Quand on pense au verbe "lire",
on pense au livre.
Au texte. À la feuille noircie.
Aux lettres, aux factures, aux commandements de payer.
Mais lire, c’est plus que ça.
C’est décoder les signes —
tous les signes.
Ceux qu’on laisse derrière soi,
et ceux qu’on croit adressés, par erreur ou miracle.
Lire, c’est voir les messages griffonnés dans l’écorce d’un tronc.
Les fractures des vieux murs.
Le flux des pensées,
chargé de toute la merde que l’époque déverse en nous.
Lire, oui.
Mais encore faut-il savoir traduire.
Rendre clair. Pour soi. Pour les autres.
Sinon, on bascule dans le salmigondis, le saugrenu.
Est-ce qu’on apprend ça ?
Peut-être que non.
Peut-être qu’on naît avec.
Ou peut-être qu’on le désapprend très vite.
À l’école.
Quand on nous fait ânonner des textes morts.
Quand on oublie ce que lire voulait dire.
Alors, il faut du temps.
Des années parfois.
Pour que l’éveil survienne.
Qu’on brise la coquille.
Qu’on redécouvre la lecture —
des livres, du monde, de soi.
Mais ça a un prix.
Il faut tout perdre.
Il faut avoir oublié les besoins.
Se retrouver nu. Comme un ver.
Et là, peut-être —
la lecture revient.
Par les narines.
Inédite. Et pas tant.
Étrange. Curieuse.
Familière. Triviale.
La vie.
sous-conversation
Lire.
On sait ce que c’est. Non ?
Des lettres. Un texte. Une facture.
Mais — attends —
il y avait aussi ce mur…
ce jour-là, il y avait un mur et quelque chose dessus…
pas un mot. Mais c’était lisible.
C’était… pour moi ? Non.
Mais je l’ai lu. Quand même.
Et puis il y a ce moment où ça devient trop.
Tout se mélange.
Le texte, les pensées, la merde de l’époque.
Ça déborde.
Alors, on veut traduire.
Mais on sait plus. On sait plus comment.
Et puis un jour, peut-être —
on sent un truc.
Un petit truc.
Pas une idée.
Une odeur.
Un truc dans le nez.
Et c’est là.
C’est revenu.
note de travail
Ce texte dit : lire, ce n’est pas comprendre.
Lire, c’est capter. Traverser. Être traversé.
Il commence par la norme — lire comme fonction sociale. Lire comme obligation. Lire comme acte bureaucratique.
Puis glisse lentement vers l’autre lecture :
celle des signes invisibles.
Des coïncidences étranges.
Des éclats de réel.
Ce qui frappe ici, c’est le lien entre lecture et érosion du moi.
Il faut oublier les besoins.
Se retrouver nu, vulnérable, pour que la lecture essentielle revienne.
Pas comme savoir.
Mais comme expérience sensorielle.
Par les narines.
C’est presque un retour archaïque au monde : on lit comme on sent, comme on respire.
L’odeur devient langage.
Et ce langage n’est ni nouveau ni ancien —
il est simplement revenu.
Ce fragment est un petit traité de lecture profonde,
écrit sans dogme.
Un texte sur l’après.
Après l’école. Après le sens.
Quand il ne reste que ça :
la lecture du monde,
comme une trace familière dans l’air.