L’extraordinaire d’autrefois, cet éblouissement qui provoquait jadis l’émerveillement, semble désormais appartenir au domaine du banal. Le monde se désenchante, vague après vague, sans que le désir d’être enchanté ne disparaisse. Ce n’est pas le besoin de rêver qui s’éteint, mais les images qui s’effondrent et renaissent sous d’autres formes, trop souvent frelatées. À force de répétitions et de clichés, notre capacité à se projeter sur ces nouvelles images s’atrophie. On ne propose plus de véritables invitations à l’imagination, mais des simulacres à bas prix, facilement consommables, comme pour compenser ce manque criant de créativité que l’on semble avoir délégué à d’autres.

Le cerveau, une géographie complexe, faite de territoires interdits et de zones inaccessibles, balisées par des forces extérieures : militaires, firmes pharmaceutiques, et autres maîtres du profit. Et toi, ce que tu trouvais extraordinaire autrefois, le ressens-tu vraiment comme étant devenu banal, ou est-ce le poids des années, la fatigue, le désabusement qui t’empêchent de le voir ?

Le monde n’est plus le même. L’extraordinaire qu’on nous présente aujourd’hui est frelaté, vidé de sa substance. Il y a pourtant, en chacun de nous, une capacité intacte à s’émerveiller. Mise de côté, rangée dans un coin poussiéreux de notre esprit, elle peut ressurgir à tout moment. Et ce qui te fascine aujourd’hui, les mystères de l’Antarctique ou les secrets enfouis de l’Australie, n’est peut-être qu’une autre forme de cet enchantement ancien : la lumière qui traverse les volets et fait danser des grains de poussière, ouvrant un monde dans ton imagination.

On dit souvent que nous sommes anesthésiés, incapables de réagir devant l’extraordinaire. Les écrans, du cinéma à la télévision, utilisent l’émerveillement comme un simple prétexte pour nous inculquer des ordres, des valeurs qui servent un chaos fabriqué. Ce sentiment de vouloir tout couper, se déconnecter, ne jamais rallumer la radio, reflète à quel point nous sommes devenus dépendants d’un système que nous cherchons paradoxalement à fuir.

Vieillir, se sentir inutile ou piégé dans un corps qui n’est plus en phase avec l’esprit : un enfant de dix ans emprisonné dans un vieillard. Comme dans le conte d’Hansel et Gretel, la vilaine sorcière serait alors le temps, engloutissant tout. Le monde autour de toi devient un cocon, une chrysalide où tu te retrouves coincé entre l’état de chenille et celui de papillon, reflet de tes propres contradictions.

L’envie de revenir sur ce qui a déjà été vu ou lu, de revisiter au lieu de chercher constamment du neuf, révèle peut-être un désir profond de détruire en soi la vanité. La véritable modestie commence par admettre que nous n’avons rien compris et que chaque relecture est une fouille plus profonde de ce qui nous a échappé.

Le monde et toi, toi et le monde, finissent par se confondre. La difficulté à écrire de la fiction découle peut-être de ce besoin viscéral de vérité après tant de mensonges accumulés. C’est ce que je ressens, une sorte de conversion intense, une recherche de sincérité sur le chemin de Damas. Mais la vérité, comme le mensonge, finit par se mélanger, et peut-être est-ce l’humour, la seule véritable étoile à suivre, qui permet de trouver un chemin dans cette complexité.

Et puis il y a ces disques durs remplis de fichiers oubliés, comme des strates de mémoire à explorer. L’envie soudaine de tout classifier, d’inventorier. Un script Python pour parcourir les dossiers, un fichier Excel pour visualiser ce qui a été stocké, oublié, mais jamais complètement perdu. Une dernière tentative de faire sens, de relier les fragments d’un extraordinaire qui attend d’être redécouvert.