Une régularité de métronome. La seule, d’ailleurs. Pour le reste, non. Rien n’est régulier. Erratique serait plus juste. Une régularité extirpée comme un métal quelconque d’une montagne quelconque. Pas de l’or, non. Quelque chose de terne. Presque inutile.

Et c’est cette régularité, paradoxalement, qui ralentit un peu la machine. Une résistance douce. Si l’on veut une version clinique : le seul élément chez lui qui ne soit pas mou. Il écrit. Tous les jours. De quatre à huit. Ce qu’il écrit, personne ne le sait. Il ne montre rien. Ne dit rien. Peut-être vaut-il mieux. On l’aurait remarqué depuis, s’il y avait eu quelque chose.

Ce matin, réveillé trop tôt. Mal dormi. Le mot maillage est arrivé immédiatement. Puis mailler, maillet. Trois mots, sans attaches, presque grotesques dans la lumière encore froide.

Il a bu son café, tiède, regardé la table. Pensé aux articles. Disparition, par exemple. Un seul lien possible. Pas cent quatre-vingt. Pourquoi vouloir autant de connexions ? À quoi bon ? Ce serait illisible. Une impasse.

Il faudrait réduire. Aller à l’essence. Quelques textes seulement. Une poignée. Le reste peut disparaître.

Corps : trois cent quarante-sept résultats. Il pourrait faire un fichier, une liste, avec les phrases, les titres. Il ne le fera pas. Ce serait froid. Ce serait absurde.

Et puis le mot maillet est revenu. Il tapait, à l’intérieur. Comme s’il cognait sur maille. Comme s’il essayait de sortir. Ou d’entrer.

Plus l’absurdité le cerne, plus il s’acharne. Est-elle vraiment extérieure, cette absurdité ? Peut-être pas. Peut-être qu’on assiste juste à un match. De boxe. Ou de catch. On ne sait plus. L’un comme l’autre semble aussi absurde que l’intérieur. Et parfois, il frôle quelque chose. La solution. Une sensation. Abattre le mur. Entre l’intérieur et l’extérieur. Plonger dans l’immanence.

Mais comment on respire, dans l’immanence ? Il faut que l’air entre, que le gaz sorte. Le vivant, même ça, est contraint. Contingent. Trop contingent, au point que ça aussi devient absurde.

Dans l’idée de disparition, qu’est-ce qui résiste encore ? Un désir ? Un espoir ? Une réapparition déguisée ? Une résurrection, peut-être. Très catholique, tout ça. Un vieux formatage mal effacé. Il faudrait pouvoir formater la cervelle. Plusieurs fois qu’il y pense. Mieux : ne plus en avoir du tout. Ne garder que ça : la sensation du corps vivant. Ce qu’on a supprimé pour faire de la place. Pour installer ce programme minuscule. Ce petit je qui soliloque. Ce ridicule petit je.

Le corps ne dit pas je. Il dirait le corps, s’il devait se parler. Il parlerait à la troisième personne. Il introduirait un tiers. Encore un. Toujours ce tiers, cet obstacle. Une étape à franchir. Trois fois, peut-être. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de son, plus rien qui sorte de cette bouche.

C’est en bonne voie. Il ne parle presque plus. Le corps est laconique. Le geste, minimal.

Hier encore, lors de cette marche courte – pour aller chercher du pain – le corps et le trottoir ne faisaient plus qu’un. Un pas. Puis un autre. Puis un autre encore. Pas plus.

En haut, les martinets criaient. Leur stridence fendait ce qu’il restait de pensée, de matière grise. C’était supportable. Ce n’était pas bien. Ce n’était pas mal. C’était.

Le corps, s’il peut se dire, avait pris conscience de lui-même. Mais trop tard. Les retrouvailles n’avaient plus d’objet. Il n’y aurait pas de fête. Aucun musicien ne serait convoqué. Pas de discours.

Le vent soufflait doucement dans le cordon noir des lunettes. Ce frottement léger pouvait passer pour un acouphène. Ça commençait comme ça. Puis on reconnaissait. On savait que c’était dehors. Et, peu à peu, le corps devenait une masse. Une montagne. En mouvement. Très lent. Dense.

Ce qui était senti venait de loin. De l’immobilité des cristaux. Des silex. Quelque chose d’avant.

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