En juillet, j’avais écrit sur la modestie, en essayant de l’approcher comme on approche la justesse d’un geste. En août, j’ai parlé de honte, de table rase, d’inachèvement. En septembre, je voudrais ne garder qu’un mot : travail. Écrire n’a rien de magique, rien de glorieux. C’est un métier comme un autre, une suite de gestes répétés, d’erreurs corrigées, de chantiers repris. L’ombre de « l’artiste » s’éloigne ; reste l’ouvrier, qui reprend son outil chaque matin et avance sans autre promesse que celle d’une continuité. C’est dans cette logique de chantiers que les textes se sont organisés cet été. Le premier, le plus avancé, ou celui qui m’a tout simplement "tenu" durant ces dernières semaines est celui que j’ai réuni sous le mot-clé hors-lieu . Quarante-quatre fragments écrits depuis un écart, social, politique, mental. Des récits de flottement, de désaffiliation douce, où la voix se défait de ses appartenances ordinaires pour glisser hors du cadre. J’ai choisi de leur donner une autre forme de lecture : grâce à un script en flipbook, on peut les parcourir comme un livre, page après page, dans une matérialité fragile et provisoire. L’expérience n’est pas close : elle reste en mouvement, mais elle balise déjà une zone où l’écriture se tient autrement.
Un autre chantier, plus récent, s’appelle synopsis . J’y dépose des plans de fiction, des amorces de récits, des structures esquissées. Rien d’achevé, seulement des points de départ, des échafaudages. C’est une manière de tenir la trace de ce qui pourrait advenir, d’ouvrir des pistes que d’autres textes viendront peut-être reprendre.
Enfin, j’ai ouvert une nouvelle rubrique, encore invisible dans le plan du site : traductions . Le point de départ fut une phrase de Lovecraft, dense, rébarbative, presque intraduisible. ( Merci François Bon ) De là, le chantier s’est ouvert à d’autres voix tombées dans le domaine public : Ambrose Bierce, Clark Ashton Smith, Robert W. Chambers… Chaque article propose un extrait original, une traduction littérale, puis une version retravaillée. C’est un atelier de traduction mis à nu : hésitations lexicales, choix de rythme, fidélité ou adaptation. Mais c’est aussi un geste intime : accueillir une voix étrangère comme on accueillerait un dibbouk, la laisser entrer, se laisser habiter par son souffle, puis la guider vers ma langue.
Tout cela reste en cours. Rien n’est définitif, tout peut encore basculer, être repris, effacé. Mais peut-être que c’est précisément ça, le travail : une obstination modeste, la reprise sans fin des mêmes gestes, le refus de l’auréole et de l’achèvement. Les textes continuent de pousser, de repousser, avec une vigueur qui souvent me dépasse.
Septembre n’apporte donc pas une rupture, mais une reprise. Il prolonge la modestie de juillet et la honte d’août. Il en tire une leçon simple : écrire, traduire, assembler des fragments ou des synopsis, ce n’est pas entretenir un mythe. C’est travailler, chaque jour, avec les outils dont on dispose, pour que quelque chose tienne, un instant au moins, debout.