mars 2023

Carnets | mars 2023

nu face à nu

repousse le mot rentre dans l'espace de la chose c'est étroit plier ranger tout ce qui sort membres tentacules pour s'accrocher mains doigts paroles et sois chose nue, une à se voir double à borgne à aveugle encore plus dont l'un dort dans le mot encore repousse ce qui clôture l'autre chose veille implore nu face à nu silex contre silex le bras se lève et retombe étincelle désirée au bout du bras comme de l'autre choc cancer feu hante le feu l'ordre crée le désordre et l'envers son endroit La chose muette et ça muet avant que vient le caillou ne se dresse arbre. étape 1 étape 2 un avant tableau 1 étape 1 étape 2 un avant tableau 2 deux carrés 20x20 avant toute idée de tableau. (acrylique sur panneau de bois )|couper{180}

peinture réflexions sur l’art

Carnets | mars 2023

Concordance des temps

On peut contourner la difficulté par le présent. Écrire au présent. Le présent est un cadeau que l’on s’offre à soi-même, puis par ricochet, comme les rais de lumière, où ils veulent, où l’on voudra bien s’y accorder. Ajoutez à cela l’abandon, tous les abandons. Une exploration de l’abandon, la matière abandon. Concordance des temps : retrouver ce matin dans ma boîte aux lettres numérique plusieurs émissions d’Alain Veinstein, des fragments en PDF, un abécédaire en ePub, le tout envoyé par FB. Une gêne à commenter en lisant la liste déjà longue de ceux déjà là. La plupart datent de 2021. L’abandon des commentaires concorde avec de nombreux autres. L’abandon s’effectue au présent. Il est absurde de dire « j’ai abandonné ceci ou cela » comme « j’abandonnerai ». Le tabac, sa présence, son absence aussi se relèvent, se révèlent au présent. De vieux souvenirs de photographies en noir et blanc apparaissent dans une cuvette jaune. La notion d’instantané. Mais l’avantage — n’en faut-il pas toujours tant qu’on s’obstine à se sentir floué — est la volatilité de la pensée, de l’envie, de la douleur, quand déjà elles s’évanouissent, qu’une journée passe. Mon épouse compte les jours. C’est devenu un rituel matinal. Il y a un calendrier sur la porte du réfrigérateur. Il faut plier les genoux pour cocher la journée avec un Stabilo bleu. Tout travail mérite salaire. C’est cette phrase qui me vient en cochant la journée d’hier. L’abandon du comptage des jours se trouve renforcé par ce calendrier ; le comptage est un jeu sans importance. On vérifie qu’on peut plier les genoux et encore bien d’autres choses. -- Comme tu es calme, c’est vraiment étonnant, me dit-elle. Je ne cherche pas à l’être, mais bizarrement tout concorde. Le site sous SPIP avance jour après jour. Quelques articles à la volée. Des photographies exhumées. Pas encore certain de la mise en page. L’avantage, c’est qu’on peut le reconfigurer autant qu’on le désire si l’arborescence tient la route. Et même celle-ci, c’est un jeu encore de pouvoir la modifier à tout moment. L’illustration est un tableau peint à l’huile, son titre « Lost in the horizon ». Dimensions : 80 × 80 cm. Date : 2018.|couper{180}

Temporalité et Ruptures

Carnets | mars 2023

En rajouter

se contenter de presque rien aujourd'hui.|couper{180}

Temporalité et Ruptures

Carnets | mars 2023

Lutter

Lutter pour dire, lutter pour se retenir de dire. Il y a toujours une lutte. On pourrait penser qu’il suffit de choisir son camp, mais c’est plus complexe. La lutte n’est pas tournée vers l’extérieur, contre le monde. Non, elle est dirigée vers soi-même, vers ce doute qu’on entretient à l’égard de ce qu’on veut exprimer. Dire, c’est exposer ses pensées, les livrer aux autres, les soumettre au jugement. Se retenir, c’est garder pour soi l’incertitude, l’imperfection du propos. Pourtant, ni l’un ni l’autre ne constitue une véritable victoire. La certitude elle-même est ambiguë. Elle semble un aboutissement, mais ce n’est qu’un instant figé dans le flot mouvant de la pensée. La certitude n’est jamais définitive. Elle ne gagne rien sur l’incertitude, elle coexiste avec elle, comme une pause dans le combat, un moment d’illusion.|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | mars 2023

Sortir du récit

La mort rôde, dans le silence inhabituel qui s’est installé depuis que j’ai décidé de sortir du récit. Une décision qui ne m’a pas paru radicale au début. Cela s’est insinué, discrètement, presque malgré moi. Mais à partir du moment où j'ai pris la décision, le monde autour a changé. Un léger déplacement dans l’axe du quotidien. Comme si les choses, soudain, se mettaient à luire d’une lumière neuve et un peu cruelle. C’est devenu plus manifeste depuis ce lundi 27 février. Premier jour sans tabac. La date s’est inscrite dans ma mémoire avec cette précision des moments décisifs. Le jour où quelque chose s’est interrompu. Jusqu’alors, fumer, c’était comme marcher sur un chemin régulier, battu, où les gestes viennent sans y penser. Et puis, sans prévenir, le chemin s’est interrompu. Une brèche. Je ne compte pas les jours depuis, parce que compter, c’est rester attaché à l’ancien récit, celui que je veux quitter. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans ce calcul. Je me surprends à regarder la mort comme une silhouette, une présence vague mais familière. Elle n’est pas la figure terrifiante des récits d’autrefois. Elle est simplement là, sans aspérité. Une tête plutôt sympa. Ni belle ni laide, juste normale, presque banale. Et c’est précisément cette banalité qui intrigue. Sortir du récit, c’est aussi quitter la route, faire une embardée, comme un brusque écart qui ne prévient pas. Une image s’impose à moi, sans que je sache pourquoi : le barde d’Astérix, bâillonné, suspendu aux branches d’un arbre, tandis que les autres festoient. C’est à la fois absurde et plein de cette ironie qui naît des moments où la vie prend un tournant inattendu. Il y a quelque chose d'incongru dans cette vision, comme si la rupture avec la ligne droite révélait l’aspect grotesque de ce qui était auparavant perçu comme régulier et linéaire. Mais ce n’est pas exactement cela. C’est autre chose. Et c’est justement ce qui fait tout l’intérêt. Il y a une forme de plaisir dans l’indécision, dans cette hésitation à nommer. Je me trouve face à la mort avec un étonnement calme, presque serein, comme si, en sortant du récit, j’avais libéré cette présence discrète qui était toujours là, en retrait. Elle n’a pas d’emprise. Elle accompagne. Elle attend. Et moi, pour la première fois, je ne la crains pas. C’est cette découverte-là qui, paradoxalement, donne un sens inattendu au geste de sortir du récit. Ne plus fumer, ce n’est pas seulement changer d’habitude. C’est réapprendre à marcher dans un espace élargi, libéré des enchaînements habituels, à explorer le monde sans cet artifice qui maintenait l’angoisse à distance. Maintenant, la mort se rapproche, mais elle n’est plus cette ombre inquiétante. Juste une idée, une pensée qui s’installe à la table, sans se faire prier.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | mars 2023

Le voyage des pères

Un père, peut-être grand, ou pas. Cela dépend des jours, de la météo intérieure, de ce qu'on a bien voulu garder. On dit le père, le grand-père, le pépère. Il arrive qu'on dise aussi Johannes Musti. C'est plus précis. C'est plus flou. Johannes Musti. Un nom qui sonne comme un souvenir mal rangé dans une valise trop pleine. Il était maigre, paraît-il, svelte, un peu cassant. Parti de Tallinn pour apprendre à peindre à Saint-Pétersbourg, avant de poser ses pinceaux à Épinay, décors de cinéma. Puis l'oubli. L'alcool. Et les enfants. Quatre. Dont un assez grand pour lui rendre le regard. Il boit, Johannes. Peut-être pas pour oublier. Peut-être juste parce que. Un verre. Puis un autre. Celui de trop. Je ne l'ai jamais vu. Il était déjà un bruit, une légende, une photo peut-être. Aujourd'hui encore, je ne sais pas où il repose. Montparnasse ? Le Père-Lachaise ? Nul ne le sait. Alors il est partout. Sous mon toit, parfois. C'est une idée à 63 ans : qu'un mort puisse partager votre logement. Après Johannes, il y eut Vania. Capitaine. Cheveux rares, ail omniprésent. Vodka, PMU, pirojkis. Clichés, oui, mais vivants. Il fut chauffeur de taxi, amant épisodique, vieillard actif. Cannes ou Biarritz, en noir et blanc. Pas un poil de graisse. Vania bombait le torse, fier. Sans révolution, il serait resté moujik. Il est mort convaincu d'une vie extraordinaire. Encore un père. Le père du père. Bourganeuf, la Creuse. Un dernier jour de guerre pour dernier souffle. L'armistice en robe noire. Avant cela, il était monté à Paris à pied. Pour bâtir un hôtel de ses propres mains. On insista beaucoup sur l'expression. Peut-être à Asnières. Mon père à moi, ce fut l'Algérie. Silence et regards vides. Un sac plastique dans une armoire, béret rouge, prière du parachutiste, autographe de Bigeard. Brassens pour seul pont entre nous. Le fils fit aussi la guerre, comme le père du père, comme celui d'avant. Sauf moi. Jamais à la guerre. Pas même père. Ça laisse du vide. Une envie de combler. J'ai pris un appareil photo, cherché la guerre ailleurs. Iran. Afghanistan. Et toujours ce besoin de comprendre. Les pères, les guerres, le silence. Tout s'entremêle. Le langage change. On apprend à lire dans les silences, dans les objets, les odeurs. Le vide laisse des traces. Il n’y a pas eu un seul voyage qui ne fut pas comme sauter d’un train en marche. Tous les pères connus et inconnus ont légué ce goût étrange pour l’ailleurs, pour ce qui échappe, pour le rien même. Être père, parfois, ce serait peut-être vouloir boucher un trou. Ne pas le regarder en face. Moi je l’ai regardé. Et parfois j’y suis tombé. Difficile de résister à l’envie du récit. Chaque père mériterait son roman, ou au moins sa note en bas de page. Mais l’envie est moins vive. Il y a eu trop de pères. Et trop peu d’enfants. La nécessité d’écrire vient peut-être de là. De ce manque-là. Si j’avais eu des enfants, j’aurais peut-être peint autrement, ou pas du tout. On ne saura jamais. Les choses se sont passées autrement. Alors je voyage. J’ai voyagé pour comprendre ces hommes. Ces pères. En espérant que leurs silences, leurs objets, leurs gestes en disent un peu plus. Peut-être qu’il faut lire autrement. Dans les plis d’une chemise, dans la rigidité d’une mâchoire rasée de frais. Ce genre d’indices. Je n’ai pas fait la guerre. Mais elle m’a quand même sali les mains. À force de la suivre de loin. D’en faire le tour sans jamais entrer. Une guerre périphérique. Mais tenace. Un peu de paix ferait du bien après tout ça. Être un homme sans enfants. Un homme qui passe. Rien d’héroïque. Juste un type. On vit. On perd. On gagne. On essaie. C’est tout. Rouge manque. Pair impair. Rien ne va plus. Le vide est toujours là, mais il fait moins peur.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | mars 2023

carré 40x40cm Huile sur toile

étape 1 étape 2 étape 3 stabilisation 3 étapes et une stabilisation réalisation Mars 2023|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | mars 2023

carré 60x60 cm

1 ère étape 2 ème étape 3eme étape stabilisation 3 étapes de réalisation et une stabilisation|couper{180}

Carnets | mars 2023

difficulté des inventaires

C'est un mot, inventaire. Qu'on croit sec, administratif, et qui pourtant contient, insoupçonnée, une part d'invention. Comme s'il fallait à chaque fois le recréer, le tirer du chapeau avec tout ce que cela suppose de prestidigitation, d'efforts pour faire croire qu'on dresse des listes et non des fictions. Il y a du jeu, forcément, dans l'élaboration de l'ordre. Et puis cette table. Immobile, autoritaire. L'atelier autour qui palpite. L'air un peu vicié, mélangé de white spirit et d'huile de lin. Sur cette table : une plaquette de pastilles à sucer, destinées à contenir une envie de cigarette qui s'est déjà manifestée trois fois depuis le lever. Une tasse, vide. Crème, bord rouge. Quelques tubes de couleur, certains sans bouchon, mollement affalés. Un ancien pot de moutarde reconverti dans le mélange à peindre. Un chiffon boule, un couteau à peindre, une carte de visite de gîte touristique, promesse d'un cadeau si achat. Quelques pinceaux, tête en bas, manche en haut, trempant mollement dans des liquides. Boîtes de conserve réaffectées, haricots-cassoulet, au service du nettoyage pictural. Un saladier en terre, trente tubes, un peu de déroute chromatique. Un flacon plastique, survivant. Whyte spirit, encore utile. Pots d'acrylique. Une petite boîte en fer blanc, jadis paté, aujourd'hui médium. Une palette sale. Un agenda. Un carnet noir à l'élégance discutable. Un chevalet bancal, un filetage à revisser. Quelques morceaux d'essuie-tout tachetés, quelques miettes de tabac, reliques d'une semaine où l'on fumait encore, c'est-à-dire il y a une éternité. Peut-être la mort d'une habitude, peut-être un simple hoquet. On ne sait plus. Derriere ce détail clinique, une grande métaphysique flotte. Celle de l'ordre. De ce qu'on tente de domestiquer. L'inventaire est un geste, pas innocent. Un réflexe de peur. De contrôle. De guerre. Un inventaire, c'est déjà un préambule à la mobilisation. Les objets là, ils n'ont rien demandé. Ils vivent. Ils sont là. Ils n'occupent pas, ils existent. Et nous, on les fiche, les range, les désigne. Comme on dresserait un chien. C'est ça, exactement. Dresser l'inventaire. Avec tout ce que ce verbe charrie de brutalité. La chose est indocile, c'est pour cela qu'on la classe. Parce qu'elle nous échappe. Comme ce poisson, tiré du Cher, spasmodique et glissant dans la main. Une panique de palme, une peur de créature déplacée. Il y a toujours un peu de pêche dans l'inventaire. On aimerait pouvoir y échapper. Mais c'est plus fort que nous. Dresser, nommer, poser un ordre. Pour faire semblant de comprendre, de maîtriser, de survivre. Et l'objet devient preuve. Le banal, étendard. La table, un monde. Le monde, une table. Tout tient dans le regard posé, dans le doute qui le révèle. Il faut un écart. Un pas de côté. Pour voir ce qu'on ne voyait plus. Ce n'est pas l'objet qui compte, mais l'écart. Ce frisson du doute, cette poésie des choses immobiles qu'on n'avait pas vues venir. Le plaisir, peut-être, se trouve là : dans ce petit étonnement calme. Et s'il fallait un inventaire, ce serait celui de nos déplacements intimes. Ce que la table nous apprend, sur nous, sur le monde, sans forcer. Il y a un chat, d'ailleurs. Une chatte. Près des pinceaux. Et ce regard, oblique, qui juge tout cela avec un flegme qu'on envie. Illustration : Huile sur toile« inventaire » P.B|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | mars 2023

exercices d’écriture, espaces

1 La table de travail de l'atelier un inventaire des objets se tenant ici ou là dans un espace. La description, le choix, la façon de les placer dans une hiérarchie (laquelle ?) La table de travail, cette appellation est-elle la bonne, on peut dire aussi la table ou une table tout simplement. Il y a dans l'atelier une grande table constituée par plusieurs tables juxtaposées les unes aux autres. Elle mesure environ 4 mètres de longueur et 2 mètres de largeur ( de large ou de largeur une hésitation à dire ici la dimension ) Elle est donc plus longue que large cette table. La hauteur moyenne est de 80 cm mais il peut y avoir par endroit une différence de plus ou moins deux cm ce qui n'est pas gênant. Elle n'est pas carrée, ni ronde, ni même ovale. C'est la table de l'atelier. Dire que cette table est un plan de travail est aussi une possibilité. Au lieu de dire table on pourrait dire que c'est un plan de travail, un espace de travail à l'intérieur d'un autre espace plus vaste, ce dernier espace est constitué par les limites de la pièce que j'appelle l'atelier. cette pièce est elle-même inclue dans l'espace d'une parcelle ( 200 mètres carrés inscrits au cadastre) on peut aussi nommer cette parcelle un lot. Auparavant tous ces lots formaient un espace encore plus grand appartenant à une famille importante dans le village où nous habitons désormais. Le lot que nous avons acquis pour une somme raisonnable comprends donc une maison de deux étages avec grenier et caves ( il y a deux caves ) une cour et une partie de l'ancienne scierie qui fut aussi autrefois une écurie. D'ailleurs et il est agréable de pouvoir l'insérer ici depuis que j'ai arrêté la cigarette, je peux sentir, dans les remises attenantes à l'atelier une odeur de cheval qui me réjouit. En tous cas elle, cette odeur fait le lien avec des harnais, des licous qui sont encore suspendus aux poutres de l'étage supérieur au dessus de l'atelier, étage dont nous nous servons de débarras. Les objets posés sur cette table ou ensemble de tables, (voire de bureaux provenant des héritages conjoints, recyclés en plan de travail ) entretiennent tous, de près ou de loin, une relation avec la peinture. la configuration de ces objets peut se modifier. Ils ne sont pas toujours exactement à la même place le soir que le matin, et dans la semaine il arrive qu'un objet se déplace d'un mètre ou deux sans crier gare. idée : prendre une photographie de la table deux fois par jour. Une le matin, et une autre le soir. Il faut pour cela conserver le même angle de prise de vue. Installer l'appareil photographique sur un pied sans qu'il gêne la circulation. Deux actions simples et brèves à effectuer chaque jour pendant une semaine, un mois, une année... pas de limite de durée. Le résultat final pourrait être comme ces petits films d'animation où les personnages sont constitués de pâte à modeler et dont on peut modifier les positions, du stop motion Je vois que je repousse le fait d'effectuer l'inventaire de ces objets sur la table. Que je parle de tout autre chose pour reculer le moment de les énoncer. C'est le désordre qui veut cela. Ou la honte que peut parfois provoquer cette notion de désordre quand on désire s'adresser à quelqu'un pour effectuer un inventaire. Même si ce quelqu'un est seulement soi-même. Éprouver un peu de honte vis à vis de soi-même est aussi normal que d'éprouver une satisfaction excessive. Ce sont des sentiments humains auxquels il est difficile d'échapper. Il convient donc d'en prendre conscience, de ne pas les éluder. Et, enfin, une fois cette petite opération de mise au point effectuée, on peut alors se lancer dans l'inventaire de la manière la plus décontractée possible ; c'est à dire sans enjeu, sans crainte déraisonnable, sans y faire intervenir du surnaturel, du fantastique, de l'horreur, pas plus que du merveilleux. Toutes ces choses qu'il faut laisser aux professionnels de la description, aux stakhanovistes du récit.|couper{180}

Carnets | mars 2023

7.Le double voyage , « un tout petit voyage »

L'été nous allions à Saint-Bonnet à une vingtaine de kilomètres de La Grave. La question de savoir pourquoi nous allions si loin ne se posait pas. L'allée des Soupirs au bord du Cher où il était aussi possible de se baigner n'était qu'à deux pas mais n'intéressait pas le père. C'est longtemps après que j'ai cherché une raison à la répétition de ces petites expéditions qui se déroulaient toujours le dimanche et par beau temps. Je crois que c'est parce qu'il avait passé là-bas une partie de son enfance. Il en parla peu. Ce devait être durant une période sombre où , depuis Paris, on l'avait expédié chez les grands parents dans le Bourbonnais, Charles Brunet l'instituteur et son épouse dont je ne sais plus le prénom, d'ailleurs l'ai-je jamais su, elle fut toujours évoquée comme acariâtre et aveugle, ou encore la nommait-on avec un mélange de crainte et de respect : la mère Picard. Son époux instruit était déjà allé se battre au bout du monde durant la Grande Guerre, dans le détroit des Dardanelles. Enseignait-il encore entre 39 et 45 ? avait-il été exempté suites aux dommages pulmonaires occasionnés par les gaz, ou bien vagabondait-il comme soldat à nouveau aux côtés d'une armée en déroute ? Peut-être même se battait-il dans un maquis, ou encore avait-il collaboré avec l'ennemi comme certains autres que l'on montrait encore du doigt ici dans le quartier ; aussi étrange cela fut-il de se poser ces questions nous nous les posions mon frère et moi ; mais nous n'eûmes jamais de réponse digne de cette appellation. Le peu de récits que nous glanions alors s'entourait aussitôt d'une aura de silence et de mystère. Sans doute est-ce pour cela que je les ai conservés en mémoire comme des braises susceptibles de rallumer un feu, ou des petits cailloux pour retrouver son chemin. La rareté précieuse des péripéties familiales et guerrières rapportées au hasard des conversations, souvent lors du repas du dimanche en famille, ces souvenirs qui surgissaient soudain des êtres ayant traversés cette « drôle de guerre », puis plus tard les événements d'Algérie -la guerre- pour employer son terme générique seront restés aussi intacts que de vieilles photographies en noir et blanc protégées par du papier cristal dans le pêle-mêle d'un grenier. De cette époque où il s'était occupé de mon père enfant , Charles Brunet conservait une photographie qu'il avait faite encadrée et qui était accrochée sur l'un des murs de son salon. Pièce qui, lorsque je le connu, n'était plus utilisée qu'à de très rares occasions. En juillet 1969, l'année de mes neufs ans, il me semble que je découvris soudain cette pièce pour la première fois comme sans doute bon nombre de voisins venus assister ici au premier pas de l'homme sur la lune sur le seul récepteur télé noir et blanc à des kilomètres alentour. Mais sinon mon aïeul, veuf depuis bien avant ma naissance, restait la plupart du temps dans sa cuisine. Il s'occupait à faire des mots croisés. Dans ce souvenir de la maison familiale, de ces dimanche d'été où nous partions à Saint-Bonnet peu de temps après la mort de Charles Brunet, la photographie de ce gamin aux cheveux mi-longs et bouclés, vêtu d'une blouse, rivalise en puissance évocatrice avec l'image surexposée de Neil Amstrong foulant le sol lunaire et les ombres épaisses des prunus du jardin. Cet exercice d'écrire à propos d'un tout petit voyageque l'on répète régulièrement, j'ai décidé de prendre mon temps pour y penser, pour bien choisir lequel parmi tous mes voyages, lequel me relierait le plus à l'aujourd'hui, l'expliquerait peut-être. Apaiserait quelque chose d'encore si douloureux et qui me ronge. C'est tout naturellement que le mot Saint-Bonnet est revenu accompagné de souvenirs et d'émotions anciennes et que j'ai dû m'arrêter plusieurs fois au cours de l'écriture pour ne pas me laisser totalement submerger par les émotions. C'est la mère qui s'occupe de toute la logistique lorsque le père décide d'aller à Saint-Bonnet. Il a juste à dire aller on va à Saint-Bonnet pour qu'elle s'occupe de tout le reste. Le pique-nique, les serviettes de bain, la crème solaire, tout. Pendant ce temps le père cure sa pipe, lit un peu le journal, remplit de nouveau celle-ci de tabac, la rallume et tout à coup comme s'il devinait le moment propice il dit on y va. Et bien sûr qu' à ce moment précis tout doit être prêt. Ces deux hommes le père et le père de mon père, mon grand-père Robert, furent de très gros fumeurs ; je crois comprendre aujourd'hui qu'ils ne faisaient que cela la plupart du temps lorsqu'ils ne travaillaient pas à l'extérieur. Je peux les revoir avec une netteté incroyable soudain alors que je viens moi-même d'arrêter de fumer depuis quelques jours. Je tousse beaucoup trop et souvent ; ma respiration est devenue caverneuse. De gros fumeurs obstinés donc dont j'ai emprunté par mimétisme , par éducation la manie. Ils sont là désormais quand je les vois à s'entourer perpétuellement d'un nuage dense de fumée ; et je ne sais si c'est par peur de leur propre vulnérabilité, par protection, ou pour essayer de s'isoler à l'intérieur même de leur maison, pour tenter de conserver un je ne sais quoi d'espace privé. C'est comme un voyage, il y a le moment de l' embarquement, tout le monde est à la manœuvre. Mon frère aide à porter le panier d'osier chargé de sandwichs, la mère le sac de plage, le père s'assoit dans l'habitacle de la Simca 1000 et met le contact en allumant la radio. Quand à moi il me revient d'aller ouvrir le portail, de surveiller la route pour aider à guider la voiture durant la marche arrière en donnant quelques indications sur le risque venant du bourg. Une fois la voiture rangée sur le talus, il faut refermer le portail et grimper dans le véhicule comme un corsaire qui viendrait un peu ivre de larguer les amarres pour partir à l'aventure. Le père redémarre en trombe sitôt la portière refermée. Malgré l'élan la Simca 1000 peine à grimper la route du Cluzeau, Le père retrograde plusieurs fois en seconde pour l'y aider puis, une fois sur le plateau, il ouvre la vitre conducteur, allume sa pipe et la mère une Benson and Hedges. Les deux fument et nous les gosses toussons en chœur mais ça ne gâtera pas la journée, loin de là. L'étang de Saint-Bonnet demeure comme l'un des plus beaux souvenirs de cette enfance passée à la Grave. Nous y sommes désormais réunis presque nus et nous jouons tous ensemble pendant un moment, il y a des châtaignes d'eau qui flottent dont il faut se méfier des pointes en étoiles. Nous y sommes désormais réunis au présent de l'indicatif, devant l'étang, sur le bord et dedans. De l'écrire je ne sais si cela me ramène à ma propre origine ou à une origine rêvée, fantasmée, ce fameux paradis où l' on ignore tout de la nudité comme du mensonge du paraître. Puis le père dit qu'il va nager, on le voit entrer dans l'eau, l'étang l'absorbe lentement mais tout entier ; il nage lentement presque sans aucun bruit comme s'il retrouvait des gestes, des habitudes anciennes. Puis au fur et à mesure qu'il s'éloigne de nous son crâne à la surface des eaux diminue à l'horizon ; on ne le voit presque plus. Il disparaît, nous nous retrouvons alors comme en semaine ma mère mon frère et moi. Je ne sais ce qui fait nager ainsi le père au loin. Évidemment on pouvait penser au travail, à l'argent mais ici un dimanche cela ne peut pas vraiment s'expliquer ainsi. C'est comme s'il avait besoin de s'enfoncer dans l'étang comme dans la solitude tout en sachant que nous sommes tout de même là, sur la berge, à attendre son retour. Je ne sais pas suffisamment bien nager pour pouvoir l'accompagner. J'en éprouve une sensation confuse. J'aimerais qu'il reste auprès de nous et en même temps je l'envie de pouvoir s'écarter, se détacher de nous ainsi. Ce voyage vers Saint-Bonnet je ne sais combien de fois je l'ai refait et à bien des périodes de ma vie. A chaque fois que je reviens dans la région je me retrouve toujours à un moment où l'autre dans ce quartier de la Grave, je ralentis en passant devant la maison familiale qui appartient à des étrangers aujourd'hui. Et à chaque fois ce sentiment de perte, de vide en passant, et à chaque fois l'œil cherche un nouvel appui et bifurque vers la côte du Cluzeau. Elle m'attire et je dois la gravir encore et toujours, invariablement. Suivant les types de véhicules que je conduis je n'ai pas toujours besoin de rétrograder en seconde. Mais j'éprouve toujours la même sensation en arrivant là haut ; toujours cette même bouffée d'oxygène, prête à faire éclater les poumons d'emotion lorsque l'espace immense du ciel se confond avec celui tout aussi immense de la terre. Je roule encore un peu en empruntant la départementale qui file vers le nord- ouest à la hauteur de Hérisson et dont on aperçoit d'ici les ruines du château puis j'arrive au pont qui enjambe l'Aumance . J'aime m'arrêter là toujours un moment, le temps d'une cigarette, descendre du véhicule et respirer l'atmosphère Nous venions ici à la pêche mon père et moi parfois bien avant l'aube. Je plonge mon regard dans le courant pour le scruter en quête de vieux fantômes puis je me redresse et j'observe la vaste étendue tout autour Il y a des champs à perte de vue avec des cultures qui varient suivant l'époque où je viens ici , parfois le jaune du colza, d'autres fois le vert tendre des luzernes ou l'or vieux des blés mûrs. Le regard s'élance le plus loin qu'il peut jusqu'aux collines lointaines et ne s'arrête que lorsqu'il repère les prémices de la forêt de Tronçais. Quelques jours après que l'on m'eut offert mon premier vélo, un Mercier rouge de course, j'en profite pour faire une fugue et me rendre seul à Saint-Bonnet. Je ne me souviens plus des raisons ni de l'urgence qui me poussent à pédaler jusque là-bas. Sans doute parce que ce lieu représente symboliquement une autre version de notre famille , de ce qu'elle est au quotidien. Un lieu paisible avec du bleu dans le ciel une vision grande ouverte sur une étendue vaste. Rien n'y gène la vue. Alors que cet étang se trouve au milieu d'une forêt dense celle des fortifications, des remparts de Vauban et Colbert, ses chênes séculaires ayant connu le temps de Louis XIV. N'est-ce pas aussi un paradoxe de voir surgir soudain l'étang de Saint-Bonnet, ce diamant serti par la forêt entière, cette éblouissante et immense trouée entourée de pénombre. Un rêve au milieu de la nuit, un moment de paix au milieu des guerres perpétuelles. Un bon souvenir au milieu de tant de mauvais. J'écris ce petit texte en mars après avoir traversé février non sans difficulté. Ma mère est décédé en février 2001 et mon père en mars 2013 autant dire que ces deux mois , et bien que souvent je veuille m'en défendre lorsque mon épouse me le rappelle, sont des lieux , des espaces de deuil. Et plus je vieillis plus ces deuils deviennent douloureux, dans le sens où nul ne pourra jamais plus combler les points de suspension, les vides à l'intérieur de ce carnet. Ces deux mois sont devenus plus difficiles qu'avant durant cette période de l'année, sans doute encore plus difficiles cette année alors que j'ai vraiment décidé d'arrêter de fumer. Les odeurs du matin ici dans cette autre campagne, me redeviennent chaque jour un peu plus accessibles alors que je pense avoir voulu les étouffer longtemps, toute une vie. Et c'est une émotion tellement forte que l'on ne voudrait jamais montrer, que l'on masque derrière un nuage d'encre ou de fumée parce que l'on imagine que si on s'y attarde un seul instant elle nous fera exploser tout simplement, comme éclate un bourgeon précoce au printemps, un bourgeon trop impatient d'atteindre l'été.|couper{180}