Le voyage des pères
Un père, peut-être grand, ou pas. Cela dépend des jours, de la météo intérieure, de ce qu’on a bien voulu garder. On dit le père, le grand-père, le pépère. Il arrive qu’on dise aussi Johannes Musti. C’est plus précis. C’est plus flou.
Johannes Musti. Un nom qui sonne comme un souvenir mal rangé dans une valise trop pleine. Il était maigre, paraît-il, svelte, un peu cassant. Parti de Tallinn pour apprendre à peindre à Saint-Pétersbourg, avant de poser ses pinceaux à Épinay, décors de cinéma. Puis l’oubli. L’alcool. Et les enfants. Quatre. Dont un assez grand pour lui rendre le regard. Il boit, Johannes. Peut-être pas pour oublier. Peut-être juste parce que. Un verre. Puis un autre. Celui de trop.
Je ne l’ai jamais vu. Il était déjà un bruit, une légende, une photo peut-être. Aujourd’hui encore, je ne sais pas où il repose. Montparnasse ? Le Père-Lachaise ? Nul ne le sait. Alors il est partout. Sous mon toit, parfois. C’est une idée à 63 ans : qu’un mort puisse partager votre logement.
Après Johannes, il y eut Vania. Capitaine. Cheveux rares, ail omniprésent. Vodka, PMU, pirojkis. Clichés, oui, mais vivants. Il fut chauffeur de taxi, amant épisodique, vieillard actif. Cannes ou Biarritz, en noir et blanc. Pas un poil de graisse. Vania bombait le torse, fier. Sans révolution, il serait resté moujik. Il est mort convaincu d’une vie extraordinaire.
Encore un père. Le père du père. Bourganeuf, la Creuse. Un dernier jour de guerre pour dernier souffle. L’armistice en robe noire. Avant cela, il était monté à Paris à pied. Pour bâtir un hôtel de ses propres mains. On insista beaucoup sur l’expression. Peut-être à Asnières.
Mon père à moi, ce fut l’Algérie. Silence et regards vides. Un sac plastique dans une armoire, béret rouge, prière du parachutiste, autographe de Bigeard. Brassens pour seul pont entre nous. Le fils fit aussi la guerre, comme le père du père, comme celui d’avant. Sauf moi. Jamais à la guerre. Pas même père.
Ça laisse du vide. Une envie de combler. J’ai pris un appareil photo, cherché la guerre ailleurs. Iran. Afghanistan. Et toujours ce besoin de comprendre. Les pères, les guerres, le silence. Tout s’entremêle. Le langage change. On apprend à lire dans les silences, dans les objets, les odeurs. Le vide laisse des traces.
Il n’y a pas eu un seul voyage qui ne fut pas comme sauter d’un train en marche. Tous les pères connus et inconnus ont légué ce goût étrange pour l’ailleurs, pour ce qui échappe, pour le rien même. Être père, parfois, ce serait peut-être vouloir boucher un trou. Ne pas le regarder en face. Moi je l’ai regardé. Et parfois j’y suis tombé.
Difficile de résister à l’envie du récit. Chaque père mériterait son roman, ou au moins sa note en bas de page. Mais l’envie est moins vive. Il y a eu trop de pères. Et trop peu d’enfants.
La nécessité d’écrire vient peut-être de là. De ce manque-là. Si j’avais eu des enfants, j’aurais peut-être peint autrement, ou pas du tout. On ne saura jamais. Les choses se sont passées autrement.
Alors je voyage. J’ai voyagé pour comprendre ces hommes. Ces pères. En espérant que leurs silences, leurs objets, leurs gestes en disent un peu plus. Peut-être qu’il faut lire autrement. Dans les plis d’une chemise, dans la rigidité d’une mâchoire rasée de frais. Ce genre d’indices.
Je n’ai pas fait la guerre. Mais elle m’a quand même sali les mains. À force de la suivre de loin. D’en faire le tour sans jamais entrer. Une guerre périphérique. Mais tenace.
Un peu de paix ferait du bien après tout ça. Être un homme sans enfants. Un homme qui passe. Rien d’héroïque. Juste un type. On vit. On perd. On gagne. On essaie. C’est tout.
Rouge manque. Pair impair. Rien ne va plus. Le vide est toujours là, mais il fait moins peur.
Post-scriptum
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Carnets | mars 2023
peuple
Illustration James Ensor Il est dans la rue. Le peuple appelé aussi gueux et chienlit, à l'image exacte de ceux qui prétendent le gouverner. On a du mal aujourd'hui à faire coïncider une certaine idée de culture, d'humanisme avec le foutage de gueule de tous les chefs d'états vis à vis de leurs peuples respectifs. Quand on se fout de la gueule du peuple c'est qu'on le considère comme une bête ; ce qu'il devient car un contenant vide se remplit de tous les noms qu'on veut bien lui donner. Autant de ridicule dans la vocifération des uns que dans la morgue des autres. Et non le ridicule ne tue toujours personne, désormais il fait même exister, il distribue les identités. Ensuite la soi disant misère ou pauvreté... Il n'y a qu'à se rendre dans la zone commerciale juste à côté pour voir avec quelle avidité certains remplissent leurs paniers leurs caddies avec au ventre l'affreuse peur de manquer, l'obsession de remplir d'amasser de collectionner. La queue aux pompes. L'absurde. Si on voulait vraiment marquer un refus politique descendre dans la rue n'est pas le moyen. Il faudrait utiliser les réseaux sociaux et dire n'achetez plus rien, ne buvez plus ne fumez plus, ne roulez plus, ne consommez plus. Contentez vous de peu voire de rien, et d'une pierre deux coups, non seulement l'état ses banques seraient en faillite, mais chaque citoyen retrouverait la joie de vivre, car il y a une vraie richesse, une jubilation dans la nudité.|couper{180}
Carnets | mars 2023
Ce n’est pas encore ça.
Un rêve, non c'est plutôt une blague de rêve, mais je le fais régulièrement et à différents moments de la journée. Un peu comme une séance d'analyse, avant que tu comprennes ce qu'est vraiment une séance d'analyse. C'est à dire que tu parles à quelqu'un qui ne te répond jamais. Un phénomène long d'érosion, parfois assez pénible mais qui soulage en final par l'autonomie formidable qu'on y gagne. Et à chaque fois tu te creuses la tête pour trouver LA bourde, L'ineptie la plus minable qui te mettra minable absolument définitivement. Mais l'autre reste de marbre. Ce n'est pas encore ça tu te dis. Tu te le dis 10 fois, 100 fois, 1000 fois. Bon Dieu comme tu apprends grâce à cette projection de ton bourreau intérieur. Puis le dernier jour tu t'amènes avec une brouette pleine de pièces de 5 cts pour payer ta séance. Tu la renverses sur le tapis persan. Et tu fais un petit signe de la main comme la vieille dame dans la piscine de ce roman de Kundera. Ciao ! Mais évidemment le lendemain tu y reviens, tu sais pertinemment que ce n'est pas encore ça.|couper{180}
Carnets | mars 2023
complot
Grâce au 49,3 l'apoplexie guette la France. Ce qui fait monter le taux d'adrenochrome dans les artères. Des vaisseaux reptiliens sont planqués derrière la Lune. Ils attendent le top départ de Biden la momie moldave pour venir nous sucer le sang. Mais sinon tout va très bien madame la marquise. Poutine est à la manœuvre même si on ne le dirait pas à cause de son air de Snoopy mais il possède une flotte de vaisseaux munis d'un système anti gravité et des informations hyper précises provenant du centre de la terre directement pondues par la fée Carabosse au fin fond du triangle des Bermudes. Alicia peut emprunter la voix d'un mort pour annoncer le couvre feu ou l'arrivée d'une lettre recommandée. Mac Donald sème l'obésité en partenariat avec Comme j'aime pour faire encore plus de ronds et en même temps d'une pierre deux coups dezinguer les ados boutonneux cuistres et sourds comme des pots. Le christ est en stage accéléré près du Roi du Monde dans les bas fonds de Shambala. Quant à moi toujours aucune cigarette depuis le 27 février 2023 pas de joint non plus, j'essaie de conserver en bonne santé mon esprit , mon âme, attaqués de toutes parts par les forces satanistes. Je prévois un changement de patronyme dans peu de temps. J'adorerais qu'on m'appelle à partir de maintenant Jean-Baptiste. Si j'ai le temps j'irai chez Gifi m'acheter un manche balai. Pas de doute qu'avec la puissance de ma foi inébranlable je pourrai le transformer en sabre laser. Le bas astral n'a plus qu'à bien se tenir.|couper{180}
