On ne prend pas l’autoroute, on est fatigué d’engraisser Vinci et autres, surtout que c’est déjà payé et sur plusieurs générations, grassement. Nous, on prend les petites routes. C’est plus long, plus tranquille. Six heures au lieu de quatre, pas grave. On le sait d’avance qu’il ne fait pas beau, dès Bayonne on le sait, le pare-brise et les essuie-glaces le savent.
Arrivée dans le port de Getxo vers 13 h. « Vous trouverez les clés du bateau au bar des skippers », dit le message. Merci Google Translate. Puis le gars arrive et nous explique tous les boutons. Il est pressé, on comprend en gros qu’il se dépêche parce qu’il est pressé, un bon gars soit dit en passant, en tout cas pas du tout collant, au poil. Ce qui fait que vers 14 h 30, on joue les skippers. Piqué un roupillon illico, position chien de fusil en grimpant sur le toit, il y faisait frais, petite brise, petit roulis rappelant de lointains souvenirs de fœtus, si ça se peut.
Puis grande marche à nouveau, sans souffrance la vie ne vaudrait pas tripette. Où donc est ce foutu super mercado ? Bref, on a doublé le temps prévu par le GPS. On a escaladé une montagne tandis que toute une foule nous croisait, descendant. Les hommes portent ici des vêtements de femmes et même se maquillent. Remarqué aussi que tous portent un petit foulard vichy, mais couleur gris bleu, autour du cou, sans doute un signe de ralliement. La première heure d’ascension s’est plutôt bien passée, une souffrance correcte, pas de paroxysme. Mais au bout de deux heures, impression de marcher sur des moignons. J’avais vu des femmes se traîner à genoux vers un saint quelconque, à Guimarães, Portugal, j’en suis désormais, sauf que pas de saint au bout, juste le bateau de Popeye. J’écris ces quelques lignes sans conviction. Écrire à la sauvette en voyage ne permet pas de palabrer.
Réveil à 4 h 26, je relis, bof. Drôle que quand je le fais, c’est toujours avec au départ cette petite euphorie, puis quand je relis, bof. La relecture est fatigante. Pire : décevante, décourageante, écoeurante. De la merde. À moins que ce soit une autobiographie, là pas de risque, elles sont toutes bonnes sinon excellentes, le lecteur fabriquant tous les romans à partir de… Ce n’est pas de moi, c’est de Philippe Lejeune, expert en autobiographies.
L’idée d’en rajouter, que ce n’est pas assez, jamais suffisant, provient d’une carence de tout à l’origine — en couveuse — jamais réglée. On a beau faire jusqu’à l’érémitisme le plus loin qu’on peut, les jeûnes, les privations, l’abstinence la plus grotesque, rien n’y fait ni n’y fera. Après avoir commis tout l’inverse dans l’excès, rien n’y fait, n’y a fait, ni ne fera. Seul le vivre, ou accessoirement le mourir, sont des vecteurs, jamais une destination, une maison. À la fin, épuisé, c’est la détestation de tout en bloc, en vrac, et de soi surtout. On se met à comparer les torchons et les serviettes : où donc ai-je fichu mes mouchoirs or, ni, car. Puis on retourne s’allonger sur un traitement de texte, un canapé, l’herbe verte des sempiternelles hypothèses que tout aurait pu se passer autrement si… L’éreintant autrement si