mars 2023
Carnets | mars 2023
ça voir
ça voir un mot nuage chien passage entre deux aveuglements, deux verrues, thé ça cri ça crée ça corde ça lie ça peur ça va ça vient ça va voir ce que ça va voir en rose en noir la vie la vue le corps le mot le corps beau le corps y fait le corps mot rend le corps à cris le corps y dort le corps pusse l’index ça voir le fond de la fondue au fromage de Gruyère ça voir le trou le chas l’aiguille ça voir de fil en aigle île Bonne à part aparté une poire Sainte-Hélène ça voir le bicorne et la lie corne ça licorne l’hallali l’alléluia et l’azalée alizés lisez Alonzo allons-y ça ça ça voir mignon mignonne si la rose et la rosse et cætera d’Hamelin la flûte de Brême les musiciens ça lu Anne chère Anne mâchez ma chère ne voit rien venir ma chair faible ça voir une peau pleine de pores des polypores, des lanternes chinoises, des photophores, des mots sortant de bouches d’or de gens bons Chrysostomes ça voir l’atome et en être baba atone le Teuton tâtonne le ciel tonne les heures viennent à la tienne Étienne sous le pont le Zouave ça voir qu’il prend l’eau par le pied de nez se mire à beau ça voir comme elle coule la Seine et la fondue au Gruyère le petit bruit de l’œuf cassé sur le comptoir des tiens. Galapagos, Brocéliande, Irlande, Cercle Arctique, Papouasie, Bornéo, Malaisie, Pondichéry, Ceylan, Lac de Côme, Mandelieu, Mondello, Aiguebelette, Léman, Lausanne En corps implants d’habitude de dire de voir de dormir Fracasser (comme le capitaine) Isidore Ducasse impair et passe Les particules de poussière dansent dans le rai de lumière glissant par la fente de fer du volet à rabat. joie. L’eau la lumière le vin la nuit l’amour la mort Décousu Dès coups su sur le bout des doigts par cœur Dés à coudre pour en découdre avec le fer la pointe de l’aiguille La jeune femme ravissante enfile sa robe de mariée sans un cri un froufrou froissement d’étoffe à côté un grand dadais dodeline de la tête un d’Inde on dirait un dindon. Des cous de poulets grillés des cous de poulets mis en valeur par des nœuds-pape la pomme d’Adam monte et descend dans la prononciation du Patenôtre Au son des Sirtaki des métèques. de vieux pingouins aux cous de poulets des cornichons à tête de veau. Décor en carton bouilli le cou du père François le cou du lapin le cou et le licou la tête et le reste tenu par le cou parle cou ça voir ça vaut le cou une voix de gorge une voix de crécelle une voix de tête une voix de stentor une voix de garage une voix avinée une voix sans issue une voix il était une voix et tout commencera recommencera ira de commencement en commencement On appuie sur l’interrupteur un mot pour l’ombre l’autre pour la lumière Avant tout un mot pour nommer du rien un mot vient de rien vient le mot qui fait tout le fait-tout où mijotent les cous de poulets de mijaurées de vieilles taupes avec quelques ruts à Baga des taupins d’Hambourg une parmi 8000 espèces de ver jaune fil de fer qui grignote la terre Je ne suis pas fou j’observe le fait-tout la soupape qui siffle ça va bientôt être à point. ça voir Avant le cri les préparatifs du cri|couper{180}
Carnets | mars 2023
cercles
Pourquoi perdre son temps avec ce désir de validation, de reconnaissance, avec cette obsession fatigante qui se manifesterait par je ne sais quelle preuve d'appartenance. Pourquoi. Lucidement, la question apparaît d'autant plus légitime que je regimbe systématiquement à entrer dans la moindre coterie. Peut-être en raison de mon expérience passée, notamment dans le domaine de la peinture, pour avoir fréquenté des groupes, des associations, des entreprises de tout ordre. L'être humain devient rapidement insupportable sitôt qu'il se fond dans un collectif, quel qu'il soit. À partir du moment où il devient membre, quelque chose change : il parle moins en son nom propre qu’au nom du groupe. Une mutation subtile s'opère, comme si l'identité individuelle s’érodait au profit d’un nous un peu artificiel. Aussi les évité-je comme par principe désormais. Comme une règle gravée dans le marbre : pas de groupe, pas d'association. Et pourtant, parfois, je sens bien ce désir d'appartenance qui pointe malgré tout. Je le surprends, le vilain bout de son nez, qui repasse par la fenêtre alors que je l’avais chassé par la porte. Il suffit d’un texte qui circule, d’une petite communauté qui s’échange des félicitations — et je sens ce picotement désagréable : pourquoi eux et pas moi ? C’est sans doute cette envie qui me révolte le plus, comme une trahison contre moi-même. Parce qu'elle va à l’encontre de cette règle d'or que je me suis imposée : rester à distance des clans et des cercles fermés. Mais voilà, l’envie de reconnaissance est plus rusée que la lucidité. Elle revient en douce, masquée sous des dehors de curiosité. Je pourrais m'en moquer, traiter cette tentation d'appartenance comme une faiblesse passagère, un réflexe conditionné par l’obsession contemporaine du réseau. Mais ce serait hypocrite. Car en réalité, ce besoin de validation est aussi légitime qu’agaçant. Qui n’a jamais voulu se sentir accepté par ceux qui partagent le même langage, les mêmes obsessions littéraires ? Peut-être que le problème n’est pas tant l’envie d’être reconnu, mais ce que cette reconnaissance impliquerait : céder, s’enfermer dans une esthétique convenue, faire semblant d’adhérer alors que je ne m’y retrouve pas vraiment. Et peut-être aussi que la lucidité finit toujours par se faire avoir par ce besoin d’exister aux yeux des autres. La question reste ouverte : peut-on se sentir pleinement légitime sans l’aval d’un groupe ?|couper{180}
Carnets | mars 2023
nu face à nu
repousse le mot rentre dans l'espace de la chose c'est étroit plier ranger tout ce qui sort membres tentacules pour s'accrocher mains doigts paroles et sois chose nue, une à se voir double à borgne à aveugle encore plus dont l'un dort dans le mot encore repousse ce qui clôture l'autre chose veille implore nu face à nu silex contre silex le bras se lève et retombe étincelle désirée au bout du bras comme de l'autre choc cancer feu hante le feu l'ordre crée le désordre et l'envers son endroit La chose muette et ça muet avant que vient le caillou ne se dresse arbre. étape 1 étape 2 un avant tableau 1 étape 1 étape 2 un avant tableau 2 deux carrés 20x20 avant toute idée de tableau. (acrylique sur panneau de bois )|couper{180}
Carnets | mars 2023
Concordance des temps
On peut contourner la difficulté par le présent. Écrire au présent. Le présent est un cadeau que l’on s’offre à soi-même, puis par ricochet, comme les rais de lumière, où ils veulent, où l’on voudra bien s’y accorder. Ajoutez à cela l’abandon, tous les abandons. Une exploration de l’abandon, la matière abandon. Concordance des temps : retrouver ce matin dans ma boîte aux lettres numérique plusieurs émissions d’Alain Veinstein, des fragments en PDF, un abécédaire en ePub, le tout envoyé par FB. Une gêne à commenter en lisant la liste déjà longue de ceux déjà là. La plupart datent de 2021. L’abandon des commentaires concorde avec de nombreux autres. L’abandon s’effectue au présent. Il est absurde de dire "j’ai abandonné ceci ou cela" comme "j’abandonnerai". Le tabac, sa présence, son absence aussi se relèvent, se révèlent au présent. De vieux souvenirs de photographies en noir et blanc apparaissent dans une cuvette jaune. La notion d’instantané. Mais l’avantage — n’en faut-il pas toujours tant qu’on s’obstine à se sentir floué — est la volatilité de la pensée, de l’envie, de la douleur, quand déjà elles s’évanouissent, qu’une journée passe. Mon épouse compte les jours. C’est devenu un rituel matinal. Il y a un calendrier sur la porte du réfrigérateur. Il faut plier les genoux pour cocher la journée avec un Stabilo bleu. Tout travail mérite salaire. C’est cette phrase qui me vient en cochant la journée d’hier. L’abandon du comptage des jours se trouve renforcé par ce calendrier ; le comptage est un jeu sans importance. On vérifie qu’on peut plier les genoux et encore bien d’autres choses. -- Comme tu es calme, c’est vraiment étonnant, me dit-elle. Je ne cherche pas à l’être, mais bizarrement tout concorde. Le site sous SPIP avance jour après jour. Quelques articles à la volée. Des photographies exhumées. Pas encore certain de la mise en page. L’avantage, c’est qu’on peut le reconfigurer autant qu’on le désire si l’arborescence tient la route. Et même celle-ci, c’est un jeu encore de pouvoir la modifier à tout moment. L’illustration est un tableau peint à l’huile, son titre "Lost in the horizon". Dimensions : 80 × 80 cm. Date : 2018.|couper{180}
Carnets | mars 2023
En rajouter
se contenter de presque rien aujourd'hui.|couper{180}
Carnets | mars 2023
Lutter
Lutter pour dire, lutter pour se retenir de dire. Il y a toujours une lutte. On pourrait penser qu’il suffit de choisir son camp, mais c’est plus complexe. La lutte n’est pas tournée vers l’extérieur, contre le monde. Non, elle est dirigée vers soi-même, vers ce doute qu’on entretient à l’égard de ce qu’on veut exprimer. Dire, c’est exposer ses pensées, les livrer aux autres, les soumettre au jugement. Se retenir, c’est garder pour soi l’incertitude, l’imperfection du propos. Pourtant, ni l’un ni l’autre ne constitue une véritable victoire. La certitude elle-même est ambiguë. Elle semble un aboutissement, mais ce n’est qu’un instant figé dans le flot mouvant de la pensée. La certitude n’est jamais définitive. Elle ne gagne rien sur l’incertitude, elle coexiste avec elle, comme une pause dans le combat, un moment d’illusion.|couper{180}
Carnets | mars 2023
Sortir du récit
La mort rôde, dans le silence inhabituel qui s’est installé depuis que j’ai décidé de sortir du récit. Une décision qui ne m’a pas paru radicale au début. Cela s’est insinué, discrètement, presque malgré moi. Mais à partir du moment où j'ai pris la décision, le monde autour a changé. Un léger déplacement dans l’axe du quotidien. Comme si les choses, soudain, se mettaient à luire d’une lumière neuve et un peu cruelle. C’est devenu plus manifeste depuis ce lundi 27 février. Premier jour sans tabac. La date s’est inscrite dans ma mémoire avec cette précision des moments décisifs. Le jour où quelque chose s’est interrompu. Jusqu’alors, fumer, c’était comme marcher sur un chemin régulier, battu, où les gestes viennent sans y penser. Et puis, sans prévenir, le chemin s’est interrompu. Une brèche. Je ne compte pas les jours depuis, parce que compter, c’est rester attaché à l’ancien récit, celui que je veux quitter. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans ce calcul. Je me surprends à regarder la mort comme une silhouette, une présence vague mais familière. Elle n’est pas la figure terrifiante des récits d’autrefois. Elle est simplement là, sans aspérité. Une tête plutôt sympa. Ni belle ni laide, juste normale, presque banale. Et c’est précisément cette banalité qui intrigue. Sortir du récit, c’est aussi quitter la route, faire une embardée, comme un brusque écart qui ne prévient pas. Une image s’impose à moi, sans que je sache pourquoi : le barde d’Astérix, bâillonné, suspendu aux branches d’un arbre, tandis que les autres festoient. C’est à la fois absurde et plein de cette ironie qui naît des moments où la vie prend un tournant inattendu. Il y a quelque chose d'incongru dans cette vision, comme si la rupture avec la ligne droite révélait l’aspect grotesque de ce qui était auparavant perçu comme régulier et linéaire. Mais ce n’est pas exactement cela. C’est autre chose. Et c’est justement ce qui fait tout l’intérêt. Il y a une forme de plaisir dans l’indécision, dans cette hésitation à nommer. Je me trouve face à la mort avec un étonnement calme, presque serein, comme si, en sortant du récit, j’avais libéré cette présence discrète qui était toujours là, en retrait. Elle n’a pas d’emprise. Elle accompagne. Elle attend. Et moi, pour la première fois, je ne la crains pas. C’est cette découverte-là qui, paradoxalement, donne un sens inattendu au geste de sortir du récit. Ne plus fumer, ce n’est pas seulement changer d’habitude. C’est réapprendre à marcher dans un espace élargi, libéré des enchaînements habituels, à explorer le monde sans cet artifice qui maintenait l’angoisse à distance. Maintenant, la mort se rapproche, mais elle n’est plus cette ombre inquiétante. Juste une idée, une pensée qui s’installe à la table, sans se faire prier.|couper{180}
Carnets | mars 2023
Le voyage des pères
Un père, peut-être grand, ou pas. Cela dépend des jours, de la météo intérieure, de ce qu'on a bien voulu garder. On dit le père, le grand-père, le pépère. Il arrive qu'on dise aussi Johannes Musti. C'est plus précis. C'est plus flou. Johannes Musti. Un nom qui sonne comme un souvenir mal rangé dans une valise trop pleine. Il était maigre, paraît-il, svelte, un peu cassant. Parti de Tallinn pour apprendre à peindre à Saint-Pétersbourg, avant de poser ses pinceaux à Épinay, décors de cinéma. Puis l'oubli. L'alcool. Et les enfants. Quatre. Dont un assez grand pour lui rendre le regard. Il boit, Johannes. Peut-être pas pour oublier. Peut-être juste parce que. Un verre. Puis un autre. Celui de trop. Je ne l'ai jamais vu. Il était déjà un bruit, une légende, une photo peut-être. Aujourd'hui encore, je ne sais pas où il repose. Montparnasse ? Le Père-Lachaise ? Nul ne le sait. Alors il est partout. Sous mon toit, parfois. C'est une idée à 63 ans : qu'un mort puisse partager votre logement. Après Johannes, il y eut Vania. Capitaine. Cheveux rares, ail omniprésent. Vodka, PMU, pirojkis. Clichés, oui, mais vivants. Il fut chauffeur de taxi, amant épisodique, vieillard actif. Cannes ou Biarritz, en noir et blanc. Pas un poil de graisse. Vania bombait le torse, fier. Sans révolution, il serait resté moujik. Il est mort convaincu d'une vie extraordinaire. Encore un père. Le père du père. Bourganeuf, la Creuse. Un dernier jour de guerre pour dernier souffle. L'armistice en robe noire. Avant cela, il était monté à Paris à pied. Pour bâtir un hôtel de ses propres mains. On insista beaucoup sur l'expression. Peut-être à Asnières. Mon père à moi, ce fut l'Algérie. Silence et regards vides. Un sac plastique dans une armoire, béret rouge, prière du parachutiste, autographe de Bigeard. Brassens pour seul pont entre nous. Le fils fit aussi la guerre, comme le père du père, comme celui d'avant. Sauf moi. Jamais à la guerre. Pas même père. Ça laisse du vide. Une envie de combler. J'ai pris un appareil photo, cherché la guerre ailleurs. Iran. Afghanistan. Et toujours ce besoin de comprendre. Les pères, les guerres, le silence. Tout s'entremêle. Le langage change. On apprend à lire dans les silences, dans les objets, les odeurs. Le vide laisse des traces. Il n’y a pas eu un seul voyage qui ne fut pas comme sauter d’un train en marche. Tous les pères connus et inconnus ont légué ce goût étrange pour l’ailleurs, pour ce qui échappe, pour le rien même. Être père, parfois, ce serait peut-être vouloir boucher un trou. Ne pas le regarder en face. Moi je l’ai regardé. Et parfois j’y suis tombé. Difficile de résister à l’envie du récit. Chaque père mériterait son roman, ou au moins sa note en bas de page. Mais l’envie est moins vive. Il y a eu trop de pères. Et trop peu d’enfants. La nécessité d’écrire vient peut-être de là. De ce manque-là. Si j’avais eu des enfants, j’aurais peut-être peint autrement, ou pas du tout. On ne saura jamais. Les choses se sont passées autrement. Alors je voyage. J’ai voyagé pour comprendre ces hommes. Ces pères. En espérant que leurs silences, leurs objets, leurs gestes en disent un peu plus. Peut-être qu’il faut lire autrement. Dans les plis d’une chemise, dans la rigidité d’une mâchoire rasée de frais. Ce genre d’indices. Je n’ai pas fait la guerre. Mais elle m’a quand même sali les mains. À force de la suivre de loin. D’en faire le tour sans jamais entrer. Une guerre périphérique. Mais tenace. Un peu de paix ferait du bien après tout ça. Être un homme sans enfants. Un homme qui passe. Rien d’héroïque. Juste un type. On vit. On perd. On gagne. On essaie. C’est tout. Rouge manque. Pair impair. Rien ne va plus. Le vide est toujours là, mais il fait moins peur.|couper{180}
Carnets | mars 2023
carré 40x40cm Huile sur toile
étape 1 étape 2 étape 3 stabilisation 3 étapes et une stabilisation réalisation Mars 2023|couper{180}
Carnets | mars 2023
carré 60x60 cm
1 ère étape 2 ème étape 3eme étape stabilisation 3 étapes de réalisation et une stabilisation|couper{180}
Carnets | mars 2023
difficulté des inventaires
C'est un mot, inventaire. Qu'on croit sec, administratif, et qui pourtant contient, insoupçonnée, une part d'invention. Comme s'il fallait à chaque fois le recréer, le tirer du chapeau avec tout ce que cela suppose de prestidigitation, d'efforts pour faire croire qu'on dresse des listes et non des fictions. Il y a du jeu, forcément, dans l'élaboration de l'ordre. Et puis cette table. Immobile, autoritaire. L'atelier autour qui palpite. L'air un peu vicié, mélangé de white spirit et d'huile de lin. Sur cette table : une plaquette de pastilles à sucer, destinées à contenir une envie de cigarette qui s'est déjà manifestée trois fois depuis le lever. Une tasse, vide. Crème, bord rouge. Quelques tubes de couleur, certains sans bouchon, mollement affalés. Un ancien pot de moutarde reconverti dans le mélange à peindre. Un chiffon boule, un couteau à peindre, une carte de visite de gîte touristique, promesse d'un cadeau si achat. Quelques pinceaux, tête en bas, manche en haut, trempant mollement dans des liquides. Boîtes de conserve réaffectées, haricots-cassoulet, au service du nettoyage pictural. Un saladier en terre, trente tubes, un peu de déroute chromatique. Un flacon plastique, survivant. Whyte spirit, encore utile. Pots d'acrylique. Une petite boîte en fer blanc, jadis paté, aujourd'hui médium. Une palette sale. Un agenda. Un carnet noir à l'élégance discutable. Un chevalet bancal, un filetage à revisser. Quelques morceaux d'essuie-tout tachetés, quelques miettes de tabac, reliques d'une semaine où l'on fumait encore, c'est-à-dire il y a une éternité. Peut-être la mort d'une habitude, peut-être un simple hoquet. On ne sait plus. Derriere ce détail clinique, une grande métaphysique flotte. Celle de l'ordre. De ce qu'on tente de domestiquer. L'inventaire est un geste, pas innocent. Un réflexe de peur. De contrôle. De guerre. Un inventaire, c'est déjà un préambule à la mobilisation. Les objets là, ils n'ont rien demandé. Ils vivent. Ils sont là. Ils n'occupent pas, ils existent. Et nous, on les fiche, les range, les désigne. Comme on dresserait un chien. C'est ça, exactement. Dresser l'inventaire. Avec tout ce que ce verbe charrie de brutalité. La chose est indocile, c'est pour cela qu'on la classe. Parce qu'elle nous échappe. Comme ce poisson, tiré du Cher, spasmodique et glissant dans la main. Une panique de palme, une peur de créature déplacée. Il y a toujours un peu de pêche dans l'inventaire. On aimerait pouvoir y échapper. Mais c'est plus fort que nous. Dresser, nommer, poser un ordre. Pour faire semblant de comprendre, de maîtriser, de survivre. Et l'objet devient preuve. Le banal, étendard. La table, un monde. Le monde, une table. Tout tient dans le regard posé, dans le doute qui le révèle. Il faut un écart. Un pas de côté. Pour voir ce qu'on ne voyait plus. Ce n'est pas l'objet qui compte, mais l'écart. Ce frisson du doute, cette poésie des choses immobiles qu'on n'avait pas vues venir. Le plaisir, peut-être, se trouve là : dans ce petit étonnement calme. Et s'il fallait un inventaire, ce serait celui de nos déplacements intimes. Ce que la table nous apprend, sur nous, sur le monde, sans forcer. Il y a un chat, d'ailleurs. Une chatte. Près des pinceaux. Et ce regard, oblique, qui juge tout cela avec un flegme qu'on envie. Illustration : Huile sur toile" inventaire " P.B|couper{180}
Carnets | mars 2023
exercices d’écriture, espaces
1 La table de travail de l'atelier un inventaire des objets se tenant ici ou là dans un espace. La description, le choix, la façon de les placer dans une hiérarchie (laquelle ?) La table de travail, cette appellation est-elle la bonne, on peut dire aussi la table ou une table tout simplement. Il y a dans l'atelier une grande table constituée par plusieurs tables juxtaposées les unes aux autres. Elle mesure environ 4 mètres de longueur et 2 mètres de largeur ( de large ou de largeur une hésitation à dire ici la dimension ) Elle est donc plus longue que large cette table. La hauteur moyenne est de 80 cm mais il peut y avoir par endroit une différence de plus ou moins deux cm ce qui n'est pas gênant. Elle n'est pas carrée, ni ronde, ni même ovale. C'est la table de l'atelier. Dire que cette table est un plan de travail est aussi une possibilité. Au lieu de dire table on pourrait dire que c'est un plan de travail, un espace de travail à l'intérieur d'un autre espace plus vaste, ce dernier espace est constitué par les limites de la pièce que j'appelle l'atelier. cette pièce est elle-même inclue dans l'espace d'une parcelle ( 200 mètres carrés inscrits au cadastre) on peut aussi nommer cette parcelle un lot. Auparavant tous ces lots formaient un espace encore plus grand appartenant à une famille importante dans le village où nous habitons désormais. Le lot que nous avons acquis pour une somme raisonnable comprends donc une maison de deux étages avec grenier et caves ( il y a deux caves ) une cour et une partie de l'ancienne scierie qui fut aussi autrefois une écurie. D'ailleurs et il est agréable de pouvoir l'insérer ici depuis que j'ai arrêté la cigarette, je peux sentir, dans les remises attenantes à l'atelier une odeur de cheval qui me réjouit. En tous cas elle, cette odeur fait le lien avec des harnais, des licous qui sont encore suspendus aux poutres de l'étage supérieur au dessus de l'atelier, étage dont nous nous servons de débarras. Les objets posés sur cette table ou ensemble de tables, (voire de bureaux provenant des héritages conjoints, recyclés en plan de travail ) entretiennent tous, de près ou de loin, une relation avec la peinture. la configuration de ces objets peut se modifier. Ils ne sont pas toujours exactement à la même place le soir que le matin, et dans la semaine il arrive qu'un objet se déplace d'un mètre ou deux sans crier gare. idée : prendre une photographie de la table deux fois par jour. Une le matin, et une autre le soir. Il faut pour cela conserver le même angle de prise de vue. Installer l'appareil photographique sur un pied sans qu'il gêne la circulation. Deux actions simples et brèves à effectuer chaque jour pendant une semaine, un mois, une année... pas de limite de durée. Le résultat final pourrait être comme ces petits films d'animation où les personnages sont constitués de pâte à modeler et dont on peut modifier les positions, du stop motion Je vois que je repousse le fait d'effectuer l'inventaire de ces objets sur la table. Que je parle de tout autre chose pour reculer le moment de les énoncer. C'est le désordre qui veut cela. Ou la honte que peut parfois provoquer cette notion de désordre quand on désire s'adresser à quelqu'un pour effectuer un inventaire. Même si ce quelqu'un est seulement soi-même. Éprouver un peu de honte vis à vis de soi-même est aussi normal que d'éprouver une satisfaction excessive. Ce sont des sentiments humains auxquels il est difficile d'échapper. Il convient donc d'en prendre conscience, de ne pas les éluder. Et, enfin, une fois cette petite opération de mise au point effectuée, on peut alors se lancer dans l'inventaire de la manière la plus décontractée possible ; c'est à dire sans enjeu, sans crainte déraisonnable, sans y faire intervenir du surnaturel, du fantastique, de l'horreur, pas plus que du merveilleux. Toutes ces choses qu'il faut laisser aux professionnels de la description, aux stakhanovistes du récit.|couper{180}