Bruissement de la langue
Le bruissement de la langue. Etrange bruissement. Hier nous parlions du chant, du lyrisme, et aujourd’hui le hasard nous conduit vers ce recueil de textes écrits par Roland Barthes. Le premier texte a pour titre « Science et littérature ». Avec en exergue cette phrase de Bonald ( Mais lequel, on ne le sait pas car le prénom est manquant.)
« L’homme ne peut parler sa pensée, sans penser sa parole ».
Parler sa pensée, penser sa parole. Nous nous le répétons plusieurs fois. Puis je change un peu les termes, j’essaie d’y placer un peu de peinture. L’homme ne peut peindre sa pensée sans peindre sa parole. Est-ce que ça ne pourrait pas fonctionner tout autant, et suffisant afin de prétendre appartenir à une quelconque académie ?
Bref.
Ensuite il est question d’une liste officielle des sciences, sociales et humaines qui font l’objet d’un enseignement « reconnu ». Cela indique en creux une liste parallèle ( non fournie) de sciences non reconnues par l’institution. Qu’on évitera de fournir.
Tout ça pour dire que ce n’est pas le contenu ni la méthode qui compte dans les sciences dites reconnues mais uniquement leur statut. Ce que Barthes appelle une détermination sociale. Autrement dit : est objet de science toute matière que la société juge digne d’être transmise. C’est ce qui s’enseigne.
Puis il est question de la littérature qui possède toutes les caractéristiques secondaires de la science. Veut-il indiquer ici tout ce qui n’est pas de l’ordre d’un statut ?
Là où science et littérature se rejoignent et se divisent c’est le discours, le langage qui les constitue l’une et ( ou ) l’autre.
Le langage est un instrument pour les sciences qu’elles ont intérêt à rendre le plus neutre possible afin de traiter d’une matière scientifique ( qui existerait donc en tant qu’ objet dissocié c’est à dire en dehors du langage ? )
Le langage est l’être de la littérature au contraire d’être cet instrument commode ou « le décor luxueux d’une « réalité » sociale, passionnelle, ou poétique, qui lui préexisterait moyennant de se soumettre à quelques règles de style.
Et cette observation à propos d’une régression de l’autonomie du langage que Barthes date du XVI ème siècle. Au moment où se constitue un esprit scientifique qui relègue le langage au rang d’instrument ou de beau style. Alors qu’au Moyen Age la culture humaine sous les espèces du Septenium, se partageait presque à égalité les secrets de la parole et ceux de la nature.
Notes sur le Septenium trouvé par le trivium sur Wikipédia
Traditionnellement, on distingue sept arts libéraux. Trois d’entre eux, la grammaire, la dialectique et la rhétorique, forment le trivium. Les quatre autres, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique, forment le quadrivium. Pour d’autres, le trivium représente les trois arts, le quadrivium, les quatre sciences. Leur limitation à sept, leur division, d’après les nombres trois et quatre, en trivium et en quadrivium apparaissent chez Martianus Capella, Cassiodore et Boèce, et leurs successeurs, où elles répondent aux préoccupations mystiques qui se mêlaient alors aux conjectures sur les nombres. Bède le Vénérable, Alcuin, Jean Scot Erigène, Gerbert d’Aurillac, Fulbert de Chartres enseignent les sept arts ou les considèrent dans la succession indiquée par le trivium et le quadrivium. Mais il ne faudrait pas croire qu’à cela se borna l’activité intellectuelle des hommes du Moyen Âge. En dehors de la théologie et des livres saints, auxquels tous donnaient une grande place, ils étudiaient l’histoire, la physique, la philosophie, la métaphysique (ou la morale), la médecine, plus tard le droit (canon ou romain), l’alchimie, etc. Le trivium et le quadrivium ne représentent qu’une partie de l’enseignement médiéval.
A quel point sommes nous ignorants de ce qui nous enferme avant d’en sentir sur le front la contrainte réellement. Et surtout pourquoi vouloir encore le rester une fois le contact avec les murs éprouvé.
Qu’une autorité quelconque ait à fournir sa preuve et s’en sera finit d’elle. On essuie les coups bien sûr puis on se met à réfléchir sur la raison pour laquelle on les subit. De quel droit. C’est le problème central de toute une vie parfois que de comprendre cette affaire de droit. Qu’une société toute entière ait le droit de juger un seul de ses membres. Qu’un membre s’y oppose farouchement parce que lui estime que ce droit est une injustice, une bouffonnerie, une mascarade de justice.
L’heure des juges, des experts sonne au même moment que le tocsin.
Cette colère inouïe remonte à loin, tout comme l’eau qui sort des joints du parquet de la cuisine en ce moment. Elle ne fait que s’accentuer, ne me laisse que très peu de répit. Lire et écrire sont les seuls remèdes et en même temps les causes de cette position de sac de frappe choisie.
L’angoisse provoquée par l’ acceptation des normes frise chez nous celle provoquée par le mysticisme.
Elle en ressort du salon, d’un bond dans la rue, regonflée d’illusions, blonde peroxydée.
Comme un enfant qui cherche à se faire pardonner quelque chose toute une vie. A ce point qu’à la fin seulement il se rend compte que ce quelque chose est être.
Ce qui sans queue ni tête me ravit c’est la balle qui roule le long du talus vers le canal, et effectue un voyage vers son aval. Images d’un petit soldat de plomb ballotté par la lumière dans une coquille de noix, glissant le long d’un caniveau parisien du 15 ème.
être écervelé à l’origine l’oblige à s’inventer une cervelle.
Des coups d’épée dans l’eau.
Découverte de deux chaines YouTube
https://youtu.be/ihMs0YwEVbQ
https://youtu.be/yHPeghxpUxA
Est-ce que c’est affaire de contenu ? Des textes en eux-mêmes ? des voix ? d’un souffle ?
Il y a un point commun à ces deux chaines qui n’est pas de l’ordre du poétique habituel.
Un écho ? un écho encore très lointain nous nous le répétâmes plusieurs fois à la façon des soufis, en dansant sur nous-mêmes en rond.
Une musique tout bonnement.
Pour continuer
Carnets | octobre 2023
23 octobre 2023
Terrassé. Submergé. Toute cette paperasse, et en prime, une fièvre carabinée. À chaque vacance c’est la même : on se relâche, et paf. La nuit, j’ai fait des comptes en rêve. Des additions, des chiffres qui ne ferment pas l’œil. Ce matin, 39,7. Je tiens à peine debout. Grippe ? Covid ? Pas la force d’aller à la pharmacie. Écrire deux ou trois lignes. Ce sera tout pour aujourd’hui. sous-conversation On voulait juste souffler. Mais ça n’a pas soufflé. Ça a pris. Fièvre, chiffres, vertige. La nuit refait les comptes. Les chiffres courent. Ils crient presque. Le front cogne. On reste là. Couché. Muet. Une seule chose encore possible : deux lignes. Peut-être trois. Le monde entier tient dans ces trois lignes. note de travail Un effondrement somatique. Une saturation. Ce corps qui dit stop. Ce corps qui exige qu’on l’écoute, et pas les formulaires. Il me parle d’une fièvre. Je l’entends comme une révolte. 39,7°C, c’est une protestation chiffrée. Presque une poétique de la température. Le rêve de la nuit est bureaucratique. Il additionne en dormant. Le symptôme est clair : la réalité administrative déborde jusque dans l’inconscient. L’imaginaire colonisé par les comptes. Kafka, dans un lit IKEA. Il m’écrit deux lignes. Ce sont des lignes de vie. Il aurait pu ne pas écrire du tout. Il aurait pu céder. Mais non. Il a écrit. C’est cela que je note : le corps chute, l’écriture reste debout.|couper{180}
Carnets | octobre 2023
12 octobre 2023
Trajet sans radio. Sans podcast. La route à blanc. Tête vide. Se demander ce qu’on fiche là. Ouvrir la vitre : souffle d’été, goût de feu, persistance des embrasements. Tout continue, comme si de rien n’était. Des jeunes foncent, le A collé au cul. Des camions bariolés, prénoms en néon. Crainte d’un contrôle. Le bouchon avant le rond-point, incompréhensible. Puis soudain, ça roule. 15h à Oullins. Faut refaire le plein. Décidé de rester calme. Le banquier sera peut-être moite. Ne pas faire un geste. Fixer un point. Ses mains. Sa bouche. Que ça pèse. Rester digne. Les impôts : message non lu. Nouvelle lettre, plus sèche. Payez. Coup dans l’abdomen. Urssaf, Trésor Public, la banque. Gauche, droite, crochet. Pas d’arbitre. Juste ce mot d’ordre : qu’on tombe. Quitter le salariat ? Mal vu. On vous cogne. On vous charge. L’écho des conseils : « Prof libérale, tu peux tout déduire. » Oui. Si t’es carré. Si t’aimes la paperasse. Mais toi, t’es le tapin du boulevard. On parle pas du viol. Ni des coups. Ni des quinze tonnes dans la gueule. Ni des insomnies. On dit : t’as de la chance, t’es à ton compte. Merde. Et en même temps, soulagement. Plus rien. Et ça suffit. Prêt à replonger. Dans les ateliers, le don doublé. L’évasion. Le temps passe trop vite. Il fait nuit quand tu sors. Les carrosseries brillent. Une élève a oublié son sac. Son portable dedans. Tu le déposes à l’accueil, tu envoies un mail. Tu l’imagines : chez elle, découvrant l’oubli. Une angoisse de plus. L’inattention, c’est une fuite, bien sûr. Palette d’Anders Zorn. Pas de bleu. Ras la casquette des bleus, des ecchymoses. Place aux terres. À la chair. sous-conversation … sans bruit… sans rien… juste rouler… faire comme si… pas penser… surtout pas penser… ça continue… toujours… le feu dans l’air… et eux qui foncent… qui klaxonnent leur jeunesse… le banquier… les lettres… toujours cette menace sourde… pas de réponse… pas de regard… juste "payez"… tu tiens… tu tiens… mais tu sais que tu vas tomber… et pourtant… tu tiens… un peu… grâce aux autres… à ceux qui viennent… aux élèves… aux visages… aux absences aussi… le sac… oublié… l’angoisse… tu la sens, oui… c’est toi aussi… et la palette… pas de bleu… trop vu… trop subi… tu veux de la terre… du sang discret… du vrai… pas les bleus de la guerre… pas ceux-là… note de travail Le texte commence comme un retrait du monde : plus de radio, plus de son. Mais ce silence n’est pas apaisant. Il est celui de la tension avant le combat. Puis vient le déchaînement — administratif, institutionnel, symbolique. Les lettres non lues, les injonctions, les coups. Ce qui frappe ici, c’est la violence invisible : celle qu’on ne reconnaît pas comme telle. Celle qui ne laisse pas de traces, mais désarticule le sujet. Il y a une rage immense, étouffée sous la dignité. La dignité devient ici une stratégie de survie. Fixer un point. Ne pas céder. Ne pas donner prise. Ne pas hurler. Mais la fissure est là. Dans ce "merde" seul, en italique d’âme. Dans ce basculement qui suit : la réhabilitation par le geste, par l’atelier, par la transmission. Le soulagement tient à peu. À la lumière sur les carrosseries. À une élève qui oublie son sac. C’est cela la beauté du texte : il ne cherche pas à dire qu’on va s’en sortir. Il montre comment on continue. Malgré tout. Même avec l’angoisse. Même avec l’inattention. Et la dernière phrase est sublime. Refus du bleu. Refus des hématomes. Refus du drapeau. Juste les couleurs du corps. De la terre. De ce qui tient encore, quand tout le reste s’effondre.|couper{180}
Carnets | octobre 2023
11 octobre 2023
Tout concorde. Tout coïncide. À tel point qu’on aurait tort de parler de coïncidence comme d’un hasard étrange. Trop de coïncidences forment une évidence. Mais une évidence, qu’est-ce que c’est, sinon une rustine, elle aussi ? Un petit trou dans le pneu par où s’échappe la raison. Et la raison ? Déjà une rustine. Posée sur une autre fuite. De fuite en fuite, on ramasse des mots. Quand ça semble coïncider, on dit : voilà, c’est ça. On s’en contente. L’essentiel, c’est de contenter l’opinion. De maintenir le statu quoi. Quo vadis, mon gars ? Et malgré tout ça, bizarrement, je vais acheter mon pain. Quelle étrange coïncidence de te croiser. Toi aussi, en train de chercher ta petite monnaie. Comme moi. sous-conversation … coïncidence ?… non… trop… trop bien aligné… trop juste… ça sent la ficelle… ou le leurre… l’évidence… ah… ce mot… encore… comme une rustine… oui… une rustine sur la rustine… et dessous ?… rien… peut-être… des mots… des petits mots… qu’on ramasse comme des miettes… et on fait semblant… on dit que ça suffit… contenter… maintenir… faire tenir… même si ça fuit… surtout si ça fuit… statu quoi… quo vadis… jeu de mots… vieille blague… mais ça sonne vrai, trop vrai… ça claque… et puis… l’image… le pain… la monnaie… toi là… moi là… ridicule et bouleversant à la fois… juste ce moment… cette collision… presque rien… presque tout… note de travail Le texte s’ouvre sur une apparente certitude : tout coïncide. Mais très vite, cette certitude s’effrite. L’auteur expose, sans insister, que toute évidence n’est qu’un cache-misère. Une rustine. Ce mot revient, obsessionnel. Il dit l’inconfort, la fuite, le colmatage. L’impossible solidité de la pensée. Ce que je perçois ici, ce n’est pas un doute, c’est une **conscience du bricolage intérieur**. Une lucidité presque trop vive. Trop blessée. Le langage est suspect, le sens est suspect, la logique elle-même n’est qu’un habillage. L’auteur le sait. Il en joue, doucement. Et pourtant. Il continue à vivre. À aller acheter son pain. Le moment final me bouleverse. Il y a quelqu’un d’autre. Un tu. Un être croisé par hasard — ou plutôt dans une **anti-coïncidence** qui redonne chair à l’évidence. Il ne s’agit plus de raison, de vérité, d’opinion. Il s’agit de reconnaître un autre dans un geste banal. Et ce geste devient le **lieu exact de la faille et de la consolation**. Comme une rustine posée avec tendresse. Peut-être est-ce cela, le soin de soi : ne pas chercher le vrai, mais accepter les coïncidences qu’on fabrique.|couper{180}