décembre 2024

Carnets | décembre 2024

02 décembre 2024

Moi non plus je n’ai pas lu Regain. À moins que, pire, je l’aie lu et que j’aie tout oublié. Et pour ce qui est de tenir une information quelconque, j’y renonce : c’est beaucoup trop lourd à porter. Les gens se refilent l’information qu’ils n’arrivent pas à tenir, ils la tiennent d’autres qui, déjà, avaient du mal. Donc on se débarrasse plutôt de l’information et voilà comment elle se venge, en se déformant toute seule, comme une grande. C’est comme aller faire une différence entre le vrai et le faux de nos jours. Bonne chance. Merde, plutôt. Mais bon, le fait est que je manque cruellement de position pour clamer mon opinion à tue-tête. Sur cet écrivain, par exemple, je n’ai pas lu une seule ligne de ce qu’il a bien pu écrire pour fâcher les gens comme ça. Après, on va me dire que je ne perds rien, que là n’est pas le problème. C’est la liberté d’expression qu’on attaque, bon Dieu, réveille-toi. Ah bon ? Il y a encore une liberté d’expression ? Puis-je vraiment dire « je vous emmerde » à tous les carrefours ? C’est vrai ? J’en ai un peu marre de faire mon Voltaire. Je passe au crapaud, à la carpe, aux bulles, à la vase. En fait, je n’ai pas d’avis et je ne veux toujours pas en avoir un. Je tourne autour de l’avis comme un chien autour d’un arbre, pour trouver le meilleur angle d’attaque afin de me soulager. Parce que désormais, tous les avis sont récoltés à la pelle, et on les fourre dans une fosse commune en plaçant une statue de commandeur par-dessus. Brassard avec croix gammée prioritaire. Et ça touche tous les bords tellement qu’on se demande si tout n’est pas que du bord, comme la Terre est plate. Pourquoi diantre la Terre ne serait-elle pas plate ? Et qu’est-ce que j’en ai à faire, franchement, qu’elle soit patatoïde, parallélépipédique, ovoïde, cubique, plate, creuse, boursouflée ? Je m’en tamponne carrément le coquillard, tant que j’arrive encore à tenir debout, la seule chose que je suis en mesure encore à peu près de tenir. Tout ce qui n’est pas à gauche n’est pas toujours à droite et vice-versa, ni même au centre, ni en dessous, ni au-dessus. Il est tout à fait possible que ce que l’on nomme « politique » ne m’intéresse plus du tout. Qu’elle soit rendue, comme vomie par une accumulation de dégoûts successifs qui n’a jamais cessé de me soulever le cœur, qui m’est ensuite resté en travers de la gorge pour redescendre brutalement afin de me casser les couilles et les pieds. J’abhorre la politique telle qu’on me la présente. Un oripeau, une guenille, un vieux slip, une vieille culotte qui pue la merde et l’urine. La politique, ce truc de vieux. Hier, par exemple, j’entends ce type, avec sa voix nasillarde et métallique, et j’ai tout de suite pensé à la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse qu’un bœuf. Maintenant que j’y repense, ça me ferait bien rire si j’avais envie de chercher du propre dans l’homme en tant que singe.|couper{180}

Carnets | décembre 2024

01 décembre 2024

Dans la salle d’attente du pavillon C de l’hôpital Herriot à Lyon, ce dimanche matin, j’attends. Un panneau représentant un personnage en fauteuil roulant blanc sur fond bleu turquoise sombre est occupé par une corbeille de plastique sombre dans laquelle on a placé un sac souple de plastique sombre également. Le bord ouvert du sac poubelle, visiblement plus grand que son récipient, a été retourné autour du bord du récipient. C'est un quart d'heure plus tard que j'ai vu qu'il y avait un strapontin replié contre le mur. Les murs sont d’une couleur indéfinissable, entre blanc cassé et beige clair, avec par endroits, selon les éclairages, des rehauts de jaune. L’éclairage est composé de quatre appliques à l’intérieur desquelles on peut imaginer des ampoules LED. Sur ma gauche, accroché au mur, un large écran semblable aux écrans plats de télévision affiche en noir les noms des patients qui se trouvent ici dans la salle d’attente. À chaque fois qu’un nouveau ou une nouvelle venue entre en disant bonjour, presque tous les autres répondent à son bonjour. Certains sont plus audibles que d'autres. La plupart se réfugient aussitôt sur l'écran de leurs smartphones. Certains encore portent des lunettes noires. Les sièges sont constitués de plastique dur, ajournés par endroits, dossier et emplacement pour s’asseoir (formant sur ce dernier un genre de motif en forme de demi-lune). Sur un des murs, un palmier, tronc noir feuillage vert sapin, agrémenté de cactus aux coloris divers, bleu pâle, vert de vessie. Quelques fleurs rouges parachevant le tout. Ce qui rompt (un peu, à condition qu'on prenne le temps de le remarquer) avec l'austérité des lieux. À travers tout cela, des images de cuisine diverses et variées me parasitent l'esprit. Notamment les images pêle-mêle de coins cuisine. Une table bancale le plus souvent, un morceau de toile cirée, un réchaud à deux feux et quelque part dans la chambre l'affichette « Gaz à tous les étages ». Lu la nouvelle proposition de F.B., mais pas encore visionné la vidéo. J'ai décidé de reporter une fois la rédaction de la proposition 02 achevée et publiée. D'ailleurs, j'ai fait exactement la même chose la semaine passée. Une semaine plus tard, je ne me souviens plus du tout du contenu de la proposition précédente. Ce qui entraîne, par conséquent, qu'il faudra que je lise à nouveau la proposition 02 et que je visionne la vidéo que j'avais reportée car je rédigeais la proposition 01. J'essaie de ne pas penser à ces fêtes de fin d'année en feuilletant Espèces d’espaces encore une fois de retour de l'hôpital. J'en profite pour prendre quelques notes que je pourrai placer dans une entrée des carnets pour ce 1er décembre 2024. Chez Perec, les contraintes formelles peuvent être soumises à des transformations de complexité croissante : l'oubli, qui s'accompagne souvent de sa propre désignation métaphorique ; la suspension momentanée, zone libre dans l'espace textuel réglé ; le dysfonctionnement volontaire ou « clinamen », affectant les règles du texte ou les structures de la langue ; la surcontrainte, qui ajoute une ou plusieurs exigences supplémentaires ; la métacontrainte : contrainte prévoyant à l'intérieur d'elle-même ses propres mécanismes d'autotransformation, ou modification d'une contrainte par une autre. Par ces diverses manœuvres, Perec impose au lecteur une activité de repérage, de mise ensemble et d'interprétation : bref, au contraire de la fascination passive, un défi tonique et jubilatoire. (découvert et recopié en passant un bout d' article sur ce site : https://www.erudit.org/fr/revues/etudlitt/1990-v23-n1-2-etudlitt2242/500924ar.pdf) Dans Espèces d’espaces, Perec écrit : « Les tableaux effacent les murs. Mais les murs tuent les tableaux. Ou alors il faudrait changer continuellement, soit de mur, soit de tableau, mettre sans cesse d’autres tableaux sur les murs, ou tout le temps changer le tableau de mur. » Et encore : « Les immeubles sont à côté les uns des autres. Ils sont alignés. Il est prévu qu’ils soient alignés, c’est une faute grave pour eux quand ils ne sont pas alignés : on dit alors qu’ils sont frappés d’alignement, cela veut dire que l’on est en droit de les démolir, afin de les reconstruire dans l’alignement des autres. » Perec m’accompagne dans cette salle d’attente, où l’alignement des objets, des murs, des noms sur l’écran, semble imposer un ordre rigide mais vide de sens. Je traque, comme lui, les détails inutiles, les failles dans cet alignement — un strapontin replié, un palmier artificiel, un bonjour à peine audible.|couper{180}

Autofiction et Introspection écriture fragmentaire Murs