Notes pour exercice d’écriture Ateliers TL. vers l’image rémanente
On passe tous par là (clic clac kodak) le bébé allongé à quatre pattes ou autre. Cette photographie sépia par exemple, pas besoin de la voir pour m’en souvenir : il est écrit son nom au dos : C. 1935. Combien de photographies conserve t’on d’une vie ? Il me semble que c’est de celles que j’ai perdues ou égarées- égarées nécessite on l’apprendra plus tard une intention de le faire- dont je me souvienne le mieux, ou le moins mal que de celles qui me restent. Elles possèdent une rémanence convocable à l’envie. Parfois même elles surgissent comme des fantômes, font irruption sans que je n’ai rien demandé.Je ne vais pas les dire, de toute façon j’ai compris que ça ne sert à rien, c’est comme les voyages, les dîners ou le cousin, le beau frère, l’ami vous bassine avec ses photographies de Sicile ou d’ailleurs. Il me montra ses photographies et nous fûmes alors séparés durant toute la durée de cette séance, Le bruit du chargeur de diapos, comme une mitraillette exécuta tout sentiment de familiarité que j’avais cru entretenir vis à vis d’eux. Il avait un objectif de taille appréciable, l’un de ces zooms qui permettent de photographier sans se mouiller les oiseaux et les gens. Ce qui renforça ma volonté de conserver mon 35 mm. Cela obligeait surtout à dépasser la timidité. Il fallait que je m’approche au plus près si je voulais obtenir la sensation précise d’une vraie photographie. Tout ce qui rentre par les yeux, alors qu’on dit ça me sort par les yeux. Il faudrait pouvoir formater le cerveau aussi facilement qu’un disque dur. Mais on le remplirait des mêmes saletés, on ne décide pas. On ne sait pas d’avance Combien de place prend dans une mémoire visuelle les spots de publicité qu’on nous inflige depuis le début de nos vies. Les affiches sur les vitrines, les annonces radiophoniques, tout l’audio et le visuel, qu’est-ce qui reste à part tout çaParmi les images rémanentes, la table de la salle à manger. vide, sans la nappe, sans rien, une grosse plaque de chêne d’environ 10 cm d’épaisseur, appuyer verticalement contre le mur, une fois démonté le socle. Le poids des choses joue peut-être aussi un rôle dans la puissance des rémanences.
En être ou ne pas en être, de ce spectacle permanent, voilà la question lancinante qui revient sans cesse. Cette interrogation me hante, jour et nuit. Suis-je vraiment partie prenante de ce spectacle ou n’en suis-je qu’un spectateur distant ? Mes ancêtres m’ont appris à balayer d’un revers de main l’imbécillité de telles questions, mais elles persistent. Qui regarde le spectacle ? C’est la question qui découle de la première, lent goutte à goutte. Moi, j’aimerais que ce soit moi, rien que pour moi, en y rangeant tous les autres. Mais je vois bien que ce n’est pas toujours facile, ni sincère. En pesant bien les choses, avec la tare adéquate, il m’apparaît cette évidence : c’est parce que ce n’est pas sincère que ce n’est pas facile. Créer son propre spectacle pour soi seul. Est-ce un désir ardent, une obsession qui brûle longtemps à l’intérieur, tout nettoyant de fond en comble ? Ou bien est-ce une peur de perdre cette flamme et de se retrouver face au vide, sans rien, rien du tout, que le vaste néant ? À la limite du zéro degré celsius, je m’accroche à cette chaleur, par peur de la perdre pour de bon. Déjouer ses propres ruses devrait donc être la plus urgente des priorités. Les traquer sans relâche n’est pas une partie de plaisir, mais ce n’est pas non plus la pire des tortures. Un petit effort chaque jour, avec une régularité si possible. Et du silence, beaucoup de silence. Faire face à cette grande difficulté que représente l’installation de ce petit cirque dans un terrain vague. Le petit cirque du silence. Je n’admire pas assez, je m’en rends compte. Dès qu’il y a un sujet, un objet, les difficultés sont infinies. Mais si je reviens au verbe seul, j’admire. J’admire en gros tout ce qui me passe sous les yeux. Par exemple, tout à l’heure, je suis allé mettre un chèque à la banque. Sur le chemin du retour, j’ai admiré les petites herbes qui poussent entre le béton et le ciment. Leur vert éclatant contraste avec la grisaille urbaine. Elles forment des îlots, notamment à la base des immeubles qui cernent à l’Est la place de la Halle. Il y a une entreprise de façades, une boutique vide qui fut naguère une agence immobilière, une boucherie Hallal, fermée suite à un contrôle sanitaire. Peut-être que ces petites herbes ont connu ces commerces florissants. Peut-être étaient-elles en lutte acharnée avec les gérants, les propriétaires, qui, pour des raisons obscures, s’efforçaient de les déraciner, de les dissimuler, de les anéantir avec plus ou moins de méthode ou d’opiniâtreté. Eh bien, c’est une leçon : les commerces ont disparu, mais les petites herbes, que l’on nomme de façon habituelle « mauvaises », sont revenues. Désormais, elles prolifèrent, mais pas trop près les unes des autres, à une distance respectable. Elles ne jouent pas un spectacle les unes vis-à-vis des autres.