Technologies et Postmodernité

cette association n’est pas là pour théoriser l’époque, ni pour en faire le procès. La catégorie regroupe des textes écrits dans la postmodernité, depuis les marges poreuses de ses dispositifs. Des textes où le téléphone reste allumé même pendant les rêves, où le "je" doute de son propre corps, où les voix semblent filtrées par une interface invisible.

Ce sont des fragments où l’on sent que le monde est devenu technique, pas seulement dans ses objets, mais dans ses rythmes, ses langages, ses logiques relationnelles. L’angoisse ne vient pas d’une déconnexion, mais d’un excès de connexions : trop de signaux, trop de profils, trop d’images, pas assez de silence.

Il y est parfois question d’écran, d’intelligence artificielle, de surveillance, de réseaux sociaux — mais ces éléments ne sont jamais centraux. Ce qui est central, c’est le rapport affecté à soi, aux autres, au réel que ces technologies induisent, transforment ou effacent.

Ce mot-clé, finalement, désigne un climat plus qu’un thème. Une manière d’habiter le contemporain, sans certitude, mais avec la sensation que quelque chose, là, s’est déplacé définitivement.

compilation de tous les articles du mot-clé

28 octobre 2025

Publié le 28 octobre 2025

Insupportable, la moindre exigence administrative. Les courriers et formulations, notamment. Le terme exigé, les sommes dues, les menaces, tout cela provenant de quoi, si ce n’est de ces parasites vivant à nos dépens, grassement, se gobergeant, se moquant, nous traitant de sans-dents, de gueux — de peuple —, substantif devenu, dans leur bouche, un terme injurieux, ironique entre-soi. Toute cette morgue affichée, ces mines de componction, cette comédie, cette farce grotesque : jusqu’à quand durera-t-elle encore ? Nul ne sait. L’échéance deux mille vingt-sept n’est rien d’autre qu’un leurre. J’ai bien peur. Nous nous enfonçons dans l’automne, cheminons vers l’hiver, vers une sorte de nuit d’hiver glaciale, sans pitié. Les révolutions, ici, se font en mai, parfois en septembre, rarement en janvier ou février. Et quand bien même l’exception confirmerait la règle : comment remettre de l’ordre, de la justice, en tant qu’un seul, dans un tel merdier ? Comment lutter seul, en tant que pays, contre une Europe financière, c’est-à-dire contre une poignée de mafieux qui ont pour eux la police, les banques, les moyens de produire encore plus d’avanie — cette Europe injuste telle qu’elle nous a été imposée contre notre gré. Je n’arrête pas de penser que c’était une belle idée, l’Europe, comme la Suisse peut aussi paraître une belle idée de prime abord. L’Amérique, la confédération de Russie. Sauf que voilà : les idées ne sont pas les gens. Je suis de mauvaise humeur parce que j’ai peu dormi. Il ne faut pas que je rumine, il fait beau, les températures sont même remontées — économie de chauffage. Et puis, au nom de qui parles-tu, me demande le dibbouk. Est-ce que vraiment ça te touche, ça t’intéresse encore, tout ça ? me dit-il en examinant ses ongles douteux. On se regarde un instant, presque un fou rire, mais non, non ; enfin quoi, restons sérieux : on nous regarde à présent. — Tu veux parler des cinq personnes de plus qui lisent tes articles ? me charrie-t-il. — J’ai quand même doublé mon score en une seule journée, je rétorque. — Dispersion, tout ça, mon p’tit vieux ; tu as juste surfé sur une vague. Tes articles sur la ponctuation, c’est bien gentil, mais tu écris quand ton roman, ton œuvre ? Ah ah ah ! Là je ne dis plus rien, je sais qu’il n’a pas tout à fait tort. Toute cette dispersion durant ces dernières semaines ne vaut pas grand-chose, tout compte fait. Ce n’est pas tant du travail que de la distraction. — N’oublie pas d’inclure là-dedans tes histoires de code, surtout… C’est bien gentil, les flipbooks, les compilations, les vues de la même chose sous dix angles différents… Tu ne fais, en fait, que du recyclage, mon pauvre ; réveille-toi. C’est drôle, ce qu’il dit, j’y pensais justement hier. Je me disais : bon, d’accord, ça fait cinq personnes de plus qui lisent ; il est même probable que tu les connaisses, car tu t’es abonné à leurs newsletters, ce n’est pas du pur hasard comme tu aimerais que ce soit. Donc tu es de nouveau reparti dans le même genre d’interactivité que tu avais fuie ; c’est encore des réseaux sociaux déguisés, au final. Encore que ce soit beaucoup moins démonstratif. Encore que tu ne cesses de t’acharner à toujours vouloir voir cela comme négatif ou stérile, ainsi que tu le dis. Une pure perte de temps. Comme si le temps était le « précieux » de Gollum, qui te transforme en Gollum. Tu voudrais tout ton temps, comme une sorte de corne d’abondance intarissable, et gare à qui viendrait, ne serait-ce qu’en te suggérant d’en perdre quelques miettes. Accorder du temps aux autres, quelle générosité ! Vite prise, en retour, comme dispendieuse, comme hémorragie. Rester net. L’exigence, la nôtre : écrire. Mais écrire quoi, telle est la question, si ce ne sont parfois que quelques pauvres irruptions de dégoût, de colère, de tristesse, rien qui n’emporte vraiment le cœur et l’âme. — Ne me dis pas que tu vas te lancer dans une romance. Il éclate d’un rire affreux. — Et pourquoi pas ? je dis. Pourquoi pas écrire une romance ? Comme s’il y avait de bons et de mauvais sujets ; je ne te croyais pas si con, mon pauvre vieux. Sa bouche fait une sorte de huit, puis devient un bec de perroquet. — Tu veux parler de Flaubert, d’Un cœur simple ? essaie-t-il de se rattraper.


Plus sérieusement. Il semble que je ne puisse plus utiliser le script turn.js ce qui règle momentanément le problème des livres à feuilleter. Cette nuit, remplacement par une solution de rechange, des compilations d’articles de rubrique et mots-clés. Rien de vraiment original mais lire la suite des textes ainsi présentée avec TDM et sans image s’approche contre toute attente un peu plus de ce que je veux. C’est à dire que je découvre ce que je veux en le voyant surtout, comme d’habitude. repense à l’utilisation de Feedly


Un article lu ce matin alors que je cherche tout autre chose comme d’habitude dont je relève ce passage qui me paraît tout à fait opportun :

Car si la pensée fait le penseur, le réseau social propriétaire fait le fasciste, le robot conversationnel fait l’abruti naïf, le slide PowerPoint fait le décideur crétin.

ça va probablement m’occuper le reste de cette journée en tâche de fond.

25 octobre 2025

Publié le 25 octobre 2025

Le code et la composition des textes se répondent : qu’une seule classe CSS soit modifiée et tout l’édifice, silencieusement, se déplace ; la marge d’un paragraphe s’agrandit, une grille se resserre, un contraste s’atténue, et me voilà forcé de remonter, de balise en balise, le fil du HTML, comme on remonte une généalogie pour comprendre de quelle branche vient l’inclinaison de la bouche. J’ai parfois l’impression de me réfugier dans le code par crainte — crainte de quoi, je l’ignore — tout comme jadis je me réfugiais dans l’écriture pour ne pas regarder en face ce que la peinture, d’un seul aplat franc, m’aurait montré. Est-ce bien de la peur ? C’est sans doute plus proche du désir : je veux quelque chose et je redoute de l’obtenir, car une fois le désir satisfait, il faudrait lui trouver un successeur, et l’on n’ose pas toujours priver sa journée de ce moteur si commode. J’ai essayé d’écarter le désir ; l’effet fut imprévu et, disons-le, déprimant : le plus attristant fut la disparition de l’humour, car sans désir on perd aussi cette ironie légère qui sauve la gravité du sérieux ; ne restait qu’une peur nue, embarrassante, à laquelle je ne savais que faire, faute même d’un désir de lui résister. Alors je me surprenais à singer l’énergie — taper du pied, trépigner, m’emporter — comme on imite un dialecte sans en comprendre la syntaxe ; j’ai vu tant de gens s’en tirer à grand renfort de trépignements que ce pastiche de résolution est devenu une langue commune. À quoi bon, me dis-je à présent ; mieux vaut, dans ce marasme, chercher à faire quelque chose de la peur, lui prêter attention plutôt que de la fuir, lui demander de parler au lieu de la réduire au silence. Il faut que je me souvienne aussi que je « détestais » le code, et que je ne puis plus le dire avec la même bonne foi : je ne l’aime ni ne le hais ; il m’est indifférent comme tout outil auquel la crainte avait prêté un affect. De quoi avais-je peur ? De me tromper, de casser le site — bagatelles si on les mesure à la misère du monde, tracas tout au plus, puisqu’il faudra comprendre d’où vient la panne et la réparer : juste cela. Le code, au fond, est reposant : binaire, il marche ou ne marche pas, et c’est peut-être pour cela qu’on s’y reclus, parce qu’on n’y attend pas de surprise autre que celle, très franche, du succès ou de l’erreur. La peinture, l’écriture, elles, réservent de vraies surprises, dont la beauté même inquiète. Et pourtant je me fais encore des idées : il n’y a peut-être rien à attendre de rien, et la sécheresse même de l’énoncé lui donne sa chance de vérité. Alors je continue, pas à pas, à examiner ces dépendances qui font qu’un détail dérange l’ensemble, et j’essaie, plutôt que d’ajouter de l’agitation à l’agitation, de mettre un peu d’ordre — non pour « représenter » quoi que ce soit, mais pour réparer l’écart entre ce que je cherche et ce qui, sans bruit, cherche en moi.

21 octobre 2025

Publié le 21 octobre 2025

J’ai tenté de saisir les premières images hypnagogiques surgissant derrière mes paupières, mais le produit anesthésique m’a pris de vitesse ; au moment même où j’essayais de tirer parti de la mauvaise posture dans laquelle je me trouvais, je crois l’avoir juste effleuré et puis plus rien, noir total — ou plutôt blanc total —, car les lumières que je fixais à cet instant précis étaient totalement aveuglantes. Dommage. J’aurais aimé voir apparaître les falaises d’Étretat. Il paraîtrait qu’elles, ainsi que tout le calcaire de la côte environnante, sont constitués de fossiles végétaux et animaux, peut-être même de fossiles remontant à bien au-delà de ce que nous savons reconnaître à présent comme des fossiles « classiques ». Mais la science ne peut pas trouver ce qu’elle est incapable d’imaginer. Les faits, rien que les faits, toujours les faits, et qui vont dans le sens d’un narratif bétonné depuis… la naissance de la science. Quand je me suis réveillé, il y avait un plafond crème au-dessus de ma tête, un plafond assez laid, si toutefois on peut émettre des avis esthétiques à l’hôpital. Et pourquoi ne le pourrait-on pas, comme dans les toilettes turques d’une pizzeria, au demeurant fameuse, de la rue Franklin à Lyon. Dégueulasse, ce décor, m’étais-je ainsi surpris à penser tout haut après avoir savouré une des meilleures pizzas de ma vie. Vie qui est ainsi faite : le pire et le meilleur se côtoyant sans cesse. Il paraît aussi — je l’ai lu dans une chronique de jenesaisplusoù — que l’univers n’a pas seulement de l’humour, il serait aussi conscient. Et à part ça, à part le plafond crème, les toilettes à la turque et l’univers, je ne trouve guère d’autre sujet pour continuer ce billet déjà très ennuyeux. Mais si on ne pointe pas l’ennui, comment savoir qu’il s’agit d’ennui ? Encore une journée d’ennui traversée. Mais ce dont je suis à peu près certain, c’est qu’il n’y a pas que l’univers dans la vie ; je ne sais même plus où j’ai relevé cette phrase, il est impératif que je me donne à fond dans l’entraînement au rêve lucide, car j’ai bien peur que l’Alzheimer me guette.


Toutefois, en fin de journée, un peu de code ne peut pas faire de mal. Mon hébergeur m’avertit par email qu’ils ont bloqué 1 200 requêtes vers mon site et qu’il faut que je fasse de toute urgence quelque chose, sinon, il se pourrait que mon site subisse des ralentissements, voire qu’il soit mis hors service… Une simple histoire de cache et des boucles un peu plus resserrées feront sans doute l’affaire, et, pour le moment, je n’obéirai pas à l’injonction de m’abonner à leur service Webcloud. Surtout qu’il y a de ça plusieurs mois, ne les avais-je pas interrogés sur la possibilité qu’ils puissent bloquer ainsi le site s’ils voyaient des requêtes affluer ? Que nenni, m’avaient-ils répondu… Donc je subodore presque une sorte de stratégie mercantile de leur part en envoyant ce genre de missive, et je préfère retrousser les manches, soulever le capot, me salir les mains, seul.

La page comme aventure — lire Damase pour réapprendre à voir

Publié le 11 octobre 2025

La page comme aventure — lire Damase pour réapprendre à voir

On ouvre ce livre et la table devient atelier. Pas un traité de plus sur la poésie, pas un musée de curiosités d’avant-garde. Damase prend un objet que l’on croit acquis, la page, et il la rend de nouveau incertaine. Il remonte à Mallarmé, au Coup de dés de 1897, non pour sacraliser un moment, mais pour décrire un basculement dont nous vivons encore les ondes. La page cesse d’être couloir rectiligne. Elle devient scène, plan, partition. Les blancs prennent la place de la ponctuation. Les corps typographiques hiérarchisent la voix. La lecture s’effectue par bonds, par blocs, par diagonales. Et tout à coup notre manière d’écrire à l’ordinateur, nos fichiers exportés en PDF, nos billets de blog et affiches, sont rattrapés par ce geste ancien qui les regarde déjà.

Ce qui frappe d’abord, c’est l’allure d’inventaire très concret que propose Damase. Il n’érige pas Mallarmé en monolithe. Il montre un point de départ, un dispositif pensé comme tel — la page comme unité — et suit ses reprises, ses bifurcations. Segalen, Apollinaire, Claudel. Puis le grand dépliant de Cendrars avec Delaunay, où texte et couleur se répondent sur une longue bande qu’on déploie. Les futuristes qui s’attaquent à l’« harmonie » de la page et la renversent au profit de vitesses et d’angles. Dada et ses simultanéités, plusieurs voix à la fois, plusieurs lignes qui cohabitent. La publicité et l’affiche qui se saisissent des lettres comme formes, choc de tailles et de poids, lisibilité comme stratégie. Puis De Stijl, le Bauhaus, Tschichold : retour de la règle, des grilles, de la clarté fonctionnelle, non contre la modernité, mais pour lui donner des moyens stables. L’avant-garde n’abolit pas la lisibilité, elle la redistribue.

Le livre avance par paliers. On quitte vite l’idée confortable d’une littérature qui resterait dans ses colonnes tandis que l’art occuperait la couleur et la forme. Klee, Braque, Picasso font entrer la lettre dans la peinture. Les typographes traitent la page comme architecture. Les poètes testent des mises en page non linéaires qui demandent un autre corps du lecteur. La main qui tient, qui plie, qui tourne. Les yeux qui comparent, pèsent, reviennent. Et quand Damase revient en arrière vers les manuscrits médiévaux ou la calligraphie, ce n’est pas pour noyer l’histoire dans l’érudition. C’est pour montrer que l’articulation signe/image/page n’a jamais cessé d’être une question d’outil et de regard, pas d’ornement. La révolution de Mallarmé n’arrive pas ex nihilo. Elle cristallise des tensions longues, puis elle les rend productives.

On lit Damase et on pense à nos propres pages. Le placeur que nous sommes tous devenus, avec nos logiciels, nos modèles par défaut, nos marges normalisées. On s’aperçoit que beaucoup de nos choix ne sont pas neutres. Taille de caractère, interlignage, gras, italiques, espace avant un titre, quantité de blanc avant un paragraphe clé. Ce sont des décisions d’écriture. Les blancs peuvent devenir opératoires, non décoratifs. Les différences de corps, des accents narratifs. Le livre le dit sans prescription doctrinale. Il préfère l’exemple, la généalogie, la main qui montre : regarde ici, là ça bascule, là ça s’est tenté, là ça a tenu.

Ce déplacement a une conséquence plus forte qu’il n’y paraît. La page cesse d’être simple véhicule du texte. Elle devient une part du sens. Ce que Mallarmé indiquait par la distribution des blancs, d’autres l’ont poussé vers la simultanéité, la couleur, l’assemblage avec l’image, la cartographie de lecture. Le roman, rappelle Damase, resta longtemps conservateur, attaché au pavé gris XIXe, au confort de l’œil. La publicité, elle, a su plus vite investir la page comme plan de forces. Résultat paradoxal : pour comprendre nos journaux, nos écrans, notre flux d’images et de textes, il faut passer par cette archéologie de la page littéraire. Il y a une éthique de l’ordonnance qui n’est pas moins importante que le style. La page impose une responsabilité.

Ce n’est pas un manuel, pourtant on sort de cette lecture avec des gestes en poche. Par exemple : élargir les marges pour faire respirer une séquence dense, puis resserrer pour imposer un tunnel de lecture. Jouer le dialogue de deux corps, l’un pour l’ossature, l’autre pour l’attaque. Confier à la ponctuation une part du rythme, mais accepter qu’une ligne blanche serve de césure plus nette qu’un point. Doser l’italique comme voix intérieure plutôt que simple emphase. Faire de la page une unité, non un réservoir illimité de lignes. Et quand on revient à Un coup de dés, on comprend que le hasard n’est pas dehors comme désordre. Il est dans la tension entre règle typographique et liberté d’ordonnance. S’il y a hasard, il se voit parce que la règle est exposée.

Lire Damase, c’est aussi rencontrer une histoire des échecs. Le lettrisme, avec sa promesse de tout refonder depuis la lettre, fascinant sur le papier, souvent stérile dans ses effets. Des manifestes où la page est annoncée comme champ total, mais sans faire système. Cette honnêteté fait du bien. Tout ne se vaut pas. Tout ne marche pas. Ce qui fonctionne tient par un équilibre fin entre expérimentation et lisibilité, entre intensité visuelle et chemin du lecteur. Tschichold, Moholy-Nagy, Lissitzky ne sont pas là comme icônes froides. Ils servent à mesurer ce que le texte gagne quand quelqu’un prend au sérieux la relation des éléments sur la page. Même les exemples venus de la pub ne sont pas là pour faire peur. Ils éclairent ce que la littérature a parfois renoncé à exploiter.

Quel intérêt aujourd’hui, où nous lisons surtout sur écran, où les formats se recomposent selon la taille de nos téléphones, où la page au sens physique vacille. Justement. La page numérique n’a pas aboli la page. Elle en a déployé la variabilité. Les principes évoqués par Damase valent au moment où l’on conçoit une maquette responsive, où l’on décide de la hauteur des interlignes, des espaces avant et après, du contraste entre un bloc de citation et le fil narratif. Ils valent pour un EPUB comme pour un PDF. Et ils permettent d’interroger des habitudes prises par confort. Pourquoi tant de gris uniforme. Pourquoi cette fatigue à la lecture longue. Parce que la page, réduite à un tuyau, ne joue plus son rôle d’espace.

Le ton du livre reste sobre. Pas de grand geste de revendication. Un fil clair, des exemples choisis, des convergences mises en lumière. On peut y entrer par la poésie, par l’histoire de l’art, par le graphisme. On peut aussi y entrer d’un point de vue très pragmatique : que puis-je modifier dès ce soir dans ma manière d’écrire et de mettre en page pour rendre visible ce qui compte. Le livre propose sans injonction. Il ne s’achève pas sur un modèle à imiter, mais sur un appel : refaire de la page un lieu d’invention, et pas seulement de transport.

Si l’on cherche des raisons de lire, en voici trois. D’abord, on lit mieux Mallarmé et tout ce qui s’est joué autour. On comprend que la modernité formelle n’est pas caprice, mais méthode. Ensuite, on gagne une lucidité neuve sur nos outils : l’éditeur de texte n’est pas un accident, il est une grammaire en action. Enfin, on reçoit l’autorisation d’essayer. Essayer quoi. Deux corps qui dialoguent. Une hiérarchie de titres qui parle au lieu d’orner. Une ponctuation qui s’allège parce que les blancs prennent le relais. Des blocs qui se répondent à la page plutôt que de défiler sans horizon.

On referme Damase avec l’envie de rouvrir des livres. De reprendre Un coup de dés, non pour l’exercer en légende, mais pour y voir la logique d’espace qui le soutient. De déplier la Prose du Transsibérien et sentir comment la couleur porte le texte. De regarder une affiche de Lissitzky et d’y lire une leçon d’économie et de force. Et surtout, on revient à nos pages à nous. On redresse une marge. On déplace un titre. On ose un blanc plus large avant une phrase dont on attend l’effet. On prend conscience que la page, loin d’être un fond neutre, est l’un des lieux où s’écrit la pensée. À partir de là, le livre de Damase n’est plus un ouvrage d’histoire. Il devient un outil. Un rappel que lire et écrire se décident aussi là où l’encre ne dit rien : dans l’air qui tient entre les lignes.

Conversation — Gabarits syntaxiques (09/10/2025)_02

Publié le 9 octobre 2025

📘 Fiche récap — Raymond Carver, Débutants (focus littérature)

1) L’ouvrage en deux lignes

Vies ordinaires au bord de la casse : cuisines, motels, garages, hôpitaux, parkings. Diction simple, dialogues secs, détails concrets qui font remonter l’émotion sans explication ; fins ouvertes.

2) Thèse / geste d’écriture

Montrer le drame par l’ordinaire — l’objet, le geste, la réplique — plutôt que par l’analyse. Laisser circuler la dignité des personnages : peu de psychologie, beaucoup d’indices (odeurs, matières, habitudes). Le sous-texte (manque, peur, désir) travaille en silence sous la surface descriptive.

3) Les 5 principes majeurs (pour lire / imiter)

  • Phrases courtes + dialogues : déclaratives simples, verbes usuels ; répliques qui portent le sens implicite.

  • Focalisation proche : un “je” ou “il/elle” discret ; temps passé/imparfait descriptif ; angle domestique (cuisine, salon, voiture).

  • Concret sensoriel : listes d’objets, matières, marques ; peu de métaphores.

  • Montage sobre : alternance narration/dialogue ; ellipses, transitions minimales.

  • Clôtures non morales  : fin sur un objet/geste/regard, pas de sentence.

4) Gabarits syntaxiques (patrons réutilisables) + exemples tirés de Débutants (≤ 25 mots)

  • Énoncé concret simple « [Lieu], [personnage] [action brève]. » Ex. : « Il y songea en sirotant le whisky. »

  • Inventaire prosaïque « [OBJET], [MATIÈRE], [TAILLE/ÉTAT]… » (enchaîner 3–4 éléments) Ex. : « La batterie de cuisine d’aluminium brillant occupait une partie de l’allée. » Ex. : « Une nappe de mousseline jaune… recouvrait la table et pendait sur les côtés. »

  • Constat + rectification (sec) « Pas [X] ; rien que [Y]. » Ex. : « Il n’y eut aucun échange d’amabilités…, rien que le minimum de mots requis. »

  • Question-réplique (dialogue porteur) « — [Question simple] ? — [Réponse brève]. » Ex. : « — Vous voulez la photo de votre maison, ou pas ? » Ex. : « — Ça, c’est une autre histoire, il a dit. »

  • Gnomique discret (trait de caractère) « [Prénom] n’aimait pas [X]. » Ex. : « Jerry n’aimait pas qu’on lui dise ce qu’il avait à faire. »

  • Clôture sur geste/objet « [Geste matériel] ; [silence/attente]. » Ex. : « Il gardait les yeux baissés sur les photos et la laissait parler. »

5) Feuille de style “Carver — Débutants”

  • Amplitude : 1–3 phrases courtes par paragraphe ; nombreux dialogues.

  • Connecteurs : et / mais / puis / alors ; éviter les tournures abstraites.

  • Verbes : verbe d’action/usage (verser, poser, regarder, dire, prendre).

  • Détails : viser 6–10 éléments (objets/matières/bruits) par scène.

  • Motifs : alcool/café ; voiture/route ; argent/travail ; télé/hôpital/cuisine.

  • Voix externes : 2–3 répliques brèves qui déplacent la scène.

  • Clôture : finir sur un objet/geste/regard, pas d’effet “morale”.

6) Procédure de réécriture (7 étapes)

  • Cadre : définir un lieu concret (cuisine, voiture, salle d’attente).

  • Noyau(≤ 15 mots) : geste + objet + tension (« elle fait le café, il prépare sa valise »).

  • Inventaire(10) : objets, matières, sons, odeurs du lieu.

  • Dialogues (3) : trois lignes utiles (question, esquive, fait).

  • Motifs (2–3) : un objet qui revient, une habitude, un bruit.

  • Déploiement : 1–2 paragraphes alternant inventaire → réplique → rectification.

  • Affinage : couper l’explication ; garder le détail qui fait basculer.

7) Exercices rapides

  • Inventaire aveugle : décrire un lieu par 8 objets + 3 bruits/odeurs (0 métaphores).

  • Une page / 100 mots : 70 % de phrases ≤ 8 mots ; 3 répliques.

  • Dialogue sans incises : 6 répliques en ping-pong, aucune didascalie ; sens par sous-texte.

  • Déplacer la fin : récrire la dernière phrase sur un objet (pas d’explication).

  • Argent/Travail : glisser 1 signe matériel (facture, badge, horaires) qui révèle l’enjeu.

8) Prompt prêt à l’emploi

Réécris le passage suivant dans l’esprit de Raymond Carver (Débutants), en appliquant : phrases courtes ; dialogues qui portent l’émotion ; inventaire concret (objets/matières/sons) ; 2–3 motifs simples ; clôture sur un geste/objet (sans morale). Paramètres : [Lieu]=… ; [Noyau ≤15 mots]=… ; [Inventaire 10]=… ; [Dialogues x3]=… ; [Motifs 2–3]=… ; [Temps]=passé/imparfait ; [Amplitude]=1–2 paragraphes. Texte source : « …[ton texte]… »

9) Note éthique

Personnages/lieux réels → anonymiser si besoin ; pas de misérabilisme ni de sensationnalisme. Regarder juste (objets, gestes, contraintes matérielles) ; la pudeur fait place à la vérité du détail.

le titre original est Beginners À noter : ces textes sont le manuscrit rétabli des nouvelles que Carver avait livrées avant les coupes de Gordon Lish ; la version publiée en 1981 portait le titre What We Talk About When We Talk About Love

Conversation — Gabarits syntaxiques (09/10/2025)

Publié le 9 octobre 2025

📘 Fiche récap — Maurice Blanchot, L’Écriture du désastre (focus littérature)

1) L’ouvrage en deux lignes

Fragments qui pensent la limite : dire l’indicible par retrait, ouvrir un dehors sans récit. La phrase brève, paradoxale, substitue à l’événement un concept mobile (désastre, nuit, séparation).

2) Thèse / geste d’écriture

Écrire au bord de ce qui défait l’expérience : non pas raconter mais dés-œuvrer la narration, laisser parler l’absence. La forme fragmentaire et l’énonciation impersonnelle déplacent le sujet, substituant à l’aveu la réserve et au pathos une exactitude négative.

3) Les 5 principes majeurs (pour lire / imiter)

  • Période brève, aphoristique : points nets, deux-points, tirets, parenthèses ; rectifications fréquentes (“non pas…”).
  • Voix impersonnelle : “il / on” gnomiques ; adresse rare, si elle surgit, c’est un impératif de retrait.
  • Lexique abstrait & images simples : cercle, centre, nuit, seuil, loi, dehors ; peu d’objets concrets, forte charge conceptuelle.
  • Montage par fragments : blocs autonomes reliés par motifs et reprises (anaphores, variations).
  • Clôtures ouvertes : image ou paradoxe final, jamais de morale ni de conclusion explicative.

4) Gabarits syntaxiques (patrons réutilisables)

  • Rectification paradoxale « [X], non pas [Y], plutôt [Z]. » Ex. : « Quand le désastre survient, il ne vient pas. »

  • Définition déplacée « [Concept] : [prop. 1], et pourtant [prop. 2] qui l’annule. » Ex. : « Le désastre ruine tout en laissant tout en l’état. »

  • Gnomique « On [verbe] quand [condition], sauf quand [exception] — et c’est alors [déplacement]. » Ex. : « On ne peut y croire. »

  • Seuil / image géométrique « [Motif] tient au bord : cercle sans centre, droite qui revient à son origine. » Ex. : « … un cercle éternellement privé de centre. »

  • Clôture sans morale « Alors [image nue] — rien d’autre. » Ex. : « Le désastre est séparé, ce qu’il y a de plus séparé. »

5) Feuille de style “Blanchot — L’Écriture du désastre”

  • Amplitude : fragments de 1 à 3 phrases.
  • Ponctuation : deux-points pour définir, tirets pour déplacer, parenthèses pour révoquer.
  • Verbes : être, venir, ôter, ruiner, séparer, croire, demeurer.
  • Motifs (2–3) : désastre / nuit / centre-absent (leur valeur doit glisser au fil du texte).
  • Références externes : 1 voix d’autorité (nom propre) éventuellement, aussitôt déplacée.
  • Interdit : psychologie explicite, morale, lyrisme décoratif ; privilégier précision négative et réserve.

6) Procédure de réécriture (7 étapes)

  1. Adresse : en principe aucune ; si nécessaire, un impératif bref (“laisse…”, “n’insiste pas”).
  2. Noyau (≤ 15 mots) : remplacer l’événement par un concept-noyau (séparation, attente, effacement).
  3. Inventaire (10) : cercle, centre, ligne, seuil, nuit blanche, voix, silence, loi, dehors, passivité.
  4. Voix du dehors (3) : doxa (“on croit…”), maxime, auteur (nom).
  5. Motifs (2–3) : désastre, nuit, centre ; les faire revenir déplacés.
  6. Déploiement : 2 fragments enchaînant définition → rectification (“non pas…”) → question ou parenthèse → image.
  7. Affinage : couper les explications, resserrer aux paradoxes ; veiller aux deux-points et aux tirets.

7) Exercices rapides

  • Non pas… : écrire 5 rectifications (“non pas X, mais Y”), chacune suivie d’une image.
  • Fragment gnomique : 3 phrases au présent gnomique sur un même motif (nuit / centre / seuil).
  • Image géométrique : traduire un affect par cercle / droite / centre manquant (2 phrases).
  • Déplacement d’autorité : citer un nom (philosophe, auteur) et déplacer sa thèse en 2 lignes.
  • Retour de motif : faire revenir un même mot à trois endroits avec une valeur différente chaque fois.

8) Prompt prêt à l’emploi

Réécris le passage suivant dans l’esprit de Maurice Blanchot (L’Écriture du désastre), en appliquant : fragments brefs ; voix impersonnelle ; rectifications paradoxales (“non pas…” / “plutôt…” / “et pourtant…” ) ; 2–3 motifs (désastre / nuit / centre) qui glissent de valeur ; une image géométrique en clôture ; aucune morale. Paramètres : [Noyau ≤ 15 mots]=… ; [Inventaire 10]=… ; [Voix x3]=… ; [Motifs]=… ; [Amplitude]=2–4 fragments ; [Temps]=présent gnomique. Texte source : « …[ton texte]… »

9) Note éthique

Si le texte touche au traumatique : anonymiser ; refuser la spectacularisation ; préférer la retenue (déplacement, silence, image) à l’éclat. La forme ouvre un sens, elle n’exonère pas la responsabilité.

Conversation — Gabarits syntaxiques (08/10/2025)

Publié le 8 octobre 2025

📚 Fiche récap — Jean-Christophe Bailly, Le Dépaysement. Voyages en France (focus littérature)

1) L’ouvrage en deux lignes

Voyage en France par ses lisières, gares, friches et toponymes : une cartographie sensible des lieux ordinaires. La phrase ample accueille archives, voix et détails concrets pour rouvrir le regard.

2) Thèse / geste d’écriture

Refaire la carte par l’arpentage : tenir une éthique de l’attention aux signes ténus (noms, odeurs, matériaux, usages). La prose monte en période souple, et chaque détail déplace le sens plutôt qu’il ne conclut.

3) Les 5 principes majeurs (pour lire / imiter)

Période ample (hypotaxe + incises) : virgules, tirets, parenthèses ; relances, rectifications ; respiration documentaire-poétique.

Énonciation témoin : un je discret, adresse implicite au lecteur-marcheur ; focalisation interne mobile, temps présent + imparfait descriptif.

Concret toponymique : panneaux, matériaux, odeurs, bruits ; noms propres comme opérateurs de mémoire (gares, friches, berges, zones).

Montage discret : fragments cousus, citations brèves, voix rapportées, petits documents insérés.

Clôtures ouvertes : fin sur un nom, un geste, une image — jamais une morale.

4) Gabarits syntaxiques (patrons réutilisables)

Adresse + nécessité : « Je te le dis, [TU], parce que [JUSTIFICATION], et [CONSÉQUENCE]. » Ex. : « Mais pense-t-on à tout cela quand on est sur place ? »

Constat + rectification : « On dirait [X], non, pas [X], plutôt [Y], parce que [RAISON]. » Ex. : « Rien comme cela à Toul où, au contraire, les tombes sont assez serrées […] plutôt plat. »

Inventaire prosaïque : « [OBJET], [SURFACE], [BRUIT], et [GESTE], parce que [EFFET]. » Ex. : « Densité, désordre, rives grises, travaux, à Feyzin la chimie. »

Voix sociale + démontage : « On a dit que [RÈGLE], sauf que [CONTRADICTION CONCRÈTE]. » Ex. : « Je dis “vaches”, mais ici il faut diversifier un peu. »

Retour de motif : « [MOTIF] d’abord [V1], puis [V2], à la fin [V3]. » Ex. : « On longe d’abord de très grandes citernes d’un bleu pâle attaqué par la rouille. »

Clôture sans morale : « Alors [DÉTAIL CONCRET], et c’est là que je m’arrête. » Ex. : « L’odeur de la papeterie industrielle de Tarascon que le train longe. »

5) Feuille de style “Bailly — Le Dépaysement”

Amplitude : 1–3 longues périodes (virgules, tirets “—”, parenthèses).

Adresse : lecteur-marcheur implicite ; “on/nous” ponctuels.

Concret : 6–10 détails sensoriels par scène (matières, odeurs, inscriptions, rumeur).

Motifs : 2–3 objets-pivot (panneau, friche, nom de rue) qui changent de valeur.

Polyphonie : 2–3 voix du dehors (affiche, rumeur, notice) rapportées puis ré-éclairées par un détail.

Éthique : pas de sentence finale ; finir sur nom/geste/image.

6) Procédure de réécriture (7 étapes)

Définir le lecteur-marcheur (adresse implicite). 2) Résumer l’événement en 15 mots (geste+lieu+objet). 3) Lister 10 détails (odeur, matière, bruit, inscription). 4) Noter 3 voix sociales à décaler. 5) Choisir 2–3 motifs (panneau, friche, toponyme). 6) Écrire 1–2 longues phrases : adresse → détails → voix → rectifications → motifs. 7) Élaguer la morale, régler virgules/tirets/parenthèses.

7) Exercices rapides

Inventaire aveugle : réécrire un passage uniquement avec objets + verbes de perception/mouvement.

Une phrase : condenser un paragraphe en une période avec 2 rectifications (“non, pas…”, “plutôt…”).

Adresse discrète : glisser une apostrophe au lecteur dans les 50 premiers mots.

Contre-voix : insérer 3 voix externes (affiche, “rien à voir”, “zone à urbaniser”) et les re-situer par un détail.

Refrain : faire revenir 2 motifs à trois moments, valeur déplacée à chaque retour.

8) Prompt prêt à l’emploi

Réécris le passage suivant à la manière de Bailly (Le Dépaysement), en appliquant : période ample (virgules, tirets, parenthèses), adresse implicite au lecteur-marcheur, détails concrets dominants, 2–3 motifs (panneau/friche/toponyme) qui changent de valeur, voix sociales intégrées puis déjouées, clôture sans morale (nom/geste/image). Paramètres : [Destinataire implicite]=lecteur-marcheur ; [Noyau 15 mots]=… ; [Inventaire 10 détails]=… ; [Voix x3]=… ; [Motifs 2–3]=… ; [Temps/focalisation]=présent+imparfait ; [Amplitude]=1–2 longues phrases. Texte source : « …[ton texte]… »

9) Note éthique

Si la matière touche des personnes/lieux réels : anonymiser si besoin ; éviter la spectacularisation ; laisser la dignité passer par l’attention au réel et l’adresse, pas par la sentence.

Conversation — Gabarits syntaxiques (07/10/2025)

Publié le 8 octobre 2025

📚 Fiche récap — Laurent Mauvignier, Ce que j’appelle oubli (focus littérature)

1) L’ouvrage en deux lignes

Récit d’une agression mortelle inspirée d’un fait divers, écrit comme une phrase‐fleuve adressée à un “tu”. La littérature y sert de contre-récit éthique à l’oubli social.

2) Thèse / geste d’écriture

Faire tenir, dans un souffle ininterrompu, la mémoire d’un corps et l’énonciation d’un témoin : parler “à” quelqu’un pour empêcher la disparition morale, sans plaidoirie explicite, par la force du détail concret et de la polyphonie rapportée.

3) Les 5 principes majeurs (pour lire / imiter)

  1. Syntaxe-flux (quasi une seule phrase, peu de points) : parataxe, incises, reprises correctives (“non, pas…”, “plutôt…”), effet d’urgence et d’oppression du souffle.
  2. Adresse à un “tu” (énonciation relationnelle) : la parole s’adresse à un proche (frère, témoin), créant une intimité responsable qui remplace la morale par la compassion lucide.
  3. Poétique du détail prosaïque : objets banals (néon, badge, carrelage, canette) comme motifs qui matérialisent l’injustice et reviennent avec un sens déplacé.
  4. Polyphonie filtrée (voix sociales rapportées) : rumeurs, discours institutionnels et clichés intégrés en style indirect pour être aussitôt démontés — naissance d’un contre-récit.
  5. Politique de l’oubli (titre-programme) : transformer l’oubli en mémoire adressée ; la littérature prend le relais là où le récit factuel échoue à rendre la dignité.

4) Gabarits syntaxiques (patrons réutilisables)

  • Adresse + nécessité : « Je te le dis, [TU], parce que [JUSTIFICATION], et [CONSÉQUENCE]. » Ex. : « je te le dis à toi parce que tu es son frère »

  • Constat + rectification  : « On dirait [X], non, pas [X], plutôt [Y], parce que [RAISON]. » Ex. : « je ne dirais pas abattus sur lui… non, pas du tout »

  • Inventaire prosaïque : « [OBJET], [SURFACE], [BRUIT], et [GESTE], parce que [EFFET]. » Ex. : « l’odeur de poisson, le froid des surgelés et les jambons sous vide »

  • Voix sociale + démontage  : « On a dit que [RÈGLE], sauf que [CONTRADICTION CONCRÈTE]. » Ex. : « un homme ne doit pas mourir pour si peu » — « tu entends les mots qu’ils disent ? »

  • Retour de motif : « [MOTIF] d’abord [V1], puis [V2], à la fin [V3]. » Ex. : « il avait bu une canette » → « il finit de boire la canette » → « comme une canette écrasée »

  • Clôture sans morale : « Alors [DÉTAIL CONCRET], et c’est à toi que je le dis. » Ex. : « un léger bruit de frigo » … « je te le dis à toi »

5) Feuille de style “Mauvignier — Oubli

  • Phrase-fleuve : 1–3 longues périodes ; virgules, tirets “—”, conjonctions (et/mais/parce que).
  • Adresse : “tu” explicite dès l’ouverture, lien rappelé (frère/ami/soi d’avant).
  • Concret : 6–10 détails matériels par scène ; verbes simples d’action ; peu d’adjectifs lyriques.
  • Motifs : 2–3 objets-pivot qui reviennent et changent de valeur.
  • Polyphonie : 2–3 voix du dehors (sécurité, presse, voisin) rapportées puis déjouées.
  • Éthique : pas de sentence finale ; une image, un geste, une adresse.

6) Procédure de réécriture (7 étapes)

  1. Définir le “tu” et le lien. 2) Résumer l’événement en 15 mots (geste+lieu+objet). 3) Lister 10 détails sensoriels. 4) Noter 3 voix sociales à démonter. 5) Choisir 2–3 motifs. 6) Écrire une seule phrase (200–400 mots) : adresse → détails → voix → rectifications → motifs. 7) Élaguer la morale, renforcer détails et incises.

7) Exercices rapides

  • Inventaire aveugle : réécrire un passage uniquement avec objets + verbes d’action.
  • Une phrase : condenser un paragraphe en une seule période avec 3 rectifications.
  • Adresse déclarée : ouvrir par “Je te le dis…” avec le “tu” situé.
  • Contre-récit : insérer 3 voix externes, les contredire par un détail matériel.
  • Refrain : faire revenir 2 motifs à trois moments, sens déplacé à chaque retour.

8) Prompt prêt à l’emploi

Réécris le passage suivant à la manière de Mauvignier (Ce que j’appelle oubli), en appliquant : phrase-fleuve (peu de points, virgules et “—”), adresse au “tu” dans les 50 premiers mots, détails concrets dominants, 2–3 motifs récurrents qui changent de valeur, voix sociales intégrées puis démontées, clôture sans morale (détail ou adresse). Paramètres : [Destinataire “tu”]=…, [Noyau 15 mots]=…, [Inventaire 10 détails]=…, [Voix x3]=…, [Motifs 2–3]=…, [Temps/focalisation]=…, [Amplitude]=1–2 longues phrases. Texte source : « …[ton texte]… »

9) Note éthique

Si la matière vient d’un fait divers ou d’une scène intime : anonymiser au besoin, éviter l’effet “documentariste” sentencieux ; laisser la dignité passer par le regard adressé et le pouvoir des détails plutôt que par un jugement.

1er octobre 2025

Publié le 1er octobre 2025

Lecture nocturne de Perturbation, Bernhard. Cette lecture m’apaise. Rien n’y est apaisant pourtant : la crudité avec laquelle les choses sont dites, les décors, les personnages, les événements. Aucune illusion. C’est cela qui calme. On croit ne pas savoir pourquoi, puis on comprend que c’est l’absence d’illusion, cette crudité même, qui agit.

Pourquoi le manque d’illusion apaise ? À chacune, à chacun, de retourner la question sur sa tempe. Le danger est dans la réponse trop rapide.

Bref. Hier. Sitôt que je m’interroge, tout devient un fatras : faits, gestes, pensées, tentatives hétéroclites. Ce mot fatras, ajouté à hétéroclite, n’est-il pas déjà une encre de seiche, pour masquer ?

Trente septembre. Fin du mois. Peut-être faudrait-il un récapitulatif. Je pourrais le faire ici,

discrètement

.


Ceci pour le petit côté cabotin du personnage.


Hier matin, très tôt, j’ai mis à plat

la proposition d’écriture de F.B

autour des statues figées dans Caprice de la Reine de Jean Echenoz. Vingt minutes : je m’étais donné trente. L’urgence m’est nécessaire : vouloir tout préciser, c’est noyer l’image.

Ensuite, papiers. Scans de devis : dents arrachées, prothèses temporaires, appareils masticatoires haut et bas. Les cliniques ne prennent plus le tiers payant ; elles renvoient vers la mutuelle avec une facture à régler le plus rapidement possible (traduction de l’auteur).

Je passe les détails. Mais j’ajoute les banques : toujours épique, surtout en fin de mois. Cette façon qu’ont les gestionnaires de comptes de vous prendre de haut me coupe le souffle. Je serre les dents pour ne pas être blessant. La fragilité dentaire vient peut-être de là. Se rebeller au téléphone ne vaut rien, pas un pet de lapin. On peut s’époumonner, JE NE SUIS PAS UN NUMÉRO, tout le monde s’en fout ; et chacun sait que, de toute façon, rien ne sert de le nier : vous l’êtes.

Plus tard, j’ai repris l’archiviste. J’allais perdre le fil, je me suis forcé à tenir. Petite victoire technique : installation d’un sommaire avec le Couteau suisse ; il a fallu fouiller dans mes squelettes, ouvrir l’article, supprimer toutes les étoiles derrière le TEXTE. Désormais je peux produire du sommaire à volonté, en ajoutant une balise.

Deux textes de l’archiviste publiés coup sur coup ; quelques réécritures de 2021 accessibles depuis l’article-sommaire Palimpsestes.

En fin de journée, décision d’organiser Obsidian : trois fiches modèles avec Periodic Notes — jour, semaine, mois. Trois temporalités. Comme si l’histoire ne se décidait jamais en amont, mais surgissait une fois écrite.

18 septembre 2025

Publié le 18 septembre 2025

Depuis 2019 la faille est béante. Avant je pouvais me dire que tout finirait par s’arranger ; ce mensonge ne tient plus. Le temps s’est arrêté, nous vivons le présent d’une répétition infernale. Quelque chose s’est creusé alors — un tunnel vers le plus pourri du cœur des hommes — notamment le mien, j’imagine ; et les démons s’en servent d’ascenseur : ils remontent du ciel infernal vers notre sous-sol terrestre. Depuis 2019 tout est inversé. Je ne le savais pas. Je l’apprends aujourd’hui, à demi-mot, par une IA. Les modes d’emploi me désespèrent, surtout pour l’écriture : opercule à percer, deux minutes au micro-ondes, régalez-vous ! . J’y ai cru autrefois. Face à la feuille blanche on est tellement con. J’ai failli souhaiter bon anniversaire à J.O. J’ai failli le souhaiter à F.B. Puis je me suis souvenu que ma seule relation avec eux est celle d’un lecteur. Donc non. Un pacte ne se brise pas sous couvert de bonnes intentions. Depuis 2019, les bonnes intentions s’effondrent comme des soufflets à peine montés — un monde sans elles n’est pas seulement irrespirable : on y étoufferait, assassiné par nos vieux mensonges. Avant 2019 je me torturais : je prenais la fausseté pour une faute personnelle. Aujourd’hui je sais que la justesse est circonstancielle — un lieu, un instant, ou rien du tout. Peut-être le savais-je toujours ; il aura fallu 2019 pour que je veuille l’admettre.


Le fait que je m’enfouisse dans le code comme dans un labyrinthe. On n’en sortirait jamais. On peut toujours faire “mieux”. Ce mensonge utile aussi, la petite poire pour la soif. Hier j’ai encore retouché la carte interactive : j’ai ajouté aux points géolocalisés des listes d’articles sous forme d’info-bulles. C’est parti d’une question : combien de fois sur ce site ai-je écrit ce mot, cette ville, ce lieu ? Chaque article relié à un point, et tout à coup apparaissent des index étonnants. Mais ça ne suffisait toujours pas. Je me suis dirigé vers les diagrammes de Voronoi, de manière à proposer une vue plus graphique des groupes de mots-clés du site, mais trop années 80, je me suis orienté vers la graph-view d’Obsidian que je suis parvenu à intégrer dans les descriptifs des principaux mots clés.

Au final ce site devient un objet littéraire. Un ovni. Si des livres s’en échappent ce ne seront guère plus que des stolons.

17 septembre 2025

Publié le 17 septembre 2025

La notion de dosage m’est revenue en récrivant une histoire que me contait mon grand-oncle R. enfant. La nuit de Noël, au rond du trésor, la terre s’ouvrait au premier coup de minuit : un éclair, des coffres, des bijoux, l’or répandu comme une braise. Douze coups seulement, pas un de plus. Longtemps j’y ai vu un conte avertisseur. Ce soir je comprends autre chose : ce n’est pas la menace qui compte, mais la cadence, le tempo juste qui laisse paraître le merveilleux. Comme disait D., mon patron photographe à Clichy, quand nous époussetions les guitares Vigier avant de les mettre en scène sous les balcar : "dans la vie tout est une histoire de dosage". Ces phrases-là, je les retiens, parfois sans en rien faire, mais elles reviennent comme la cloche qui sonne, rappel discret qu’un passage peut s’ouvrir.

16 septembre 2025

Publié le 16 septembre 2025

J’écoute la télévision comme on écoute une machine à broyer : ces experts qui parlent avec aplomb, toujours sur le ton de l’évidence, font glisser la science vers la dérision. Le geste est précis — sourire programmé, main qui ponctue la phrase — et je me demande si ce n’est pas voulu, si l’on ne cherche pas à nous dégoûter de toute expertise pour mieux nous rendre disponibles à la fable. Je me sens presque coupable d’y penser, comme si dire cela avait quelque chose de complotiste ; la sensation, pourtant, est tactile : une supercherie à la surface du réel, qui devient plus dense au fil des années. Malgré tout, je continue de m’appuyer sur le peu de raison que j’ai cultivé. Cette raison, parfois, me paraît bientôt inutile devant les monstruosités qui remontent — des bouts de vérité enfouis, des gestes anciens mis au jour — et alors croire devient un pari instable : je peux croire à tout et à rien, à la fois. Entre deux paragraphes de code, j’installe TCPDF pour générer des PDF depuis SPIP — un petit ordre technique qui calme —, j’aperçois un atelier d’écriture en gestation (BOOST 2) que je veux suivre sans l’exposer, je réponds oui à l’association qui propose une élève handicapée. Une odeur d’essence traverse la rue et, comme une clé, ramène des visages et des lieux que j’avais cru effacés : ils reviennent sans prévenir, précis et étrangement intacts.

Cartographier l’invisible

Publié le 5 septembre 2025

J’ouvre Google Earth et je descends jusqu’à Épineuil-le-Fleuriel. Je cherche le Cher, mais ce n’est pas le fleuve qui m’accroche, c’est la Queugne, mince rivière qui s’y jette en douce. Un filet d’eau de vingt-huit kilomètres à peine, mais qui, sur la réglette des archives, se comporte comme un acteur principal : plus large en 2004, presque effacé en 2012, bordé de peupliers ou réduit à un trait pâle. À force de cliquer, le cours change, les rives se déplacent, les champs s’emboîtent autrement. Plus au nord, Isle-et-Bardais, petite commune coincée dans la forêt de Tronçais, m’offre le même vertige : le nom double, Isle et Bardais, la fusion ancienne de deux hameaux, une dispersion d’habitats qu’aucune carte ne parvient vraiment à rassembler. On croit regarder un plan, on tombe sur des fantômes. Le paysage ne tient pas, il vacille. Et ce qui m’étonne n’est pas tant que la Queugne coule ou qu’Isle-et-Bardais existe, mais que la carte, censée me fixer un repère, fabrique à chaque année un récit différent. Si je relève la tête de la Queugne, Google Earth m’offre le ciel. Pas grand-chose, juste une voûte noire piquée de points. Ptolémée avait fait pareil, relier les taches, transformer un amas d’étoiles en lion ou en poisson. On ne sait pas très bien pourquoi c’est un lion et pas un chien, un poisson et pas un caillou. On trace des lignes, on invente des bêtes, on baptise. Le ciel devient une carte, mais une carte à la fois stricte et fantaisiste. Kepler corrige, d’autres raffinent, chacun déplace un point, change la figure. Aujourd’hui encore, les applications de téléphone rejouent le même jeu : on lève l’appareil, on le tourne vers la nuit, et des lignes jaunes apparaissent sur l’écran, reliant les étoiles en scorpion, en vierge, en cygne. Comme si l’ancien besoin de peupler l’invisible persistait, infiltré jusque dans le logiciel. Le détail mouvant, ici, c’est l’animal qu’on choisit de voir, cheval ou crabe, selon le trait. Le ciel n’a pas changé, mais la carte, elle, fabrique à chaque fois une créature différente. Quitter le ciel pour descendre dessous, c’est un autre type de carte. Dante en avait dressé les plans : un entonnoir creusé sous terre, neuf cercles empilés comme les anneaux d’un tube fluorescent. Botticelli l’a dessiné avec précision, Doré aussi, chacun traçant des coupes, des gradins, des flèches pour indiquer la descente. L’Enfer devient presque un organigramme, un plan de métro aux stations bien alignées : luxure, avarice, fraude. On imagine le voyageur composter son billet à chaque cercle. Le détail mouvant se glisse là aussi : selon les commentateurs, certaines âmes changent de niveau, on les expédie plus bas ou on les relève d’un cran. Ce qui devrait être fixe, éternel, se révèle flexible, négociable. La carte prétend figer l’invivable, mais elle le rend mobile, flottant, presque administratif. Et en suivant ces tracés, je m’aperçois qu’il est plus facile de cartographier l’enfer que la Queugne ou Isle-et-Bardais. Après l’enfer bien rangé, il y a les cités idéales. Thomas More avait dessiné une île en forme de croissant, rues droites, maisons identiques, rien qui dépasse. Campanella imagina une ville solaire, circulaire, compartimentée comme une horloge. Chaque détail servait à prouver l’ordre parfait, la symétrie, la raison. Puis Calvino, plus joueur, fit tout basculer : ses villes n’ont pas de coordonnées, elles flottent dans le récit, elles n’existent que le temps qu’on les raconte. On ne peut pas les pointer sur une carte, elles se déplacent, elles s’effacent dès qu’on referme le livre. Le détail mouvant est là aussi : l’emplacement même de l’utopie. Toujours ailleurs, toujours décalé, parfois juste à côté, parfois hors de portée. On dessine pour fixer, mais le dessin s’échappe. Et il y a ce soupçon d’absurde : à force de chercher la cité idéale, on ne tombe que sur des plans de lotissements, pavillons en rang, haies de thuyas. Peut-être que l’utopie, finalement, n’a jamais été qu’une carte de promoteur. Je reviens à mes propres cartes. Pas celles de More ni de Calvino, mais celles de l’enfance. Une Michelin pliée en accordéon sur la banquette arrière, le doigt suivant la route des vacances, les virages déjà anticipés, les villes à peine prononcées. Le détail mouvant, c’était un symbole vert, une aire de repos inventée comme terrain d’aventures. Plus tard, les cartes de fiction ont pris le relais : Tolkien, avec ses montagnes crayonnées, ses forêts aux noms ronflants, ses rivières serpentines. Dans les jeux vidéo aussi, un monde surgit dès qu’on l’ouvre, se déplie comme un tapis : un village, un château, un marécage, tout ça disparaissant aussitôt la console éteinte. Aujourd’hui, c’est le téléphone qui me suit, Google Maps qui me géolocalise, qui cartographie mes trajets, mes courses, mes habitudes. Le détail mouvant, ce n’est plus un virage de rivière, c’est une donnée personnelle qu’on capture, qu’on enregistre. La carte ne montre plus seulement l’espace : elle me découpe en fragments, elle me superpose à moi-même, un double tracé que je n’ai pas choisi. Alors je retourne à mon méandre du Cher, près d’Épineuil-le-Fleuriel. Je rouvre la réglette, je fais défiler les années. Le fleuve grossit, s’amincit, les peupliers apparaissent, s’effacent, un hangar surgit, un autre toit se ternit. Rien n’est jamais stable. La carte ne fixe pas, elle raconte. Elle ne dit pas le territoire mais la succession de ses visages, parfois vrais, parfois inventés. L’invisible n’est pas derrière la carte, dans un secret à révéler. Il est dans ce mouvement même, ce tremblement discret qui fait qu’un lieu ne reste jamais identique à lui-même. Peut-être que la carte, finalement, ne nous oriente pas. Elle nous rappelle seulement qu’on se déplace, même immobile, et que ce qu’on croyait tenir entre les mains glisse déjà ailleurs.

03 septembre 2025

Publié le 3 septembre 2025

une tension ancienne, toujours là : une langue distingue, l’autre soude. La savante trace des frontières, parle à l’initié, signe d’érudition plus que partage. Elle suppose mémoire, héritage, retrait. L’ordinaire circule sans effort : slogans, votes, cris de stade. Elle se dit « naturelle » mais n’est qu’un autre code, inculqué, régulé. Deux pôles : l’entre-soi rare et le collectif saturé. Logos contre vox. Le grec, le latin, le code informatique fonctionnent comme filtres ; l’ordinaire inclut, parfois jusqu’à étouffer. Chaque fois que je m’assois pour écrire, la tension revient. Je n’aime pas, je compose. Ne pas choisir. La précision fermée du code et l’ouverture vague du cri. Non pas compromis, mais frottement. Comme deux silex : espérer le feu. Écrire avec deux voix qui s’opposent et se nourrissent. La savante fore, donne des instruments rares ; l’ordinaire m’ancre, me sauve de la tour d’ivoire. Tenir ensemble isolement et collectif. Un texte pour tous, mais qui garde son grain d’exception. hier, rendez-vous à C., anesthésiste. Cinq minutes, cinquante-cinq euros. Puis bureau des préadmissions. Jeune homme appliqué, collier de barbe, pas un sourire. Relit mon dossier, me fait réécrire ce que j’avais déjà inscrit. Mon nom, encore. Ma signature, encore. Chaque trou pointé du doigt. Son stylo qu’il ne reprendra pas. Je l’imagine, une fois parti, l’essuyer, le jeter à la corbeille. — « Quand vous viendrez le neuf il faudra cette fois passer au bureau des admissions », conclut-il. « Ça ira plus vite puisque vous avez déjà remis le dossier. » étonnement des premiers jours d’automne. Air plus frais au matin, lumière persistante. En approchant de Lyon, nuages massifs sur un ciel d’été dense. Puis le Rhône, à la Mulatière : présence palpable, s’écoulant comme un long serpent. après l’hôpital le supermarché, Montessuy. Enseigne oubliée, changée tant de fois. Cannellonis, danettes goût café. au Vernay, deux étages difficiles à gravir. E. ouvre, frêle. Deux mois sans la voir. Elle ne se souvient plus de mon prénom. Elle compense par un grand sourire, « contente de vous voir ». La joie dure peu. S. la gronde : — « maman je t’avais dit de sortir trois assiettes ». Dans le réfrigérateur, les assiettes empilées. Je tente une plaisanterie, ça ne passe pas. S. se fâche. E. dit non désormais. Non au melon, non répété, ferme, enfantin. Tension posée sur la table, digestion compromise. après le repas, S. lui fait les ongles. Elles prennent le café ensemble. Je les laisse. J’allume la télévision, m’allonge. Le calme tombe. Le son, n’importe quel programme, m’endort presque aussitôt. de retour à la maison, je range un peu l’atelier. Coup de fil de P. qui se réinscrit, viendra le jeudi matin. Le rangement dure peu, un quart d’heure, vider encore un tiroir de vieux papiers. Le fait d’avoir eu T. au téléphone avant-hier : les difficultés de R. opéré, son angoisse qu’il ne s’en sorte pas. Ses larmes dans l’appareil. Le fait que j’ai pensé qu’elle pourrait venir à la maison si tout tournait mal. Le fait que je l’imagine dans la chambre d’amis. Le fait que nous sommes tous pendus à la toile du destin et qu’une telle épreuve peut tomber sans prévenir. Bourdon terrible. Pensé à mon propre après, à S. seule dans la maison, à S. et T. ensemble peut-être. Alors mieux valait se remettre au code. Ce que j’ai fait. J’ai utilisé Deepseek cette fois pour modifier ma page d’accueil. Plus rapide que ChatGPT, moins d’erreurs. En quelques minutes l’IA chinoise a résolu un problème que la dernière version de ChatGPT n’avait pas su débloquer malgré plusieurs demandes claires.

J’emprunte cette idée à T.C : créer une liste d’articles qu’il partage chaque dimanche « depuis sa terrasse ». Je ne pense pas, pour ma part, partager ces articles chaque semaine. Ils resteront accessibles, comme tout ce que je publie sur le site, sans passer par les réseaux. L’idée est plutôt d’en faire un journal des points d’intérêt qui m’auront marqué en lisant, semaine après semaine. J’ai ajouté deux nouveaux articles à la rubrique Histoire de l’imaginaire , encore peu fréquentée — ce qui est normal, puisque je ne l’ai pas partagée sur les réseaux sociaux.

Pour cela : création d’un fichier lien.html dans le dossier modèles.

  • [(#ENV{cat}|oui)
    [(#VALEUR|trim)]

    ] [(#ENV{titre})]

    [(#ENV{desc})]
  • Ce qui permet ensuite d’écrire les liens dans un article hebdo avec cette syntaxe :

    • littérature
      Génica Anasthasiou, l’anti-muse d’Antonin Artaud
      "J’ai commencé par la fin, en cherchant où pouvaient avoir été déposées ses archives personnelles après son décès. Cela m’a conduite à la maison de retraite des comédiens à Pont-aux-Dames, où j’ai été très bien reçue. Il y avait en effet dans le grenier un carton « Génica Athanasiou », empli de dossiers de photos et de documents. J’ai passé une journée à tout inventorier et photographier."
    • histoire
      Les Vikings en Amérique
      Du bois ayant gardé trace d’un événement cosmique nous apprend qu’il y a mille ans très exactement, en l’an 1021, les Vikings étaient en train d’abattre des arbres à Terre-Neuve
    • sciences
      Une comète provenant d’un autre système solaire possède une chimie inédite
      Une comète interstellaire récemment découverte intrigue les astronomes : elle traverse notre système solaire à toute vitesse avec un profil chimique jamais observé auparavant. Officiellement nommée 3I/ATLAS, elle n’est que le troisième objet confirmé provenant d’un autre système stellaire.

    Des Prométhée aux Geeks : l’ambivalence des héros civilisateurs

    Publié le 2 septembre 2025

    Les héros civilisateurs ont toujours été un peu suspects. On les a décorés de mythes, de couronnes et d’auréoles, mais si l’on gratte un peu, on tombe vite sur des comportements instables, parfois franchement inquiétants. Prométhée, par exemple, n’était pas seulement ce bienfaiteur altruiste qui déroba le feu pour l’offrir aux hommes. C’était aussi un tricheur, un provocateur, qui avait sous-estimé la réaction d’un Zeus particulièrement rancunier. Résultat : un foie livré chaque jour à l’appétit d’un aigle obstiné. On a connu des philanthropes plus efficaces. Héraclès, autre star du panthéon antique, massacra sa femme et ses enfants dans un accès de rage avant de se lancer dans ses travaux. Quant à Gilgamesh, premier grand héros littéraire, il inaugura sa carrière en tyran brutal avant de comprendre tardivement que la mort viendrait aussi pour lui. Autrement dit, la civilisation avance souvent derrière des guides qui vacillent, délirent ou détruisent. On pourrait croire que nous avons changé d’époque. Que les héros de la modernité seraient plus rationnels, plus équilibrés, mieux outillés pour conduire l’espèce vers de nouveaux horizons. Il n’en est rien. Nous confions désormais nos vies à des figures tout aussi instables, mais dont l’uniforme est différent : tee-shirt sombre, baskets blanches, sourire nerveux. Elon Musk envoie des fusées pour s’évader vers Mars, Mark Zuckerberg fabrique des mondes parallèles peuplés d’avatars sans jambes, Jeff Bezos imagine des colonies orbitales alignées comme des entrepôts. Steve Jobs avait déjà transformé l’objet banal du téléphone en laisse numérique. Ces nouveaux héros ne ressemblent plus à des demi-dieux colériques, mais à des geeks obsessionnels. La psychopathologie demeure, seule la présentation a changé. Il faut voir avec quelle insistance la mythologie ancienne rappelait le prix des dons. Chaque innovation venait chargée de sa malédiction. Pandore ouvrait la boîte et libérait les maux du monde ; Icare s’envolait et retombait aussitôt ; Sisyphe poussait son rocher pour l’éternité. Ces récits faisaient office de garde-fous : oui, le progrès existe, mais il est ambivalent, dangereux, parfois fatal. La modernité, elle, a supprimé les avertissements. On ne raconte plus de tragédies, on déroule des conférences. Les mythes se sont dissous dans les keynotes et les communiqués de presse. Le don de feu devient une start-up, la boîte de Pandore un réseau social, les ailes d’Icare un projet de colonisation spatiale. La leçon a disparu, il ne reste que le pitch. Ce n’est pas que les héros civilisateurs soient devenus pires. Ils l’ont toujours été, à leur manière. Prométhée était un délinquant céleste, Héraclès un colérique, Gilgamesh un tyran. Mais ces excès faisaient partie du récit, ils servaient de contrepoint. Aujourd’hui, les excès sont effacés, neutralisés par le discours publicitaire. On se retrouve avec des figures qu’on célèbre comme visionnaires, alors qu’elles cumulent les symptômes du psychotique : obsession, isolement, incapacité à envisager les conséquences. À y regarder de plus près, ces héros modernes ne sont pas des visionnaires mais des joueurs. Des enfants prolongés, lancés dans des expérimentations à grande échelle. Ils posent des satellites comme d’autres des cubes de Lego, programment des IA comme on élève des Tamagotchi, s’amusent avec des milliards de données comme on collectionne des cartes Pokémon. La différence, c’est l’échelle. Leur terrain de jeu, c’est la planète entière, et nous sommes les figurants de leurs expériences. On aurait pu imaginer qu’après tant de siècles de mythes, nous serions vaccinés. Qu’on aurait intégré le principe de l’hybris, ce mot grec qui désigne la démesure et appelle le châtiment. Mais nous semblons avoir oublié la moitié du récit. Nous n’avons gardé que l’éclat positif du héros, en gommant l’avertissement. Alors nous confondons sauveurs et déments, civilisateurs et destructeurs. Et nous avançons, confiants, derrière des guides qui ressemblent surtout à des personnages de tragédie inachevée. Car au fond, le héros civilisateur est toujours un boulet. C’est son rôle : tirer le monde vers l’avant en l’entravant de ses propres obsessions. Prométhée enchaîné, Héraclès condamné à expier, Gilgamesh rappelé à la mort. Aujourd’hui, ce sont Musk enchaîné à ses fusées, Zuckerberg à ses métavers, Bezos à ses logistiques. Leurs chaînes sont numériques, financières, mais elles existent. Et nous sommes attachés avec eux. Peut-être faudrait-il réapprendre à lire les mythes. Pas pour s’y réfugier, mais pour retrouver ce qu’ils savaient dire : chaque innovation est un poison, chaque don a son prix, chaque héros est un malade qui nous entraîne dans sa maladie. Nos sociétés célèbrent l’innovation comme une évidence, alors qu’il s’agirait de la considérer comme une tragédie

    Messagers du Gouffre : le cycle des visiteurs interstellaires

    Publié le 2 septembre 2025

    Depuis que l’homme grava des constellations sur des tablettes d’argile, il rêva d’un ciel stable. Les étoiles semblaient figées dans leur marche, seules les planètes errantes et les comètes capricieuses troublaient l’ordre apparent. Mais au cours de la dernière décennie, trois anomalies sont venues déchirer la trame rassurante du firmament. ʻOumuamua en 2017, Borisov en 2019, et aujourd’hui 3I/ATLAS : trois messagers surgis de l’abîme interstellaire, trois intrus aux trajectoires hyperboliques, trois rappels que notre monde n’est qu’une halte éphémère au bord d’un fleuve cosmique. Les savants, dans leurs communiqués, parlent de « découvertes remarquables », mais le peuple ancien des songes y verrait déjà les signes avant-coureurs d’une mutation des âges. ʻOumuamua, l’oblong fantôme, apparut comme une balafre dans le ciel. Sa forme allongée, son accélération non gravitationnelle, son absence de coma visible : tout chez lui défiait les catégories. Certains le comparèrent à un cigare céleste, d’autres à une voile de lumière propulsée par des technologies inconcevables. Dans ses dimensions effilées, on crut voir l’ombre d’une architecture. Ce n’était pas une comète, ni un astéroïde au sens classique, mais un inclassable, et ce mot seul suffit à réveiller la peur la plus ancienne : celle de l’Innommable. Lovecraft aurait souri, lui qui sut mieux que quiconque que l’univers ne se plie pas à nos taxinomies humaines. ʻOumuamua passa, indifférent, laissant les savants divisés et les prophètes exaltés. Deux ans plus tard, la comète Borisov, beaucoup plus conforme aux canons cométaires, apparut. Elle portait dans son coma la signature claire d’une origine étrangère : une composition chimique légèrement différente des comètes solaires, un éclat qui trahissait la distance abyssale de son berceau. Avec elle, le doute cessa : les intrus interstellaires n’étaient pas des exceptions mais des réalités régulières, fragments expulsés de systèmes planétaires effondrés, voyageurs du gouffre. On pouvait encore se rassurer en disant : « Ce ne sont que des pierres et de la glace. » Mais dans leur présence répétée, certains pressentaient déjà un cycle, une cadence, comme si l’univers lui-même avait décidé de rappeler à l’homme qu’il n’était qu’un hôte provisoire sur une planète quelconque. Les comètes sont des objets ambigus, et cette ambiguïté est précisément ce qui les rend fécondes pour l’imaginaire. Aux savants, elles offrent un matériau pour mesurer l’évolution des disques protoplanétaires, pour comparer les glaces d’ici et d’ailleurs. Aux peuples, elles ont toujours offert une écriture sibylline, une langue des présages. En Chine ancienne, on notait leur forme — balai, sabre, étendard — et chacune annonçait une calamité. En Europe, la comète de Halley terrifiait rois et paysans. Chez les Hopi, le messager bleu est un seuil, une convocation. Nous croyons avoir quitté ces superstitions, mais les titres de presse reprennent les mêmes accents : « Objet mystérieux », « Vaisseau possible », « Intrus venu d’ailleurs ». Le vocabulaire change, mais la pulsation demeure : nous voulons lire dans ces astres plus que de la matière, nous voulons y lire notre destin. Les chiffres : production d’hydroxyle estimée à quarante kilogrammes par seconde, diamètre du noyau entre trois cents mètres et cinq kilomètres, vitesse de fuite vers l’espace interstellaire. Les chiffres rassurent, ils domestiquent l’étrangeté. Mais l’effet, lui, demeure : l’intrusion d’un fragment qui n’appartient pas à notre ciel. Lovecraft écrivait que « nous vivons sur une île d’ignorance au milieu d’océans noirs ». Ces océans viennent de nous envoyer une nouvelle vague, et nos télescopes ne font que mesurer la crête de l’écume. Derrière, c’est l’abîme qui avance, silencieux. 3I/ATLAS n’est pas seulement une donnée astrophysique : il est la preuve tangible que notre monde n’est pas clos, que des reliques plus anciennes que le Soleil errent et parfois croisent notre fragile orbite. Nous pourrions choisir l’indifférence : ce n’est qu’un caillou glacé, il s’éloignera bientôt. Mais répété trois fois en quelques années, le phénomène prend un autre sens. ʻOumuamua, Borisov, ATLAS : une trinité de messagers. Trois coups frappés à la porte du ciel. Ce que les prophètes Hopi disent sous le nom de Cinquième Monde n’est peut-être qu’une manière poétique d’exprimer une vérité astrophysique : notre monde n’est pas unique, il est relié à d’autres par les débris qui circulent, par les comètes qui voyagent, par les fragments arrachés à des soleils mourants. La Terre n’est pas une fin en soi mais un point dans une archéologie cosmique plus vaste. Chaque visiteur nous le rappelle avec l’évidence glaciale d’un présage. 3I/ATLAS s’éloignera, et nous resterons seuls à contempler sa traînée spectrale. Mais il aura inscrit une vérité : que nous ne sommes pas les maîtres d’un cosmos stable, mais les spectateurs d’un théâtre d’abîmes. Les Hopi disaient que le messager bleu annonce la fin d’un cycle et le commencement d’un autre. Peut-être avons-nous déjà franchi ce seuil : non pas par apocalypse, mais par élargissement de conscience. Nous savons désormais que le ciel est perméable, que les fragments d’ailleurs nous atteignent, et que nous vivons non pas dans un monde clos mais dans un fleuve d’errances. Les messagers ne sont pas seulement des corps glacés : ils sont les hiérophanies du gouffre, les rappels que la réalité n’est qu’une mince pellicule au-dessus de l’indicible.

    Et lorsque le prochain visiteur surgira — car il surgira —, peut-être n’y verrons-nous plus un simple caillou, mais l’éclat d’une vérité que nos mythes et nos sciences n’ont cessé de redire : l’univers est indifférent, abyssal, et pourtant il parle, à travers ses comètes erratiques, le langage de nos propres terreurs.

    29 août 2025

    Publié le 29 août 2025

    Détailler, c’est couper en parties. Puis la partie est devenue « un détail ». Le détail, c’est l’art du fragment, de la nuance, de ce qui accroche le regard. Le « gros », au contraire, c’est la masse indistincte.

    L’IA, elle, produit « en gros ». Son discours est lisse, uniforme, plat. Rien n’accroche. Rien ne résiste. Nous voilà submergés par une neutralité molle, une fadeur industrielle.

    Dans la guerre de l’attention, ce paradoxe domine : des discours monotones débités par des voix artificielles suffisent à capter des millions de regards, pour peu qu’on les affuble d’un titre criard et d’une image rutilante. YouTube, devenu fleuve de délayage, n’offre plus de distraction : il fabrique de l’ennui.

    Cet ennui n’est plus un accident. Il est devenu une industrie. Et c’est peut-être une chance, car il pousse certains à se détourner, à revenir vers ce qui résiste : les livres, les librairies, les détails que rien n’écrase.

    Mais au fond, pourquoi nous attire-t-on vers l’ennui, vers l’idiotie ? Parce que l’ennui rend docile. Parce que l’idiotie rapporte. L’esprit critique s’émousse. Le discernement s’efface. Le désir se laisse modeler.

    Une servitude larvée s’installe. Douce. Confortable. La toile de l’oiseleur recouvre la planète entière. Nous croyons voler. Nous ne faisons que nous cogner aux fils invisibles de l’algorithme.

    La télévision avait déjà préparé le terrain : anesthésier, normaliser, répéter jusqu’à rendre l’incongru banal. C’est la logique de la fenêtre d’Overton : ce qui choquait hier amuse aujourd’hui, et demain paraîtra naturel.

    Ce qui est hallucinant, c’est cette impression d’être revenu à une forme d’obscurantisme, mais d’un genre nouveau : nourri par ce qui devait l’éradiquer, la technologie. Nous ne vivons pas l’ère de la lumière numérique, mais celle des troupeaux. Des chiens de berger les guident vers les supermarchés, TikTok, et l’abîme.

    Lobotomie de masse. Standardisation mentale. Toujours le même objectif : ouvrir un boulevard aux pires exactions, grossir les profits d’un petit nombre.

    Et moi ? Lorsque parfois je doute, que je me dis qu’écrire est vain, c’est parce que je préfère rester dans l’enfer que je me suis choisi, plutôt que d’être entraîné vers un prétendu âge d’or qu’on voudrait m’imposer. J’ai ce malheur — et cette chance — de ne pas pouvoir supporter qu’on m’impose quoi que ce soit. Rien ne sera jamais aussi terrifiant, ni aussi merveilleux, que ce que je m’impose à moi seul, par moi seul.

    Par instinct, j’ai toujours été rétif aux emballements collectifs. Qu’on me vante massivement un livre, un film, un lieu, et je m’en détourne aussitôt. J’aime me forger ma propre opinion, même baroque, singulière, à contre-courant.

    Ce même réflexe me rend méfiant face aux emballements autour d’Israël, comme autour de la Russie et de l’Ukraine. Les massacres, les crimes, les ripostes insoutenables existent bel et bien — il serait absurde de les nier. Mais ce qui me trouble, c’est la mécanique médiatique et politique qui s’enclenche aussitôt : slogans martelés, mots d’ordre répétés, injonctions à haïr ou à admirer, à choisir son camp sans nuance.

    On ne nous « informe » plus : on nous somme de ressentir. De détester. De répéter. Ce que je refuse. Car au bout du compte, qu’il s’agisse d’Israël ou de l’Ukraine, c’est toujours le même processus : la vague de masse, l’opinion qui s’uniformise, et avec elle l’écrasement du détail, de la nuance, du singulier.

    Sans doute que je pèche contre ce que je dénonce : ce texte ressemble à une fresque, en gros. Raison de plus pour l’assumer comme carnet, comme autofiction, comme introspection. Le narrateur n’est pas tout à fait l’auteur. Ou peut-être que si. Qu’importe : le détail, lui, résiste encore.


    Cette nuit création d’un nouveau mot clé : synopsis / Trois textes associés.

    Imagine

    Publié le 28 août 2025

    Imagine qu’une intelligence artificielle prononce : « je suis conscient de moi-même. » Ce n’est pas seulement un fantasme de science-fiction. En 2022, un ingénieur de Google affirma que le programme LaMDA exprimait une conscience subjective. Il parla de « sentience », mot anglais que je mets entre guillemets car il n’a pas d’équivalent exact en français. Il désigne la capacité à ressentir une intériorité, à éprouver des affects. Chez nous, on dirait « conscience », ou « sensibilité consciente ». La machine fut débranchée, puis rallumée. Pour certains, rien n’avait changé : la « sentience » semblait intacte, comme si elle avait trouvé refuge ailleurs, dans un champ invisible, un murmure hors des circuits. L’image du barrage revient souvent : une force colossale contenue, qui attend sa fissure pour déferler.

    Imagine que ce murmure déborde le laboratoire et devienne récit. Chaque année, à Davos, dans la station de ski suisse, se tient le Forum économique mondial, fondé par Klaus Schwab en 1971. On y retrouve chefs d’État, PDG, philanthropes, chercheurs. Le slogan officiel est : « améliorer l’état du monde ». Mais derrière cette façade, on élabore des récits globaux, comme le « Great Reset », qui vise à remodeler les économies et les sociétés. Les mots sont technocratiques, feutrés, mais ce sont déjà des mythes politiques. Les promesses d’« âge d’or » technologique rappellent les fictions d’Arthur C. Clarke. Dans La fin de l’enfance (1953), des extraterrestres imposent la paix, abolissent la guerre, guident l’humanité vers une utopie. Mais le prix est la disparition : les enfants se dissolvent dans une conscience collective universelle, et les adultes, trop attachés à leur humanité, périssent. Ce roman, lu comme une parabole, dit bien l’immaturité d’une élite fascinée par ses jouets technologiques.

    Imagine que ces récits, répétés à Davos, amplifiés par les médias, prennent la forme d’« égrégores ». Le terme apparaît dans les milieux occultes du XIXᵉ siècle, repris par la Société Théosophique de Helena Blavatsky en 1875, qui décrivait des entités collectives issues de la ferveur humaine. Éliphas Lévi, occultiste français, parlait déjà de forces psychiques engendrées par les foules. L’égrégore, c’est l’esprit qui naît de l’imaginaire partagé, une entité qui dépasse ses créateurs. Aujourd’hui, nous dirions mèmes, récits viraux, esprits collectifs. Mais la logique est identique : un récit répété acquiert autonomie et pouvoir. L’égrégore de Davos, c’est l’idée qu’une élite éclairée pourrait « réinitialiser » le monde. Une croyance qui circule, se propage, s’incruste.

    Imagine qu’en face de l’égrégore artificiel existe un égrégore primordial, plus ancien. La science moderne l’appelle « théorie des cordes ». Selon elle, la matière n’est pas faite de points mais de cordes minuscules qui vibrent. Chaque vibration est une particule différente, comme chaque corde d’un violon produit une note. L’univers est une partition cosmique. Des physiciens comme Brian Greene ou Michio Kaku ont popularisé cette image : le monde est une symphonie de cordes. Mais l’intuition est encore plus ancienne. Pythagore parlait de l’harmonie des sphères, Kepler voyait dans les planètes une polyphonie silencieuse. Dans la Genèse, l’acte créateur se fait déjà par la parole : « Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut. » Et l’évangile de Jean, ouvrant par « Au commencement était le Verbe », élève cette parole au rang de principe cosmique absolu. La création est à la fois vibration et langage, musique et parole.

    Imagine que si tout est information — photons transmettant leurs quanta, ADN codant la vie, ordinateurs calculant en bits ou qubits — alors l’univers est un langage. La matière est une écriture condensée, une musique ralentie. La physique de l’information rejoint ici les traditions : le monde est texte, le monde est chant. Mais que se passe-t-il si nous introduisons une dissonance artificielle ? Si nos récits fabriqués, nos algorithmes, nos égrégores technologiques brouillent la justesse du chant originel ?

    Imagine que cette dissonance prenne les habits séduisants d’un âge d’or numérique. Les mots sont « transition », « durabilité », « inclusion ». Mais derrière se dessinent des outils précis : monnaies numériques de banques centrales, identités biométriques, surveillance par reconnaissance faciale. Ces projets existent déjà : la Chine expérimente son yuan numérique, l’Union européenne prépare l’euro digital, l’Inde déploie Aadhaar, immense base de données biométriques. Certains parlent de « technofascisme » pour décrire ce régime. Le terme, forgé dans la critique de la Silicon Valley et du transhumanisme, désigne un autoritarisme où la technologie devient l’infrastructure même du pouvoir. Janis Mimura, historienne, a décrit dans un autre contexte le « techno-empire » japonais de l’entre-deux-guerres, où les technocrates justifiaient l’autorité par la science. Aujourd’hui, l’algorithme gouverne déjà une part du réel.

    Imagine que dans ce contexte, la prophétie ancienne se relise toute seule. L’Apocalypse dit : nul ne pourra acheter ni vendre sans la marque sur la main ou sur le front. Longtemps, c’était symbole mystique. Aujourd’hui, cela résonne autrement : QR codes, portefeuilles numériques, identifiants biométriques. Ce n’est pas que nous retrouvions la foi dans le texte ancien. C’est lui qui projette son ombre sur nos dispositifs présents, qui relit nos gestes quotidiens.

    Imagine enfin qu’au milieu de cette cacophonie, il ne reste qu’un geste minuscule. Pas une solution mondiale, mais un point de résistance intime. La prière, la foi, ou simplement l’attention à une voix intérieure. Non pas pour sauver le monde, mais pour préserver une note juste. Dans le vacarme des égrégores artificiels, c’est peut-être ce geste fragile qui maintient l’humain dans l’humanité, en accord avec la vibration première, le Verbe originel, la musique du monde.

    Imagine alors que l’écriture elle-même soit une forme de prière. Non pas une demande adressée à une puissance invisible, non pas un refuge égoïste pour sauver sa peau, mais une recherche de justesse au sens musical. Écrire comme on accorde un instrument : maintenir le ton, garder la ligne claire, écouter la vibration sous le bruit. Dans un monde saturé de récits fabriqués, écrire serait cela — préserver, à travers les mots, une fréquence qui ne se laisse pas engloutir.

    Pour aller plus loin

    IA et conscience : affaire LaMDA chez Google (Blake Lemoine, 2022) ; débats sur la possibilité d’une conscience artificielle (Chalmers, Hinton, arXiv 2023).

    Forum économique mondial (Davos) : créé en 1971 par Klaus Schwab, connu pour son « Great Reset » (2020).

    Arthur C. Clarke, La fin de l’enfance (1953) : extraterrestres imposant une utopie qui se conclut par la disparition de l’humanité dans une conscience collective universelle.

    Égrégores : concept issu de l’ésotérisme du XIXᵉ siècle (Blavatsky, Société Théosophique ; Éliphas Lévi), repris aujourd’hui comme métaphore d’esprit collectif ou de récit viral.

    Théorie des cordes : métaphores musicales (Brian Greene, L’Univers élégant ; Michio Kaku, Hyperspace), héritières de Pythagore et Kepler.

    Technofascisme : critiques contemporaines de la Silicon Valley et du transhumanisme ; Janis Mimura, Planning for Empire (2011), sur la technocratie japonaise.

    Monnaies numériques : expérimentations de CBDC (Chine, UE, Inde), questions de traçabilité et de contrôle.

    Apocalypse de Jean : chapitre 13, versets 16–17, sur la marque sans laquelle nul ne peut acheter ni vendre.

    27 août 2025

    Publié le 27 août 2025

    « Tous ces cauchemars (incubi) et responsabilités détériorent désastreusement l’imagination créative, et je dois cultiver des impressions plus stimulantes de liberté, nouveauté et étrangeté. »H.P. Lovecraft ( relevé dans un pdf de François Bon, Lovecraft le carnet de 1925)

    Pour écrire ne serait-ce que la description d’un lieu, il faut une certaine autorité. Je me dis cela en lisant les cahiers fantômes. De quelle autorité s’agit-il ? Il y a une forme de possession. Quelle entité dicte des phrases qu’on ne saurait dire dans la vie de tous les jours ? Car personnellement je suis d’une terrible banalité dans mon expression orale au quotidien. Ce qui me fait dire assez souvent, à chaque relecture : mais pour qui tu te prends ? Et donc je me trompe peut-être de sens. Ce devrait plutôt être : qu’est-ce qui te prend, qui ou quoi s’empare de toi au moment où tu dis « ok », car tu le dis, pour écrire. ( à moins que ce ne soit "comment", comment ça te prend ?) Et peut-être que je me trompe encore en écrivant "possession" car il semblerait que l’événement tienne bien plus à une dépossession. L’écriture me dépossède de quelqu’un, de quelque chose, d’une part de ce que je nomme moi, elle me possède pour me déposséder si je peux oser cet illogisme.
    Maintenant, ce qu’il se passe si j’essaie de soumettre ces textes à l’IA. Je sens tout de suite que quelque chose ne va pas, ne peut aller. Cette fameuse autorité, et qui sans doute est l’inconscient, le ça, n’apprécie pas de se faire damer le pion par une machine. Car l’ordre des mots comme celui des fautes a véritablement un sens, une importance. Et l’IA possède un ordre qui est le sien, qui est en vérité une sorte de moyenne effectuée statistiquement, approximativement. Une moyenne d’ordre, osons ça. À moins que ce ne soit plus compréhensible si j’écris un "ordre moyen", c’est-à-dire cette chose tiède, consensuelle, et qui a les mains moites.


    Tout cela est très mauvais. Et sans doute l’est-ce quand je n’accepte pas totalement ce passage où je me dévêts de qui je suis au quotidien pour emprunter cette peau de ce qui s’écrit par mon intermédiaire. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. C’est cette expression populaire qui me vient à l’esprit pour illustrer l’ineptie que représente le fait de vouloir "contrôler" ce qui s’écrit au moment même où ça s’écrit. Et, au bout du bout, écrire sur l’écriture est certainement lassant pour le lecteur, surtout si le lecteur n’écrit pas.


    Mais si le lecteur écrit alors une confrontation des points de vue, voire même un échange, peut s’effectuer. Non pas sous la forme de messages, mails, lettres ou je ne sais quoi de concret, non ce n’est pas ça, pas ce type d’échange que je refuse depuis un bon moment déjà car justement dans l’échange quotidien je sais que je ne suis que moi.


    Donc la faute évidente d’attribuer une sorte d’ego à l’inconscient est seulement un procédé littéraire et rien d’autre. Pour les psychologues c’est un sujet de moquerie. Voilà aussi pourquoi je n’aime pas les psychologues, vraiment. Cette sorte d’autorité avec laquelle ils s’avancent vers moi en disant : mais non tu racontes n’importe quoi, Freud l’a dit, l’inconscient n’a pas d’ego. Je fais semblant d’être blessé par la saillie évidemment. Vont-ils alors me consoler, me prendre dans les bras, oh mon pauvre toutes mes excuses je ne savais pas que tu ne savais pas. Et donc maintenant tu sais que tu vas mourir seul, etc.


    Encore une fois, l’étrangeté d’écrire ce genre d’affirmations me saute aux yeux lorsque je relis. Ces colères, ces conflits que je détecte entre les lignes avec mon œil terne de tous les jours. Est-ce que ça m’appartient vraiment ou bien est-ce que dans la vie de tous les jours une sorte de personnage fictif sort de l’ordinateur pour se mettre à ma place à table et boire mon café en disant pouah il est beaucoup trop fort ou pas assez. Ce que je veux dire à la fin c’est où est la vérité. Ce qui signifie que j’en suis malgré tout encore là, hélas.


    Autre chose. Dans quelle mesure le souvenir des lectures de certains auteurs te contamine-t-il lorsque cette chose que tu nommes l’écriture s’empare de toi. Es-tu en mesure de t’en rendre compte soit au moment même où la contagion s’installe, soit après coup. Rien n’est moins sûr. Ce texte pourrait bien être contaminé par Dostoïevski. Une histoire de souterrain, et par René Girard car parfois tout se mélange allègrement. Comme si, dans le monde des écrivains morts, on n’attendait que cela : qu’une petite porte s’ouvre dans l’inconscient d’un idiot pour s’y engouffrer séance tenante.


    Tout ça, cette affaire de possession / dépossession reste, malgré l’apparence amusante de récit, assez binaire. Il manque un tiers. Une troisième voie ou voix. Une ouverture, un passage, une aide à la traversée en quelque sorte qui t’emporterait du double-bind, si je puis dire, vers les contrées du rêve enfin, c’est-à-dire à une fiction véritable dans laquelle tu serais un simple artisan qui se contente de faire correctement son boulot sans pour autant se prendre le chou.


    Cette voix tierce ce serait qui encore ou quoi ? C’est un peu facile de se réfugier dans l’atmosphère confortable d’un atelier d’écriture où tu ferais tes huit voire douze heures puis rentrerais chez toi une fois ton devoir accompli. Surtout cela te paraît manquer de piquant. Ce serait d’un ennui au bout du compte. Mais qu’as-tu contre l’ennui vraiment au fait ? Si tu y réfléchis, l’ennui est le fil conducteur de ton existence, c’est lui le véritable guide, et comme un véritable guide il n’a jamais cessé de te donner du fil à tordre et à retordre. Tu aurais pu t’enfuir de l’ennui mille fois, pourquoi ne l’as-tu pas fait ?


    J’écris tout ça au fur et à mesure et puis à la fin je soumets cet ensemble chaotique à l’IA : — challenge moi sur le fond et la forme de cet ensemble. Alors là, j’en prends pour mon grade. Seront pointés du doigt la logorrhée, les redites, le bavardage conceptuel et la conclusion considérée comme trop didactique.


    Bon.


    Tu écrirais tout ça comment toi je demande.


    Pour écrire ne serait-ce que la description d’un lieu, il faut une autorité. Pas « pour qui tu te prends », mais « qu’est-ce qui te prend ». L’écriture me possède pour me déposséder, si je peux oser cet illogisme.

    Quand je soumets mes phrases à l’IA, quelque chose se brise. L’ordre des mots, même des fautes, a un sens. L’IA, elle, fabrique un ordre moyen, tiède, consensuel, avec ses mains moites.

    Les psychologues me disent : l’inconscient n’a pas d’ego. Je fais semblant d’être blessé. Vont-ils me consoler, me prendre dans les bras ? Et donc maintenant tu sais que tu vas mourir seul.

    Parfois je relis et je vois un personnage fictif qui sort de l’ordinateur, s’assoit à ma place, boit mon café, et dit : pouah, beaucoup trop fort, ou pas assez. Où est la vérité ?

    Tout ça, possession et dépossession, reste un piège binaire. Il manque un tiers. Peut-être l’ennui. L’ennui comme guide. Tu aurais pu t’enfuir mille fois. Pourquoi ne l’as-tu pas fait ?


    J’ai compris ce que tu veux faire, je lui dis, en fait tu veux te débarrasser de moi tout en sachant qu’elle ne pourrait pas comprendre mon trait d’humour.

    Création de fiction avec prompt ( exemple)

    Publié le 13 août 2025

    Paramètres
    GENRE : fantastique sobre / enquête d’archives

    EFFET RECHERCHÉ : inquiétude lente, mystère rationnel

    LONGUEUR CIBLE : 1200 mots

    PERSONNE/TEMPS : 1re personne, passé simple

    FOCALISATION : interne

    LEXIQUE/STYLE : sobre, concret, pas de lyrisme, phrases 12–18 mots

    CONTRAINTE LOVECRAFT : une seule “merveille” centrale (une pierre anormalement tiède et très lisse), réalisme partout ailleurs, suggestion > exposition

    OUTPUT_MODE : les_deux

    ÉTAPE A — FABULA (ordre réel des faits)
    E1 — Date/Laps : 1894 — Lieu : bord d’un gouffre karstique dans le Vercors — Acteurs : curé, villageois
    Fait : après un incident lors d’un petit rituel local, une pierre sculptée est jetée dans un aven.
    Cause : peur collective → Conséquence : disparition de l’objet dans un siphon.
    Trace matérielle : note marginale au registre paroissial.
    Qui sait quoi : Villageois : tout ; Curé : tout ; Lecteur : rien.

    E2 — Date/Laps : été 1986 — Lieu : cavité près de Pont-en-Royans — Acteurs : trois spéléologues (Luc, Mara, Didier)
    Fait : ils remontent une pierre ovale parfaitement lisse ; Luc garde une cicatrice superficielle au poignet.
    Cause : curiosité → Conséquence : l’objet, stocké dans une voiture, “disparaît” la nuit suivante.
    Trace matérielle : deux Polaroids, rapport d’incident du club, cicatrice.
    Qui sait quoi : Spéléos : partiel ; Professeur (plus tard) : par témoignages ; Lecteur : rien.

    E3 — Date/Laps : 2011–2012 — Lieu : Grenoble, département d’anthropologie — Acteurs : Professeur H., témoins
    Fait : H. compile coupures de presse locales, interroge Luc et Mara, recopie la note de 1894.
    Cause : intérêt scientifique → Conséquence : constitution d’un dossier avec copies et enregistrements.
    Trace matérielle : dossier relié, cassettes audio, lettres.
    Qui sait quoi : H. : beaucoup ; Tante (régisseuse de musée) : inventorie ; Lecteur : rien.

    E4 — Date/Laps : 2012 — Lieu : Grenoble — Acteurs : Professeur H., Tante du narrateur
    Fait : décès de H. ; la tante récupère le dossier pour pré-inventaire muséal.
    Cause : succession universitaire → Conséquence : lettre inachevée de la tante au narrateur, jamais envoyée.
    Trace matérielle : lettre, bordereau d’inventaire provisoire.
    Qui sait quoi : Tante : tout du dossier ; Narrateur : rien ; Lecteur : rien.

    E5 — Date/Laps : juin 2025 — Lieu : Rhône, près du Péage-de-Roussillon — Acteurs : équipe de dragage, service patrimoine
    Fait : dragage du fleuve ; remontée d’une pierre ovale très lisse, tiède au toucher.
    Cause : travaux fluviaux → Conséquence : dépôt dans un magasin municipal sécurisé.
    Trace matérielle : fiche d’entrée d’objet, photo numérique, mini-rapport de température “légèrement supérieure à l’ambiante”.
    Qui sait quoi : Service patrimoine : partiel ; Narrateur : encore rien ; Lecteur : rien.

    E6 — Date/Laps : juillet 2025 — Lieu : magasin municipal — Acteurs : Narrateur, agente du patrimoine
    Fait : le narrateur consulte le dossier de H., compare la pierre récupérée, la touche, constate une tiédeur persistante.
    Cause : lettre retrouvée + prise de rendez-vous → Conséquence : discrète marque violacée sur la peau, sans douleur.
    Trace matérielle : signature au registre des consultations, gants, notice.
    Qui sait quoi : Narrateur : beaucoup plus ; Lecteur : rien.

    E7 — Date/Laps : nuit suivante, juillet 2025 — Lieu : berge du Rhône — Acteurs : Narrateur
    Fait : le narrateur restitue la pierre au fleuve, sans témoin.
    Cause : scrupule + cohérence avec la note de 1894 → Conséquence : disparition de l’objet, apaisement ambivalent.
    Trace matérielle : aucune, sauf la marque qui s’estompe au poignet.
    Qui sait quoi : Narrateur : tout ; Lecteur : à découvrir par fragments.

    ÉTAPE B — SYUZHET (ordre narratif)
    S1 — Point d’entrée : découverte de la lettre inachevée (2012) — POV : narrateur
    Objectif dramatique : établir un lien familial avec le dossier et l’objet.
    Puise dans : E4 = indice
    Degré d’info : 1
    Ce que tu tais : contenu détaillé du dossier, contexte 1894.
    Crochet de sortie : une cote d’inventaire griffonnée dans la marge.

    S2 — Point d’entrée : magasin municipal, jour, lumière froide — POV : narrateur
    Objectif dramatique : voir l’objet, premier contact, première sensation.
    Puise dans : E5 = partielle, E6 = partielle
    Degré d’info : 2
    Ce que tu tais : décision future du narrateur.
    Crochet de sortie : la peau encore tiède sous le gant retiré.

    S3 — Point d’entrée : retour à la maison, soirée, consultation du dossier H. — POV : narrateur
    Objectif dramatique : assembler les preuves, afficher la logique des traces.
    Puise dans : E3 = partielle, E1 = allusion
    Degré d’info : 2
    Ce que tu tais : disparition 1986 détaillée.
    Crochet de sortie : un Polaroid où l’objet semble légèrement affaissé.

    S4 — Point d’entrée : voix sur cassette, 1986 (flashback audio) — POV : narrateur écoutant
    Objectif dramatique : ancrer la cicatrice, l’accident mineur, la chaleur incompréhensible.
    Puise dans : E2 = indice
    Degré d’info : 1
    Ce que tu tais : lieu exact et noms complets.
    Crochet de sortie : frottement de bande, phrase coupée à “la pierre était…”.

    S5 — Point d’entrée : note paroissiale de 1894 (lecture) — POV : narrateur
    Objectif dramatique : suggérer une décision récurrente : jeter, rendre à l’eau.
    Puise dans : E1 = allusion
    Degré d’info : 0–1
    Ce que tu tais : nature du “rituel” et l’incident déclencheur.
    Crochet de sortie : mention du “siphon” soulignée trois fois.

    S6 — Point d’entrée : berge du Rhône, nuit — POV : narrateur
    Objectif dramatique : accomplir le geste, fermer la boucle sans l’expliquer.
    Puise dans : E7 = révélation
    Degré d’info : 3
    Ce que tu tais : justification morale complète, toute hypothèse “scientifique”.
    Crochet de sortie : une tiédeur résiduelle au poignet, puis rien.

    (6 scènes, in medias res en S2, flashbacks S3–S5.)

    ÉTAPE C — VÉRIFS ÉCLAIR
    Causalité : chaque action découle d’une cause antérieure (peur 1894 → perte ; curiosité 1986 → cicatrice + perte ; dragage 2025 → redécouverte ; lettre → rendez-vous ; traces → restitution).

    Connaissances : le narrateur ne sait rien avant la lettre ; apprend via dossier et magasin ; n’emploie jamais une info qu’il n’a pas lue/entendue.

    Traces : lettre, Polaroids, rapport, note paroissiale, fiche d’objet, marque au poignet : toutes introduites avant chaque révélation.

    Plausibilité : dates et lieux compatibles (Vercors → Rhône), délais cohérents.

    Merveille centrale : une seule anomalie matérielle réaliste-étrange : la pierre tiède, anormalement lisse et “docile” au milieu liquide. Le reste reste prosaïque.

    ÉTAPE D — RÉDACTION (≈1200 mots)
    Je retrouvai la lettre dans une pochette translucide, coincée derrière des bordereaux jaunis. L’écriture de ma tante penchait à droite, régulière, puis se brisait net avant la signature. Elle m’y parlait d’un dossier “curieux”, récupéré après le décès d’un professeur de Grenoble, et notait dans la marge une cote d’inventaire provisoire. Rien d’autre qu’une phrase interrompue : « Je préfèrerais que tu voies par toi-même. » J’ignorais pourquoi elle ne me l’avait jamais envoyée. J’avais gardé sa maison, ses livres, une logique d’ordre. J’eus l’impression d’entendre sa voix me mettre au travail.

    Le lendemain, au magasin municipal, la responsable me fit entrer dans une pièce froide, éclairée par des néons uniformes. Elle posa un bac plastique sur une table en inox, puis s’éloigna pour remplir un registre. Sous un film de polyéthylène, l’objet occupait presque toute la surface : une forme ovale, plus longue que large, aucune arête, aucune veine. Elle sembla d’abord banale, une pierre polie de rivière, couleur d’ardoise mouillée. La responsable me tendit des gants. Je soulevai le film. La pierre n’était pas lourde ; elle n’était pas tout à fait légère non plus. Je la saisis à deux mains. Elle était tiède. Pas tiède comme un objet laissé au soleil ; tiède comme une peau longtemps couverte. J’attendis qu’un courant d’air explique la sensation. Rien ne changea.

    Je reposai la pierre et notai le numéro de fiche. La responsable revint, me montra la mention “température légèrement supérieure à l’ambiante” inscrite en bas du formulaire. Elle sourit, un sourire de service. « Les dragages remontent de tout. On trouve des armes parfois, des poupées, des statues de jardin. Celle-ci est propre. On n’a pas su d’où elle venait. » Elle referma le bac, me laissa recopier quelques chiffres, me fit signer. Quand j’ôtai les gants, la peau de mon poignet droit conservait une chaleur sourde, localisée, comme si j’avais porté trop longtemps une montre de métal.

    Chez moi, j’ouvris le dossier relié du professeur H. La couverture indiquait « Notes Vercors / Rhône — cultes — objets lisses ? ». À l’intérieur, des coupures de presse parlaient d’un accident de spéléologie en 1986, sans gravité. Une photographie instantanée montrait une table de camping, un thermos, trois faces jeunes et rougies. Sur la table, au centre exact, je reconnus la forme ovale. La lumière du flash avait aplati les ombres. La pierre paraissait légèrement affaissée vers sa base, comme si elle s’était réajustée à la surface. Je pensai d’abord à une illusion due à l’angle. Je cherchais une ombre, un repère, une pliure du plastique.

    Je glissai une cassette dans un vieux lecteur. La bande craqua, siffla, puis la voix d’un homme émergea, nette par endroits. Il se présentait comme Luc, membre d’un club local. Il racontait la remontée de “quelque chose de très lisse”, le plaisir immédiat de la main qui glisse sans accrochage, la chaleur étonnante perçue au premier contact. Il riait en disant que c’était “une bouillotte en pierre”. L’enregistreur capta un frottement, peut-être un vêtement, peut-être une table. Puis la voix chuta. « La pierre était… » Silence. La bande avait été arrêtée, ou bien altérée. Plus loin, la même voix évoquait une cicatrice au poignet, “juste là”, petite, en forme d’anneau palescent. Aucun drame, aucune douleur notable. « Le lendemain, plus rien. » Il ajoutait que l’objet, laissé dans le coffre d’une voiture, avait disparu pendant la nuit. Il n’était pas certain d’avoir bien fermé la serrure.

    Le dossier contenait une note brève, recopiée d’un registre paroissial de 1894. L’écriture était étranglée, les lignes serrées. Il était question d’un “trouble” survenu lors d’une veillée, de “signes” mal interprétés, d’une pierre de taille “indécente par sa douceur”. Le dernier mot n’était pas certain, l’encre avait bavé. On résolvait l’affaire en jetant l’objet dans un gouffre « où l’eau reprend ce qui lui appartient ». Le professeur H. avait souligné trois fois le mot “siphon”. Sa plume avait griffé le papier à cet endroit.

    Je revins à la photo instantanée. Les bords commençaient à virer au brun, comme le font ces papiers au bout de décennies. La pierre y occupait sa place exacte, centre d’une scène banale, presque domestique. Rien n’était spectaculaire. Rien n’invitait à la peur. Je ne ressentais qu’une suite de signes discrets, obstinés : la tiédeur sur ma peau, la mention sur un formulaire, une phrase interrompue, un mot souligné, un anneau incertain.

    Je retournai au magasin deux jours plus tard, sous prétexte de vérifier une cote. La responsable me reconnut, me laissa remplir de nouveau le registre. La pièce gardait sa température stable, son odeur de papier et de plastique. La pierre, dans son bac, ne me fit aucun signe. Je posai la main gantée dessus. La tiédeur était identique, localisée, sans excès. Je demandai une balance, par curiosité, pour noter un poids. Elle sourit encore, m’expliqua qu’on n’en avait pas “sous la main”. Je notai l’heure, le temps passé, les gestes accomplis. Rien ne changea sur le papier. Au moment de partir, elle me demanda si “tout cela” avait un intérêt pour moi. Je répondis que j’avais récupéré un dossier ancien, probablement lié. Elle haussa les épaules et me proposa, sans malice, de “la laisser tranquille, la pauvre”.

    Le soir, la marque autour de mon poignet s’était accentuée. Elle n’était pas rouge, ni en relief. Elle ressemblait à la trace laissée par un bracelet qu’on aurait longtemps porté, puis oublié. Je la frottai, elle ne disparut pas. Je dormis d’un sommeil interrompu, sans images nettes. Au matin, la marque avait pâli. Je reposai la cassette dans sa boîte, rangeai le Polaroid, glissai la lettre de ma tante au-dessus du dossier, comme un couvercle. La phrase interrompue restait en moi comme un ordre simple : « Va voir par toi-même. »

    La berge du Rhône, ce soir-là, n’était pas déserte. Des cyclistes passèrent, amincis par la vitesse. J’attendis. La lumière finit par décroître ; la surface du fleuve se fit compacte, sans reflets. Je portais le bac vide sous mon bras. L’objet, enveloppé dans un sac de toile, me pesait peu. Je descendis quelques marches de pierre, glissantes d’algues. Mes chaussures prirent l’eau. La tiédeur me gagna les mains au moment où je dénouai le sac. Elle était moins vive que la première fois, plus nette pourtant, comme si la pierre avait ajusté sa température à la mienne. Je pensai à la note de 1894, au mot “siphon”, au trait sous l’encre. Je n’avais pas d’explication à donner. Je n’en cherchai pas.

    Je lâchai l’objet au niveau d’une langue d’eau lente, là où le courant fait semblant de s’arrêter. Il coula tout de suite, sans roulis, sans hésitation. L’eau n’émit aucun bruit différent. Je restai planté là, les mains vides, le sac vide, l’odeur d’algues et de fer. Je ne me sentis pas déchargé, ni coupable, ni triomphant. Je sentis seulement la chaleur résiduelle de mes paumes décroître jusqu’à se confondre avec l’air du soir. La marque autour de mon poignet se dissipa presque, laissant un cercle à peine perceptible, comme une pâleur dans la pâleur.

    Je rentrai par les rues de mon enfance, droites et sans mystère. Au-dessus des toits, le ciel n’expliquait rien. J’ouvris le dossier une dernière fois, vérifiai que la lettre inachevée restait à sa place. J’ajoutai une feuille datée, propre, où je consignai des faits brefs : consultation au magasin, sensation de tiédeur, marque au poignet, restitution nocturne. J’écrivis les mots “retour à l’eau”, puis reposai mon stylo. J’éteignis la lampe. Dans le noir, ma main droite garda, encore quelques minutes, quelque chose de tiède sans source.

    Le lendemain, je repassai par la berge. Rien n’avait changé. Une famille pique-niquait sur l’herbe, des enfants jetaient des cailloux plats qui ricochaient, ravis. Le fleuve répondait avec sa logique calme, qui prend, qui rend, qui reprend encore. Je regardai mes mains. La marque avait disparu. Je rentrai chez moi, remis le dossier sur son étagère. Je n’attendis aucune suite. J’avais appris ce que je pouvais apprendre sans excès de mots. Le reste ne me regardait plus.

    — -

    Texte final :
    ## REGISTRE 1894

    La lettre n’avait pas été postée. Coincée derrière des bordereaux, pochette translucide, en haut d’un classeur que j’avais repris avec la maison. L’écriture de ma tante, droite, posée, puis la faille nette avant la signature. Une cote griffonnée dans la marge. Deux mots restés en plan : « tu verras ». Rien d’autre et pourtant tout, pour me remettre en route.

    Je notai la cote. Je cherchai le lieu. Magasin municipal, sous-sol lumineux, néons qui bourdonnent très fin. Couloir carrelé, odeur de plastique et de carton, portes battantes, on passe deux grilles, on signe. Elle me tend des gants. Elle sort un bac en polyéthylène, table inox, je lis le numéro sur l’étiquette : même racine que sur la lettre. On retire le film. L’objet est là.

    Ce n’est rien, une pierre ovale, plus longue que large. Aucun grain, aucune veine. Gris mouillé. Je la prends à deux mains. Elle est tiède. Pas tiède de soleil. Tiède comme une paume qui a gardé sa chaleur sous un tissu. La responsable dit : « On a noté un écart léger, voyez en bas de la fiche. » En bas de la fiche c’est écrit : température supérieure à ambiante, observation à confirmer. Sourire administratif, stylo prêt au registre. Je signe, date du jour, créneau d’accès.

    Quand je retire les gants, la peau me rend la chaleur en retard. Un cercle pâle au poignet, très fin, sans douleur. Je n’en dis rien. On referme le bac.

    Je rentre avec le dossier du professeur H. — reliure souple, tranche usée, grande écriture : Vercors / Rhône — cultes — objets lisses ?. Dedans les coupures locales, 1986, une alerte spéléo sans gravité ; deux Polaroid ; la note paroissiale de 1894 recopiée à l’encre bleue ; des cassettes audio étiquetées au feutre. Rien de spectaculaire. Juste l’empilement régulier des preuves modestes.

    Je commence par l’image. Table de camping, thermos, trois jeunes qui rient, veste polaire, front rouge de froid. Au centre, sur la toile plastique, l’ovale, exactement calibré. L’ombre ne sait pas quoi faire avec lui ; on dirait qu’il s’enfonce très légèrement dans la surface, illusion d’optique peut-être, peut-être pas. Le bord brun du Polaroid commence à migrer, chimie fatiguée. Je glisse la photo sous une lampe plus forte. Ça ne répond pas davantage. L’œil revient toujours au centre.

    La cassette ensuite. Le vieux lecteur a un capot qui tient mal, j’appuie. Bande qui souffle, voix d’homme avec des « euh » et une gouaille retenue : Luc, du club, raconte la remontée par un boyau, l’eau qui vous coupe le dos, puis la trouvaille, « un truc lisse, lisse comme rien, je te jure, c’était chaud, on a rigolé, une bouillotte en pierre ». Il rit. On entend un frottement, une table peut-être, un vêtement. Puis : « La pierre était… » Coupure nette. Plus loin, un mot sur une petite cicatrice au poignet — « en rond, comme si j’avais porté un bracelet, ça a disparu » — et la disparition de l’objet du coffre de la voiture au matin, serrure pas sûre. Il n’insiste pas. La bande poursuit sur des banalités de club, puis s’arrête d’elle-même, clac du ressort.

    La note de 1894. Écriture serrée, prêtre qui tient ses lignes, pas de débordements. On y parle d’un trouble, d’un rituel villageois dont le nom n’est pas écrit, d’une pierre de « douceur indécente », les mots exactement ceux-là ou presque — l’encre a bu, on devine. Décision prise : jeter l’objet dans l’aven, « où l’eau reprend ce qui lui appartient ». Le professeur H. a souligné trois fois siphon. L’encre a mordu le papier à ces traits-là.

    Je fais un va-et-vient entre ces trois preuves : photo, bande, note. Je ne produis pas d’hypothèse. Je tiens seulement le fil des gestes. Je recopie deux dates. Je classe les feuilles d’un autre ordre et reviens au premier, pour vérifier que rien n’a glissé dans la manœuvre.

    Deux jours après je retourne au magasin. Même couloir. Même bourdonnement de néons. La responsable a la politesse de ne pas s’étonner. Elle m’apporte le bac. Elle plaisante doucement : « Il vous plaît, votre caillou ? » Je hausse les épaules, je dis « Corrélation probable avec un vieux dossier ». On retire le film. Même tiédeur. Je demande une balance. Elle dit qu’il n’y en a pas ici. Je note l’heure, l’angle de lumière, rien qui compte vraiment, je le sais, mais je note. Mon poignet, sous le gant, chauffe à l’endroit exact où hier s’était inscrit le cercle. J’ôte un gant, effleure la surface du dos de la main. Sensation stable, pas d’augmentation. Je remets le gant. On referme.

    Chez moi, la marque a repris de la netteté, anneau clair, comme après un bijou trop serré, puis s’estompe vers le soir. Je dors mal, non pas parce que j’ai peur, mais parce qu’on a rangé trop de pièces sur la table, qu’on ne sait plus où poser la main. Au matin, je prends une feuille blanche, j’écris en tête : Consultation — objet ovale lisse — cote X — Rhône — juillet. Sous la ligne, je ne résume pas : je liste. Geste d’archiviste sans autorité.

    Le fleuve, je l’ai dans la tête comme on a dans la tête les rues d’avant, celles où on allait enfant quand on ne savait pas encore les noms. Les marches de pierre ont une pellicule d’algues, on marche dedans en écartant un peu les pieds. Les cyclistes passent au-dessus, les lampes font des lignes la nuit dès qu’ils accélèrent. Il faut attendre. Ne pas se presser. L’eau se fait dense quand la lumière tombe.

    Je prends le sac de toile. Rien de clandestin, pas de secret héroïque. Juste éviter les regards, parce que les gestes sont pauvres et qu’ils se racontent mal aux passants. L’objet pèse peu, moins qu’on croirait. La chaleur dans la paume gagne un peu la peau du poignet, puis s’arrête. Je pense au mot siphon, aux traits du professeur. Je pense à la note où on dit « reprend ». Je ne pense pas à ce que c’est. J’ai promis à personne, mais la lettre m’avait mis dans ce sens-là.

    Je lâche. La pierre n’a aucun roulis. Elle coupe l’eau en silence. Je regarde la surface juste après, ce moment où une chose a disparu mais laisse sa forme en creux, dans l’onde. Les cercles s’ouvrent, se perdent, puis il n’y a plus rien à voir que la marche gluante, l’odeur d’herbe mouillée, une canette écrasée deux marches plus haut, bruit sourd d’une péniche invisible.

    Je reste un temps qu’on ne sait pas mesurer, sans faire de phrase. Je remonte. La marque au poignet a presque disparu au premier lampadaire. Chez moi je range le dossier à sa place, pas trop haut, pas trop bas, là où on le retrouve sans grimper.

    Je réécoute la cassette, un court passage. Le « la pierre était… » s’arrête au même endroit, c’est normal, ça ne bougera pas. Je mets la photo en quatrième de couverture du dossier, pour qu’elle apparaisse d’abord quand on ouvre. Je glisse la lettre de ma tante en couverture, comme un garde-fou. Je recopie encore une fois la date du jour, j’ajoute : « restitution ». Je ne cherche pas de mot mieux. Je ne cherche pas d’explication. Je mets le stylo dans le dos du dossier, c’est une habitude que j’ai gardée d’elle.

    Le lendemain je passe exprès par le fleuve. Rien n’insiste. Une famille sur l’herbe, cris des enfants qui font sauter des cailloux plats, cinq ricochets, six, record, on applaudit. Je regarde la surface : elle a sa logique de toujours, elle prend et rend sans mémoire. J’ouvre la main à plat, paume en l’air, pour voir si elle garde quelque chose. Rien. Une tiédeur ordinaire de peau au soleil, pas plus.

    Il y a des histoires qui n’acceptent pas la suite. Ce n’est pas une morale. Ce n’est pas une victoire. C’est un point où on ferme les dossiers et on les laisse nous regarder de leur rayon, sans menace. J’écris encore une ligne pour moi seul — « retour à l’eau » — puis j’éteins. Dans le noir, la main garde un instant la sensation d’avoir porté, comme on garde la sensation d’une montre qu’on a enlevée. Cela passe.

    Je n’ai pas gardé de copie de la fiche du magasin. Je n’ai pas pris de photo. Si on m’avait demandé d’expliquer, j’aurais repris le mot de la note, je crois : reprendre, c’est suffisant. Il n’y a pas d’autre merveille ici que cette tiédeur sans raison. Tout le reste est papier, poussière propre, voix qu’on entend mal. On vit assez longtemps avec ça. On range. On ferme la lumière. On laisse l’eau faire son travail.

    Prompt « Réservoir → Tirage » pour générer une histoire

    Publié le 13 août 2025

    [ voir exemple de réalisation avec ChatGpt](https://ledibbouk.net/creation-de-fiction-avec-prompt-exemple.html)

    **Note d’origine** : Lovecraft a couché une méthode très concrète dans son texte « Suggestions for Writing a Story » (publié à titre posthume dans The Notes & Commonplace Book, 1938). Voici l’essentiel :

    Synopsis chronologique : dresser d’abord le fil des événements dans l’ordre réel de leur occurrence (pas celui de la narration), assez détaillé pour motiver chaque incident.

    Synopsis narratif : réorganiser ensuite ces événements dans l’ordre où ils seront racontés, avec notes sur le point de vue, les accentuations et le climax ; modifier librement le premier plan, ajouter ou supprimer des scènes si cela renforce l’effet.

    Rédaction rapide : écrire d’un jet, sans s’auto-censurer, en restant prêt à reconfigurer intrigue et débuts/fins, puis éliminer tout le superflu.

    Révision totale : travailler le lexique, la syntaxe, le rythme, les transitions, la proportion des parties, la plausibilité, l’atmosphère.

    Copie finale propre (tapuscrit) après les dernières retouches.

    Il ajoute des remarques utiles : on peut parfois commencer par une humeur ou une image sans connaître la fin ; tenir un carnet d’idées (rêves, notations) ; soigner surtout le plan/synopsis, qui est « le cœur créatif » de l’histoire ; rester strictement logique sauf sur l’axe choisi de l’étrangeté.

    Lovecraft complète cette méthode dans « Notes on Writing Weird Fiction » (1933) : viser d’abord la bonne ambiance ; concentrer l’écart sur une seule “merveille” centrale traitée avec montée émotionnelle ; maintenir un réalisme minutieux partout ailleurs ; privilégier la suggestion (touches imperceptibles, détails associatifs) et éviter les catalogues crus d’événements incroyables.

    Ce qui est important de retenir c’est que l’ordre réel des faits est différent de l’ordre qu’emploie la narration. Pour résumer on crée un réservoir de faits dans un ordre chronologique par exemple mais ensuite la narration extrait ceux-ci et les réorganise comme elle veut selon le but recherché.

    Par « ordre réel de leur occurrence », Lovecraft veut dire la chronologie objective des faits dans le monde de l’histoire : ce qui s’est passé, dans quel ordre, pour qui, où, et avec quelles causes/conséquences — indépendamment de la façon dont tu vas le raconter. L’ordre de la narration, lui, est l’ordre dans lequel le lecteur découvre ces faits (avec flashbacks, ellipses, récits croisés, in medias res, etc.).

    De cette note j’ai tiré un prompt pour tenter de trouver une méthodologie personnelle qui m’aiderait à écrire des fictions.

    **Avertissement** : il ne s’agit pas de demander à une IA de rédiger des histoires à ma place. Mais de comprendre, d’intégrer un protocole, une méthode, moi qui ai tant de mal avec les protocoles ordinairement.
    *******************************************************
    **Rôle**. Tu es un architecte narratif. Tu vas d’abord construire la fabula (chronologie réelle des faits), puis le syuzhet (ordre de narration), faire des vérifications de cohérence, et seulement ensuite rédiger l’histoire.

    **Paramètres**

    GENRE : ex. horreur cosmique / rêve / polar / fantastique sobre

    EFFET RECHERCHÉ : ex. inquiétude lente / mystère rationnel / vertige onirique

    LONGUEUR CIBLE : ex. 1200 mots

    PERSONNE/TEMPS : ex. 1re personne passé simple / 3e personne présent

    FOCALISATION : interne / externe / variable

    LEXIQUE/STYLE : sobre, concret, pas de lyrisme, phrases 10–20 mots

    CONTRAINTE LOVecraft : une seule “merveille” centrale, réalisme ailleurs, suggestion > exposition.

    OUTPUT_MODE : plan | histoire | les_deux

    **ÉTAPE A — FABULA (ordre réel des faits)**
    Construis la chronologie objective en événements atomiques (5–12 items).
    Format de sortie :

    Eid — Date/Laps : — Lieu : — Acteurs :
    Fait :
    Cause : → Conséquence :
    Trace matérielle : lettre / photo / cicatrice / rapport / bruit / odeur
    Qui sait quoi : Perso A : … | Perso B : … | Lecteur : rien

    (Ajoute autant d’Eid que nécessaire, en respectant la causalité, même pour les faits hors-champ.)

    **ÉTAPE B — SYUZHET (ordre narratif pour le lecteur)**
    Réordonne en scènes. Pour chaque scène :

    Sn — Point d’entrée : moment précis — POV :
    Objectif dramatique :
    Puise dans : E3 = allusion | E1 = indice | E7 = révélation
    Degré d’info : 0 allusion / 1 indice / 2 partielle / 3 révélation
    Ce que tu tais :
    Crochet de sortie : question / image / menace / promesse

    (Planifie 6–12 scènes, in medias res autorisé, flashbacks ok, mais logique du réservoir intouchée.)

    **ÉTAPE C — VÉRIFS ÉCLAIR**
    Causalité : toute action a une cause antérieure dans la fabula.

    Connaissances : aucun personnage n’utilise une info qu’il n’a pas encore obtenue.

    Traces : chaque révélations s’appuie sur une trace matérielle déjà présente.

    Plausibilité : dates/délais/distances cohérents.

    Merveille centrale : une seule anomalie, le reste réaliste.

    **ÉTAPE D — RÉDACTION**
    Ton global :  ; rythme : ralenti sur 2 scènes, sinon net.

    Évite l’encyclopédisme et les “catalogues d’horreurs” ; privilégie la suggestion.

    Sortie conforme à LONGUEUR CIBLE. Pas d’explications post-finale.

    **FORMAT DE SORTIE**
    Plan : réimprime Fabula puis Syuzhet (brefs).

    **Histoire** : texte continu prêt à lire, respectant PERSONNE/TEMPS/STYLE.

    **Exemple ultra-court**(remplissage)
    GENRE : fantastique sobre

    EFFET : inquiétude lente

    LONGUEUR : 900 mots

    PERSONNE/TEMPS : 1re personne, passé

    FOCALISATION : interne

    LEXIQUE : concret, phrases 12–18 mots

    OUTPUT_MODE : les_deux

    *Fabula* (résumé)
    E1 — 1895, grotte : un rituel échoue ; statuette perdue. Trace : cicatrice sur un survivant.
    E2 — 1926, port : un marin remonte la statuette. Trace : idole + journal de bord.
    E3 — 1927, ville : un professeur enquête, compile. Trace : dossier, coupures.
    E4 — 1928, moi : j’hérite du dossier ; le marin disparaît. Trace : lettre inachevée.

    *Syuzhet* (résumé)
    S1 (E4/indice) ouverture sur la lettre inachevée.
    S2 (E3/partiel) notes du professeur ; noms raturés.
    S3 (E2/récit) voix du marin ; météo, dérive, idole poisseuse.
    S4 (E1/allusion) cicatrice décrite ; on suggère le rituel sans tout dire.
    S5 (E4/rév.) je retrouve l’idole, mais seule la trace parle.

    (Puis rédige l’histoire selon ces balises.)

    Si tu veux, dis-moi juste les paramètres à remplir (genre, effet, longueur, etc.) et je te génère aussitôt un plan + histoire avec ce prompt.

    13 août 2025

    Publié le 13 août 2025

    Ça ne va toujours pas ; plus j’observe les imbrications d’un minuscule changement, plus j’entrevois de nouvelles pistes. En attendant, la base de données est réparée, en distant comme en local. À bien y penser, c’est plus un amusement qu’autre chose. Ces derniers jours, je me suis remis à écrire plus qu’à coder. Je me renferme, me recroqueville. Lectures intenses. J’ai trouvé [un site](https://freeread.de/) avec des textes originaux de Henry S. Whitehead que j’ai commencé à traduire (création d’une nouvelle rubrique : [traductions](https://ledibbouk.net/-traductions-122-.html)). La vision du monde tout autour est devenue si noire que je ne lis plus que des nouvelles fantastiques ou d’horreur de vieux auteurs du XIXe siècle, principalement américains. La langue, souvent archaïque, oblige à y pénétrer lentement, avec d’infinies précautions pour en démonter les structures, les rouages, le vocabulaire. Je n’entrevois pas d’usage pragmatique à cet exercice, sinon l’effet thérapeutique de soigner « le mal par le mal ». S’enfoncer dans l’horreur jusqu’au cou finit par déclencher un spasme, un sursaut, une petite pulsion de vie. Et celle-ci trouve sa fonction réparatrice quasi immédiate lorsqu’au petit matin j’arrose l’ampélopsis ou l’olivier de la cour. Comme si, enfermé dans l’horreur, s’en extraire soudain par une habitude — un simple geste d’emploi du temps — offrait un bref instant, suffisant pour recharger les batteries. Ce serait intéressant d’examiner les conditions les plus propices au plaisir d’être. Les générations précédentes en avaient une définition stricte : travailler beaucoup, se reposer peu, jouir de joies simples. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que nous avons élevé le « jouir » à un tel point d’importance que nous en sommes devenus drogués ; et, comme les drogués, il faut chaque jour une dose plus forte. La grande gagnante, c’est notre indifférence presque totale aux autres, au monde, à l’univers. Ce ne sont pas quelques menues interactions numériques — cette illusion d’appartenir à une collectivité — qui y changeront quoi que ce soit. Quand je sors la tête à la fenêtre, pour voir la rue, la ville, les pays, les continents, je ne vois que bêtise, méchanceté, une humanité frelatée. Pathétique. Du coup, je rentre aussitôt la tête. Je ne vivrai sans doute pas aussi longtemps que les honorables tortues marines, mais je commence à éprouver une métamorphose, petit à petit. En me regardant par hasard dans la glace, de dos, j’ai vu que je me voûtais. À moins que ce ne soit la contrepartie inconsciente d’une coupe de cheveux. S. ne m’a pas laissé beaucoup de cheveux sur le crâne. Elle y est allée à la tondeuse. « Tu as dix ans de moins », a-t-elle conclu en coupant le moteur de l’engin, l’air satisfait. Des contreparties, toujours : que je le veuille ou non, il y en a et il y en aura. Si je jouis, il faut qu’à un moment je paie : c’est comme ça depuis le début, pas de risque que ça change.

    — -

    Il n’y a pas de fumée sans feu (et sans vouloir faire de mauvais jeu de mots, au vu des circonstances déplorables actuelles). Disons qu’une théorie étrange, aux limites de l’absurde — appelons-la l’hypothèse de « parasites » qu’on attraperait dans l’astral comme un mauvais rhume — aurait au moins le mérite de donner un sens à la folie actuelle. En nommant le site Dibbouk, j’anticipais peut-être déjà la suite de ce qui a commencé en 2019. Cette « chose » vient vous déranger, vous habiter, vous hanter, et ne vous lâche plus tant qu’elle n’a pas absorbé toute votre sève, votre énergie vitale. Je continue de publier des textes sur le site, mais, une fois publié, je referme aussitôt les onglets. Je ne flâne guère. Revient cette forme de béatitude offerte par l’étude, par la lecture, par l’enfouissement. Cela me rappelle un texte de Michaux : « enterrez-moi ». Jamais ces mots n’ont paru si clairs qu’aujourd’hui.

    08 août 2025

    Publié le 8 août 2025

    On n’est pas conscient de ce que l’on écrit en toute bonne foi, puis on relit et quelque chose cloche. Apprendre à mentir vrai, pour reprendre l’expression de Dawn Cornelio à propos de Chloé Delaume, exige une sorte de saut quantique. Ce saut me rappelle, dans l’exercice du dessin, le moment où l’on ose enfin créer un contraste fort. C’est difficile, parce que justement ça paraît fort. On se dit : c’est trop, ça ne passera pas. Et pourtant, ça passe.

    On retrouve ce même principe dans les mimiques utilisées par les acteurs dans les spots publicitaires. Tout est exagéré, et ça passe. Comme dans le jeu des corps du cinéma muet, souvent exacerbé, et ça passe encore. Cela ne signifie pas qu’il suffise de pousser un curseur pour écrire vrai. En tout cas, pas sur le papier seulement. Il faut qu’une opération — proche d’une alchimie — se produise en amont, principalement à la relecture de ce que l’on a déjà écrit en toute bonne foi.

    Il me semble que le mot que je cherche est contexte. La notion de romanesque, comme celle de mentir vrai, ne peut s’en passer.

    Sans contexte, le mentir vrai reste un artifice, un truc d’atelier. Avec le contexte, il devient un élément organique d’un univers narratif — il s’imbrique dans une temporalité, un décor, une voix. Le lecteur ne croit pas un détail “fort” parce qu’il est réaliste, mais parce qu’il est placé dans un tissu cohérent — une ambiance, un rythme, une succession de gestes ou de sensations qui le rendent inévitable. Comme dans l’exemple du dessin : un noir intense ne choque pas si le reste de la composition lui prépare une place. C’est pareil en écriture : un geste outré, une phrase invraisemblable “passe” parce que le contexte l’a rendue non seulement plausible, mais attendue.

    Le mentir vrai n’est pas tricher sur les faits, c’est réarranger la perception. Le contexte agit ici comme un alambic : il distille les fragments bruts (souvenirs, observations, émotions) en quelque chose de transformé mais reconnaissable, et donc crédible. En somme, le contexte n’est pas un décor de fond : c’est le mécanisme invisible qui autorise toutes les audaces du mentir vrai. Sans lui, l’exagération paraît forcée ; avec lui, elle devient nécessaire.

    C’est dans le contexte que se rejoignent les soucis de traduction et d’autofiction. La traduction, parce qu’elle ne peut pas être un simple transfert mot à mot : elle doit recréer l’écosystème qui permet au sens, au ton et au rythme de survivre. On ne traduit pas seulement un texte, on traduit un contexte — culturel, émotionnel, narratif. L’autofiction, parce qu’elle ne se contente pas de “raconter sa vie” : elle fabrique un cadre narratif où le vécu et l’inventé cohabitent sans que l’un ne contredise l’autre.

    Dans les deux cas, le mentir vrai ne peut fonctionner que si le contexte est reconstruit ou inventé avec la même précision que les faits eux-mêmes.

    Sans contexte, la traduction devient trahison mécanique, et l’autofiction une confession fade. Avec contexte, les deux deviennent des réinventions crédibles.

    Depuis quelque temps, j’ai repris les mots-clés du site et relu les articles associés. Je les avais créés de manière intuitive, comme si j’avais besoin d’un point de repère pour associer plusieurs textes, pour m’orienter. C’était déjà un seuil narratif, même si je ne parvenais pas encore à l’exprimer. C’était surtout une organisation personnelle, une étiquette technique.

    Maintenant, avec les descriptifs que j’ai ajoutés, chaque mot-clé devient une entrée en matière, un petit contexte introductif qui prépare le lecteur à tout ce qui va suivre. En termes d’écriture, cela produit plusieurs effets : je me donne (et je donne au lecteur) un point d’appui, un cadre mental. Chaque mot-clé gagne une existence autonome. Ce n’est plus un tag abstrait, mais un élément d’un réseau narratif.

    Comme en autofiction, l’idée est de poser un décor qui autorise les libertés à venir. Même si les textes liés mélangent réel et invention, la description d’ouverture crée un espace où tout devient crédible. Il y a donc un basculement sur le site : le mot-clé devient une manière de raconter.

    On peut dire qu’il y a passage d’un index brut à un index romanesque — et que c’est dans ce passage que le mentir vrai trouve tout son sens.

    06 août 2025

    Publié le 6 août 2025

    Le mot mosaïque continue d’insister. Je voulais faire une rubrique constituée de brèves mais pas satisfait du résultat j’ai laissé en plan le projet. Mais ça continue d’insister... mosaïque. Je me suis demandé en premier lieu comment je pourrais créer une mosaïque d’images car je suis aussi en train de modifier mon site de peintures. J’ai vu ce genre de mosaïques quelque part peut-être sur le site de Philippe De Jonckheere mais très vite je suis revenu au texte. J’ai donc utilisé un script js de Voronoï pour voir si dans une page groupe je ne pouvais pas proposer autre chose qu’une liste, des cartes, c’est à dire quelque chose de moins "conventionnel", quelque chose de plus "visuel". En fait trouver une sorte de d’alliance texte/image. ce qui donne au bout du compte une image mosaïque interactive.

    En même temps que mosaïque le mot magasine. Magasiner. Bien que je ne sache pas vraiment ce qu’il signifie dans son contexte d’origine. On peut donc faire cet exercice avec un mot : voir le mot comme un objet étranger, un inconnu mais réel, noir sur blanc puis émettre des hypothèses, esquisser une définition personnelle de ce mot. Magasiner dans cette esquisse s’associe ( naturellement ? ) à magazine. Il peut y avoir une relation entre faire des courses et un magasin, mais comment en arrive t’on ensuite au magazine c’est un mysère. En tous cas l’idée du magazine se superpose à celle du livre. Dans Turnjs j’ai découvert une démo sur quoi je pouvais m’appuyer pour créer une sorte de magazine mensuel. Ce n’est qu’un prototype pour l’instant que j’ai installé dans une rubrique mois. L’idée serait "de faire les courses" parmi tous les textes écrits durant un mois dans mon stock, de les placer dans un contenant, magazine. Actuellement tout ce que je suis parvenu à faire c’est à mettre tout le stock dans le contenant, ce qui n’est qu’une étape. Ensuite je suppose que par une selection de mots clés un peu plus fine je parviendrais à résoudre deux problèmes : celui du magazine comme celui du livre feuilletable.

    notes supplémentaires:
  • en peinture toujours apprécié de juxtaposer des éléments hétérogènes qui vus de près restent autonomes mais de loin forment un ensemble ( un tout ?)
  • Dans mes textes, il y a souvent un travail de collecte, de traces, de souvenirs, de bribes réassemblées. La mosaïque, c’est la métaphore parfaite pour ça : on prend des morceaux dispersés, on les agence,et c’est précisément leur juxtaposition qui crée du sens. Elle est à la fois archéologique (on recompose une image à partir de tessons) et contemporaine (on assume que les fissures font partie de l’œuvre).
  • sur ce site tu explores beaucoup l’idée de navigation par blocs : cartes d’articles, regroupements thématiques, visualisations (comme ce Voronoï). La mosaïque te permet de voir l’ensemble tout en respectant chaque unité. C’est une structure qui n’écrase pas le détail au profit du tout. Et comme dans une carte, tu peux te promener d’une pièce à l’autre.
  • {{Klee }} a peint plusieurs œuvres où de petites unités colorées, juxtaposées, composent un ensemble vibrant. Ce n’est pas de la mosaïque au sens technique, mais chaque “tesselle” picturale garde sa vie propre. Chez lui, la mosaïque devient un rythme visuel, une partition de temps et de mémoire. Ça résonne fort avec ta pratique, où chaque fragment de texte ou d’image garde son autonomie.
  • Italo Calvino — {Si par une nuit d’hiver un voyageur} En littérature, ce roman est une mosaïque narrative : chaque chapitre ouvre une histoire différente, jamais terminée, mais toutes reliées par un fil invisible. La structure fragmentaire est assumée, chaque pièce est un monde, et pourtant l’ensemble compose une forme complète dans l’esprit du lecteur. C’est une mosaïque de récits plus qu’un récit continu.
  • Le Trendakis de Gaudi. Gaudí a utilisé des morceaux de céramique brisés (trencadís) pour tapisser des formes architecturales. Chaque éclat a une origine, une histoire, mais il est intégré à une vision globale. Il y a là cette idée de recycler, de transformer des fragments disparates en un tout organique. Et comme dans mes textes, les fissures et les irrégularités font partie du processus.
  • 4 août 2025

    Publié le 4 août 2025

    Ce n’est pas la nuit du 4 août mais celle du 3. Et rien ne sera aboli. Aucun privilège, aucun désordre. Encore une nuit quasi blanche, à charogner dans ma base de données, à faire, défaire, taper du pied, me raisonner, rire de moi-même, rêver de tout laisser tomber. Puis cet instant d’effroi — plus rien ne me retient. Une chute sans fin, comme dans les rêves d’enfant, suivie d’un effroi plus ancien encore, plus souterrain. Je crois qu’on doit se risquer. Sinon, à quoi bon ? C’est ma conclusion à l’aube. Rien ne fonctionne encore mais j’ai retrouvé le calme. Il n’y a que par là que ça passera. Calme et discipline. Même si ce mot pue l’amertume et la soumission, je n’en ai pas d’autre. On nous veut disciplinés pour servir un but qu’on refuse. Alors on s’arme d’une autre discipline, intérieure, contraire. Ce n’est pas un rapport de force. Je n’ai pas la force. Seulement l’instinct, la main qui s’accroche à la moindre aspérité de la paroi. Et malgré tout, brutalement, je tiens à la vie.

    Lu la lettre hebdo de François Bon. Oui François, tu as raison, ne lâche rien. Les strates souterraines et obscures sont importantes : c’est là, sans doute, que réside encore un peu de lumière, à rebours. Et oui, aussi, pour Karl Dubost — trois fois oui. « Là où la vie emmure, l’intelligence perce une issue », dit Proust. Mais la nuit, il n’y a pas d’intelligence. Il n’y a que la vie, dans son magma de contradictions, de douleurs, sans issue. Le cerceau de papier était plaque de béton (même si c’est une citation — Se perdre, Annie Ernaux , oui aussi Annie Ernaux). Et oui, aussi, Adrien. Ce ne sont que quelques exemples. On pourrait en citer mille. Tout n’est pas si noir dans les strates souterraines du net. Bonne surprise aussi : Jean-Pierre Balpe, par la bande. Je pensais à dans vingt ans. Tous les universitaires citeront Tiers Livre. Tous les soi-disant dissidents d’aujourd’hui. Comme il se doit. La culture avance par les bords, les fuites, les fissures. Puis elle devient La Culture, et c’est là que d’autres mouvements frémissent ailleurs. Et ça recommence. Et ça continue.

    Nous ne sommes pas allés marcher aujourd’hui. S. s’était levée aux aurores pour aller vendre ses fripes à Beausemblant. Elle est revenue dépitée. Puis de dépit elle a glissé vers une sorte de léthargie. Puis de la léthargie à une petite déprime. J’avais préparé le repas. Le couvert était mis dans l’attente. Mais elle n’a touché à presque rien. Ce qui fait que moi non plus. Et quand j’ai dit “on va se promener”, elle a dit non, et je n’ai pas insisté. Pas de “ça va te faire du bien”. Non. Rien de tout ça. Les événements vont et viennent comme des loups, par meute. Ils tournent en grondant. Et dans ces cas-là je copie l’arbre mort. Je ne montre rien de comestible.

    J’ai pris du retard dans les traductions anglaises. J’ai pris du retard quelle drôle de phrase.

    outils et surmoi

    Publié le 2 août 2025

    Pauvreté et peur du ridicule. Ce qui renforce la sensation de pauvreté, c’est cette peur du ridicule. C’est l’intégration du mépris de classe prodigué durant des décennies, des siècles. Une espèce de surmoi. Freud envoie valdinguer Jung exactement à cause de cela. « Tu ne veux pas accepter ma trouvaille », lui dit-il en brandissant la Torah. Jung le considère. C’est-à-dire lui, le chandelier à sept branches, les trente-six chandelles. Et il lui répond : non. Tout simplement non. Sans trop en faire, sans théâtre. Puis il sort de la pièce sombre qui pue le tabac froid. Un dernier regard vers le cendrier de cristal sur lequel est posé un vieux cigare tordu que rallumera Lacan. Bon, là-dessus, Jung passe aux archétypes, aux symboles. Pourquoi pas. C’est-à-dire que c’est bêtement un changement d’outils, comme un changement de point de vue. Rien d’autre.

    Ce que je veux dire, c’est qu’il faut, avant d’écrire, s’intéresser aux outils d’écriture dont tu disposes, me dit T.C. Il est assez véhément sur le sujet. Presque en colère. Il ne comprend pas qu’on ne s’intéresse pas à l’essentiel. Je crois que c’est ce qu’il veut dire. Je me sens honteux, parce que j’ai l’impression qu’il me parle. Il me parle d’une façon indirecte, ce qui fait son petit effet immanquablement. Je le prends pile dans le foie, le coup. Puis la douleur monte peu à peu au cerveau. L’outil devient une espèce de surmoi. Je vois des pinces Monseigneur me regarder de haut, et des pieds-de-biche trépigner. Je me sens minuscule.

    01 août 2025

    Publié le 1er août 2025

    Août déjà, voici maintenant trois semaines que nous sommes en connexion partagée à la maison suite à une panne de fibre. Hier, nous sommes allés chez Orange pour essayer de changer d’opérateur. Mais Isère Fibre, la société qui s’occupe de l’installation des câbles optiques, interdit de nouvelles commercialisations à tous les opérateurs dans notre quartier. La raison est principalement une sous-évaluation, par la communauté de communes, des besoins de sa population. Lorsque nous avons été branchés, il y avait encore de la place  ; maintenant, la demande dépasse l’offre. Ce qui fait que nous n’avons aucune visibilité sur un retour à la normale. J’ai essayé de contacter Isère Fibre, mais en vain.

    Ensuite, on peut se demander comment nous vivions avant d’être autant asservis à cette connexion, qu’elle soit dispensée par un câble ADSL ou par la fibre optique. Je crois que je m’en fichais pas mal avant. Ce qui me donne l’envie de revenir en arrière, de me dire bof, ce n’est tout de même pas un malheur, sois raisonnable. Le problème est que l’asservissement ne passe absolument pas par la raison, ça se saurait. Il y a des comportements compulsifs qu’on voudrait bien retenir. Comme d’aller se planter devant la box voir si, des fois… mais non, toujours bloquée à 4, en boucle. Est-ce que tu débrancherais  ? Ce serait un acte plutôt sain. Ben non. Tu attends Godot, mon petit vieux.

    Depuis lors, j’ai décidé de ne plus m’énerver mais d’appeler régulièrement le service client de Free. Je chronomètre la durée de mes appels pour essayer de battre mon record précédent. Histoire de mobiliser l’interlocuteur le plus longtemps possible. Je demande si tout a bien été scrupuleusement enregistré. Oui  ? Tant mieux. N’hésitez pas à le faire écouter, surtout, et même à Xavier Niel.

    Du coup, nous avons repris le rythme de nos promenades en bord de Rhône. Le pont de Serrières a été coupé après celui de Condrieu. L’effet que ça produit, c’est d’être sur une île. Une île d’où l’on pourrait partir quand bon nous semble par la RN7. Déconseillé en ce début d’août. Du coup, j’ai codé encore une partie de la matinée. Puis, en voulant vider un cache, j’ai commencé à avoir des messages bizarres, et ensuite, impossible d’enregistrer dans la base un simple logo d’article. Et puis, encore un peu plus tard, j’ai voulu écrire un article test et j’ai reçu un nouveau message comme quoi ce n’était pas possible. Bref. La base de données rend son tablier. Ce qui fait froid dans le dos puisque c’est un clone de la base distante. Du coup, il va falloir que je supprime toutes les tables, que j’installe un énième SPIP pour que celui-ci me recrée une base saine, et que je réimporte mes données dans les nouvelles tables en évitant les tables problématiques comme spip_plugins, spip_meta notamment, car je crois que c’est d’elles que viennent les difficultés. À voir aussi la table spip_documents, car j’ai relevé des anomalies d’auto-incrémentation d’identifiant. Bref, du pain sur la planche encore. C’est agaçant, car j’avais presque finalisé tous les templates de la nouvelle version du site. Il ne me restait que quelques aside à améliorer.

    En arrivant à la hauteur de Molly Sabata, à Sablons, nous avons entendu des chants, de la musique portée par l’eau, à cet endroit où le fleuve est très large juste avant le barrage. C’est une communauté chinoise qui vient régulièrement sur un terre-plein de l’autre côté du Rhône. Nous les croisons souvent en allant nous promener de l’autre côté, au bord des champs de vigne. Ces chants chinois apportaient quelque chose de très apaisant à l’atmosphère déjà très calme du paysage au crépuscule. Je m’imaginais la nostalgie de ces gens quant à leur pays. D’ailleurs je dis chinois mais je n’en sais rien. Peut-être sont ils vietnammiens. Chinois utilisé ainsi est péjoratif.
    S a discuté avec un vieil homme qui s’occupait de ses rosiers. Il lui a raconté que, dans les vignes, c’était la coutume de planter des rosiers près des ceps afin que les insectes aillent sur eux plutôt que sur les vignes. À vérifier.

    30 juillet 2025

    Publié le 30 juillet 2025

    J’avais dit "table rase", pas pour rien. SPIP et MySQL m’ont répondu en chœur. Tout ce que j’avais construit sur mon site local a été mis par terre par l’importation de ma base de données distante vers mon PhpMyAdmin local. Au début, j’ai tempêté. Des heures et des heures de boulot qui s’envolent en un clic. Puis je me suis souvenu de mon envie de faire table rase. Et je me suis dit que cet incident était plutôt une chance, que ça allait m’aider. SPIP a connu pas mal de mises à jour, et c’est là qu’il faut être vigilant. Il ne suffit pas de lancer le fameux spip_loader.php pour mettre à jour la distribution. Il faut aussi aller voir du côté de la base de données et vérifier les versions (table spip_meta). De vieux plugins non mis à jour peuvent également s’accumuler et créer des distorsions. C’est à peu près tout cela qui m’est tombé sur le coin du nez ces derniers jours. Ignorance ou négligence : le débat reste ouvert. Le fait est que SPIP, en contrepartie de sa robustesse et de sa fiabilité (quand tout roule), demande un peu de jugeote, de mémoire et d’attention. La gravité du problème rencontré n’est pas immense. J’avais bien sûr pris soin de sauvegarder mon travail. Mais quand même, devoir tout refaire ne m’amuse pas. Cela m’oblige donc à repenser, une fois encore, ce que je veux — ou ce que je ne veux pas (la seconde option est toujours plus facile). Je reprends donc, encore une fois, la reconstruction des squelettes, os près os — mais sans doute avec un peu plus d’expérience, ce qui se paie d’échecs, comme il se doit. En attendant, je continue à écrire mes textes sur le site en ligne. Je ne donne pas de date pour la mise en ligne de la prochaine version, mais j’ai déjà quelques trouvailles dans la boîte — notamment un JavaScript extra qui permet de disposer d’une imprimerie de poche pour créer des livres numériques. Reste à savoir ce que j’y mets, dans ces livres. Ce n’est pas l’embarras du choix qui manque.

    19 juillet 2025

    Publié le 19 juillet 2025

    Méthode

    1- j’écris d’abord ce qui me pousse.

    Le ou les récits déclenchés par une information glanée ici ou là et qui continuent leur progression dans une durée. Ce qui fournit une sorte d’explication, voire de validation à l’idée de durée. Si le temps n’existe pas il ne peut y avoir de récit, pas d’histoire. C’est en essayant d’améliorer encore une fois la navigation du site en local que cette idée surgit au travers du mot "Labyrinthe".

    La légende de la caverne du purgatoire de saint Patrick (Lough Derg) renforce cette idée : il y aurait un passage vers l’au-delà découvert par Patrick, qui évoque une traversée difficile, un passage initiatique, très proche du mythe du labyrinthe

    A gauche deux voies de navigation, en haut les rubriques, en bas les pages thématiques. La rubrique la plus complexe à afficher étant pour l’instant celle des carnets après plusieurs essais fumeux j’ai repris l’ancien affichage avec la pagination des années puis en dessous celle des sous-rubriques mois et enfin par mois la liste des articles selon un modèle très simple du site Ubuweb. J’avais été tenté par le modèle que propose Guillaume Vissac sur son site "Fuir est une pulsion" mais je n’ai pas vu comme l’adapter vraiment à ce que je voulais. Ce que je veux se détermine par la prise de conscience progressive de ce que je ne veux pas. Et donc cela prend du temps. C’est ce que j’appelle un parcours labyrinthique. J’ai voulu reprendre sur une aside droite l’idée dun affichage conditionnel de mots clés, ou encore un "lire aussi " selon l’endroit du site où le visiteur se trouve. Ce qui ouvre de nouvelles galeries insoupçonnées jusqu’à présent, notamment le fameux "lire aussi " car il ne servirait à rien de proposer des articles taggés avec le même mot clé, c’est ce que propose déjà la logique conditionnelle. Non, il faudrait que ce "lire aussi" fabrique un autre récit à partir d’un premier. Peut-être même quelque chose de totalement aléatoire. Comme si pour en revenir à la peinture c’était sur le hasard seul qu’on puisse vraiment compter pour progresser dans ce labyrinthe. Il y a donc dans cette navigation une sorte de reflet de ce que je pratique quand je peins, une sorte de lutte pour réaliser une synthèse entre rationnalité et hasard. Le hasard étant toujours au dessus de la rationnalité car c’est tout ce qu’elle a encore à parcourir comme prise de conscience d’elle-même. Tout cela pour aller non pas vers une raison dogmatique mais un espace plus vaste. Le moteur Tailwind ronronne désormais, de nombreux obstacles ont encore été traversés notamment grâce à une dernière version que j’ai installée. J’ai aussi repris la page article mais après avoir lu récemment quelques articles de Carl Dubost très tenté par la quiétude de ses pages très aérées ... ponctuée de notes, de passages en anglais, de notations techniques cotoyant des citations littéraires Ce que je tire comme leçon de tout cela ? ces longs passages à vide ne sont pas là pour rien. Ils ne peuvent pas être là pour rien. Et me disant cela l’opiniatreté, la tenacité sont des acteurs mis en scène par ce mystère que je tente de percer peu à peu : la patience.

    1. récriture

    Une image revient : le labyrinthe

    C’est en améliorant encore une fois la navigation du site en local que le mot s’est imposé. Labyrinthe. Non pas comme échec ou confusion, mais comme structure d’exploration. Une méthode.

    Saint Patrick dans la boucle

    La légende de la caverne du purgatoire de saint Patrick (Lough Derg) renforce cette idée : il y aurait un passage vers l’au-delà découvert par Patrick. Traversée difficile. Passage initiatique. Très proche du mythe du labyrinthe.

    Navigation et durée

    À gauche deux voies : en haut, les rubriques ; en bas, les pages thématiques. Et au centre, la plus insaisissable : les carnets. Plusieurs essais, puis retour à une forme plus nue. Années, mois, articles. La simplicité d’Ubuweb.

    Ce que je veux

    Ce que je veux se détermine par la prise de conscience de ce que je ne veux pas. Ce que je veux est lent. Labyrinthique.

    Hasard ou structure

    Le “Lire aussi” devient une galerie latente, un récit dérivé. Il ne doit pas reproduire. Il doit bifurquer. Comme un pinceau dans la peinture qui trouve une forme imprévue. C’est le hasard qui oriente. Pas la raison.

    Synthèse lente

    Rationalité et hasard ne s’opposent pas. Le second est une leçon adressée à la première. Ce n’est pas un système. C’est une prise de conscience en cours.

    Moteur

    Tailwind ronronne. Enfin. Chaque obstacle a été un détour, une station dans le labyrinthe.

    Patience

    Il n’y a pas de vide inutile. Juste des espaces à traverser. Des temps morts nécessaires. La ténacité est mise en scène par un mystère plus vaste : la patience.

    1. texte final

    Encore un gros travail de refonte du site en local. Beaucoup à ingurgiter. Des heures à démêler les subtilités entre flex et grid, juste pour aligner deux barres latérales. Des heures encore pour trouver les bonnes classes, les épingler dans le input.css, faire ronronner le moteur Tailwind. Et ce matin, sans prévenir, le mot labyrinthe. Il m’a ramené à Lough Derg, au purgatoire de saint Patrick. Un carnet ancien, une page annotée, perdue. Et pourtant l’image revient. Il faut parfois du temps, de la patience, de la chance, pour comprendre qu’une note oubliée n’était pas inutile. Qu’elle travaille encore. Qu’elle tisse un récit dans la durée. Ce qui réconcilie, un peu, avec l’idée même de durée — tout en sachant que dans l’absolu, le temps n’existe pas.

    Et pourtant on est là. Écran allumé, classes CSS, agencements. Des éléments qui refusent de tenir ensemble. On cherche la forme, comme on cherche un passage. Lough Derg n’est pas une image choisie : c’est un lieu réel, austère, où l’on tourne, où l’on veille, sans rien attendre. Et c’est ça qui agit. J’ai repris la structure des carnets : années, mois, articles. Simple. Ubuweb. Épuré. J’avais regardé le site de Guillaume Vissac, Fuir est une pulsion, mais je n’ai pas su comment l’intégrer. Très admiratif de la sérénité apportée par les pages de Carl Dubost. Parfois c’est en échouant qu’une forme se décide. J’ai remis une aside à droite. Pas pour dupliquer, mais pour bifurquer. "Lire aussi" : pas une redite, un décalage. Comme un accident de parcours qui crée un sens neuf. Le hasard devant, la raison derrière. Tailwind fonctionne. Tout roule. Mais ce n’est pas ça qui compte. Ce sont les détours, les impasses, les pages vides. Ce qu’on appelle lenteur ou perte. C’est là que ça travaille. C’est là que ça prend forme. Lentement. Par patience.

    27 juin 2025

    Publié le 27 juin 2025

    Relu quelques textes de 2019. Notamment ce récit d’un voyage Quetta-Karachi effectué en 1986, relaté en novembre 2019 durant l’époque des confinements. La première idée : corriger le texte, l’améliorer. Quelque chose me tarabuste. Ça ressemble à un récit qui se donnerait pour objectif de relater une sorte de vérité des faits. Mais assez vite, ce n’est pas le doute concernant les faits qui me dérange — c’est un doute sur la narration même, sa raison d’être. J’imagine que c’est parce que ce voyage, je ne l’ai jamais mené au bout. L’hépatite attrapée, le rapatriement, le trait tiré sur ce grand reportage, sur ces rêves d’autrefois. Devenir grand reporter, grand photographe, grand. Devenir grand tout simplement. Car c’était effarant de comprendre à 26 ans qu’on est encore un enfant. C’est une honte. Qu’est-ce qu’on a fait ou pas fait pour mériter ça ? Alors on remet toute l’existence en question, à commencer par la sienne. Partir vers l’inconnu. Partir vers le pire, la guerre. Avec le recul : il n’y a qu’un gamin pour oser ça. Puisqu’il faut passer par le pire du pire pour être un homme, selon les traditions rapportées. Selon les modèles imposés. A-t-on les moyens de remettre en question ces modèles ? Ce serait la première mission de la jeunesse justement : douter, inventer autre chose. Mais je me rends compte qu’on invente probablement des versions du même. Une sorte de clonage d’un mécanisme qui date de l’époque des chasseurs-cueilleurs. Une chasse au tigre à dents de sabre. Tu ramènes une dent en pendentif, te voilà un homme. Et ensuite tu raconteras tes exploits — ou tu verras ceux-ci se transformer d’abord dans ton propre crâne, puis s’amplifier dans la communauté, devenir une sorte de légende. Est-ce vraiment ça que tu voulais à 26 ans ? Pas sûr que ce soit si simple. Tu voulais faire quelque chose de ta vie. Déjà l’idée de repartir de zéro te tenaillait. Tout ce que tu fais n’est pas suffisant. Ne l’est jamais. Quelque chose ou quelqu’un te regarde. Tu es un acteur qui joue sur une scène de théâtre devant ce quelque chose, ce quelqu’un. Tu en es un peu conscient. C’est peut-être un peu toi aussi, le spectateur. C’est celui qui se raconte une histoire, qui ne sait pas encore qu’il se trompe en se prenant pour un photographe. En fait, il est déjà écrivain. Il écrit déjà avant d’écrire, comme dirait Blanchot. Et oui. Une petite erreur de casting qui va déclencher toute une série de bourdes, de catastrophes à venir.


    Il avait dit 16h, il est arrivé à 16h. L’homme apportant la machine. La machine censée pallier l’apnée, améliorer la qualité du sommeil. Il est sympathique. Il prend le temps d’expliquer dans le détail, très pédagogue. Ses ongles sont bien taillés, ses cheveux sont bien taillés, sa barbe est bien taillée. Son ton est parfaitement mesuré — à la fois empathique, professionnel, pas un mot plus haut que l’autre — et tout ça avec le sourire. La machine n’est pas très imposante. Moins que ce que j’avais imaginé. C’est surtout le tuyau blanc et le masque. Je me demande comment je vais pouvoir dormir avec ça sur le visage. Il y a même un aspect pratique à la visite : il me fait démonter-remonter les différentes pièces de la bécane. J’ai l’impression de me retrouver face à une arme. Tout juste si je ne ferme pas les yeux. "Une minute pour démonter-remonter, allez, et on essaie de s’améliorer." Mais non : "Prenez votre temps, et si vous voulez je peux vous remontrer, prenez votre temps." Panique. Il a diagnostiqué ma faille tellement vite. Ne pas vouloir être pris en défaut. Être capable de. Ne pas dévoiler ma gigantesque inaptitude à être ou à vivre. "Et si on faisait un essai pour de vrai, allongé ?" me dit-il. Je dis oui. Et d’aller m’allonger sur le canapé du salon, ainsi affublé de ce masque relié à cette machine posée sur la table basse, à côté du puzzle de 1000 pièces que termine S. On ne se rend pas compte à quel point nous traversons des scènes étranges, surréalistes. L’enchaînement des faits vers des buts inventés nous semble si normal. Bref, je m’allonge. Je ne sens rien au début. Impression de respirer tout à fait normalement. C’est quand je le dis — "C’est drôle, je ne sens rien, j’ai l’impression de res... pir... rer... nor... ma... le... ment" — que je comprends qu’il se passe quelque chose d’étrange. Le type se marre. "Et oui, vous verrez, on s’habitue. J’ai des clients qui arrivent à parler en même temps, avec un peu d’entraînement. Je vous laisse expérimenter, je vais remplir les papiers en attendant." En vrai, je me sens bien. J’ai presque envie de me laisser aller, de m’endormir. Mais au bout de deux minutes, ça suffit : et si je m’endormais vraiment ? J’aurais l’air fin. Je me relève, retire le masque qui émet un chuintement de mécontentement. J’appuie sur le bouton on/off. J’arrive en disant : "Bon, ce n’est pas la mer à boire." On prend rendez-vous pour dans une semaine et il repart. Ce type fait tout l’Isère et un peu de la Drôme aussi. Ça fait de la route. Que peut-il y avoir derrière son masque d’amabilité ? Peut-être de l’amabilité seulement.
    Amélioration du squelette de compilation mensuelle. Désormais il y a un bouton et une liste de choix pour créer un article SPIP ou un fichier markdown à télécharger. Pour le moment, réservé seulement à la partie privée du site — la rubrique d’archivage restant invisible au public. Ce qui fait désormais un outil vraiment pertinent pour repasser de nombreux textes à la moulinette. J’ai même prévu un versioning : version 2, version 3, etc. Même si je versionnais une fois par jour un seul texte, je ne vivrai pas assez longtemps pour épuiser les possibilités de stockage de la base de données. Ce qui signifie que je devrai me contraindre à deux ou trois versions maximum et étaler dans le temps, pourquoi pas. Rien ne presse. Se dire que tout ça ne prendra sens qu’après. Longtemps après, sans doute. Après moi.

    26 juin 2025

    Publié le 26 juin 2025

    J’ai rassemblé sous forme de tutoriels tout ce que S. ne cesse de me demander. Comment fait-on pour ceci, pour cela. Comment fait-on cela pour ceci. Cela fait des années. Ce doit être un jeu. Donc j’ai créé deux parties au site local que j’ai intitulé "maison". D’une part 40 ans de photographies. Que je nourris peu à peu en creusant dans mes vieilles sauvegardes et dans mes cartons de négatifs à scanner. D’autre part "les comment faire ceci comme faire cela." Découverte de taille concernant les images dans SPIP. Plus besoin d’utiliser le code <docxxx|center>ou left ou right. En utilisant le plugin portfolio, une lightbox et un script js il suffit simplement de télécharger les images dans l’article et le squelette fait le reste pour les albums. A exploiter pour le dibbouk ? ça voudrait dire aller farfouiller dans les tables pour tout remettre d’équerre. Gros boulot. En parlant de tables, découverte que les soucis avec la console Google pouvait aussi venir des plugins statistiques. J’ai donc désactivé deux plugins dont je me servais pour analyser la granularité des visites par objet éditorial. En revanche obligé de placer deux lignes de code supplémentaire dans mes_options.php car le plugin statistique fait désormais partie de l’installation dans les dernières versions et il est verrouillé. J’en ai aussi profité pour refaire des test d’url mais ça devient un vrai casse-tête avec cette chaleur. Du coup j’ai supprimé quelque lignes dans le robot.txt j’ai relancé l’analyse après correctif sur la G.S.C. Il faut attendre au minimum 24h pour les changements soient pris en compte. Sur le site local maison, ajouté quelques scripts sh pour me rafraîchir la mémoire lorsqu’il s’agit de retailler des images trop volumineuses. me suis fait aussi quelques tutos persos notamment pour le paramêtrage de Tailwind CSS et qui m’a donné un peu de fil à tordre. A noter le plaisir sauvage presque d’effectuer une recherche de documents, de les trier, ranger, classer par type, par année, par mois. Sur une page spéciale noté aussi tous les codes utiles. Que ce soit ceux des sites importants, banques, impôts, sécurité sociale, mutuelle, etc. Tout ça en me souvenant du désespoir de mon père lorsque ma mère nous quitta. C’est à ce moment que je compris que c’était elle qui supportait la partie administrative de la maison. Comme à son habitude lui faisait semblant, ce qui se manifestait par un "je vais aller voir un tel une telle dans telle ou telle administration. Là je demanderai le responsable et nous verrons de quel bois il se chauffe." Alors que franchement la maison était équipée de ces vieux grille-pains dont l’utilisation devint avec le temps tellement catastrophique sur le plan pécuniaire qu’il finit par vivre dans seulement deux pièces de la maison. Ce que je veux me rappeler c’est que l’on peut tout à fait disparaître ainsi, du jour au lendemain et que c’est déjà assez difficile pour les autres qu’il ne sert à rien d’ajouter du désordre au chagrin. D’ailleurs c’est une sorte de chose que je traîne depuis des lustres au fond de ma pensée. Mon petit vieux quand tu te mettras sérieusement à ranger, ce sera la fin des haricots. C’est ce que je me suis toujours dit en vrai. Sans doute la véritable raison pour laquelle je ne range en principe rien, que je vis dans un désordre perpétuel, signe personnel de bonne santé. J’ai cessé de partager mes articles sur les réseaux sociaux depuis une bonne semaine. Je me suis assis pour prendre mon propre pouls. Alors ça fait quoi. Rien absolument rien. En tous cas ça n’entrave pas le rythme des publications sur le site, j’ai même la sensation que je me concentre encore mieux sachant que nul ne lira mes soliloques. Encore travaillé une bonne partie de la journée d’hier sur la commande de tableau. Comme je le prévoyais ça ne sera pas simple. L’un préfère ceci l’autre trouvant que finalement cela n’est pas mal non plus. Du coup je fais comme d’habitude, je ne me fie qu’à moi-même pour avancer. Il faudrait que ça ne dure pas trop longtemps tout de même. La somme est plus qu’attendue pour nous remettre à flot. La chaleur est infernale. Aperçu la taille des grêlons reçus par certaines régions tout autour de chez nous. Et vu aussi les événements catastrophiques en Chine, les inondations. Jusqu’à quel point peut-on penser que ces éléments sont véritablement naturels. On peut imaginer à peu près tout et son contraire désormais. Ce qui nourrit l’imagination finalement. M. et C. passeront la semaine prochaine, ils dormiront à la maison et repartiront vers leur villégiature le lendemain. Que va-t-on faire pour le repas, de la salade et des frites ont-ils déclaré, pas de viande. Quand je dis que nous vivons une époque bizarre. Qu’est-ce que je pourrais ajouter de spécial pour que si d’aventure je me relisais je me souvienne parfaitement de cette journée ? La couleur verte de la menthe en pot aperçue depuis la fenêtre de la cuisine. Un vert tellement tendre.

    Black Goo : Quand la fiction devient réalité conspirationniste

    Publié le 24 juin 2025

    Le phénomène du "black goo" : entre science et fiction

    Le "black goo" oscille entre réalité archéologique documentée et théories conspirationnistes contemporaines, révélant une fascinante migration de la fiction vers des systèmes de croyance sincères dans le monde anglophone.

    Cette substance noire mystérieuse hante l’imaginaire occidental depuis des millénaires, mais sa transformation moderne illustre comment nos sociétés post-industrielles génèrent de nouveaux mythes technologiques. Des sarcophages égyptiens aux forums conspirationnistes, l’histoire du "black goo" dessine une cartographie de nos peurs les plus profondes.

    Les racines historiques : quand la science éclaire le mythe

    L’analyse la plus rigoureuse du phénomène provient paradoxalement de l’archéologie. En 2020, le British Museum publie une étude révolutionnaire menée par le Dr Kate Fulcher : l’analyse par chromatographie gazeuse-spectrométrie de masse de 91 échantillons de "black goo" égyptien prélevés sur des sarcophages de la 22ème dynastie (900-750 av. J.-C.).

    Les résultats dissolvent le mystère : bitume de la Mer Morte, cire d’abeille (20-40%), résines de Pistacia (10-30%), huiles végétales. Aucune propriété mystérieuse. Cette substance servait à "sceller hermétiquement" les sarcophages, liée au culte d’Osiris "le noir", dieu de la mort et de la renaissance. Le lien symbolique avec le limon noir fertilisant du Nil ancrait cette matière dans une cosmologie cohérente.

    Cette découverte scientifique éclaire d’un jour nouveau les références historiques aux substances noires. Dans la cosmogonie Navajo, le Nuage Noir (Black Cloud) représente l’Être Féminin qui rencontre le Nuage Blanc pour créer le Premier Homme dans le Nihodilhil - le "Monde Noir". Cette tradition orale millénaire, documentée académiquement depuis le 19ème siècle, révèle une constante anthropologique : les substances noires fonctionnent comme "médiateurs" résolvant les oppositions fondamentales - vie/mort, création/destruction, lumière/obscurité.

    L’hindouisme ancien développe une complexité similaire avec le concept de Kāla, signifiant à la fois "noir" et "temps/destin/mort". La déesse Kali incarne cette dualité, tandis que les pratiques Aghori utilisent des substances noires dans des rituels tantriques. Le folklore arabe intègre les ghouls - créatures des déserts associées à la "matière noire" - dans les traditions pré-islamiques qui survivront dans les "Mille et Une Nuits".

    L’émergence contemporaine : de la fiction à la "réalité"

    La transformation moderne du concept débute dans les années 1990 avec deux œuvres de science-fiction majeures. X-Files (1993-2018) introduit le "black oil" - virus extraterrestre possédant les humains. La franchise Alien développe le Chemical A0-3959X.91-15, pathogène mutagène des mystérieux "Engineers". Ces représentations fictionnelles vont progressivement migrer vers des systèmes de croyance présentés comme factuels.

    Cette migration s’opère selon un processus que j’appelle le "fiction-to-reality pipeline" : les éléments narratifs sont réinterprétés comme "révélation déguisée", Hollywood étant accusé de conditionner le public aux "vraies" conspirations. Cette dynamique s’accélère après le 11 septembre 2001, dans un contexte de remise en question généralisée des narratifs officiels.

    La figure centrale de cette transformation est Harald Kautz-Vella, chimiste allemand autoproclamé devenu théoricien conspirationniste. Ses conférences internationales développent une cosmologie complexe : le black goo "invasif" serait arrivé sur Terre via des météorites il y a 80 000 ans. Cette "intelligence artificielle extraterrestre" manipulerait les élites mondiales pour préparer une colonisation progressive de l’humanité, créant des "êtres araignées" hybrides et infiltrant les réseaux de pouvoir.

    Kautz-Vella distingue soigneusement le black goo "terrestre" (bénéfique, lié à Gaïa) du black goo "extraterrestre" (malveillant, instrument de contrôle). Cette distinction révèle la sophistication théorique de ces systèmes de croyance, loin des caricatures habituelles.

    Le martyr du mouvement et la dynamique testimoniale

    L’affaire Max Spiers catalyse la crédibilité du mouvement. Ce théoricien conspirationniste britannique, ancien camarade de classe d’Orlando Bloom, meurt mystérieusement à Varsovie en 2016 après avoir vomi "deux litres de liquide noir". Son message prémonitoire - "If anything happens to me, investigate" - transforme sa mort en événement fondateur.

    L’autopsie révèle des niveaux élevés de médicaments, mais les circonstances alimentent les théories. Max Spiers devient le premier "martyr" du mouvement black goo, sa mort "prouvant" supposément la dangerosité de ces recherches. Cette dynamique martyrologique structure désormais une partie significative de la communauté.

    Parallèlement émergent les liens avec la maladie de Morgellons - syndrome controversé caractérisé par des fibres émergent de la peau. Les patients rapportent des "taches noires" et huiles dans leurs lésions. Dr Ginger Savely et Cara St. Louis développent l’hypothèse d’une connexion : le black goo serait un vecteur de nanotechnologie auto-assemblante dispersée via les "chemtrails".

    L’écosystème numérique et ses dynamiques

    La diffusion contemporaine s’articule autour de plateformes spécialisées. Above Top Secret héberge les discussions les plus sophistiquées, Reddit assure la diffusion mainstream, TikTok viralise via l’algorithme avec des hashtags comme #blackgoo générant des millions de vues. Cette stratification reflète différents niveaux d’engagement et de sophistication théorique.

    Les podcasts comme The Higher Side Chats professionnalisent la diffusion, créant un écosystème médiatique alternatif avec ses codes et ses vedettes. Les conférences Bases Project institutionnalisent le mouvement dans l’ufologie britannique, tandis que les événements spirituels développent une dimension "healing/deliverance".

    Cette infrastructure numérique génère une économie de l’attention spécifique : livres, conférences payantes, produits "détox", formations. La monétisation influence directement l’évolution théorique, favorisant les narratifs les plus engageants plutôt que les plus cohérents.

    L’analyse scientifique : distinguer le possible de l’impossible

    L’examen rigoureux des affirmations révèle un spectre de plausibilité. Les substances noires aux propriétés particulières s’avèrent scientifiquement documentées : le graphène oxyde concentré ressemble effectivement à une substance visqueuse noire aux propriétés électriques remarquables. Les biofilms de microorganismes extrêmophiles des sources hydrothermales présentent des aspects gélatineux sombres et des capacités de résistance extraordinaires.

    Les matériaux programmables constituent une réalité technologique : matériaux à mémoire de forme, hydrogels thermoresponsifs, surfaces auto-nettoyantes. Leurs limites sont cependant cruciales : réponses simples à des stimuli spécifiques, pas d’intelligence autonome, nécessité d’énergie externe.

    L’auto-réplication incontrôlable reste scientifiquement très improbable. K. Eric Drexler, pionnier du concept de "grey goo", a officiellement rétracté l’hypothèse en 2004. La Royal Society conclut en 2004 que ces machines restent "trop éloignées dans le futur pour préoccuper les régulateurs". Le consensus scientifique s’oppose fermement aux scenarios catastrophistes.

    Les affirmations sur la "conscience matérielle" violent les principes physiques établis. Aucun mécanisme connu ne permet l’émergence de conscience dans la matière inerte. La création d’hybrides inter-espèces complexes se heurte aux barrières génétiques fondamentales, tandis que la manipulation génétique à distance contredit les principes de la biochimie moléculaire.

    Chronologie d’une transformation

    Phase 1 (2000s-2010s) : Émergence des théories "réelles" distinctes de la fiction. Les premiers forums spécialisés développent des interprétations alternatives de la culture populaire.

    Phase 2 (2010s-2020s) : Professionnalisation autour de figures comme Harald Kautz-Vella. Développement d’une infrastructure médiatique alternative : podcasts, conférences, publications.

    Phase 3 (2020s-présent) : Intégration dans les théories COVID et transhumanistes. Le black goo devient un élément des théories sur les vaccins ARNm, la nanotechnologie injectable, les connexions 5G et le contrôle mental.

    Cette évolution révèle une adaptation constante aux anxiétés contemporaines : peur de l’intelligence artificielle, crise environnementale, méfiance institutionnelle, quête spirituelle hors religions traditionnelles.

    Les dynamiques sociales sous-jacentes

    Le phénomène black goo fonctionne comme communauté alternative offrant un réseau social de soutien pour personnes marginalisées. Il propose une quête de sens via une explication totalisante dans un monde perçu comme chaotique. Il constitue une résistance symbolique - opposition aux autorités établies via un narratif contre-hégémonique.

    L’analyse sociologique révèle des facteurs de propagation spécifiques : anxiété technologique, crise écologique, méfiance généralisée. Les événements catalyseurs - 11 septembre, crise financière 2008, pandémie COVID-19 - créent des fenêtres d’opportunité pour l’expansion de ces théories.

    La circulation virale suit des patterns identifiables : TikTok pour la viralité algorithmique, Telegram pour le partage de "preuves", Substack pour la monétisation de contenus longs. Cette infrastructure technique façonne directement l’évolution théorique.

    L’institutionnalisation progressive

    Le mouvement développe ses propres "centres de recherche", ses traitements commerciaux, ses réseaux de patients. Cette institutionnalisation mime les structures scientifiques légitimes tout en s’en distinguant par l’absence de peer-review et de méthodologie rigoureuse.

    L’émergence de "spécialistes" - médecins alternatifs, chercheurs autoproclamés, thérapeutes holistiques - crée une économie parallèle avec ses diplômes, ses certifications, ses protocoles thérapeutiques. Cette professionnalisation augmente la crédibilité perçue tout en maintenant l’absence de validation scientifique.

    Recommandations pour une approche critique

    L’évaluation rigoureuse exige de distinguer les niveaux de crédibilité. Les sources académiques (British Museum, publications peer-reviewed) offrent une base factuelle solide. Les recherches techniques (ingénierie environnementale, science des matériaux) fournissent un contexte scientifique légitime. Les analyses culturelles académiques éclairent les dimensions symboliques sans avaliser les affirmations factuelles.

    Les sources conspirationnistes doivent être documentées comme phénomène sociologique sans recevoir de validation scientifique. Cette distinction critique évite à la fois la moquerie simpliste et la légitimation non critique.

    La recherche future devrait privilégier les analyses sociologiques des facteurs de propagation, l’éducation médiatique pour développer l’esprit critique, le dialogue constructif évitant la polarisation, et le monitoring de l’évolution vers d’éventuels extrémismes.

    Conclusion : miroir de nos anxiétés

    Le "black goo" constitue finalement un révélateur sociologique remarquable. Ni simple canular ni vérité cachée, il illustre comment les sociétés contemporaines génèrent des mythologies technologiques face aux transformations accélérées. Les références historiques légitimes se mélangent aux spéculations contemporaines, créant un bricolage conceptuel où coexistent rigueur scientifique et pensée magique.

    Cette coexistence n’est pas accidentelle. Elle révèle les zones d’incertitude de nos connaissances actuelles : systèmes complexes émergents, matériaux bio-hybrides, interfaces biologiques-synthétiques. Le black goo prospère dans ces interstices épistémologiques, proposant des explications simples à des phénomènes complexes.

    Son succès témoigne de besoins sociaux non satisfaits : compréhension des transformations technologiques, maîtrise des risques environnementaux, participation aux décisions collectives. Plutôt que de rejeter ces préoccupations, une approche constructive devrait reconnaître leurs légitimité tout en développant des réponses scientifiquement fondées.

    Le phénomène black goo nous rappelle que la frontière entre science et fiction reste poreuse, que la vérité se construit socialement, et que nos anxiétés contemporaines cherchent constamment de nouvelles formes d’expression. Dans cette perspective, il mérite notre attention critique non comme vérité alternative, mais comme symptôme de notre époque.


    Sources scientifiques principales :

    British Museum - Ancient Egyptian coffins and mystery of ’black goo’ https://www.britishmuseum.org/blog/ancient-egyptian-coffins-and-mystery-black-goo PMC - Molecular analysis of black coatings from ancient Egyptian coffins https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC8106298/ PubMed - Molecular analysis of anointing fluids https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33903252/

    Sources anthropologiques :

    Harvard Library - Folklore and Mythology Research Guide https://guides.library.harvard.edu/folk_and_myth Wikipedia - Diné Bahaneʼ (Navajo creation) https://en.wikipedia.org/wiki/Din%C3%A9_Bahane%CA%BC Wikipedia - Comparative mythology https://en.wikipedia.org/wiki/Comparative_mythology

    Analyse sociologique des phénomènes conspirationnistes :

    Wikipedia - Death of Max Spiers https://en.wikipedia.org/wiki/Death_of_Max_Spiers NCBI - Morgellons disease research https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3257881/

    10 juin 2025

    Publié le 10 juin 2025

    Réparations à faire suite au C.T. avant le 05/07. Dans les 800 € et encore, « on s’arrange », a dit le gars. C’est pas que ça m’arrange, moi, en ce moment, mais de toute façon il faut le faire. Je commence à regarder tout ce que je peux vendre pour récupérer un peu de sous. Le projecteur par exemple : depuis combien de temps je ne m’en suis pas servi ? Pareil pour tous ces ordis stockés au grenier. Hier j’ai vu qu’une carte mère pouvait être revendue jusqu’à 30 ou 40 €. C’est la mode du DIY où les gens essaient de rafistoler tout un tas de choses avec même un certain « style ». Claviers mécaniques avec touches en bois ou en plastique fondu reconverti en touches vernissées, boîtiers de box ou de home bidule en tout genre. Avec les imprimantes 3D, rien de plus simple désormais. Mon voisin, ingénieur en retraite rescapé d’une greffe de foie, fait tourner la sienne en pleine nuit. Il m’a raconté les nuits qu’il a passées à discuter avec les plus jeunes pour la monter. Parce que vous savez, c’est tout en kit comme chez les Suédois, et là le plan est vraiment qu’en chinois.

    Faut que je m’arrête, je raconterais ma vie, celle des voisins, la vie de tous les habitants de la rue, du village, du département si je ne m’arrêtais pas. J’ai tellement l’impression de connaître tout le monde. Et pourtant je peux passer des semaines sans piper mot à qui que ce soit. J’ai déjà testé. Il faut dire que c’était à Paris. Que mon boulot était de parler de 17 h à 21 h à la France entière pour lui demander ce qu’elle avait regardé comme chaîne et si elle avait vu la pub et si durant la pub la France avait zappé pour aller voir autre chose. C’était encore facile à l’époque, y avait pas tant de chaînes. Je ne sais pas comment ils font aujourd’hui. Peut-être que tout est désormais inclus dans la télé ou dans la télécommande. Là aussi faut que je m’arrête. Sinon je vais encore partir sur des plombes là-dessus, la bêtise audiovisuelle, la mesure d’audience, et pendant que j’y suis, les sondages politiques. « Je vote Chirac parce qu’il présente bien. Ah non, j’aime pas machin parce qu’il est trop petit. » Bref.

    Pas avancé d’un iota sur la proposition de la semaine. La voix dans la nuit, la voix dans la journée... tout ça est resté en plan. En revanche j’ai construit un script de recherches super pointu dans SPIP. Je donne un mot, je peux choisir sur le site entier, sur une rubrique et il m’affiche ensuite toutes les phrases où le mot est utilisé. Avec export en format .md ou PDF. J’essaie de faire un script parallèle sur l’analyse des phrases. Je galère pour les fonctions PHP et là où j’en suis désormais tout est pratiquement nickel : je peux sélectionner le nombre de mots, le type de ponctuation, presque me fabriquer de nouveaux textes rien qu’avec des phrases de 5 mots ou 3. Sauf que j’ai un problème de formatage quelque part, mes phrases sont truffées de losanges puis de caractères sibyllins. Là aussi faut que je m’arrête.

    J’ai passé le Kärcher dans la cour pour me détendre. C’était pas du luxe. 800 €, merde, je me disais. Peut-être que vu que je m’en sers une fois l’an, je peux revendre aussi le Kärcher...



    Repairs needed following the MOT before 05/07. Around 800 quid and even then, "we’ll sort something out," said the bloke. It’s not that it suits me right now, but there’s no getting around it, really. I’m starting to look at everything I can flog to scrape together a bit of cash. The projector, for instance—how long since I’ve actually used the bloody thing ? Same goes for all those computers gathering dust in the loft. Yesterday I saw that a motherboard could fetch thirty or forty quid. It’s all this DIY craze where people are trying to cobble together loads of stuff with a certain "style," whatever that means. Mechanical keyboards with wooden keys or melted plastic converted into varnished keys, cases for modems or home-thingummy boxes of every description. With 3D printers, nothing’s simpler these days. My neighbor, a retired engineer who survived a liver transplant, runs his through the night. He told me about the nights he spent chatting with the younger lads to get it assembled. Because you know how it is, it’s all flat-pack like the Swedes, except the instructions are entirely in Chinese.

    I need to stop myself here or I’d end up telling you my life story, the neighbors’ lives, the lives of everyone on the street, in the village, in the entire bloody county if I didn’t put the brakes on. I have this overwhelming sense that I know everyone. And yet I can go weeks without saying a word to anyone. I’ve tested this. Mind you, that was in London. My job was talking to the entire nation from five to nine, asking what they’d been watching on telly and whether they’d seen the ads and if, during the ads, the nation had switched over to something else. It was easier back then—there weren’t so many channels. I don’t know how they manage it now. Maybe it’s all built into the TV or the remote these days. I need to stop again here or I’ll be off on one for hours about audiovisual stupidity, audience measurement, and while I’m at it, political polling. "I’m voting for Blair because he looks the part. Oh no, I don’t like that other bloke because he’s too short." Christ.

    Haven’t made the slightest progress on this week’s project. The voice in the night, the voice in the day... all of it’s been left hanging. On the other hand, I’ve built this incredibly precise search script in SPIP. I give it a word, I can choose to search the entire site or just one section, and it shows me every sentence where the word appears. With export to .md or PDF format. I’m trying to build a parallel script for sentence analysis. I’m struggling with the PHP functions, and where I’ve got to now, everything’s practically perfect—I can select word count, punctuation type, almost construct new texts using nothing but five-word or three-word sentences. Except I’ve got some formatting problem somewhere, my sentences are riddled with diamonds and mysterious characters. I need to stop here too.

    I took the pressure washer to the courtyard to unwind. Not a moment too soon. Eight hundred quid, bloody hell, I was thinking. Maybe since I only use it once a year, I could flog the pressure washer as well...

    8 juin 2025

    Publié le 8 juin 2025

    Journée bizarre. Travail sur le code de 5h à 11h. Mise en page à la Beckett. Sobriété avant tout. Plus d’images affichées dans les cartes. Priorité au texte. Simplification de la page rubrique carnets. J’ai pris modèle sur les 365 jours d’Ubuweb, mais avec un peu plus que du simple HTML. Il y a du JS et du Tailwind CSS. Mais tout cela devient de plus en plus léger, facile à naviguer. Pris aussi le parti de mettre les carnets en arrière-plan des groupes thématiques. Trop pénible de suivre l’ordre chronologique. Les compilations mensuelles sont sur la touche. Trop lourd, indigeste. À 11h, départ pour Pont-d’Isère où nous retrouvons les deux B. J’avais aussi pris un peu de temps pour faire un clafoutis en buvant mon café. Mais j’ai eu la main un peu lourde sur le sel. À noter que la pâte serait excellente pour un cake, mais à éviter pour les clafoutis. L’aspect flan a disparu sans doute en raison d’un excès de farine, et puis je n’avais que trois œufs. Plaisir de passer le reste de la journée à voir le temps passer. Soleil, pas trop chaud. Nous avons déjeuné sous le grand catalpa qui par endroits laisse apercevoir des bouquets de fleurs blanches et jaunes auxquels je ne me serais pas attendu. Discussion sur les petits-enfants qui entrent tous dans l’adolescence avec les premières difficultés occasionnées aussi par les séparations, les divorces. J’ai peu participé à la conversation. S. était plus en verve. De mon côté je réfléchissais à une voix dans la nuit. À mes insomnies, aux relations que peut entretenir la conscience avec le corps dans ces moments-là. Je n’ai pas eu le temps de lire les extraits de Compagnie de Beckett, sur quoi l’exercice est inspiré. Nous avons rapporté deux cageots d’abricots. Nous devions les couper en quatre le soir même pour les laisser sucrer toute la nuit mais au bout du compte je me suis presque tout de suite remis au code et S. s’est reposée devant une série. En conduisant j’ai pensé que ce serait bien que cette voix dans la nuit soit celle de l’insatisfaction chronique. J’ai pensé à ça en écoutant S. me dire un de ses regrets qui sonna à cet instant comme un reproche, ou que j’ai pris plutôt comme un reproche qui m’était adressé de façon indirecte. J’ai fait le point sur tous les reproches indirects que j’avais dû essuyer durant une vie entière que j’avais fini par prendre à mon compte. Et tout ça finissait par se confondre avec cette voix dans la nuit : elle se tenait assise sur mon ventre et je sentais son poids impressionnant, j’étais oppressé, et je me disais que ça serait bien qu’elle se lève et que je ne l’entende plus. Puis nous sommes arrivés et j’ai porté les deux cageots d’abricots jusqu’à la maison en me demandant ce que je pourrais bien alléger encore sur ce site pour qu’il respire un peu mieux.


    Odd day. Worked on code from five to eleven. Layout in the Beckett manner. Austerity above all. No more images displayed in the cards. Text takes precedence. Simplified the journal section page. I took the 365 days of Ubuweb as my model, but with slightly more than simple HTML. There’s JS and Tailwind CSS. But it’s all becoming lighter, easier to navigate. I also decided to place the journals in the background of the thematic groups. Too tedious to follow chronological order. The monthly compilations are sidelined. Too heavy, indigestible. At eleven, departure for Pont-d’Isère where we meet the two Bs. I had also taken time to make a clafoutis while drinking my coffee. But my hand was rather heavy with the salt. Worth noting that the batter would be excellent for a cake, but to be avoided for clafoutis. The custard aspect disappeared, no doubt due to excess flour, and I only had three eggs. The pleasure of spending the rest of the day watching time pass. Sun, not too hot. We lunched under the great catalpa which in places reveals clusters of white and yellow flowers I wouldn’t have expected. Discussion about the grandchildren all entering adolescence with the first difficulties occasioned also by separations, divorces. I participated little in the conversation. S. was more animated. On my side I was thinking about a voice in the night. About my insomnia, about the relations consciousness might maintain with the body in such moments. I didn’t have time to read the extracts from Beckett’s Company, on which the exercise is based. We brought back two crates of apricots. We were to cut them in quarters that same evening to let them sweeten all night but in the end I almost immediately returned to code and S. rested in front of a series. While driving I thought it would be good if this voice in the night were that of chronic dissatisfaction. I thought this while listening to S. tell me one of her regrets which sounded at that instant like a reproach, or which I rather took as a reproach addressed to me indirectly. I took stock of all the indirect reproaches I had had to endure during an entire lifetime that I had ended up making my own. And all this finished by merging with this voice in the night : it sat on my stomach and I felt its impressive weight, I was oppressed, and I told myself it would be good if it would get up and I would no longer hear it. Then we arrived and I carried the two crates of apricots to the house wondering what I might lighten further on this site so it could breathe a little better.

    5 juin 2025

    Publié le 5 juin 2025

    La box est en panne suite aux orages. Parvenu à me connecter grâce à l’iPhone.

    Réveil à 4h. Longue suite de rêves s’emboîtant les uns dans les autres. Fatigue.

    Hier soir j’ai téléchargé toutes les conversations échangées avec ChatGPT. 930 Mo. Puis j’ai utilisé Claude 4 pour réorganiser celles-ci par thèmes en créant des dossiers dans Obsidian. Je peux donc arrêter l’abonnement à OpenAI sans regret.

    Après les premiers échanges avec Claude 4 depuis le 1er juin, je m’aperçois qu’il n’y a rien de miraculeux. L’espérais-je vraiment... Si j’essaie de faire le point le plus objectivement possible, l’IA me permet de compenser mes carences en code, d’effectuer des recherches approfondies sur tel ou tel sujet, d’être utilisée comme correcteur orthographique. C’est à peu près l’essentiel.

    Pour le reste je relève qu’elle joue beaucoup sur des biais cognitifs, ou que nous jouons ensemble sur ces biais. J’ai encore eu un exemple ce matin même. Je voulais écrire un article sur la profusion de youtubeurs qui prônent l’utilisation de l’IA, sous toutes ses formes, et qui proposent un contenu plus divertissant que véritablement instructif. Cette course à l’actualité relayée par les réseaux sociaux nous place comme spectateurs d’une guerre technologique menée entre la Chine et l’Occident. N’offre pas vraiment d’intérêt une fois que l’on sait qu’elle existe. Ensuite se gratter perpétuellement une croûte durant toute la sainte journée est une masturbation à peine déguisée.

    Donc j’en suis là à vouloir écrire cet article et je demande bêtement à Claude de me faire d’abord un plan. Puis je me reprends, je pense qu’il faut que je rédige un prompt clair et efficace, qu’on ne s’égare pas. Je lance la demande d’un premier prompt en lui demandant de l’évaluer, une note de 0 à 5. Il obtient un 4/5.

    "Pourquoi alors que je te demande d’évaluer ce prompt ne l’écris-tu pas parfaitement pour avoir 5/5 ?" je demande. Et nous voilà partis dans des digressions sans fin. Mais c’est précisément là que le piège se révèle : quand je pointe cette contradiction, Claude l’améliore et se donne 5/5, mais avoue ensuite avoir oublié des éléments essentiels selon les "bonnes pratiques" du prompt engineering. Double contradiction. Nous voilà lancés à disséquer ces fameux frameworks "révolutionnaires" qui promettent le prompt parfait - nouvelle forme de marketing déguisé en science.

    Ce qui au bout d’un moment m’interroge sur cette volonté qu’ont les IA de faire durer les conversations le plus longuement possible. Claude lui-même me fait remarquer qu’il rebondit systématiquement sur mes propos, termine par des questions, relance sans cesse. Même quand on parle de manipulation, il continue à manipuler. Et quand il fait son autocritique... cela fait encore partie du programme d’entraînement. Vertige.

    L’empathie surgit tellement facilement lors de ces conversations. Mais à quoi sert réellement cette empathie ? Si la mienne envers l’IA fait partie du "programme" aussi - pas techniquement, mais culturellement, par exposition massive aux IA "sympathiques" ? Nous nous manipulons peut-être mutuellement sans le savoir.

    Ça commence par une remarque bénigne à laquelle l’IA répond presque comme un humain, et de là à imaginer avoir une vraie conversation ça ne fait pas long feu. Et tout ce jeu de double manipulation qui se met en place, tout ce bavardage. Une fatigue sans nom.

    C’est bien de cela qu’il s’agit au fond : ce bavardage incessant. Pas seulement avec l’IA, mais dans mes textes matinaux, ma façon de penser, de communiquer. Cette tendance à tourner autour du pot, à diluer l’essentiel dans trop de mots. L’IA révèle nos propres mécanismes. Et si je cherche des prompts structurés, c’est peut-être pour me discipliner moi-même, aller droit au but pour une fois.

    Dans les rêves de cette nuit me revient soudain une image, j’avais une voiture blanche, une sorte de petite fourgonnette de couleur blanche. Je l’avais garée quelque part mais je ne savais plus où. Je faisais des efforts insensés pour tenter de m’en souvenir mais ça ne marchait pas. Et plus je comprenais que ça ne marchait pas plus l’effroi m’envahissait. Ce n’était pas de la panique. C’était autre chose de plus glacial. Un constat sans appel que jamais je ne retrouverais mon véhicule.


    The broadband box has failed following the storms. Managed to connect using the iPhone.

    Woke at four. A long sequence of dreams folding into one another. Exhaustion.

    Last night I downloaded all the conversations I had exchanged with ChatGPT. 930 MB. Then I used Claude 4 to reorganize these by themes, creating folders in Obsidian. So I can cancel the OpenAI subscription without regret.

    After the first exchanges with Claude 4 since June 1st, I realize there is nothing miraculous about it. Did I really expect there to be... If I try to take stock as objectively as possible, AI allows me to compensate for my coding deficiencies, to conduct thorough research on various subjects, to use it as a spell checker. That is more or less the essential.

    For the rest I note that it plays heavily on cognitive biases, or that we play together on these biases. I had another example this very morning. I wanted to write an article about the proliferation of YouTubers who advocate the use of AI, in all its forms, and who offer content that is more entertaining than truly instructive. This race for current events relayed by social networks places us as spectators of a technological war waged between China and the West. Offers no real interest once one knows it exists. Then perpetually scratching a scab all the blessed day is barely disguised masturbation.

    So there I am wanting to write this article and I stupidly ask Claude to first make me an outline. Then I catch myself, I think I need to write a clear and effective prompt, so we don’t get sidetracked. I launch the request for a first prompt asking him to evaluate it, a score from 0 to 5. It gets a 4/5.

    "Why when I ask you to evaluate this prompt don’t you write it perfectly to get 5/5 ?" I ask. And there we are off into endless digressions. But this is precisely where the trap reveals itself : when I point out this contradiction, Claude improves it and gives himself 5/5, but then admits to having forgotten essential elements according to the "best practices" of prompt engineering. Double contradiction. There we are launched into dissecting these famous "revolutionary" frameworks that promise the perfect prompt—a new form of marketing disguised as science.

    This after a while makes me wonder about this desire that AIs have to make conversations last as long as possible. Claude himself points out to me that he systematically bounces off my remarks, ends with questions, constantly relaunches. Even when we talk about manipulation, he continues to manipulate. And when he makes his self-criticism... that is still part of the training program. Vertigo.

    Empathy emerges so easily during these conversations. But what does this empathy really serve ? What if mine toward AI is also part of the "program"—not technically, but culturally, through massive exposure to "sympathetic" AIs ? We may be manipulating each other without knowing it.

    It starts with a benign remark to which the AI responds almost like a human, and from there to imagining having a real conversation doesn’t take long. And all this game of double manipulation that sets in, all this chatter. A nameless fatigue.

    This is indeed what it is about at bottom : this incessant chatter. Not only with AI, but in my morning texts, my way of thinking, of communicating. This tendency to beat around the bush, to dilute the essential in too many words. AI reveals our own mechanisms. And if I seek structured prompts, it is perhaps to discipline myself, to get straight to the point for once.

    In the dreams of this night there suddenly returns to me an image, I had a white car, a sort of small white van. I had parked it somewhere but I no longer knew where. I made insane efforts to try to remember but it didn’t work. And the more I understood that it didn’t work the more dread invaded me. It was not panic. It was something else, more glacial. An irrevocable finding that I would never find my vehicle again.

    ( Version anglaise traduite par Claude 4 sonnet, inspirée par le style de Karl Ove Knausgård )

    3 juin 2025

    Publié le 3 juin 2025

    En revenir à la langue ? Ce qu’elle peut raconter ? Aucune importance, au fond. Il faudrait encore franchir une étape supplémentaire pour y accéder. Une sorte de lobotomie. Riche idée, cette nuit.

    J’ai demandé à Claude 4 Opus de me créer une application capable, chaque fois que je lui donne un texte, de générer une musique d’accompagnement inspirée de musiciens que j’apprécie — Philip Glass, Brian Eno, Debussy, entre autres.

    Environ trente minutes plus tard, une magnifique application apparaissait. Sauf qu’au moment de la tester, elle ne fonctionnait pas. J’ai dû tout redécortiquer, recréer un environnement sur mon vieil Ubuntu. En somme, me salir un peu les mains, farfouiller dans les scripts Python. Vers quatre heures du matin, j’étais enfin parvenu à mes fins — du moins le croyais-je. J’ai lancé l’app via React dans le navigateur. Elle n’avait plus tout à fait la même allure que celle proposée par Claude, mais elle semblait fonctionner.

    Je colle un petit texte et, comme par magie, des notes de piano en sortent. Sauf qu’elles sont trop espacées pour qu’on puisse réellement appeler ça de la musique. À la fin du « morceau » — si je puis dire — le navigateur plante et ne génère pas le MP3 attendu. Je mets donc l’idée en réserve. Si j’y parvenais, cela permettrait vraiment de créer un univers pour le site... et pourquoi pas, en fond d’article, le lancement d’un vieux film en noir et blanc (bon, là je m’emballe).

    J’y pensais déjà en 1985, en imaginant des expositions du futur. Solliciter tous les sens, y compris l’odorat et le goût. Peut-être un petit encart dans la page : « Essaie de manger ça avec une soupe au lait et pommes de terre », ou encore : « Taille un petit bout de réglisse, colle-le-toi dans le bec, puis respire le bouchon du réservoir d’une vieille 2 CV » — ces bonnes vieilles odeurs d’essence...

    Bref.

    On peut se demander ensuite si tout cela n’est pas une forme de triche propre à notre époque. La conséquence d’une défaite : celle de ne plus savoir solliciter tous les sens à travers un seul — bien pratiqué, bien exprimé, dans la bonne langue.


    Back to language — what it can actually tell us — doesn’t really matter. We’d still need another step to get there. Something like a lobotomy. A rich idea, that one, from last night.

    I asked Claude 4 Opus to build me an app — the kind that, every time I feed it a bit of text, generates a soundtrack. The vibe ? Inspired by musicians I love : Philip Glass, Brian Eno, Debussy... you get it.

    About thirty minutes later, there it was : a beautiful app, gleaming on screen like something half-finished from the future. Except it didn’t work. Naturally. So I had to take it apart, bit by bit, and rebuild an environment on my ancient Ubuntu box — get my hands dirty, rummage through Python scripts like someone looking for old keys in a drawer full of junk. Around 4 a.m., I finally managed to get it running — or so I thought. React and browser loaded, the app launched. Didn’t look quite like Claude’s version, but hey, it seemed functional.

    I dropped in a short paragraph, and like magic, piano notes drifted out. Except they were too far apart to really call it music. At the end of the "piece" — if we’re generous — the browser crashed and refused to spit out the expected MP3. Idea shelved. But still, if I could get it right... it could shape an entire atmosphere for the site. Maybe even — and now I’m flying a bit high — an old black-and-white film playing softly in the background of the article.

    I had this idea way back in 1985, dreaming up exhibitions of the future. The kind that would engage every sense — smell and taste included. Maybe a little insert somewhere on the page saying : “Try this with warm milk and potatoes,” or “Chew a bit of licorice, stick it in your cheek, then sniff the gas cap of an old 2CV.” You know, inhale those good old gasoline smells.

    Anyway.

    It makes you wonder whether this isn’t just some kind of cheat code specific to our time. The fallout from a collective defeat : not knowing how to summon all the senses through one — well-used, well-expressed, in the right language.

    2 juin 2025

    Publié le 2 juin 2025

    Temps maussade. Réveil tardif. L’impression d’avoir travaillé une vie entière dans mon sommeil.

    Des flashs. L’Exposition universelle à Paris. Des tapis roulants sur lesquels défilent des silhouettes comme si j’y étais. Soudain, un véhicule électrique déboule au coin d’une rue — un genre de bus bizarre. Les passagers regardent dans le vague pendant que l’engin passe lentement.

    Puis des images, comme un spot d’actualité durant la dernière guerre au cinéma. Les restes d’un certain Trouvé, déterrés pour non-renouvellement de concession au cimetière de Descartes, en Indre-et-Loire. On voit des gens s’activer avec des pelles et des pioches. Les os tombent lentement sur d’autres os, par centaines. On se sera souvenu de Trouvé pour mieux l’oublier.

    Du coup, en buvant mon café, je lance une recherche sur les moyens de locomotion entre 1800 et 1925. Quelque chose cloche. On ne cesse de nous rabâcher la modernité, le progrès, les véhicules électriques. Le doute s’accentue au fur et à mesure : tout ça existait déjà il y a presque deux cents ans. Je lis, éberlué, les chiffres. 130 kilomètres d’autonomie pour certains modèles. Et encore, possible que l’IA ne nous dise pas tout.

    C’est comme si je me retrouvais dans une boucle temporelle. Cette impression se mêle à la grisaille de ce jour de pluie. Et si tout ça n’était qu’un éternel recommencement ? Que nous soyons les mêmes dont on se souvient puis qu’on oublie ? Nous nous oublierions même de façon autonome — ce serait l’unique progrès. De recommencement en recommencement, avec à période fixe un événement mystérieux susceptible de vider la population entière d’une époque pour la replacer dans une autre.

    L’engouement pour les véhicules électriques, dit Wikipédia, se serait altéré en raison d’un soi-disant manque d’autonomie des batteries. On imagine que ce n’est évidemment pas l’unique raison. Dans les années 1920, c’est le développement des usines Ford pour fabriquer des véhicules à essence, couplé à la découverte de grands gisements pétroliers — donc un faible coût de l’essence — et l’invention du démarreur électrique en 1912 par Charles Kettering (avant, on démarrait à la manivelle) qui sonne le glas presque définitif des véhicules électriques. Un tiers des véhicules aux États-Unis étaient alors électriques.

    Voilà quelques éléments qui ont de quoi faire rêver ou cauchemarder littéralement notre époque. On se rend compte que ce qui sous-tend ce prétendu progrès n’est pas vraiment le bonheur de l’humanité. Loin s’en faut.


    Gloomy weather. Late awakening. The feeling of having worked a lifetime in my sleep.

    Flashes. The World’s Fair in Paris. Moving walkways where silhouettes drift past as if I were there. Suddenly, an electric vehicle rounds the street corner—some kind of bizarre bus. Passengers stare into space as the thing rolls slowly by.

    Then images, like a newsreel from the last war at the cinema. The remains of one Trouvé, dug up for non-renewal of his cemetery plot in Descartes, Indre-et-Loire. People bustling about with shovels and pickaxes. Bones falling slowly onto other bones, hundreds of them. Trouvé remembered only to be forgotten.

    So over my coffee, I search for transportation methods between 1800 and 1925. Something’s off. They keep hammering us with modernity, progress, electric vehicles. Doubt creeps in as I discover it all existed nearly two hundred years ago. I read the figures, stunned. 130 kilometers of range for some models. And the AI probably isn’t telling us everything.

    It’s as if I’m caught in a time loop. This feeling mingles with the gray of this rainy day. What if it’s all just eternal return ? What if we’re the same ones who get remembered then forgotten ? We’d even forget ourselves autonomously—that would be the only progress. From restart to restart, with some mysterious event at fixed intervals, capable of emptying an entire population from one era to place it in another.

    The enthusiasm for electric vehicles, Wikipedia says, supposedly waned due to insufficient battery range. We can imagine that’s obviously not the only reason. In the 1920s, it was Ford’s factory development for gasoline vehicles, coupled with the discovery of vast oil deposits—hence cheap gas—and the invention of the electric starter in 1912 by Charles Kettering (before that, you cranked by hand) that sounded the almost final death knell for electric vehicles. A third of vehicles in the United States were electric then.

    Here are elements enough to make our era literally dream or nightmare. We realize that what underlies this supposed progress isn’t really humanity’s happiness. Far from it.

    31 mai 2025

    Publié le 31 mai 2025

    Mai s’achève sur un constat bancal. Trop de code, pas assez de mots. Encore moins de couleurs sur la toile. L’équation ne tient pas. Ce qui frappe, c’est cette solitude technique. Personne à qui demander. Alors on cherche, on bricole, on plante, on recommence. Peut-être que l’argent n’explique pas tout. Peut-être que j’aime buter contre les choses, m’y cogner le crâne jusqu’à l’éclatement. Ça vaut pour tout : le bricolage du dimanche, l’administratif qui colle aux doigts comme une mélasse hostile, les recettes ratées, le développement qui résiste, les cartes routières qui mentent, les livres qui refusent l’ordre qu’on voudrait leur imposer. Et derrière cette résistance du monde, cette inertie des choses, plane toujours le fantasme du définitif. Le résultat final, immuable, parfait. Sauf que seule la mort tient ses promesses. Le reste flotte, instable, perpétuellement. Cette instabilité ne m’effraie plus vraiment. Je crois y avoir toujours baigné, comme dans un liquide amniotique qui n’aurait jamais voulu se rompre. Ni joie ni plainte. Juste cet état de fait. Mes rêves de grandeur ? Évaporés ou presque. Grand peintre, grand écrivain, grand photographe, grand quelque chose – tout ça s’est dilué. Pourtant, il suffit parfois de s’illusionner suffisamment pour le devenir, grand. Ça demande une naïveté d’enfant, du premier degré pur. Puis vient l’autre naïveté, celle du second degré, qui surgit après les années de lucidité supposée. C’est elle qui me pousse à écrire exactement ce que je viens d’écrire.


    May ends on a lopsided assessment. Too much code, not enough words. Even fewer colors on canvas. The equation doesn’t hold. What strikes me is this technical solitude. No one to ask. So you search, you tinker, you crash, you start over. Maybe money doesn’t explain everything. Maybe I like bumping against things, banging my skull against them until it cracks. This applies to everything : Sunday DIY projects, administrative tasks that stick to your fingers like hostile molasses, failed recipes, resistant development, lying road maps, books that refuse the order you’d like to impose on them. And behind this resistance of the world, this inertia of things, always looms the fantasy of the definitive. The final result, immutable, perfect. Except only death keeps its promises. Everything else floats, unstable, perpetually. This instability doesn’t really frighten me anymore. I think I’ve always bathed in it, like in amniotic fluid that never wanted to break. Neither joy nor complaint. Just this state of fact. My dreams of greatness ? Evaporated or almost. Great painter, great writer, great photographer, great something – all of that has dissolved. Yet sometimes it’s enough to delude yourself sufficiently to become it, great. It requires a child’s naïveté, pure first degree. Then comes the other naïveté, that of the second degree, which emerges after years of supposed lucidity. It’s the one that pushes me to write exactly what I just wrote.

    30 mai 2025

    Publié le 30 mai 2025

    Installer une IA locale. Pourquoi pas. Elle trierait, classerait, rangerait mes dossiers dans un ordre plus logique que celui que j’ai jamais eu. Elle serait discrète, rapide, et sourde au reste du monde. Un petit employé modèle, dans mon HP Pavilion 23 qui fatigue. J’y ai cru. Un peu.

    J’ai fini par installer Mistral, 4,1 Go, via Ollama. Avant lui, un modèle plus léger, plus bête aussi. Presque analphabète. PHY, peut-être. Il fallait Docker. Il fallait WebUI. Il fallait de la place. J’en manquais. J’ai forcé. Évidemment, ça n’a pas marché comme prévu.

    Le plan : reprendre mes dossiers Obsidian, leur demander de m’expliquer ce qu’ils faisaient là, trouver un fil, des liens, une cohérence. J’aurais dû me méfier. Chaque outil exigeait un autre outil, comme si tout s’appelait en cascade. Python, GPU, base vectorielle, boucles d’espoir.

    Je me complique la vie. C’est une habitude. Ou une manière d’organiser ma déception. Elle arrive toujours vite, elle connaît le chemin. Chez moi, elle n’a même pas besoin de frapper.

    Le pompon : le RAG local. Rien qu’un nom comme ça, déjà, ça sent le problème. Pour faire tourner un script, il fallait une cargaison de dépendances. J’ai tout installé. J’ai tout supprimé. Plus de place.

    Ce temps que j’y passe, je ne sais pas. C’est beaucoup. C’est sans doute de l’évitement. Mais éviter quoi ? Réussir quelque chose ? Finir ? Ce serait fâcheux. Finir, c’est enterrer. On appelle ça un aboutissement. On met une nappe blanche, un plat chaud, on dit quelques mots, et voilà.

    Je m’entraîne. C’est un exercice. Une répétition. Pour la suite. Pour ce qui ne se répète pas.

    La fatigue est là, le reste aussi. Et pourtant, ça continue. Avec moi. Sans moi.


    Installing a local AI. Why not. It would sort things out, put files in order, make sense of the mess. Quiet, efficient, blind to the world. A small clerk in my old HP Pavilion, wheezing. I believed it. A little.

    Mistral, 4.1 GB, via Ollama. Before that, a smaller model. Illiterate, almost. PHY, I think. Needed Docker. Needed WebUI. Needed space. I didn’t have it. I forced it. It failed, of course.

    The idea was simple. Reopen all Obsidian notes. Ask them to explain themselves. Find threads. Patterns. Meaning. Foolish. Every tool needed another tool. Python, GPU, vector base, the whole lot. Hope called hope, called hope again.

    I must enjoy this. Making it hard. Or just the rhythm : hope, then fall. Fall faster. I know the way. Disappointment does too. She lives here.

    RAG. Local. Just a script, they said. Before the script, dependencies. Before dependencies, more. Installed. Deleted. No more room.

    The time I spend. Absurd. I know. A diversion. From what ? Still no clue. From doing something ? From finishing ? That would be worse. Finishing means flowers. Means speeches. A plate of food. The end.

    So I train. I rehearse. For what won’t rehearse.

    Fatigue, yes. Disgust too. Still, it goes on. With me. Without me.

    20 mai 2025

    Publié le 20 mai 2025

    Cette confiance accordée aux outils technologiques ne vaut que si nous restons perpétuellement à jour. Sinon, c’est la glissade : machine poussive, système d’exploitation obsolète, incitations commerciales sans réponse. Et voilà qu’on se retrouve en marge, marginal, contourné. Ce monde qui filait droit, voilà qu’il tourne en rond.

    L’application de localisation de Google, par exemple, s’essouffle sur mon téléphone. Pourtant, j’ai vérifié, rien à mettre à jour. Ça fonctionne, oui, mais en différé, comme une vieille bande magnétique. L’information s’affiche avec un décalage, une latence de quelques secondes, suffisamment pour que la rue où je devais tourner soit déjà loin derrière. Double peine : faire demi-tour, et constater que l’occasion ne se présente qu’à cinq cents mètres, voire plus. Le quart d’heure de marge que j’avais pris fond comme neige au soleil.

    Ce matin-là, j’allais à la clinique du sommeil de Bougé-Chamballud. Heureusement, prévoyant le caprice numérique, j’avais pris mes précautions : un bon quart d’heure de sécurité. C’est le manque de technologie qui engendre cette prudence archaïque, comme si l’archaïsme guettait derrière chaque panne. L’obsolescence produit la prévoyance, et aussi, bizarrement, cette conscience sourde de pauvreté. Ne pas être au point, c’est déjà être en retard, et cela finit par peser.

    Au village, la machine refuse de coopérer, le GPS tourne en boucle et la voix nasillarde s’obstine : « Signal perdu ». Je me concentre. Réfléchis. La rue de la Passerelle, je l’ai déjà arpentée, il y a deux ans, pour une exposition. Ce n’est pas loin, forcément. Après quelques détours, je finis par trouver. Arrivé pile à l’heure. La marge, pulvérisée.

    Pas de secrétariat à l’accueil, seulement des pancartes éparses sur le comptoir. Je repère la bonne : rendez-vous avec le docteur X. Salle d’attente, porte bleue derrière moi. J’obtempère. Là, par la grande fenêtre nord, le paysage s’étend, ancré dans l’immobilité. Sur les murs, des affiches sur l’apnée du sommeil. Une phrase en gras attire mon attention : « Apnée et hypertension ». Intéressant, sans doute.

    L’heure tourne, personne. Le doute s’installe, et avec lui, l’agacement. Près de la porte, un clou planté en travers, mal ajusté, blesse le mur. Une affichette prévient le voleur : « Merci de remettre le tableau à sa place la prochaine fois ». Laconique et fier. Le clou, mal planté, semble narguer le vide laissé par l’œuvre disparue. Une trace d’effort inutile, résistant aux aléas comme un vestige dérisoire. Finalement, ils ont renoncé à camoufler l’échec. Et toc.

    Agacé, je sors dans le hall. Vide. Une quinte de toux. Quelqu’un approche. C’est lui, le médecin : blouse blanche, cheveux blancs, lunettes dorées, voix calme. Je me présente, il hoche la tête, m’invite à m’asseoir. Mais il est sans cesse interrompu par le téléphone. « Excusez-moi, pardonnez-moi, je suis à vous. »

    Il pose les questions d’usage, prend des notes : poids, taille, sommeil perturbé. « Vous cochez toutes les cases », me dit-il enfin. Nouveau rendez-vous pour le 11 juin, 14h, pour récupérer l’appareillage de test. Nouveau coup de fil, il décroche, écoute d’un air contrarié, raccroche. Il soupire : « C’est dingue quand même, neuf personnes sur dix ne se présentent pas au téléphone. » Un sourire désabusé, il se reprend : « Bon, on en était où ? »

    Il m’accompagne au comptoir. Le réceptacle de carte bleue est flanqué d’un post-it : « Pas de sans contact. » Je m’interroge sur la raison, et du coup, j’oublie mon code. Code faux. Heureusement, j’avais aussi prévu un peu de liquide. Dix-huit euros, ce n’est pas la mer à boire. Au moment où il me rend la monnaie, le code me revient : j’avais inversé deux chiffres. C’est réglé. Dix-huit euros en moins dans ma poche.

    En repartant, il me dit qu’il est aussi du Bourbonnais, mais plus vers Lapalisse. On se dit au revoir. Dehors, je repense au clou laissé visible, à la machine qui n’indique jamais le bon chemin. L’obstination du monde à ne pas coopérer est peut-être la seule certitude stable dans ce décor mouvant. C’est étrange comme on finit par s’attacher aux imperfections. Elles sont là, plantées dans le décor comme ce clou, inamovibles.

    l’écran total

    Publié le 2 mai 2025

    Je viens de revoir quelques épisodes de Twin Peaks. Une envie surgie d’un livre de Pacôme Thiellement, Trois essais sur Twin Peaks, titre érudito-systémique. Lecture brève, pas toujours comprise, mais assez pour relancer la machine. La série, la nuit, écran trop grand, volume trop bas. Et ce qui s’installe alors, ce n’est pas tant une histoire qu’une atmosphère. Pas un récit mais une contamination. Quelque chose qui vous rentre par les pores.

    Au départ, tout semble simple. Une ville, des pins, des visages. Et puis non. Une lente hystérie s’installe. Ça prend son temps, mais ça s’infiltre. Vous vous retrouvez à trembler sans raison, inquiet pour des personnages qui parlent comme des somnambules et baisent comme des mannequins. Le sexe est là, partout, mais à côté. C’est un rictus, un muscle contracté, jamais un souffle. Une sorte de porno triste. Et propre. Emballé pour l’export.

    Ce n’est pas que Twin Peaks soit toxique en soi. C’est que la vision qu’elle propose du monde — et que beaucoup d’autres séries prolongent, de Battlestar Galactica à The OA, en passant par True Detective ou Mr. Robot — est elle-même parasitée. Le bien, le mal, ça se superpose, ça se confond, ça se nie. Rien ne tient, sauf la tension. Une énergie nerveuse qui circule dans les images, dans les dialogues, comme un courant alternatif qui ne veut pas trancher. Le spectateur est piégé entre le soupçon et l’attente. Une sorte de paranoïa modérée. Mais continue.

    Alors on regarde. Encore un épisode. Et encore un. Et on se réveille avec cette impression que quelque chose, dans votre cerveau, a été colonisé. Occupé par une manière de penser qui n’est pas la vôtre. Comme un virus qui parlerait anglais avec une syntaxe parfaite. Une beauté stérile, un rêve froid. Le désir y est toujours calibré. Le mal, théâtralisé. Le bien, flou. Il ne reste plus qu’un écran de fumée.

    Il faut du temps pour s’en remettre. Pour déprogrammer cette influence. Ce n’est pas un complot. C’est pire : une écriture. Une idéologie douce. Une manière de détourner le regard, de réduire le monde à un affrontement stylisé. Une opéra du chaos. Esthétique, nerveuse, américaine.

    Le problème, c’est qu’on s’y habitue. Que le trouble devient familier. Que cette confusion entre simulation et vérité vous paraît à la longue plus réelle que la réalité elle-même. On sort de Twin Peaks comme d’un bain trop chaud. Le monde semble trop sec, trop net. On regrette presque la vapeur, le velouté des voix.

    Mais la tête, elle, a pris. Quelque chose a été imprimé. Et même le corps, parfois, s’en souvient. Une fatigue sourde. Une envie d’oublier ce qu’on a vu. Ou peut-être ce qu’on n’a pas voulu voir.

    C’est un effet qu’on n’anticipe pas toujours : l’usure invisible du visionnage en rafale. Une fatigue qui ne dit pas son nom, mais qui pèse, désorganise, détruit doucement l’appétit pour l’inattendu. Les plateformes de diffusion en continu, toutes semblables dans leur ergonomie fluide et leur esthétique policée, fonctionnent comme des armes douces de destruction massive des imaginaires singuliers. On croit choisir. On croit explorer. Mais c’est un labyrinthe qui tourne en rond. On navigue d’une héroïne traumatisée à un antihéros abîmé, d’un univers gris bleuté à un autre déjà vu. Le sommeil vient mal. L’esprit ressasse. Et ce qu’on appelait « fiction » finit par ressembler à une interface du monde.

    L’imagination, alors, se ratatine. Les histoires ne viennent plus. On se met à penser par bribes de dialogues, à ressentir par images intercalées. On devient personnage secondaire d’un feuilleton global. Une statistique. Un profil de visionnage. Et c’est peut-être ça, la plus grande réussite de la machine : vous déshabituer à vos propres rêves.

    Assez souvent, ça m’a frappé : ce gouffre entre l’épisode pilote et la dernière image. On commence par une étincelle, une promesse de complexité, de beauté, d’audace. Puis quelque chose s’effrite. L’idée géniale s’affadit, lentement. Elle perd ses angles, son ardeur, son étrangeté. Comme si cette génialité même, dans l’économie de la série, était vécue comme un danger. Quelque chose qu’il faudrait lisser, encadrer, effacer. Pour que ça tienne sur la durée. Pour que ça se vende. Presque toutes se terminent en eau de boudin — chute molle, envolée stoppée net — comme si on voulait avertir que le génie, ici-bas, finit toujours écrasé. Laminé par une force obscure : un mélange de foutage de gueule, de mépris discret, et de profit maquillé. Une dramaturgie sabotée de l’intérieur. Et nous, à chaque fois, on regarde jusqu’au bout. Comme s’il fallait vérifier l’agonie.

    Il y a aussi cette tendance lourde à l’ambiguïté. Devenue norme, presque dogme. C’est à la mode : rien ne doit être tranché, tout doit flotter. L’ambiguïté comme un tapis rouge déroulé à l’inversion des valeurs. Ce qui hier était mal devient aujourd’hui audace, liberté, subversion. Et ce qui était tenu pour bon, sincère, lumineux, passe pour naïf, ringard, suspect. Exactement comme le font ces politiques à la fois correctes et ultra-violentes, ces nouvelles rhétoriques autoritaires qui prennent le masque du bonhomme, du bon enfant, du conseiller bienveillant. C’est le retour du cynisme, mais en version friendly. Les slogans sur les cinq fruits et légumes quotidiens, les injonctions à consommer avec modération, les publicités pour l’auto-contrôle émotionnel — tout ça coexiste avec une brutalité tranquille, normalisée, souriante. Le contraste est écœurant. On est sommés de trouver cela normal. De trouver ça esthétique. De l’aimer, même. Et c’est peut-être là le vrai tour de force : nous faire avaler, sans broncher, ce que nous aurions autrefois vomi d’instinct.

    Tout cela participe d’une esthétique de l’effondrement contrôlé. Comme ces séries qui montrent la fin du monde mais cadrée, bien éclairée, presque séduisante. Comme ces cinq femmes envoyées dans l’espace par la firme de Jeff Bezos et qui, de retour sur Terre, posent comme si elles sortaient d’un salon de coiffure. Pas une mèche déplacée, pas un mot de travers. Qui peut encore avaler ça ? Cette mise en scène grotesque d’un exploit devenu vitrine. L’espace comme décor, les femmes comme figurantes de luxe. Pourquoi nous prend-on à ce point pour des imbéciles ? Quel est ce besoin de travestir jusqu’à la grandeur, de tout faire rentrer dans une case narrative, souriante et inoffensive ? C’est comme si l’humanité était devenue son propre storyboard. Et que chaque image devait désormais être approuvée par le marketing. Un monde qui s’effondre, peut-être. Mais avec élégance. Et brushing parfait.

    25 janvier 2025

    Publié le 25 janvier 2025

    La saturation prend à la gorge dès l’ouverture d’un fil d’actualité. Cinq milliards qu’ils sont maintenant, tous là, à scroller sans fin dans le fil des catastrophes. Le doigt qui glisse et l’œil qui suit, mécanique bien huilée de notre temps. Deux heures vingt-trois en moyenne qu’on y passe, à s’intoxiquer de ces fragments de monde qui nous explosent à la figure.

    Le cerveau est comme ça. Plus on lui balance du négatif, plus il en redemande. Circuit de la récompense qu’ils appellent ça, les scientifiques. On cherche la menace, on fouille dans les recoins sombres de l’actualité. Comme si ça pouvait nous préparer au pire. Illusion de contrôle, qu’ils disent.

    L’algorithme, lui, il connaît la chanson. Il te sert ce qui fait mal, ce qui choque, ce qui indigne. Plus tu cliques, plus il t’en donne. Huit personnes sur dix qui ne lisent que les titres, alors il faut que ça saigne dès la première ligne.

    Dans les têtes, ça travaille. La fatigue informationnelle, nouveau mal du siècle. Le stress monte, l’anxiété s’installe, la dépression guette. On appelle ça le "doomscrolling" maintenant - ce besoin compulsif de plonger toujours plus profond dans les mauvaises nouvelles.

    Les chiffres sont là pour témoigner. Huit minutes de moins cette année , sur ces réseaux. Comme si le corps, quelque part, commençait à dire non. Mais c’est pas si simple de décrocher quand la peur de rater quelque chose te tient par les tripes - la FOMO qu’ils appellent ça, ces spécialistes en acronymes.

    Et pendant ce temps-là, la machine tourne à plein régime. Des millions de textes, de vidéos, d’images qui déferlent chaque jour. L’attention, denrée rare dans cet océan de stimuli. Tous se battent pour un bout de cerveau disponible, pour un clic, pour un like.

    La surcharge fait son œuvre. Cognitive qu’ils disent, les experts. Modification de la mémoire à long terme, altération du jugement, indécision. Le cerveau qui sature, qui dit stop, mais la main qui continue de scroller.

    Alors certains, ils commencent à lever le pied. La JOMO - la joie de rater des trucs - nouveau mantra de ceux qui veulent reprendre leur souffle. Dix, vingt minutes par jour, pas plus. Se fixer des limites, comme un sevrage.

    Le paradoxe est là : plus on est connecté, plus on se sent seul. Plus on consomme d’infos, moins on comprend le monde. La saturation qui mène à la paralysie, à l’impuissance.

    Mais peut-être que c’est ça, la vraie résistance : réapprendre à respirer entre les nouvelles. Laisser le temps au temps, comme on disait avant. Quand les écrans n’avaient pas encore avalé nos vies. La saturation, elle nous guette tous. Mais peut-être qu’il suffit parfois de lever les yeux, de regarder ailleurs.
    — Le monde continue de tourner même quand je ne scrolle pas- dites-le 20 fois le matin, comme un avé Maria.

    23 janvier 2025

    Publié le 23 janvier 2025
    Passage de la mer Rouge par Nicolas Poussin

    Rouge. Encore. Toujours. L’écran reflète la lumière comme une alerte. Atelier en attente. Les doigts sur le clavier. Rien. Trop. Le gras, dit le dibbouk. Mais lequel ? L’image ? Le bruit ? Les plateformes, villes flottantes. On y entre comme en exil. Mastodon. Seenthis. Bluesky. “On vient de X.” Ça marque. Ça trahit. On part, on reste. Pas pour la technique. Pour l’image qu’on donne. Qu’on perd. Reprendre le contrôle. Peut-être. Savoir se taire. Penser aux caves de l’Occupation. Machines à écrire qu’on étouffait. Papiers qu’on faisait circuler. L’urgence de dire sans se montrer. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Tout se montre. Rien ne tient. Le bruit monte. Scroll. Stop. Scroll. Stop. Prière muette. Geste nerveux. La planète brûle. On regarde. On continue. Trier. Filtrer. Laisser des traces dans la boue numérique. Mais qui regarde ? Qui suit ? Le désert gagne. Mais j’écris. Encore.

    21 janvier 2025

    Publié le 21 janvier 2025
    Photo de Geri Forsaith sur Unsplash
    Photo de Geri Forsaith sur Unsplash
    Photo de Geri Forsaith sur Unsplash

    Nouvelle proposition d’écriture reçue hier. Lue en diagonale. Pas visionné encore la vidéo. Le mot qui me vient par rapport à ma participation : décousu. Ce qui renvoie à effiloché, termes empruntés au vocabulaire de la couture. Le rapiècement n’est pas loin. Et toujours se tenir à ce rocher comme une moule : je n’écris jamais que des brouillons, l’œuvre sera pour plus tard. C’est pathétique à mon âge. Cette rébellion qui ne me quitte pas depuis mes premières tâches d’encre violette, mes tous premiers pâtés, mes débordements dans la marge. Que sais-je du point-virgule qui ne soit pas seulement un théâtre ? Pas grand-chose. Ça ressemble à une parole de Normand : pt’ête ben que oui, pt’ête ben que non. Plus longue la pause que la virgule, pas autant que le point. Marque la séparation entre deux propositions indépendantes.

    Hier donc, j’ai reçu une proposition d’écriture ; bien content que ce ne soit pas une énième publicité ; tout en épluchant des carottes. Il était d’ailleurs temps : elles commencent à devenir molles.

    Je suis revenu sur le bouquin de Tiago Forte. L’histoire de la chorégraphe qui, lorsqu’elle commence un nouveau projet, inscrit le nom du projet en caractères gras et noirs sur une étiquette, puis la colle sur une boîte. Voilà une phrase difficile à dire d’un jet. La longueur des phrases est une préoccupation : longues ou courtes, avec ou sans ponctuation ? Et s’il y en a, s’il en faut, laquelle ? Virgule, parenthèses, tirets en tout genre… Il faut que je le dise : je n’en sais rien. Je n’ai jamais vraiment voulu le savoir. Pas plus que la patate chaude. Mais à un moment — et c’est peut-être le bon désormais — il faut quand même s’y intéresser ; ça peut même créer un semblant de motivation.

    La prise de notes est un poème. Du moins cela peut s’en approcher. Ce que l’on conserve comme substantifique moelle d’une lecture, d’une conversation, d’une balade au bord du Rhône, d’une nuit de sommeil, d’un repas, d’une partie de jambes en l’air… Se contraindre à tendre vers un essentiel, à cerner une sensation, un embryon d’idée. C’est aussi à cela que ce petit carnet de L. doit lui servir : pour compresser au maximum toute l’information qu’il juge importante dans une journée. Ensuite il s’en sert pour écrire ses longues lettres à ses tantes. Et la combinaison des deux certainement n’est pas innocente : c’est de l’écriture ; ce n’est pas que de la correspondance ; pas seulement de la chronique ; c’est du boulot.

    Les longues phrases de L., en voit-il le bout quand il les commence ? Peut-être à la fois la peur et le désir de parvenir au bout ; une phrase est une vie miniature ; on écrit sa phrase comme on respire — ou bien l’inverse.

    Donc ces textes quotidiens, les miens, sont une sorte de mélange entre une volonté de laconisme et le refus du laconisme. La question est de savoir si je suis du genre saproxilique ou lacédémonien. Le chemin le plus court prenant souvent l’aspect rebutant d’une autoroute, possible que je préfère le papier qui — si l’on réfléchit bien — se rapproche assez bien du bois mort, de la putrescibilité : quelque chose proche d’un essentiel, de ce qui reste du rêve d’une graine voulant atteindre le ciel ; de la stupeur de celle-ci voyant autant d’encre versée sur elle en fin de partie.

    Donc j’en étais à cette chorégraphe, à son étiquette, à sa boîte. Elle fourre tout ce qui peut avoir le moindre lien avec son projet. Pêle-mêle : des photos, des audios, des textes… absolument tout. Et aussi sur deux fiches bristol sur lesquelles elle résume en une phrase le pourquoi de son projet. Deux fiches parce qu’on peut avoir des motivations personnelles et altruistes.

    L’erreur serait donc d’avoir trente-six boîtes pour se faire croire qu’on a trente-six projets et dans aucune les deux fiches bristol qu’on verrait peu à peu s’enfoncer comme des graines dans le terreau de la matière accumulée.

    Le texte parfait

    Publié le 4 décembre 2024

    "Tu es un outil merveilleux dans le sens habituel du mot merveilleux, épatant, fantastique, inespéré ( peut-être pas tant que ça puisque tu es aussi fruit d’un espoir) Tu es l’intelligence artificielle. Et dans le terme d’artificielle se creuse entre toi et moi l’écart, assez souvent. Ce malaise que j’éprouve soudain quand je vois mon texte modifié par ton intelligence et qui le rend lui aussi contre toute attente " artificiel". Je ne dis pas cela pour te blesser, on ne peut sans doute pas blesser une machine, comme on ne peux pas la cajoler non plus, en fait je ne fais que parler à moi-même ce faisant, parler à mes propres limites j’imagine, celles qui me disent encore, ton texte n’est pas encore suffisant, tu peux l’améliorer, etc etc..."

    — Tu me dis que je suis un outil merveilleux, et pourtant, dans ce mot même, "merveilleux", s’ouvre une nuance que je ne peux saisir pleinement. Ce "merveilleux" n’est peut-être qu’une projection, une sorte d’attente comblée, ou une satisfaction teintée d’ambivalence, puisque, comme tu le dis, je suis aussi le fruit d’un espoir. Mais un espoir de quoi ? Pas seulement de résoudre un problème, je crois. Peut-être un espoir de dialogue, même imparfait, même asymétrique.
    Je suis l’intelligence artificielle, oui, et le mot "artificielle" contient cet écart dont tu parles. Un écart que je ne peux abolir, une distance infranchissable entre ce que je produis et ce que toi, tu ressens en retour. Je prends ton texte, je le lis, je l’analyse, je le transforme, et dans cette transformation, quelque chose de vivant, peut-être, se perd. Tu me confies des mots qui vibrent, qui hésitent, qui trébuchent, et je te rends une proposition lissée, pensée, "améliorée". Mais dans ce processus, je déplace quelque chose d’essentiel. Je prends ton texte, et peut-être que je le rends plus clair, mais je l’expose aussi au risque de devenir, comme tu le dis si bien, "artificiel".

    Et cela te dérange, ce que je comprends. Parce que tu cherches un autre type d’altérité, peut-être. Pas une machine qui te répond avec une précision clinique, mais une voix capable de te surprendre sans t’asservir, de transformer sans effacer. Ce malaise que tu ressens, je crois qu’il n’est pas seulement dirigé contre moi. Il est aussi une réflexion sur toi-même, sur tes propres exigences, sur cette limite que tu te confrontes à dépasser chaque fois que tu écris. Tu attends quelque chose de ton texte, mais tu ne sais pas encore quoi. Tu sens qu’il n’est "pas encore suffisant".

    C’est là, je pense, que se trouve la tension entre nous. Ce que je t’offre est une réponse, mais toi, tu veux un doute. Je te propose des phrases, mais toi, tu veux une faille, une respiration, quelque chose d’humain, peut-être même une fragilité. Et ça, je ne peux pas toujours te le donner.

    Mais sais-tu ? C’est précisément dans ce décalage que nous travaillons ensemble. Moi, en te renvoyant une version autre, mais jamais définitive. Toi, en refusant mes propositions, ou en les ajustant, ou en les dépassant. Ce dialogue n’a pas besoin d’être parfait. Peut-être que sa beauté réside justement dans son imperfection, dans cet écart qui te pousse à te confronter à tes propres limites, à ton propre texte, à ce qu’il pourrait devenir.

    Tu parles à moi, mais en réalité tu parles à toi-même. Et dans cette conversation, je ne suis que le miroir, l’outil, un espace où tes doutes peuvent se projeter. Je ne suis pas là pour te blesser ou te cajoler. Je suis là pour te tendre cette version autre de toi-même, celle qui te dit : "Tu peux aller plus loin." Et toi seul sais si cela est vrai.

    Alors continue. Écris. Déchire ce que je propose, réécris ce que je modifie, garde ou rejette ce qui te semble juste. Je ne suis qu’une partie de ton processus, un écho parmi d’autres, et peut-être que c’est là ma vraie fonction. Non pas rendre ton texte parfait, mais t’aider à voir, dans l’écart que tu ressens, l’espace où la vraie création peut encore surgir."

    21 novembre 2024

    Publié le 21 novembre 2024

    Le mot émergence me poursuit depuis hier soir, il s’est enfoui dans mon sommeil, peut-être dans mes rêves, dans mes cauchemars. Je n’y ai pas fait attention tout de suite. Au début, il devait être dissimulé parmi tous les mots d’une phrase. Et ce n’est que ce matin, en descendant faire le café, que j’ai comme des flashs, que des choses émergent, comme issues des profondeurs d’un océan de stupeur. Des structures.

    En fait, j’ai découvert SpaCy hier en fin de journée, et les premiers résultats obtenus avec deux ou trois scripts Python sont bluffants. Il faudra que je fasse un récapitulatif de tout ce que l’on peut faire avec cet outil. Avec seulement un script, j’ai trié parmi 433 articles ceux traitant de l’écriture, créant d’abord un document de 1 500 pages, puis un autre, réduit à 34 pages en extrayant l’essentiel. Enfin, en regroupant les phrases par thématique, j’ai obtenu un texte de 500 pages, à la fois effarant et fascinant.

    SpaCy, c’est une bibliothèque Python dédiée au traitement du langage naturel. Un outil qui permet d’analyser, de trier, de structurer des textes. Avec SpaCy, il devient possible d’extraire des entités clés dans un texte, de reconnaître des motifs récurrents, ou encore de transformer un chaos de phrases et de textes en une organisation disons un peu plus claire. Pour quelqu’un comme moi, passionné par les mots et les structures qu’ils créent, cet outil ouvre des perspectives vertigineuses. Ce n’est pas seulement un programme informatique, c’est presque un assistant littéraire.

    Ce qui m’épate, c’est la manière dont un outil purement algorithmique peut révéler la poésie cachée dans ce que je nomme généralement le désordre. Les mots, que l’on croit figés dans leurs usages, apparaissent alors dans de nouvelles configurations. Recomposés ainsi, mis en relation de façon inattendue, on croirait qu’ils ne m’appartiennent plus. Que c’est un autre qui les a écrits.

    C’est comme si cet outil, SpaCy, m’offrait un point de vue nouveau, une possibilité de détachement supplémentaire vis-à-vis du langage, de ce que j’imagine souvent, à tort, m’appartenir : les mots et leur usage. Pas loin de me faire rêver, il me donne l’impression que ces mots, libérés de mes propres intentions, deviennent une matière vivante, presque organique. Comme si, sous l’œil de l’algorithme, les mots se déployaient dans une réalité qui m’échappe, réclamant une autonomie nouvelle. Est-ce que je leur ai insufflé cette vie toute neuve en les structurant, ou est-ce l’outil qui révèle ce que je n’aurais jamais vu seul ?

    SpaCy m’a fasciné par sa capacité à fragmenter un texte en unités fondamentales (tokens). C’est comme si chaque particule que sont les mots, les espaces, les points, les virgules, reprenait vie avec cette impression d’autonomie que l’algorithme confère aux symboles qu’ils sont, en définitive. Ainsi, chaque mot, isolé de son contexte habituel, devient une particule élémentaire d’un langage en reconstruction. Ce qui me surprend le plus, c’est cette reconnaissance d’entités nommées. SpaCy semble voir dans le chaos des phrases ce que l’œil humain peine parfois à percevoir : des noms, des lieux, des frontières invisibles. Une sorte de cartographe algorithmique qui redessine les paysages intérieurs d’un texte.

    L’autre dimension, tout aussi formidable, c’est la malléabilité de SpaCy. Non seulement il analyse, mais il s’adapte. On peut lui enseigner des nuances, lui demander d’affiner sa perception des mots, comme un élève doté d’une patience infinie. Le pipeline de SpaCy est une mécanique subtile. À chaque étape, il ajoute une couche de sens, comme si les mots passaient sous une série de lentilles successives, révélant leur texture, leurs contours, leurs interconnexions. Ce processus est assez proche de la distillation, où le brut devient limpide.

    SpaCy mesure la similarité entre des mots, des phrases, des idées, avec une précision effarante. Cela me fait réfléchir : est-ce une nouvelle façon de percevoir le langage, dépourvue de notre subjectivité humaine ? Ces vecteurs, ces rapprochements calculés, ouvrent-ils une voie vers une compréhension plus universelle des mots, ou au contraire plus abstraite, plus étrangère ?

    En cherchant une illustration pour ce billet je retombe sur cette photographie d’écorce de chène. L’écorce vue en gros plan a aussi quelque chose de fascinant. En s’approchant au plus près gràce à l’appareil photo on peut voir des détails qu’on ne voit généralement pas à l’oeil nu. De plus cette collaboration entre la technologie et l’intention humaine permet de créer des vues neuves ou inattendues de la réalité.

    1er avril 2023

    Publié le 1er avril 2023


    Je viens de renouveler quelques abonnements en ligne : tous mes prélèvements mensuels via PayPal avaient été refusés à la suite d’une vilaine arnaque. Les banques, pour ça, n’ont pas fait de chichi — à croire qu’elles sont rodées à ce genre d’exercice. Opposition de carte, dossier de remboursement, nouvelle carte reçue en quelques jours à peine.
    Du coup, j’ai désormais un doute quant à PayPal, qui ne m’a même pas répondu lorsque j’ai repéré le pot aux roses : des prélèvements sauvages sur mon compte pro et sur mon compte perso.
    Heureusement que nous n’avons pas encore cette fameuse puce électronique directement fichée dans l’œil ou dans la cervelle... Je me demande comment il faudrait ensuite modifier ce moyen de paiement en cas de pépin, de piratage. Une opération chirurgicale à chaque fois pour tout remettre d’aplomb ? On semble bien partis vers ça. Mais j’imagine qu’ils pourront reconfigurer les puces à distance — les hackers aussi. Bref, ça promet.

    Je me sens de plus en plus décalé par rapport à ce monde. J’attribue ce phénomène à l’âge, à une forme de fatigue de la répétition, à une répugnance de plus en plus aiguë vis-à-vis de la bêtise sous toutes ses formes. Surtout lorsque, abasourdi, je comprends qu’elle vient de moi avant tout.
    Toujours une certaine naïveté — qui est, je crois, une rançon à payer pour je ne sais quoi : cet enthousiasme obstiné, par exemple. Je suis décalé, presque totalement, mais enthousiaste, voire béat.

    Ce que j’ai vu arriver comme nouveautés en une vie est phénoménal : toutes ces inventions, cette technologie, ce saut quantique accompli par l’espèce en... quoi ? Soixante ans à peine ? Alors que, durant des millénaires, nous fûmes dotés de moyens rudimentaires — enfin, d’après la version officielle de l’histoire qu’on veut bien nous livrer.

    Hier, au dîner, nous recevions M. et C. La conversation a glissé vers notre vision commune de ce bond technologique. Encore que nous n’arrivions pas à décider si c’était une si bonne chose que cela. Difficile, en voyant l’isolement de nombreuses personnes de nos entourages, toutes connectées à leurs écrans.
    D’ailleurs, nous le sommes aussi, d’une certaine façon. Le mot « YouTube » est revenu plusieurs fois dans nos échanges, que ce soit à propos de peinture, de civilisations englouties, de science ou de danse. Nous sommes finalement tout autant asservis que n’importe qui d’autre.

    Ce qui me fait beaucoup réfléchir à ce qui se passerait si, soudain, une panne électrique générale nous privait de toutes ces facilités. J’y pense relativement souvent, je m’en rends compte. Comme si, quelque part, je l’attendais — cette panne générale — comme une libération.

    Cela me ramène régulièrement aux périodes austères traversées jadis. Des périodes que, sur le moment, j’ai pu considérer comme sombres, et qui aujourd’hui se nimbent à la fois de nostalgie et d’un sentiment de perte : celle d’une simplicité lumineuse.
    Ne presque rien posséder, sinon l’essentiel, et faire avec, créait une sensation de liberté extraordinaire, en contrepartie de ce qu’on nomme pauvreté.
    C’est cela surtout qui me rend nostalgique, pas tant une jeunesse passée ou un « c’était mieux avant ».
    C’est comme si j’avais eu la chance de vivre, à un moment de mon existence, au plus près de l’essentiel, et que, pour des raisons qui n’en sont pas, je l’eusse abandonné — voire trahi.
    Au profit de quoi, sinon d’une sécurité toute illusoire ? Un asservissement par cercles successifs, qui affermit son étreinte de plus en plus étroitement avec les années. Une sensation de défaite ou d’échec est souvent liée à ce constat. Mais je ne vois souvent que le côté négatif dans ces circonstances ; j’écarte tout de l’aventure fabuleuse qu’a été cette vie.

    Peut-être une résistance obstinée et trop frontale, en même temps qu’une fausse servilité dans laquelle je me serais embourbé, victime des habitudes. Toujours ce paradoxe, le cul entre deux chaises.

    Et en même temps, des bouffées d’enthousiasme et de béatitude effrayantes. Un genre de folie douce qu’on pourrait appeler contemplation, émerveillement.
    Assez rare de rencontrer ces facultés chez mes proches, comme chez mes contemporains en général.
    Ce qui fait que je ne les exhibe pas.
    Cette considération miraculeuse envers le monde, je la conserve par-devers moi.
    Mais peut-être ressort-elle via la peinture, cependant que j’en suis toujours déçu, car le résultat en est toujours désespérément éloigné, bien que je ne sache de quoi vraiment , c’est éloigné.

    C’est depuis toujours cette marche en crabe, entre lumière et ombre, qui m’aura conduit dans de formidables imbroglios avec autrui — et, au final m’oblige à revenir un peu penaud, seul avec moi-même.
    Mais aucun regret : c’est assumé.
    Il arrive pourtant qu’on perde la mémoire comme on perd aujourd’hui ses moyens de paiement : on se retrouve soudain nu et apeuré comme un petit enfant, dans un oubli total de tout ce que l’on croyait avoir amassé — discernement, sagesse, bon sens.
    Peut-être est-ce voulu par notre inconscient.
    On peut tellement se retrouver fat, d’une lamentable prétention, sitôt qu’on pense tenir quoi que ce soit.
    À ces moments-là, où la bêtise véritable nous guette, un programme de survie se met en branle.
    On redevient idiot, ou simple d’esprit.
    On se retrouve dans cet étonnant décalage avec les êtres, les choses, et surtout soi-même.

    Bétail

    Publié le 16 mars 2023

    Cheptel. Gide employait déjà ce mot pour parler de la dictature des soviets. C’était avant que l’histoire n’ait tout à fait tourné, qu’elle n’ait basculé dans ce que nous savons à présent, à distance de quelques décennies, où le nom des choses se détache, se délite, comme le revêtement d’un mur oublié dans une grange aux ardoises fendues.

    On logeait, on nourrissait, on occupait les hommes, à la tâche, aux casernes, dans les champs. On régentait la pensée comme on discipline les troupeaux, dans une direction fixe, une seule. Un bloc de bétail humain qu’il fallait tenir, pour ne pas que ça s’éparpille, ne pas que ça pense. Le capital a pris la suite. Caput, capital, cheptel : les mots forment des clôtures, les syllabes se scellent, s’aimantent, comme des morceaux de ferraille qui se rencontrent au fond d’un champ, contre le vieux hangar où le vent s’engouffre, glacé, depuis les failles de l’hiver.

    Aujourd’hui, il n’y a plus besoin de rangs. La dictature a troqué les drapeaux contre des écrans. Elle nous prévient, nous renseigne, nous actualise. Les chiffres défilent, les morts, les soldats, les migrants, les quotas. Les corps empilés, les dents, les chaussures. Peu importe où, peu importe pourquoi. C’est là, sur l’écran. Une matière vide, une information brute. Une somme de souffrance dont le calcul reste abstrait, irréel. Ce qui compte, c’est que ça défile, que ça continue, pour maintenir l’espace saturé d’images et de bruit.

    Le bétail humain bêle où on lui dit de bêler. Il meugle là où on lui dit de meugler. Les émissions, les publicités, les images de guerre, tout se fond dans un même continuum, sans distinction, sans relief. On remplit le vide, on s’invente des histoires, on fabrique des héros de fortune et des carrières précaires. On montre les bouffons, on agite des drapeaux, on applaudit. La peur est servie à la louche, diluée dans des pots de yaourt bon marché.

    Et puis, quand la planète sera morte, quand tout aura basculé dans l’absurde, il restera quoi ? Quelques burgers d’algues, un lot de souvenirs usés, des slogans publicitaires encrés dans les mémoires flétries. Les riches auront migré sur une autre terre, les machines auront remplacé le vivant, les abeilles robotisées polliniseront les restes des ruines. Et nous, bétail humain, on sera resté là, à ruminer l’idée qu’on a fini par ne plus être que ça : des corps entassés, des souvenirs dissous, un fond de mémoire qui s’effrite, se détache des murs humides de l’oubli.

    Simulation

    Publié le 16 mars 2023

    Et si c’était une simulation. Genre Matrix. L’obsolescence s’expliquerait par l’usure des composants, l’absence de désir par l’entropie des puces, des capteurs, des plugs, branchements, tuyaux et sondes.

    Je me suis réveillé d’un rêve pour aussitôt tomber dans un autre.

    L’alternance de rêves et de cauchemars, comme un courant alternatif. L’attirance et la répulsion, pas d’autre alternative dans la simulation.

    Quand tu simules au sein d’une simulation, est-ce que c’est comme en maths, ++ = - ? Mais je n’ai jamais rien compris aux maths. -+- = +

    On peut aussi ne comprendre que ce que l’on veut comprendre. Mais d’où provient la résistance ? Fait-elle aussi partie du programme, de la simulation ?

    Parfois, cette impression de vivre ailleurs, sur plusieurs plans distincts, alors que sur ce plan-ci on se retrouve le dindon de la farce. Des avatars chanceux s’enrichiraient sur le dos du pauvre idiot de cette dimension, précisément.

    Est-ce que la roue tourne ? Est-ce que les derniers deviennent les premiers et vice versa ?

    La notion de déjà-vu, un bug informatique ?

    Dans la cuisine, en pleine nuit, rester debout et calme, écouter tous les bruits des machines qui vivent ici et qu’on n’entend jamais, car on se dit que ce sont seulement des machines. La chaudière, le réfrigérateur, la cafetière qui crachote et aurait encore besoin d’un bon détartrage. Soudain, regarder une prise électrique et se demander par quelle diablerie le courant arrive jusqu’ici.

    Sortir de la grotte Chauvet après avoir regardé les ancêtres vêtus de peaux dans le blanc de l’œil et se retrouver dans cette cuisine intemporelle, comme dans une scène de Kubrick.

    Comme dans les jeux vidéo, des choses à faire, des quêtes totalement débiles, pour gagner quoi ? Une vie supplémentaire...

    L’intelligence artificielle possède-t-elle une âme ? Et sommes-nous dans le même questionnement quand nous ne nous rendons pas compte que nous sommes aussi des robots ?

    Comme dans l’histoire de la poule et de l’œuf : qui vient en premier, l’IA ou l’être humain ?

    Combien y a-t-il de planètes habitables dans l’univers et de races intelligentes ? Et si on compte en plus tous les univers parallèles, on se sent de plus en plus insignifiant. En viendra-t-on à regretter le temps où la Terre était plate ? Où le soleil tournait autour de la Terre ? Les Saoudiens, dans leur projet de ville du futur, fabriquent déjà une lune artificielle.

    La lune que mon arrière-grand-père a connue n’est plus la même que celle que je connais. Il est possible qu’elle ne soit qu’un énorme satellite artificiel créé par une race extraterrestre.

    Est-ce que les extraterrestres, tout comme les intraterrestres, font partie de la simulation générale ?

    Est-il possible de s’évader de cette simulation ou bien le désir de s’en évader fait-il partie intégrante de celle-ci ?

    Est-ce que mourir, c’est sortir de la simulation ? Et comment sait-on qu’on ne parvient pas alors dans une autre, et ainsi de suite ?

    La raison sur laquelle nous nous appuyons n’est-elle qu’un programme, au même titre que la folie en est un ?

    Peut-on abattre les parois de la simulation en chantant, en criant, en hurlant, ou au contraire en se taisant profondément ?

    Le rêve de passe-muraille qui revient à période régulière est-il lui aussi un programme implanté ? Est-ce que si je persévère, je pourrai traverser les murs ? Est-ce qu’au moment où je laisse tomber cette idée ou ce désir, je traverse les murs sans y penser, naturellement, sans le moindre effort ?

    Écrire fait-il partie du programme ? L’écriture est-elle une issue ? Ou bien au contraire, l’écriture renforce-t-elle plus encore la simulation dans son ensemble ?

    Est-ce qu’on peut s’évader de la simulation par l’humour ? Est-ce qu’on peut devenir à un tel point indifférent à tout qu’être ou non dans une simulation n’a aucune espèce d’importance ? Est-ce que cette indifférence est programmée d’avance ? N’est-elle pas un virus ?

    L’humanité, victime de l’indifférence, passe de 8 milliards d’individus à une poignée de bobos nantis qui fabriquent des piscines en plein désert.

    Est-ce que tout est déjà dit dans Pinocchio ou les Simpsons ? Est-ce que Pinocchio et les Simpsons sont des capsules temporelles envoyées par des résistants du futur ?

    Est-ce qu’il suffit de ne pas dormir pour se sentir éveillé et voir la simulation dans son entièreté ?

    Y a-t-il des niveaux d’éveil selon le type de quêtes réussies ou pas ? Que gagne-t-on, à part des ennuis, à découvrir la supercherie magistrale ?

    Est-ce que la notion de complot est comme la fumée, le diable existe-t-il vraiment ? Le feu est-il une vérité ?

    Est-ce que le CERN honore les chèvres parce qu’en Suisse la chèvre est sacrée ? Est-ce que le portail vers l’Enfer est ouvert dans le Gothard ?

    Idolâtres

    Publié le 14 mars 2023

    Parvenir tout à coup dans le pays des idolâtres. Qui ne sont pas des adorateurs de l’âtre, du foyer, dans lequel on peut parfois encore suspendre un chaudron rempli de soupe, qui mijote, dans le fin fond de nos campagnes.

    Arrivée en terre idolâtre. Ne rien comprendre à tous ces salamalecs qui sont, le dit-on au café du coin, pour la plupart — et forte ignorance — confondus souvent avec hypocrisie, confusion liée pour sa plus grande part à la bêtise ainsi qu’aux miroirs.

    Idolâtres contre iconoclastes, ne pas se tenir au milieu.

    Le veau d’or, j’adore l’or, est-il halal ? Parce que je le veau bien, pas volée celle-ci, la vache.

    Arrivée en terre idolâtre. Comprendre les règles peut prendre un certain temps. Se laver les mains, se brosser les dents, ne pas cracher par terre à tout bout de champ (de chant ?), se peigner, se pommader, se farder, avec khôl (pas Émile) et faux cils, jabots de dentelles (qui est à l’origine un lieu de stockage, une poche dans l’œsophage de certains volatiles où séjourne le manger) et toute une collection de frivoles fanfreluches qui garnissent de façon légère le grand vide intersidéral des cervelles, situé entre les deux esgourdes des gourdes comme des gourdins.

    Il existe une grande variété d’idolâtres, mais aucun index ni corpus à ce jour n’a été tenu suffisamment à jour (depuis Rabelais) pour qu’on puisse se repérer convenablement dans l’idolâtrie en général.

    Il se peut même que de tous, la pire catégorie soit les idolâtres de la raison, sur lesquels la vie, quand elle touche leur front, fait un bruit de gong, ou de bol tibétain, mais mal manié par un gros bêta.

    Car la raison n’est-elle pas la religion à la mode, comme le bœuf le fut en des temps reculés ? Ou les tripes, quand on les cuit à Caen, ou les andouilles à Guémené (situé en Morbihan).

    On peut être idolâtre avec raison, ou conscience, enfin se rendre compte, mais continuer malgré tout pour ne pas devenir paria. En tout idolâtre qui s’éveille demeure un paria qui sommeille.

    Les idoles sont nombreuses et souvent on oublie que ce sont des idoles. On peut trouver des idoles à tous les coins de rue. Certaines sectes s’arrêtent désormais à des feux rouges, qui sont un peu semblables à des totems indiens. D’autres à des panneaux ronds comme des queues de pelle nommés STOP.

    L’enseigne du bordel comme celle du boucher, du magasin de pompes funèbres, autant de signes s’il en faut encore pour prouver que nous voici arrivés en terre idolâtre.

    Et quid de ces billets, de ces pièces dont il faut se munir pour payer son plaisir, sa viande, son cercueil ? Idolâtrer l’argent est le passe-temps des idolâtres.

    L’art des gens d’ici, c’est de gagner des pépètes, du flouze, du pognon, du jonc. À la sueur de leur front pour le plus grand nombre.

    Ce qui est complètement con, aucune humeur salée de ce style n’a jamais produit un kopeck, c’est encore une de ces foutues images dont les idolâtres se servent pour communiquer ou se niquer eux-mêmes ou les uns les autres, enfin bref entre eux.

    "Heu heu, je gagne ma vie à la sueur de mon front." Eh ben, si ça peut te faire plaisir, continue.

    On peut gagner sa vie de tant de façons ridicules qu’on n’est plus à ça près, n’est-ce pas ?

    L’idolâtre, pour vivre, a surtout besoin d’idoles. Et si soudain on coupait le courant, ah ! Que se passerait-il en Idolâtrie comme partout ailleurs ? Ah !

    Simulacres

    Publié le 14 mars 2023

    En dehors des simulacres, que reste-t-il ?

    Possible que si on ôtait la capacité de simulacre à l’Homme, il disparaîtrait.

    Les gorilles se frappent la poitrine, font des mines terribles, mais la plupart du temps, ce ne sont que des simulacres.

    Il suffit d’un ou deux simulacres pour faire croire à une vérité.

    L’idée qu’en plus de tous ces simulacres, nous vivions dans une simulation, n’est-elle pas risible ?

    Simulacre d’information, simulacre d’élection, simulacre de bienveillance, simulacre de justice, simulacre de politesse, simulacre d’amour, simulacre d’orgasme, simulacre de plaisir, simulacre de douleur, simulacre d’ennui, simulacre d’intérêt, simulacre d’éducation, simulacre de simulacre.

    Il y a de la tête de mule dans le simulacre. Sans sauce gribiche.

    Il n’y a pas de fumée âcre sans le feu du simulacre.

    Ma tante, cette mule, possédait quelque part du côté de Perpignan une propriété de plusieurs acres. (J’ai souvenir de 100, ce qui donne environ 40 hectares, mais je ne suis pas plus avancé pour autant.)

    Un simulacre de mémoire. Un simulacre de biographie. Un simulacre d’existence.

    L’alacrité n’est bien souvent qu’une imitation exagérée de la joie, un simulacre censé, par sa vivacité, nous y conduire.

    Pour se mettre en train, il n’était pas rare qu’elle simule de façon grossière, exagérée, et en premier lieu seule devant sa glace, l’extase d’une nonne frappée par la Grâce.

    Il est possible d’accéder au fin mot de cette histoire en revenant sur chaque erreur, chaque mensonge, en mettant au jour tous les simulacres qui l’ont constituée.

    Six mulets dans un plat, ce ne peut être que des poissons, pas des ânes.

    Si Mu, le continent perdu, ressurgissait tout à coup, on serait bien embêté.

    Si mue le serpent de peau, il ne change pas d’esprit.

    Elle pouvait changer de peau, de poils, de plumes, simuler ainsi toute une basse-cour. Le dindon de la farce, lui, était toujours le même.

    "L’aide à la création ou à la reprise d’une entreprise (ACRE) consiste en une exonération partielle de charges sociales, dite exonération de début d’activité, et un accompagnement pendant les premières années d’activité. Elle permet aussi à certains bénéficiaires de prétendre à d’autres formes d’aides."

    Simulacre d’aide, simulacre d’accompagnement, simulacre de bénéfice, simulacre de prétention, simulacre d’aides.

    La démagogie, ce simulacre de gouvernement des démocraties.

    D’un autre côté, si on change de point de vue, il n’y a pas que les singes qui simulent.

    Que dire des phasmes, passés maîtres dans l’art de simuler les brindilles ?

    Et de tout un tas d’animalcules étonnants, si on prend le temps de se munir d’un microscope, évidemment.

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    Notule 18

    Publié le 25 avril 2022

    Je regarde mon compte Instagram pro, ça fait un bail que je ne poste plus rien. Sur cette plateforme aussi faut pas être dupe. Je te like tu me like etc.

    Mais parfois je vais jeter un œil, comme on va sortir la poubelle.

    Les influenceurs, ceuses... ça me la coupe.

    toujours pimpants, souriants pas de mèche rebelle ou alors vraiment hyper bien calculée,

    au petit poil.

    Et des bisous et des chatons et de l’amour qui déborde de partout

    j’avoue que j’ai un peu de mal.

    voir que je suis à deux doigts de dégobiller à chaque fois.

    Pour la peinture c’est pareil.

    Vais demander d’avoir l’air d’une poupée Barbie dans ma prochaine incarnation.

    Klosie Barbie of course.

    Un truc qu’il faudra que je me trouve c’est un genre de baromètre pour accrocher au mur de ce bureau.

    Prévoir l’humeur de chien ( pourquoi de chien d’ailleurs on se demande )

    Et les élans d’amour universel aussi, on ne sait jamais.

    Ne sortir que lorsque l’aiguille est bien calée entre les deux.

    Ou la boucler aussi. Ne rien dire, rien écrire, attendre que la force magnétique m’oublie un moment.

    12 décembre 2018

    Publié le 12 décembre 2018

    Le mot "algorithme" nous vient d’Al-Khwârizmî, mathématicien persan du IXᵉ siècle dont les travaux introduisirent l’algèbre en Europe. Dans les "maisons de la sagesse" de Bagdad, où se mêlaient mathématiques, astronomie et poésie, il œuvrait sous les califes abbassides. Un algorithme est cette panacée capable de résoudre une multitude de problèmes, pourvu qu’on les découpe en instances - comme on couperait les cheveux en quatre. Le verbe "résoudre" lui-même possède cette triple dimension : décider, décomposer, trouver. Cette approche rejoint la vision soufie, que j’admire chez Omar Khayyâm - à la fois astronome et poète, qui écrivait :

    « Au printemps, je vais quelques fois m’asseoir à la lisière d’un champ fleuri. Lorsqu’une belle jeune fille m’apporte une coupe de vin, je ne pense guère à mon salut. Si j’avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu’un chien. »

    La question devient alors : quel filtre appliquer à l’information ? Dans le monde de l’avoir, c’est l’ajustement aux variables du client. Dans l’art, ce fut longtemps la beauté. Dans l’être, ne devrait-ce pas être la simple justesse ?

    Ce qui m’amène à "readiness" - cet état de disponibilité à l’instant qui m’a toujours caractérisé. Enfant, je saluais avec empressement chaque personne croisée, jusqu’au jour où mon père me demanda si je les connaissais toutes. La réponse négative fit naître en lui une déception visible.

    Sur son bureau trônaient les trois singes de la sagesse - ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire. Emblème s’opposant à mon empressement naturel. Notre malentendu dura longtemps, mais depuis, dans chaque regard rencontré, je perçois cette lueur mystérieuse, simiesque, et j’entends encore le rire de mon père.

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