Danielle Collobert voit le jour le 23 juillet 1940 à Rostrenen, en Bretagne, dans une famille profondément marquée par la Résistance. Pendant la Seconde Guerre mondiale, sa mère et sa tante s’investissent activement dans les réseaux clandestins, tandis que son père rejoint l’Armée secrète en zone libre. Cette enfance, placée sous le signe de la lutte contre l’oppression, imprègne son regard sur le monde et oriente ses engagements futurs.
Après la guerre, sa famille s’installe à Paris. Collobert y poursuit ses études au lycée Victor-Hugo avant de s’inscrire en géographie à la Sorbonne. Rapidement, elle abandonne son cursus universitaire pour se consacrer à l’écriture. En 1961, elle publie son premier recueil, Chants des guerres, à compte d’auteur chez Pierre-Jean Oswald, mais elle détruira plus tard l’ensemble des exemplaires, insatisfaite du résultat. À cette période, son engagement politique devient concret : elle rejoint des réseaux de soutien au Front de Libération Nationale (FLN) algérien, participant à des actions clandestines qui l’obligent à s’exiler en Italie pour échapper à la répression policière.
De retour en France, Collobert travaille pour Révolution africaine, une revue engagée en faveur des luttes anticoloniales, avant que sa publication ne soit interdite sous Ahmed Ben Bella en 1965. Parallèlement, elle écrit Meurtre, publié en 1964 grâce au soutien de Raymond Queneau chez Gallimard. Ce premier roman, marqué par une écriture fragmentée et radicale, annonce une œuvre exigeante et expérimentale.
Dans les années qui suivent, Collobert multiplie les voyages : Indonésie, Mexique, États-Unis, Tchécoslovaquie (où elle se trouve lors de l’invasion soviétique en 1968). Ces déplacements, souvent liés à son intérêt pour les luttes révolutionnaires, nourrissent son écriture tout en renforçant un sentiment de déracinement. Cet exil géographique reflète une errance existentielle qui imprègne ses textes. Mais cette vie marquée par l’engagement et la révolte s’accompagne d’un profond mal-être. Le 24 juillet 1978, Collobert choisit de se retirer du monde, laissant son œuvre comme un ultime témoignage d’une lutte contre l’effacement.
L’écriture de Danielle Collobert est marquée par une fragmentation radicale qui traduit un chaos intérieur et extérieur. Refusant la continuité narrative, elle privilégie des formes éclatées où chaque mot, chaque silence, exprime une tension essentielle.
Collobert écrit l’exil sous toutes ses formes : géographique, politique, identitaire. Dans Meurtre (1964), elle explore une dépossession de soi qui reflète à la fois son propre déracinement et une condition humaine marquée par l’errance. Cette perte s’étend au corps, que Collobert décrit comme un lieu de tension, traversé par des absences et des ruptures. Dans Survie (1978), son ultime texte, la difficulté d’habiter le monde devient une lutte pour respirer, pour exister à travers le souffle.
Au-delà des thèmes, l’écriture elle-même devient une tentative de capter l’indicible. Dans Dire I et II (1972), Collobert pousse cette quête à son paroxysme : des phrases courtes, presque haletantes, s’interrompent pour laisser place à des silences. L’écriture, proche de l’incantation, refuse toute linéarité pour privilégier une tension rythmique. Chaque mot semble arraché au vide, chaque fragment résonne comme un cri suspendu.
Danielle Collobert refusait les étiquettes, qu’elles soient politiques, littéraires ou genrées. Bien qu’elle n’ait jamais revendiqué explicitement une posture féministe, son écriture peut être lue comme une forme de résistance aux normes patriarcales.
Collobert déconstruit le "je" dans ses textes, le désincarnant et le dépouillant des assignations traditionnelles de genre. Ce choix reflète une volonté de transcender les frontières identitaires. Elle ne se revendique ni comme "femme écrivain", ni comme une militante féministe, mais son refus des normes impose une voix singulière dans une littérature longtemps dominée par des perspectives masculines.
Son écriture aborde la corporéité de façon universelle, mais aussi viscérale. Dans ses textes, le corps est un espace de lutte, où se joue l’oppression du monde extérieur autant qu’une révolte intérieure. Ce rapport à la corporéité, bien qu’implicitement lié à la condition féminine, dépasse les catégories pour atteindre une dimension plus universelle.
En éclatant la syntaxe et en mêlant des fragments de langues, Collobert cherche à dépasser les frontières de la littérature française pour atteindre une expression universelle. Cette quête, où se croisent l’intime et l’universel, fait écho aux préoccupations féministes contemporaines sur la déconstruction des identités genrées.
Danielle Collobert n’a jamais cherché à s’inscrire dans un mouvement ou une identité collective. Pourtant, son œuvre radicale, où se mêlent exil, souffle et quête de l’indicible, continue de résonner avec des problématiques contemporaines : la condition féminine, la déconstruction des normes, ou encore l’écriture de la perte.
Dans un monde marqué par l’incertitude et la fragmentation, ses textes rappellent que l’écriture peut être une lutte contre l’effacement, un moyen d’habiter l’absence et le silence. Collobert écrivait comme si chaque mot devait contenir l’incontenable, comme si chaque fragment était une tentative fragile mais essentielle de dire l’indicible. Plus que jamais, son œuvre demeure une boussole pour ceux qui cherchent à repousser les limites du langage.