Personne ne parle vraiment de ce qui se passe. Pas en public, pas directement. Mais on le sent dans les silences, dans les gestes fatigués, dans les discussions banales qui n’aboutissent à rien. C’est là, flottant, comme une odeur de cendre après un incendie.
Tu allumes la télé. Ils parlent d’élections, d’économie, de "restructurations". Rien qui fasse battre le cœur, rien qui donne envie de croire que demain sera différent. Ça laisse juste un vide, un désordre ordinaire. Et toi, tu te demandes comment tout le monde peut vivre avec ça sans éclater en morceaux.
On a essayé, autrefois. On a manifesté, crié, écrit des pancartes. Puis il n’y avait plus que les échecs, les votes "contre", les compromis. Les journaux disaient que c’était la faute de personne, mais que rien ne pouvait changer. Alors les gens ont arrêté.
Pas d’un coup. Petit à petit. Ils se sont dit que quelqu’un d’autre s’en occuperait, puis que personne ne le ferait, puis que de toute façon, ça ne changerait rien. Maintenant, il ne reste plus que ce silence, ces regards vides quand on parle de politique. On appelle ça le "moins pire". Mais ce "moins pire", c’est comme un étang stagnant. Ça pue. Et pourtant, on continue à boire dedans.
Le duel est toujours le même. L’épouvantail à droite, la promesse étriquée au centre. Tous les cinq ans. Le centre se déroule comme un tapis de bienvenue : "Votez pour moi ou le pire arrivera." Et à force de crier au loup, les gens commencent à se demander si ce pire serait vraiment pire. Peut-être que oui. Peut-être que non.
Mais voilà : ça les arrange. Cette peur maintient l’ordre. On se retrouve pris dans une partie d’échecs qu’on n’a jamais voulu jouer. Les coups sont calculés longtemps en avance. Et nous, on est les pions. Pas les cavaliers, pas les tours. Juste des pions.
Il y a des moments où tout semble sur le point de basculer. Une foule dans la rue. Des cris, des chants. Et puis… rien. Le silence revient comme un couvercle. Les gens repartent, un par un. Ils se disent qu’ils ont essayé. Que ce n’était pas le moment. Que ça ne servait à rien.
La fatigue. Elle est là, partout. On dirait qu’elle suinte des murs, qu’elle éteint les lumières. On veut bien croire que tout ira mieux, mais pas aujourd’hui. Pas demain non plus. Peut-être jamais.
Mais il y a les mots. Les mots sont encore là. Des phrases griffonnées sur des carnets, sur des murs, sur des écrans. Parfois, ce sont des histoires. Parfois, juste des cris. Mais chaque mot est une fissure dans ce mur de silence. Une manière de dire : "Je suis encore vivant."
La littérature, c’est ça. Pas une réponse, mais une rébellion. Pas un cri de guerre, mais un murmure qui refuse de mourir. On écrit parce qu’on n’a plus rien. Parce que c’est la seule chose qu’ils ne peuvent pas nous prendre.
Peut-être qu’il ne reste que cela : réécrire l’impuissance, la transformer en quelque chose d’autre. On ne sait pas si ça changera quelque chose. Mais on continue. Parce que parfois, continuer est la seule victoire possible.