans cet ouvrage subtil et fragmentaire, nourri de l’ombre portée par l’œuvre de Perec, l’autrice tisse le récit de sa pratique d’historienne et celui de son intimité intellectuelle. On y découvre une manière d’écrire l’Histoire en s’autorisant à douter, à chercher, à mêler fragments documentaires et souvenirs flous. L’article de Philippe Artières publié sur le site de l’EAN (En attendant Nadeau) en donne une lecture éclairante et juste.