une rue à Paris avec de la verdure
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On pourrait commencer par traverser ce quinzième, le plus vaste des arrondissements parisiens, si vaste qu’on finirait peut-être par ne jamais en sortir, absorbé dans ses marges, englué dans son urbanisme hésitant. Une sorte de ville dans la ville, effectivement, qui s’étire vers le sud-ouest avec l’air de ne pas trop savoir où elle va. Les rues y sont d’humeur changeante, passant sans transition d’une discipline haussmannienne à des poussées d’Art Déco, avant de s’effondrer, sans préavis, dans une modernité de hasard, une façade vitrée ou un immeuble sans charme mais fonctionnel, ce qui n’est déjà pas si mal.

Au nord, vers la Tour Eiffel, on frôle l’opulence, les façades cossues semblent attendre quelque chose, peut-être un futur acquéreur ou un ambassadeur en détresse. Plus au sud, vers la Porte de Versailles, le béton prend ses aises, façon brave type qui étale ses affaires un peu partout. La rue du Commerce, elle, s’applique à faire semblant d’être une bourgade, ses boutiques bien alignées, alignement auquel personne ne prête attention mais qui rassure, allez savoir pourquoi. Du côté de Necker, l’hôpital insuffle un rythme plus nerveux, un ballet de blouses blanches qui vont et viennent, pressées, concentrées, réglées comme du papier à musique, une musique néanmoins un peu trop rapide.

On quitte ces grands axes, on emprunte des passages plus discrets, on se faufile dans ces interstices que la ville oublie parfois. Villa Santos-Dumont, cent dix mètres de pavés qui s’entêtent à ne pas ressembler au reste, où l’on se surprend à ralentir sans s’en rendre compte. Les glycines prospèrent en silence, suspendues aux façades comme des spectatrices attentives. Derrière les verrières, des artistes s’obstinent, on ne sait trop à quoi.

Impasse des Thermopyles, décor rural improbable qui persiste contre toute attente. Les glycines, encore elles, s’accrochent aux gouttières avec une obstination admirable. Sous leurs arches improvisées, quelques habitants cultivent des tomates cerises dans des caisses récupérées, ce qui leur donne l’impression d’être plus à la campagne que dans un arrondissement dont le code postal continue d’indiquer Paris. Chaque mercredi, un accordéoniste répète, ses mélodies hésitantes flottant entre les murs, s’accrochant aux pavés avant de s’évanouir sous les assauts d’une cantine scolaire en pleine effervescence.

Passage de la Sucrerie, vestige d’un passé industriel dont il ne reste que quelques inscriptions effacées, des flèches pointant vers nulle part, un entrepôt reconverti en atelier. Un sculpteur y découpe du métal et fabrique des mobiles sonores, qui tintent doucement quand le vent décide d’animer le porche. Parfois, on croit entendre un fracas plus lointain, mais c’est juste un livreur qui s’engage mal dans une ruelle trop étroite.

Le soir, les terrasses s’animent rue de la Convention, les conversations s’entrelacent sans jamais se rejoindre, les verres s’entrechoquent, les assiettes glissent sur les tables, le tout formant un bourdonnement d’arrière-plan qui ressemble vaguement à une forme de vie. Le soleil décline et caresse les façades Art Déco, les angles se précisent, les ombres s’allongent, donnant à la scène des allures de polar, ou du moins quelque chose qui y ressemble. Paris s’effiloche par endroits, se désagrège sans s’écrouler, tient encore par des fils ténus, quelques rituels, quelques visages qui persistent à ne pas changer malgré tout.

Villa Quintinie, les maisons basses s’alignent avec cette docilité propre aux espaces oubliés. Un ancien professeur de mathématiques y collectionne les baromètres, il en a soixante-trois, en parfait état de marche, mais tous en désaccord. Sa voisine, qui fut peut-être danseuse, arrose ses géraniums en chaussons de ballet, perpétuant un geste dont elle seule connaît encore l’origine. Et ainsi va ce quinzième, morceaux juxtaposés, archipel sans logique apparente où chacun semble suivre un scénario dont il ignore pourtant la fin.