Nous avons bu le vin sacré, nous sommes devenus immortels, nous sommes parvenus à la Lumière, nous avons découvert les dieux. Que pourrait bien maintenant nous faire hostilité ? Quel tort, ô immortel, pourrait nous faire mortel ? -- Rg Veda VIII, 48, 3

Au fond de cette obscurité actuelle, il y a ce miracle : pouvoir se souvenir de ce chant solaire. Des bribes de phrases, accompagnées de rires et d’eau, remontent du fond des âges.

Ici, la vache n’est pas la vache mais la plus sacrée des lumières puisqu’elle est la Lumière.

Mon père et mon grand-père disaient "oh la vache" quand ils étaient désarçonnés, comme s’ils avaient été éblouis par une réalité qu’ils n’avaient jamais vue.

Oh la Vache, je l’entrevois.

J’ai choisi de revenir. Ce n’est pas un hasard d’être ici. L’ère de la destruction des mondes, Kali Yuga, a commencé et touchera bientôt à sa fin.

Je fouille dans la mémoire, mais il n’y a rien dans la mémoire. Je fouille dans la pensée, mais il n’y a rien dans la pensée. Je fouille dans le cœur, mais il n’y a rien dans le cœur.

Voilà ce que l’homme est devenu : un vase vide sans cesse rempli par l’abondance du rien.

Et pourtant, les mots sont là, dans l’air, j’arrive à les entendre de plus en plus nettement.

Oh la Vache, je peux voir au-delà du rien.

Au-delà de mon propre rien, comme de tous les autres.

Un vaste troupeau qui court à perdre haleine en soulevant des nuées de poussière, ce qui le rend aveugle à l’approche du précipice.

La langue, les mots, leur vrai sens, leur sens le plus proche de la réalité, n’est pas dans la mémoire, n’est pas dans la pensée, n’est pas dans le cœur.

Mais dans le son.

La racine br crée soudain le bras, le brin, la brute comme la brèche. C’est de ce son qu’il faut repartir. De tous les sons possibles comme des impossibles.

La création du mythe demande l’oreille absolue au présent.

Recréer les dieux à l’image de ces sons, que les eaux se déchaînent à nouveau, que la Vache dise Oh et qu’ils s’épousent et se mêlent dans de nouveaux poèmes, toujours les mêmes.