Lecture de l’Apollinaire de Daniel Oster. « Ce nom qu’on lui a donné, il le ressent comme
un NON. Ne se reconnaît pas dans ce tracé étrange qui le désigne tout à fait. S’éprouve comment restant à faire. N’accepte pas les caractères acquis, codes de l’hérédité, empreinte familiale, griffe sociale : tout cela qui ne comble pas sa béance. L’écrivain est toujours le prématuré par excellence, celui qui vient au monde par défaut, gros d’un manqe inconciliable avec la pseudoplénitude de l’establishment qui dit j’existe avant de ( pour ne pas ) se poser la question QUI SUIS-JE ? »
On ne parle pas assez de la fatigue quasi immédiate d’avoir à porter un nom dans quoi on ne se reconnaît pas. Aussitôt la pensée du mot affublé surgit. Et, avant la notion d’agrafe de fibule celle d’une fable, une affabulation, un mensonge. La fatigue de ce mensonge, de tout ce qu’implique la convention sociale, le fait d’avoir à porter un nom que l’on ne s’est pas choisi soi-même ou encore un nom donné quasiment par la force des choses, le hasard, même si le hasard fait bien la plupart des choses.
Quel verbe convient, recevoir, hériter, être affublé, nommé, c’est un poids contre quoi on ne fait pas pièce consciemment, c’est plutôt une sensation, un léger malaise, un vertige, qui nous entraîne vers la chûte.
Comment ne pas être un fantôme si déjà l’éreintement naît d’un patronyme à porter.
Le problème est de taille se familiariser avec le son qui nous désigne. Déchirante la déchirure d’un son d’un cri, se scinde en deux, la mère, l’enfant. Se vider d’un côté, remplir un espace de l’autre, la béance se propageant des deux côtés de l’infini. Vite un nom pour la combler. Combler comme boucher, combler comme rendre heureuse, heureux. Chou blanc car la béance ne se comble pas ainsi, l’extase dont on ne sait si elle provient du plaisir ou du déplaisir reste une énigme logée dans chaque portail, chaque squelette, chaque chair. Reste la preuve, l’acte civil, le bulletin de naissance, le livret de famille, preuve d’amour ou de haine qu’importe, preuve ne valant qu’au regard d’un monde dont la préoccupation principale est de combler les décombres, de colmater les fuites, les égarements, d’être un monde décidé par une poignée imposant sa règle au plus grand nombre.
C’est par la fatigue, l’éreintement, que voici les rivages de l’insupportable, les sommets du pire, et les envisageant enfin qu’ils nous en délivrent, voici donc l’alchimie. La fatigue trouvant ainsi à terme -sans doute, sans doute possible, sans qu’il ne réside plus le moindre doute, la plus solide de ses raisons ou de ses causes.
J’ai pensé que je pourrais faire un livre assez honnête de tous les fragments écrits à propos du seul prologue de ll’atelier anthologie. C’est comme dans cette histoire, cet homme qui s’en va pour réciter le Notre Père et qui s’arrète soudain pour méditer sur le mot notre et père, qui ne peut se rendre plus loin avant d’avoir résolu l’énigme du commencement, du balbutiement, d’une prière. Poétique, sans doute un peu trop. La poésie n’est pas requise, elle ne fait pas sérieux. S’enfoncer dans les livres sur la trace du Roi, par la phrase, le son des mots, recouvrer ainsi non pas un nom digne de ce Non, mais ce fantôme bien plus présent soudain que toute présence tout autre corps palpable ou chair. Une familiarté peu à peu quand on pénètre l’énigme à tâtons qu’on s’y enfonce ensuite, découvrant un lieu, un espace, un habitat, un foyer. Pierre Michon, l’année dernière encore me paraissait si artificiel, mais c’était sans compter l’exploration de ses phrases dans lesquels je m’engage à nouveau comme si toute une année de solitude acharnée m’avait débarasser d’entraves, d’un moi gênant, ce moi affublé du nom de l’état civil.