Seuil, porte, passage, ça me préoccupe. Le mot préoccuper nécessite une idée d’antichambre c’est quelque chose d’ancien, certainement, qui se tient dans un vestibule avant de pénétrer véritablement dans la chambre. Ce besoin d’enfoncer le clou en ajoutant un adverbe aussi imposant que certainement c’est lui le seuil, mais c’est aussi ce qui me retient la plupart du temps de le franchir. C’est le fait de trouver toujours une raison certaine, dont j’invente la sûreté pour me priver de passer outre. Cependant, hier, j’ai écrit deux petits récits de fiction que je me suis finalement résolu à relier au mot clé brouillons Le premier ( le carnet et la rivière ) qui est le plus travaillé, peut-être même abouti sur le plan narratif naît d’une nécéssité intérieure c’est à dire cet empêchement que j’éprouve à chaque fois lorsque je veux écrire une fiction. C’est bien cela, cette affaire de seuil à franchir et où l’empêchement joue le rôle de gardien du seuil, ou de dragon, ou de quantité d’autres choses encore, la liste ne saurait être exhaustive. Ce sont toujours des prétextes. Ce mot est d’ailleurs amusant. Le prétexte qui m’empèche d’écrire un texte. Ce qui me fait songer, et, à ces moments là je ne suis pas à prendre avec des pincettes, que tous les textes que j’ai écrits ici sur ce site, tous ceux qui sont encore dans mes disques durs, tous ceux rangés dans des clouds, dans des cartons, tout cela n’est au final que prétexte. Ces derniers jours l’envie de tout jeter me tanne. L’idée d’un reset magistral. Comme si en tâche de fond une voix disait cela n’ajoute rien au monde, tu peux sans regret t’en défaire il s’agit encore une fois d’un seuil à franchir c’est indéniable. Ce qui me retient de le faire séance tenante, ce scrupule est une affaire d’équilibre que j’ai déjà relevée dans la peinture. Car modestement qui suis-je pour décider de ce qui est bon de ce qui ne l’est pas, et puis, j’ai passé des jours des mois des années à écrire ces textes, une vie entière. Ce serait une sorte de suicide de tout jeter et l’idée de lâcheté prend soudain le pas sur l’idée de courage, d’abnégation.


Il y a probablement une matière, comme une intensité dans ce que j’essaie de dire. Mais le fait de vouloir l’analyser, le décortiquer et ce au moment même où je l’écris dilue l’ensemble, l’affaiblit. Il s’agit là aussi d’un seuil à franchir. Celui d’écrire sans analyser en même temps ce que j’écris, c’est à dire ne rien ralentir, aller au bout d’un seul trait. Mais au bout de quoi, quel bout ? Je n’en vois justement pas le bout. Je me demande même si le bout m’intéresse vraiment. Peut-être alors devrais-je considérer cette auto analyse permanente comme inhérente à l’écriture, qu’elle en est une sorte d’esthétique. Et, à ce moment là il faut y plonger sans scrupule, quite à se dire qu’au final il n’y a que toi que ça interesse vraiment. Plonger dans la mare et te rebaptisant Narcisse.


Toujours beaucoup trop d’éxagération. Le fait de tourner en rond ne me fait atteindre que l’éxagération et je ne suis pas certain que ce soit une forme de l’extase. A moins que ce ne soit encore qu’un simple problème de définition. Car l’exagération peut être un élément extatique si l’on y réfléchit bien. Dans l’extase, les limites sont abolies, tout s’agrandit à l’infini. On peut donc dans une certaine mesure parler ici aussi d’exagération.


Il y a donc toujours deux faces pour chaque chose, pour chaque mot. Janus, ou le gardien qui ne dit jamais de quel côté il regarde. On pourrait croire que tourner en rond est naturel, qu’il n’y a pas d’autre issue que l’usure du pas répété. Autrefois, dit-on, on passait les étapes par un rite, un signe, une marque. Ici, non. Ici, les parois se resserrent sans cérémonie.

Dans la pièce nue, il y a un homme en uniforme. Il ne dit pas son nom. Il porte à la ceinture un trousseau de clés dont le bruit précède ses gestes. Il explique : « Certains franchissent. Pas tous. » Sa voix est lente, comme s’il répétait une règle. Ce n’est pas une menace, ni une promesse. Juste une loi qui n’a pas besoin d’être comprise.

Alors on comprend qu’il existe un état naturel : l’enfermement. Qu’on ne s’en rend compte que lorsque l’air se raréfie. La porte est là, visible. Le gardien aussi. Mais les conditions ne sont jamais claires. C’est le seuil. Il le dit, en montrant la serrure : « Sous certaines conditions. » Et c’est tout.