mars 2023

Carnets | mars 2023

Simulacres

En dehors des simulacres, que reste-t-il ? Possible que si on ôtait la capacité de simulacre à l’Homme, il disparaîtrait. Les gorilles se frappent la poitrine, font des mines terribles, mais la plupart du temps, ce ne sont que des simulacres. Il suffit d’un ou deux simulacres pour faire croire à une vérité. L’idée qu’en plus de tous ces simulacres, nous vivions dans une simulation, n’est-elle pas risible ? Simulacre d’information, simulacre d’élection, simulacre de bienveillance, simulacre de justice, simulacre de politesse, simulacre d’amour, simulacre d’orgasme, simulacre de plaisir, simulacre de douleur, simulacre d’ennui, simulacre d’intérêt, simulacre d’éducation, simulacre de simulacre. Il y a de la tête de mule dans le simulacre. Sans sauce gribiche. Il n’y a pas de fumée âcre sans le feu du simulacre. Ma tante, cette mule, possédait quelque part du côté de Perpignan une propriété de plusieurs acres. (J’ai souvenir de 100, ce qui donne environ 40 hectares, mais je ne suis pas plus avancé pour autant.) Un simulacre de mémoire. Un simulacre de biographie. Un simulacre d’existence. L’alacrité n’est bien souvent qu’une imitation exagérée de la joie, un simulacre censé, par sa vivacité, nous y conduire. Pour se mettre en train, il n’était pas rare qu’elle simule de façon grossière, exagérée, et en premier lieu seule devant sa glace, l’extase d’une nonne frappée par la Grâce. Il est possible d’accéder au fin mot de cette histoire en revenant sur chaque erreur, chaque mensonge, en mettant au jour tous les simulacres qui l’ont constituée. Six mulets dans un plat, ce ne peut être que des poissons, pas des ânes. Si Mu, le continent perdu, ressurgissait tout à coup, on serait bien embêté. Si mue le serpent de peau, il ne change pas d’esprit. Elle pouvait changer de peau, de poils, de plumes, simuler ainsi toute une basse-cour. Le dindon de la farce, lui, était toujours le même. « L’aide à la création ou à la reprise d’une entreprise (ACRE) consiste en une exonération partielle de charges sociales, dite exonération de début d’activité, et un accompagnement pendant les premières années d’activité. Elle permet aussi à certains bénéficiaires de prétendre à d’autres formes d’aides. » Simulacre d’aide, simulacre d’accompagnement, simulacre de bénéfice, simulacre de prétention, simulacre d’aides. La démagogie, ce simulacre de gouvernement des démocraties. D’un autre côté, si on change de point de vue, il n’y a pas que les singes qui simulent. Que dire des phasmes, passés maîtres dans l’art de simuler les brindilles ? Et de tout un tas d’animalcules étonnants, si on prend le temps de se munir d’un microscope, évidemment. /md>|couper{180}

Technologies et Postmodernité

Carnets | mars 2023

Mythes

Ce que sont les mythes n’est pas quelque chose de caché ou de mystérieux. Mais ce qui nous empêche de le comprendre l’est assurément. Ce qui est caché et donc mystérieux, c’est cette volonté de savoir, cette avidité. Mais voir un tourbillon de feuilles dans la rue, le voir sans réfléchir, sans le vouloir, et toutes les déesses et les dieux sont là, dans la fraîcheur du premier jour. Une expérience directe n’est pas une intuition ni un souvenir. Ensuite, qu’on ne puisse l’actualiser, la maintenir dans une durée, tient surtout au fait que la croyance dans la durée persiste. En même temps, il est nécessaire de posséder des jambes pour marcher. Pour être certain de marcher dans son propre rêve.|couper{180}

Esthétique et Expérience Sensorielle fragment

Carnets | mars 2023

Peinture et chant

Remonter à l’origine des Védas, et on tombe sur les Rishis, ces sages qui ont vu et qui chantent ce qu’ils ont vu. Des louanges. Mais qu’ont-ils vu ? Est-ce si important de le savoir ? Non. Comme il ne paraît pas important de voir un tableau avant de le faire. On ne veut pas s’approprier une vision. Pourquoi ? Parce que le temps n’existe pas, que tout est accessible au présent. Qu’il est possible de voir en même temps que faire. À condition que l’on s’installe dans ce mode de la louange. On s’émerveille de ce que l’on voit, de ce qui se fait sous nos yeux et on le peint. Et le sourire n’est même pas nécessaire. C’est une manière de le chanter. C’est aussi simple que cela. Ensuite, on peut prendre un malin plaisir (intellectuel) à vouloir tout expliquer, à tout compliquer. Mais ce n’est qu’un détour. Ce n’est qu’une peur. Le chant juste, le geste juste, la vision claire ne nécessitent même plus d’écarter doucement le mental et ses explications. Il s’écarte par logique. Ce qu’on n’a pas connu enfant, poussé par l’envie de grandir, l’urgence d’avoir, de savoir, on le connaît dans la certitude d’être ce même enfant dépourvu de but, ce vieillard, cette cendre.|couper{180}

Esthétique et Expérience Sensorielle

Carnets | mars 2023

écouter sur la route

Pas les moyens de prendre l’autoroute, les cartes bancaires sont muettes. Je ne prends pas le risque de compter sur les miracles et m’engage sur la D86. Deux heures trente de trajet pour aller jusqu’à Vals-les-Bains. Pas pressé non plus. C’est aujourd’hui dimanche, aucune maman pour apporter des roses blanches. Station thermale au bout de l’Ardèche. Le niveau de l’eau est extrêmement bas, on peut voir tous les cailloux au fond du lit de la rivière. La saison vient tout juste de commencer. Des cohortes de patients entrent et ressortent du Casino à côté de la Salle Volane. Un couple n’a pas gagné le cocotier, ça se voit. Pas beaucoup de places pour se garer. Un vide-grenier. Mais chance : un part et hop, je me gare. Mais je voulais parler d’Alain Veinstein, pas de mon expo. Écouter Alain Veinstein sur la route pendant deux heures trente raccourcit le temps. Je l’écoutais déjà il y a longtemps et ça raccourcissait les nuits blanches. Là, dans un dossier sur le Cloud, j’ai réuni tous les fichiers, il y en a un bon paquet, toutes les fois où FB a sorti un bouquin ou presque. La voix impressionnante de calme et d’attention d’Alain Veinstein et celle de FB, plus nerveuse, plus hachée en contrepoint. C’est fou comme on apprend des gens par leurs voix, surtout quand ils n’y font pas attention. Alain Veinstein est un professionnel de la voix. On ne peut apprendre de celle-ci que ce qu’il veut bien, à moins d’être un extralucide du tympan. Je me suis souvent demandé si j’avais ce super pouvoir. J’aurais aimé, je crois. Enfin non, ce n’est pas vrai. J’aurais encore plus détesté. Sans avoir l’ouïe affûtée tant que ça mais suffisamment pour repérer les couacs à répétition, c’est une grande difficulté de ma vie d’avoir toujours très bien écouté et entendu. Avant, je braillais, je disais : « Mais tu me prends vraiment pour un con ? » et patati et patata. Maintenant non. Je conduis, je fais gaffe à la route. Je pars entier, je reviens entier. Ensuite, j’ai cette tendance fâcheuse à admirer n’importe qui pour n’importe quoi. À m’intéresser à ce qui n’intéresse personne. Donc j’ai écouté toutes les émissions quasi religieusement pendant l’aller et aussi au retour. C’est bien la radio, ou le podcast puisqu’on dit comme ça désormais. Apprendre à connaître les gens juste par leurs voix, ou s’en faire une idée plutôt. Je n’ai jamais été curieux d’aller voir sur internet la tête d’Alain Veinstein. C’est plutôt drôle. Comme si le souvenir de sa voix suffisait à évoquer les nuits magnétiques, mais pas seulement, des pans de vie entiers passés dans les nuits. Pour autant, je n’ai retenu que peu de choses de ses invités durant ces échanges. Mais je n’avais peut-être pas envie de retenir quoi que ce soit. Comment décide-t-on de retenir les choses ? Je suis souvent éberlué par ces personnes qui peuvent se souvenir d’une multitude d’anecdotes, de détails, de noms, de dates et d’heures. Parfois j’ai l’impression qu’ils cherchent à ne pas se perdre eux-mêmes en se souvenant autant des autres. Peut-être que j’ai toujours désiré me perdre puisque je n’ai que très peu de souvenirs. Ou du moins ce n’est pas tout à fait juste. Je n’arrive jamais à me souvenir au bon moment, c’est surtout ça. Les souvenirs arrivent chez moi comme des événements climatiques. Comme une averse ou une embellie sur la route. Ce fut en tout cas une belle journée. Du trajet ou de la permanence d’exposition, je ne sais s’il faut préférer l’un ou l’autre. J’ai de moins en moins de préférence aussi, c’est pas nouveau mais plus remarquable. Enfin moi, je le remarque de plus en plus. Au bout du compte, après toutes ces émissions écoutées, je trouve que FB s’en est plutôt bien sorti, et de mieux en mieux au fur et à mesure des années. Par contre, Veinstein reste intemporel, c’est très bizarre comme sensation. Un sphinx. Dans un sens, je suis presque soulagé de n’avoir jamais publié de livre. Ça doit être un sacré moment à passer de se retrouver interviewé par Alain Veinstein.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | mars 2023

se tenir à l’écoute

Dans le fatras des langues, dans Babel, ce réel, se tenir à l’écoute sans but est difficile. Il faut tenir selon l’ouïe et le vent, du corps et des décors. Comprendre intuitivement la torsion des racines, rejeter l’inutile, choisir sans choisir, saisir le mouvement des branches, la danse de l’arbre, l’immobilité des oiseaux figés en plein ciel, écriture muette, illisible sur une page invisible. Quel mystère que celui de se tenir ici dans l’écoute sans autre but que d’être ici. C’est au présent que la clarté se fait, comme elle se défait. Mais ce ne sont encore là que pensées très éloignées de l’idée, un rêve, un rêve de réalité, un rêve de présent. Quel son pourrait soudain nous éveiller ? Quel bruit ? Un mot familier de l’enfance dont on se souvient, l’écho d’une familiarité qui se répète au cours des âges : Nylon, Arc, Caoutchouc, Élastique. C’est un passage pourtant, une voie sans issue, mais sans issue est nécessaire. Aucune issue, aucune prison. Traverser tous les murs, brèches dans l’espace et le temps. Persévérer.|couper{180}

poésie du quotidien

Carnets | mars 2023

Kali Yuga

Nous avons bu le vin sacré, nous sommes devenus immortels, nous sommes parvenus à la Lumière, nous avons découvert les dieux. Que pourrait bien maintenant nous faire hostilité ? Quel tort, ô immortel, pourrait nous faire mortel ? -- Rg Veda VIII, 48, 3 Au fond de cette obscurité actuelle, il y a ce miracle : pouvoir se souvenir de ce chant solaire. Des bribes de phrases, accompagnées de rires et d’eau, remontent du fond des âges. Ici, la vache n’est pas la vache mais la plus sacrée des lumières puisqu’elle est la Lumière. Mon père et mon grand-père disaient « oh la vache » quand ils étaient désarçonnés, comme s’ils avaient été éblouis par une réalité qu’ils n’avaient jamais vue. Oh la Vache, je l’entrevois. J’ai choisi de revenir. Ce n’est pas un hasard d’être ici. L’ère de la destruction des mondes, Kali Yuga, a commencé et touchera bientôt à sa fin. Je fouille dans la mémoire, mais il n’y a rien dans la mémoire. Je fouille dans la pensée, mais il n’y a rien dans la pensée. Je fouille dans le cœur, mais il n’y a rien dans le cœur. Voilà ce que l’homme est devenu : un vase vide sans cesse rempli par l’abondance du rien. Et pourtant, les mots sont là, dans l’air, j’arrive à les entendre de plus en plus nettement. Oh la Vache, je peux voir au-delà du rien. Au-delà de mon propre rien, comme de tous les autres. Un vaste troupeau qui court à perdre haleine en soulevant des nuées de poussière, ce qui le rend aveugle à l’approche du précipice. La langue, les mots, leur vrai sens, leur sens le plus proche de la réalité, n’est pas dans la mémoire, n’est pas dans la pensée, n’est pas dans le cœur. Mais dans le son. La racine br crée soudain le bras, le brin, la brute comme la brèche. C’est de ce son qu’il faut repartir. De tous les sons possibles comme des impossibles. La création du mythe demande l’oreille absolue au présent. Recréer les dieux à l’image de ces sons, que les eaux se déchaînent à nouveau, que la Vache dise Oh et qu’ils s’épousent et se mêlent dans de nouveaux poèmes, toujours les mêmes.|couper{180}

poésie du quotidien

Carnets | mars 2023

Des petits jets intempestifs.

Signe de sénilité, il patine en pantoufles sur le verglas de la page, de lui sortent de petits jets de mots comme d’autres produisent avec les reins des cailloux. Un petit pipi de mots en pleine nuit. Le lendemain, il prend du fil à coudre blanc, se perce la joue, se fait un ourlet à la langue trop pendue, qui traîne par terre comme des bas de chausse dans tous les caniveaux. L’incontinence verbale, parmi tous les maux qui frappent les petits vieux, n’est sans doute pas un des pires, mais pas des meilleurs non plus. mot cri|couper{180}

poésie du quotidien

Carnets | mars 2023

ça crée

L’oreille est essentielle et il faut être sourd à bien des inepties. Il faut un sang dur, cirer les tympans pour ne laisser filtrer que le chant des ruisseaux qui, si on l’écoute, rassemble tout le nécessaire pour vivre. Ça crée un monde parallèle à ce monde, un jus mot. Une scissiparité de l’organisme monde, pénétré par le chant, le son, le mot. Un acte sexuel, diront les benêts. Non, ça crée bien au-delà. Ça crée sans arrêt, une démultiplication des avenirs et des passés, des milliards et des milliards de mondes, mais là n’est pas l’important. Le résultat n’est qu’un leurre. Comme la corolle, les pétales des fleurs, les jupons, les cornettes, joli leurre, ma sœur. Non, l’important, c’est l’infini que ça crée, l’infini sacré, le vieux serpent de mer, Nessy dans sa mare, l’écho sait cela. L’ouroboros, dont il est mensonger de dire qu’il se mord la queue, étant donné qu’il est cercle parfait.|couper{180}

poésie du quotidien

Carnets | mars 2023

filles femmes en fin

Supercherie de ces visages peints sans modèle. Mensonge, pensais-je. Refus de voir, refus de sentir. L’habileté masque le pot aux roses. Souvent, il faut se méfier des apparences trop lisses et propres. Heureusement, paré de bonne heure pour faire face. Mais toujours incertain, toujours à douter de tout et de moi-même, changeant sans relâche. Jusqu’à aujourd’hui, où réduit à si peu, enfin naissent mes filles. Cette idée soudaine. Mes filles peintes dans la transe plus que tout autre mot. La transe de la peinture, ce n’est pas une blague du tout. Mais on a peine à y croire, à l’accepter. Même si, par gageure, on se dit chaman. On ne tient pas longtemps dans l’ironie. Car on n’a pas choisi cette appellation au hasard, on ne croit plus au hasard depuis le temps. La souffrance n’est pas du pipi de chat, mon petit vieux, elle est précieuse comme le sang et l’eau, l’amour et les papillons. Je me suis ouvert les flancs et des filles en sont sorties — des filles, des femmes désormais. Elles auront grandi ; elles auront acquis leur indépendance. Sauf une. Une petite fille qui reste à jamais avec le petit garçon. Et ces deux-là ne bougeront pas. Ne bougeront plus. Ils étaient là bien avant moi et le resteront bien après. De temps à autre, je peux les voir assis dans le cerisier, ils me font un petit signe de la main. Un signe d’encouragement, je crois. Mais toutes ces filles, ces femmes qui sortent de mon ventre, qui sont-elles ? Je ne le sais pas, elles naissent ainsi comme des humeurs du gémissement profond de la peinture. Elles sont les larmes des couleurs. Des couleurs qui sont allées loin dans la profondeur des terres pour se créer une valeur, une intensité, une existence. Je dis mes filles, mes femmes, mais c’est mon désir d’être père qui veut ça. Moi, je ne vois pas les choses ainsi. Je ne les vois plus ainsi. C’est tout l’inverse certainement, ce sont elles qui me créent, qui me donnent du corps, du souffle, de la voix. Ainsi donc, on pense qu’on crée, puis on devient honnête, on sent de mieux en mieux qu’on est créé par ce que l’on peint, par ce que l’on écrit.|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | mars 2023

Ecrire selon le rythme d’un gémissement

AAAAAH AAAAAAAH (voix de tête comme un cri de rapace très haut dans le ciel) AAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAH (on peut modifier la longueur du second phonème, ça change le ton) AAAAAH AAAAH AAAAH AAAAH (sinon, on peut tenter la répétition exacte d’un même son avec différents intervalles de silence ou en changeant d’octave, mais progressivement. Ne pas partir des aigus pour descendre aussitôt dans les graves, cela créerait un « effet », et l’effet est à bannir absolument ici) Il faut gémir de tout son cœur, pas de sa tête. AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH Si on sent le moment de pousser une plainte majuscule, il faut entrer tout entier dedans. C’est-à-dire ne pas laisser un bras, une jambe, un cheveu en dehors. C’est à CE PRIX que la plainte sonne juste, comme deux couleurs qui se trouvent, forment un accord, à corps pas pour des prunes. Proférer est un art perdu qu’il est urgent de retrouver. Si on s’y prend correctement, il n’est pas rare de créer la pluie si on sait bien proférer. Si on abandonne la chape de plomb sous laquelle l’âme est écrabouillée par la pensée. L’individu n’est qu’un tout petit morceau de l’âme, il est presque totalement insignifiant sauf quand il profère avec cœur et justesse. Jésus profère encore doucement, c’est son truc. Mais très peu l’entendent parce qu’ils pensent. Dieu vocifère en vain à travers les bouchons de cérumen, de cire humaine fabriquée par les informations mâchées, prémâchées, qui pénètrent 24/24, 7/7 dans le conduit auditif, brouillent l’écoute. On se prend pour des abeilles, comme la grenouille veut être bœuf. Ça éclatera. AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH (Mantra : le gémissement permet de se concentrer vers l’intérieur de soi, il agit comme un...) AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH (Il peut arriver qu’un gémissement soit interrompu par une pensée. La honte de gémir en public, par exemple. Mais se rappeler qu’on n’en sait rien de ce que voient ou entendent les autres, il ne sert strictement à rien d’y penser, de s’en faire la plus petite idée, ni même d’en éprouver de la culpabilité ou de la honte) AAAAAAAH AAAAAH AAAAAAH AAAAAAH Recommencer l’opération jusqu’à ce que les premières gouttes tombent des nues, les premières VRAIES LARMES coulent sur les joues. Le gémissement permet d’évacuer toutes les toxines du corps si on y va franco. Si on s’arrête en chemin pour une raison ou une autre, on ne fait pas un cycle complet, le corps tout entier reste pollué. S’il reste une seule pourriture, tout est corrompu. AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH La respiration joue un rôle essentiel dans l’art de gémir. Il existe différentes façons de respirer, beaucoup ont été perdues au cours des âges. La respiration qui s’effectue entre la gorge et le plexus solaire est la meilleure, c’est-à-dire celle par laquelle tout doit commencer. Ne surtout pas chercher à respirer par l’abdomen. Faire monter le son dans le crâne, sentir le son tourner à l’intérieur de celui-ci, exciter peu à peu la dure-mère endormie. AAAAAAAAH AH AH AAAAAAAAAAAH AH AH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AH On peut tenter l’asyncope, ne pas chercher à faire de la musique non plus. Ne pas chercher à gémir beau, à gémir paraître. Gémir comme on est. Gémir être. Se laisser emporter par ce gémissement, c’est comme grimper sur les feuilles d’un plant de haricot qui monte au ciel. En plissant les yeux pour gommer tout détail superflu, on verra l’essentiel — Des anges nous accompagnent dans l’ascension ou la chute. (Les hauts et les bas participent du concert général, mais : ne pas les considérer comme des récompenses, des gains ou des pertes, des punitions) AAAAAAAAAAAAAAAAAAAH AH AH AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH Aux premières larmes, aux premières gouttes de pluie, il est conseillé d’interrompre le gémissement, de se retenir pour ne pas laisser fuir les humeurs trop rapidement du corps. (Cette étape ne peut s’effectuer qu’une fois un certain niveau de maîtrise atteint, quand le corps tout entier a déjà été nettoyé) Il faut conserver le désir de gémir, c’est pourquoi gémir peu mais gémir bien sera recommandé dans le temps pour acquérir la connaissance profonde de cette puissance infinie, accéder à sa maîtrise. On ne peut y parvenir jeune, et trop âgé, ça ne sert plus à grand-chose. Il faut apprendre à gémir à temps. Gémir au bon moment, sans se presser mais sans trop traînailler non plus.|couper{180}

affects

Carnets | mars 2023

ça voir

ça voir un mot nuage chien passage entre deux aveuglements, deux verrues, thé ça cri ça crée ça corde ça lie ça peur ça va ça vient ça va voir ce que ça va voir en rose en noir la vie la vue le corps le mot le corps beau le corps y fait le corps mot rend le corps à cris le corps y dort le corps pusse l’index ça voir le fond de la fondue au fromage de Gruyère ça voir le trou le chas l’aiguille ça voir de fil en aigle île Bonne à part aparté une poire Sainte-Hélène ça voir le bicorne et la lie corne ça licorne l’hallali l’alléluia et l’azalée alizés lisez Alonzo allons-y ça ça ça voir mignon mignonne si la rose et la rosse et cætera d’Hamelin la flûte de Brême les musiciens ça lu Anne chère Anne mâchez ma chère ne voit rien venir ma chair faible ça voir une peau pleine de pores des polypores, des lanternes chinoises, des photophores, des mots sortant de bouches d’or de gens bons Chrysostomes ça voir l’atome et en être baba atone le Teuton tâtonne le ciel tonne les heures viennent à la tienne Étienne sous le pont le Zouave ça voir qu’il prend l’eau par le pied de nez se mire à beau ça voir comme elle coule la Seine et la fondue au Gruyère le petit bruit de l’œuf cassé sur le comptoir des tiens. Galapagos, Brocéliande, Irlande, Cercle Arctique, Papouasie, Bornéo, Malaisie, Pondichéry, Ceylan, Lac de Côme, Mandelieu, Mondello, Aiguebelette, Léman, Lausanne En corps implants d’habitude de dire de voir de dormir Fracasser (comme le capitaine) Isidore Ducasse impair et passe Les particules de poussière dansent dans le rai de lumière glissant par la fente de fer du volet à rabat. joie. L’eau la lumière le vin la nuit l’amour la mort Décousu Dès coups su sur le bout des doigts par cœur Dés à coudre pour en découdre avec le fer la pointe de l’aiguille La jeune femme ravissante enfile sa robe de mariée sans un cri un froufrou froissement d’étoffe à côté un grand dadais dodeline de la tête un d’Inde on dirait un dindon. Des cous de poulets grillés des cous de poulets mis en valeur par des nœuds-pape la pomme d’Adam monte et descend dans la prononciation du Patenôtre Au son des Sirtaki des métèques. de vieux pingouins aux cous de poulets des cornichons à tête de veau. Décor en carton bouilli le cou du père François le cou du lapin le cou et le licou la tête et le reste tenu par le cou parle cou ça voir ça vaut le cou une voix de gorge une voix de crécelle une voix de tête une voix de stentor une voix de garage une voix avinée une voix sans issue une voix il était une voix et tout commencera recommencera ira de commencement en commencement On appuie sur l’interrupteur un mot pour l’ombre l’autre pour la lumière Avant tout un mot pour nommer du rien un mot vient de rien vient le mot qui fait tout le fait-tout où mijotent les cous de poulets de mijaurées de vieilles taupes avec quelques ruts à Baga des taupins d’Hambourg une parmi 8000 espèces de ver jaune fil de fer qui grignote la terre Je ne suis pas fou j’observe le fait-tout la soupape qui siffle ça va bientôt être à point. ça voir Avant le cri les préparatifs du cri|couper{180}

poésie du quotidien

Carnets | mars 2023

cercles

Pourquoi perdre son temps avec ce désir de validation, de reconnaissance, avec cette obsession fatigante qui se manifesterait par je ne sais quelle preuve d'appartenance. Pourquoi. Lucidement, la question apparaît d'autant plus légitime que je regimbe systématiquement à entrer dans la moindre coterie. Peut-être en raison de mon expérience passée, notamment dans le domaine de la peinture, pour avoir fréquenté des groupes, des associations, des entreprises de tout ordre. L'être humain devient rapidement insupportable sitôt qu'il se fond dans un collectif, quel qu'il soit. À partir du moment où il devient membre, quelque chose change : il parle moins en son nom propre qu’au nom du groupe. Une mutation subtile s'opère, comme si l'identité individuelle s’érodait au profit d’un nous un peu artificiel. Aussi les évité-je comme par principe désormais. Comme une règle gravée dans le marbre : pas de groupe, pas d'association. Et pourtant, parfois, je sens bien ce désir d'appartenance qui pointe malgré tout. Je le surprends, le vilain bout de son nez, qui repasse par la fenêtre alors que je l’avais chassé par la porte. Il suffit d’un texte qui circule, d’une petite communauté qui s’échange des félicitations — et je sens ce picotement désagréable : pourquoi eux et pas moi ? C’est sans doute cette envie qui me révolte le plus, comme une trahison contre moi-même. Parce qu'elle va à l’encontre de cette règle d'or que je me suis imposée : rester à distance des clans et des cercles fermés. Mais voilà, l’envie de reconnaissance est plus rusée que la lucidité. Elle revient en douce, masquée sous des dehors de curiosité. Je pourrais m'en moquer, traiter cette tentation d'appartenance comme une faiblesse passagère, un réflexe conditionné par l’obsession contemporaine du réseau. Mais ce serait hypocrite. Car en réalité, ce besoin de validation est aussi légitime qu’agaçant. Qui n’a jamais voulu se sentir accepté par ceux qui partagent le même langage, les mêmes obsessions littéraires ? Peut-être que le problème n’est pas tant l’envie d’être reconnu, mais ce que cette reconnaissance impliquerait : céder, s’enfermer dans une esthétique convenue, faire semblant d’adhérer alors que je ne m’y retrouve pas vraiment. Et peut-être aussi que la lucidité finit toujours par se faire avoir par ce besoin d’exister aux yeux des autres. La question reste ouverte : peut-on se sentir pleinement légitime sans l’aval d’un groupe ?|couper{180}

Autofiction et Introspection