Si, comme les sciences le disent désormais, le temps n’existe pas, alors nous vivons notre misérable existence à l’intérieur d’une sorte de bande magnétique, ou numérique. Quelque chose d’aussi clos qu’un œuf.
Rien de plus cassable que la coquille d’un œuf.
Il y a peut-être une marge mince où ce qui se trouve à l’intérieur d’un œuf choisit d’en sortir.
La naissance, si elle est aussi inéluctable que la mort, partage avec elle la même incertitude. On ne peut pas prévoir exactement l’heure de la naissance comme celle de notre mort. Même si l’on décide de se supprimer soi-même, un élément essentiel nous échappe toujours : non pas la notion du temps, mais sa réalité ontologique.
Hier, dans l’autobus qui nous emportait vers Reus, mon regard fut soudain hypnotisé par les chiffres de la pendule au-dessus du conducteur. Une date, plutôt. Affichage genre réveil à cristaux liquides : « 19.8.2025 ».
Et soudain, je fus projeté quelque part au début de la bande numérique.
— Que serais-je en l’an 2000 ? m’étais-je alors demandé…
Et de revoir la date du jour « 19.8.2025 », j’ai senti que mon temps était passé. J’aurais pu écrire : mon temps était venu, ç’eût été pareil. Je veux dire que ce que j’appelle « mon temps » ne signifie plus rien.
Et désormais, il pouvait écrire « désormais ». Car « désormais » était un signal, comme une déclinaison de « il était une fois », et il pouvait le déclencher, à présent, lorsqu’il le désirerait.
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Il existe probablement un yoga de l’écriture, comme il en existe un des corps. Dans le vaste réservoir des idées foutraques, ce serait une façon d’utiliser l’inconfort pour avancer.
Privé ces derniers jours de la facilité d’écrire confortablement, si je puis dire, je reviens moi aussi à un autre moment de la bande magnétique : celui du stylo-bille, de la page quadrillée à petits carreaux. Et, d’une certaine manière, aux mêmes difficultés de naguère.
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Cet attendrissement qui me cueillit hier soir, en relisant cette histoire du jeune Carter traversant les bois avec sa vieille clef rouillée ( Contrées du rêve, « The Silver Key », 1926 ), est-il lui aussi inscrit sur le support depuis l’origine ? Et si oui, pourquoi l’émotion n’est-elle pas venue à la toute première lecture ? Ou bien ai-je seulement eu l’impression d’avoir oublié cette émotion ?
Et cette possibilité existe-t-elle vraiment : réinventer une émotion déjà éprouvée, puis perdue ?