Ce n’est pas un livre, au sens commun, que Pacôme Thiellement nous livre. Ce serait plutôt un registre parcellaire de ce qui, à Paris, échappe à la détermination rationnelle, une exploration des couches inférieures où s’agglutinent les scories de l’histoire. On n’arpente pas ici l’ensemble des édifices ou des voies ; on tente de cerner, par recoupements, ce qui persiste, à bas bruit, dans les interstices.

Ce qu’établit Paris des profondeurs, c’est une coupe à travers les sédiments, une tentative d’arpenter l’épais matelas des faits recouverts, un inventaire de ce que l’usure du temps n’a pas entièrement emporté. La méthode de Thiellement procède par relevés successifs, attentifs à l’éphémère, à ce qui, de l’événement, n’a laissé qu’une rumeur, une scorie.

L’espace n’est plus un plan, mais un empilement de strates disjointes, un dépôt irrégulier de traces humaines éparses. À l’arpentage classique succède la prospection à l’aveugle, l’exploration de l’angle mort. Thiellement travaille à rebours de la lecture patrimoniale. Ce qu’il conserve, ce n’est pas la splendeur, mais l’inaperçu, l’insignifiant déposé par les existences secondaires.

Les figures convoquées — Artaud, Nerval, Debord — ne sont pas des ornementations savantes, mais des points d’arrêt où l’histoire échoue à se résorber. Ce sont des émanations, des persistances du révolu dans le tissu actuel. Elles ne valent pas par le commentaire qu’on pourrait en faire, mais par la tension qu’elles maintiennent, contre toute dissolution, avec le temps qui passe.

L’écriture, dans ce livre, refuse la linéarité. Elle éprouve la discontinuité du sol sous ses pas. Thiellement ne construit pas un système ; il prospecte, enregistre, suspend l’interprétation. Ce qui intéresse, c’est moins le contenu des traces que leur capacité à déjouer l’effacement, à subsister au bord de la perte.

Ce n’est ni un livre de souvenirs, ni une célébration nostalgique. C’est, à proprement parler, un travail de maintenance : maintenir au plus près de leur point de disparition les miettes du passé récent. Un éloge non de la conservation muséale, mais de la survie précaire.

Ainsi procède Thiellement : il arpente, note, tente de sauver par la parole écrite ce qui, sans elle, sombrerait sans bruit dans l’oubli total.


Pacôme Thiellement, né en 1975, s’emploie à cartographier ce qui, du réel contemporain, résiste à l’explication. Ses livres relèvent d’une archéologie oblique : séries, mythes, traces dispersées, voix mortes. Paris des profondeurs poursuit ce travail : tenter de saisir, dans les plis du monde visible, ce qui s’attarde, persiste, échappe.