Couper le son de l’autoradio ne coupe pas tout, n’offre pas le silence apaisant espéré. Le brouhaha se condense dans la suite hétéroclite d’informations que la station diffuse : voix d’hommes et de femmes en catalan, musiques rythmées, jingles publicitaires. Ce n’est pas encore le silence après : il y a le bruit du moteur, la voix de S. qui me demande si ça va, le son du paysage — en l’occurrence l’excitation et la fatigue, traduites par des accélérations intempestives et des coups de frein, dans ce long bouchon où nous sommes pris aux abords de La Jonquera, à la frontière franco-espagnole. Ce que je pense avant d’écrire pèse peu quand j’écris. Au mieux, une accroche ; le plus souvent une bribe, un lambeau arraché à une instance confuse. Non pour renouer un fil rouge, mais pour choisir un point de départ : comme si la confusion formait un cercle et que je pouvais entrer par n’importe quel point de sa périphérie, certain — ou plutôt je le sens — d’être toujours à égale distance de son centre. Peut-être est-ce pour cela que je ne cherche plus à ordonner d’avance. Je laisse l’entrée m’entrer, et non l’inverse. Le plan viendra plus tard, s’il doit venir, comme une topographie tracée après la marche. Au début, rien qu’un bord, un frottement, une phrase qui ne sait pas encore si elle va tenir. Alors je tourne autour. On dit que c’est perdre du temps ; ce « on »-là est dans la tête ; j’y vois au contraire la manière la plus sûre d’approcher. Parfois le centre n’est pas un point, mais une température : on s’en approche par degrés et, soudain, la phrase prend. Je me dis pourtant que tout cela sonne très intello. L’oscillation est souvent large au début puis se resserre ; parfois l’inverse : on part de presque rien — quelques gouttes suintant d’une roche — et, plus loin, c’est un fleuve. On ne décide pas cela d’avance. Reste la vieille question : est-ce suffisant ? La première partie me paraît prétentieuse ; j’accepte qu’elle coexiste avec son contraire : plonger dans l’abstraction pour atteindre le simple, et revenir du simple vers l’abstrait. Deux cheminements parallèles et simultanés. Que conserver de ces vacances, me suis-je demandé. Puis, aussitôt : pourquoi vouloir conserver à tout prix quelque chose ? La confusion reste entière, dans son exactitude. L’écriture ne l’entame pas ; elle donne un bord où tenir, de quoi revenir plus tard sans fermer.


Tout l’été, les clés nous ont poursuivis : celle de la maison confiée à J. qui n’ouvrait pas ; puis la porte de la terrasse, chez P., rétive elle aussi. À Tarragone, sans savoir que cerrajero voulait dire « serrurier », j’ai photographié cette façade : porte, grille en losanges, visage au pochoir, autocollant « CERRAJERO ». En cherchant une image pour ce carnet, c’est elle qui s’est imposée. Le mot appris après coup répond au texte comme une clé tombée de la rue : non pas l’événement, mais le seuil ; non pas une preuve, de simples indices. Coïncidence ordinaire, juste.