Je résiste. À m’intéresser à l’actualité. Un événement survient — tragique, obscène, délirant — et soudain, il n’y a plus que lui. Pendant quelques jours. Puis il disparaît. Évaporé. Remplacé aussitôt par un autre, tout aussi tragique, tout aussi insensé. On parle de "flux", mais c’est un viol. Un viol d’attention. Brutal. Il nous dépouille. Il crée un vide factice, qu’il s’empresse de remplir. Encore. Encore. Tonneau des Danaïdes.

En focalisant ainsi sur tel ou tel drame — souvent réel, terrible, insoutenable — rend-on le reste, le quotidien, encore plus insignifiant ? Faut-il donc l’actualité pour ne pas mourir d’ennui ?

Peut-être est-ce cela, son vrai moteur : conjurer l’ennui.

Mais si l’on ne sait plus s’ennuyer, alors plus rien ne tient. Nous devenons esclaves. Drogués. À la dose d’images, de tweets, d’alertes.

Il faudrait des écoles d’ennui. Le réhabiliter. En faire un rite. Une discipline. Un art. Une prière.

Et l’actualité reprendrait sa vraie place : celle d’un bruit. D’une branche qui craque. D’une pluie sur le toit. Du rire d’un merle. D’un souffle sans cible.

Se former à l’ennui pour être réformé par lui. Apprendre à durer dans le changement. À tenir.

Illustration : Derrière les poubelles, l’apparition de la Vierge. (Croatie, août 2023.)

sous-conversation

… encore un… encore un autre… toujours plus… mais où vont-ils tous ?… les drames… les morts… le sang… il sèche… déjà remplacé…

mais moi… moi je veux pas… pas encore… pas ce bruit… pas cette violence…

et si c’était ça… juste ça… la peur de s’ennuyer… la panique… le vide… alors on saute… sur n’importe quoi…

l’ennui… oui… l’ennui… et si c’était là… la clé… l’ennui comme ancrage… comme silence…

écouter… vraiment… la branche… le merle… le vent…

et là… oui… là peut-être… derrière les poubelles… quelque chose… quelque chose d’autre… de plus vaste… de plus calme…

note de travail

Il s’attaque ici à un symptôme majeur de notre époque : l’épuisement de l’attention. Non par fatigue, mais par saturation. Trop de faits. Trop de drames. Trop de vitesse.

Il nomme cela un viol. Le mot est fort. Il dit la violence invisible de la répétition, du remplissage. Il dit aussi la dépossession. Le sujet n’est plus sujet : il est occupé. Colonisé par le flux.

Puis il propose un retournement : faire l’éloge de l’ennui. C’est audacieux. Contre-culturel. L’ennui comme antidote. L’ennui comme forme d’attention lente. Il ose même le mot : prière.

Il me touche profondément là où il évoque ces petits signes du monde — branche, pluie, merle. Il recentre l’écoute. Il nous redonne une oreille.

Et la fin — cette Vierge surgie derrière les poubelles — est une trouvaille. Elle ne juge pas. Elle apparaît. Comme un miracle discret. Elle dit : l’inattendu est là, dans le rebut, dans l’écart.

Ce texte ne nous exhorte pas à fuir l’actualité. Il nous rappelle juste ceci : notre regard est précieux. Il mérite mieux que l’urgence.