
Une mise en abyme infinie
Roman du site. Roman de l’évolution du narrateur du roman. Roman du roman du roman. Une mise en abyme infinie, vertigineuse. Mais voilà : choisir. En garder une. S’y tenir. Toujours.
Ce "toujours", je le hais. Insupportable dans l’instant même où je l’écris. Et ce "jamais" non plus, je n’en veux pas. Pourquoi faudrait-il choisir une mise en abyme comme une prison ? Pourquoi ne pas toutes les empiler, les superposer comme des poupées russes, à la limite du chaos, jusqu’à l’écœurement ? Peut-être qu’écrire, ce n’est rien d’autre : jongler entre des miroirs, sans chercher à les aligner parfaitement.
Mais ce vertige ne suffit pas. Il y a aussi cette idée qui me trotte dans la tête : le roman de la publication. Parce que tout texte publié raconte une histoire, bien au-delà de ce qu’il contient. Publier, c’est affirmer que quelque chose mérite d’exister hors de soi. Ce geste n’est jamais neutre. Il porte en lui une intention, même inconsciente.
C’est là que commence le doute. Quand je dis "roman", qu’est-ce que je veux dire ? Une forme définie ? Une idée floue ? Ou juste une tentative pour attraper quelque chose qui m’échappe ? Publier, c’est toujours négocier : entre ce qu’on croit dire, ce qu’on veut dire et ce que les autres entendent.
Et pourtant, j’aimerais tellement retrouver une certaine naïveté. Écrire comme si personne ne lisait. Comme si le monde extérieur n’existait pas. Mais ce n’est pas vrai. Ça ne l’est jamais. Si je dis que je ne m’intéresse pas au qu’en-dira-t-on, pourquoi ressentir le besoin de le dire ? Pourquoi cette déclaration m’est-elle nécessaire ? Une méthode Coué, encore une.
Alors, à quoi bon écrire, si ce n’est pour s’avouer ses propres paradoxes ? Peut-être que le véritable roman, ce n’est pas une histoire. C’est une hésitation. Une oscillation constante entre des pôles opposés. Entre l’insouciance et l’introspection. Entre l’envie d’écrire pour soi et la certitude d’être lu.
Et pourtant, ce doute me pousse. La vie elle-même est une fuite, non ? Une évasion permanente, qu’on maquille sous des formes variées : la pensée, la lecture effrénée, les longues promenades où l’on cherche à se perdre dans les rues de la ville, les bibliothèques, les abonnements à ceci ou cela.
Je crois que tout ça revient au même. On fuit. Toujours. Écrire, au fond, est peut-être la seule fuite qui ose se regarder en face.