Entre la naissance et la mort, le temps peut sembler long. Mais de quel temps parle-t-on vraiment, lorsque l’on parle de ce temps-là ? Ce que les bouddhistes nomment éveil n’a rien à voir avec des promesses de lévitation ou de grandes transes spectaculaires : c’est un réveil. Brutal, sec, sans ornement. Découvrir que l’on a dormi tout le long, ruminant dans une illusion de durée, est un gouffre qui s’ouvre sous les pieds.
Si le temps que nous croyions vivre n’est qu’un rêve, qu’en est-il du temps véritable, celui, plus mince, plus âpre, que nous traversons entre deux absences ? L’éveil, cet arrachement, peut survenir à n’importe quel moment. Jeune ou vieux, cela importe peu. Car nul ne connaît l’heure exacte où il devra quitter la scène. Croire que l’on dispose d’un crédit long, d’une provision d’années, n’est qu’une illusion de plus.
Peut-être les insomniaques, surtout les vieux insomniaques, perçoivent-ils cette vérité plus crûment. Ils vivent au rythme d’un présent sans bornes, nu, sans secours. L’écriture s’approche de cet état. Le suicide, parfois, n’est qu’un empressement maladroit : un refus de la patience que le présent exige. Vivre dans l’éternité du moment réclame des nerfs d’acier. Chercher à fuir par les drogues du sommeil ou les poisons de l’éveil, c’est commettre un crime contre ce que nous avons de plus rare : être encore là, à même la nuit, sans fuir, sans tricher.
Le temps entre naissance et mort n’est qu’une rumeur dans le sommeil. Se réveiller, c’est tomber d’un rêve dans l’autre, perdre la mesure, découvrir qu’il n’y a ni avant ni après, seulement un présent immobile, insatiable. Les insomniaques le savent mieux que d’autres : vivre exige des nerfs que la fuite, sous quelque forme, insulte. L’écriture, parfois, consent à cet effort sans recours.