Chaque matin, c’est la même rengaine. Il appuie sur le bouton "on" et laisse défiler les visages inexpressifs, les mots mécaniques, sur l’écran. La guerre, la famine, le dérèglement climatique... Ses yeux se fixent sur cette barre d’infos qui roule sans fin, un flot continu de désastres. Hier encore, il se souvenait avoir ressenti de la colère. Aujourd’hui, rien. Juste un arrière-goût amer, un étouffement discret, qu’il ne sait même plus nommer tristesse ou impuissance.
La télévision crache une énième image de dévastation. Il cligne des yeux, observant, impassible, les cadavres étalés sous les décombres, avec en fond une mélodie dramatique soigneusement orchestrée. Mais devant son café, il ne ressent plus rien. Trop, c’est trop. L’horreur est devenue familière, presque banale. Une ombre dans un coin de son âme, toujours présente, mais qu’il a appris à ignorer.
Comment arrêter cela ? se demande-t-il.
Il éteint la radio, la télévision, l’ordinateur, la tablette, le téléphone… Le silence tombe, lourd, comme un rideau sur une scène désertée. Il se retrouve seul, face à cette angoisse diffuse d’exister sans savoir vraiment pourquoi. Peut-être est-ce cette peur qui l’a poussé, année après année, à se réfugier dans le bruit, à s’entourer d’images et de sons distrayants. Plutôt que de faire face à cette angoisse, il a préféré la dissoudre dans la bêtise collective, dans l’abrutissement social, plutôt que de transformer ce mal-être en quelque chose de véritablement utile.
Le silence l’enveloppe d’abord, oppressant, puis étrangement apaisant. Il inspire profondément, comme s’il sortait enfin la tête de l’eau après des années passées à se noyer dans la cacophonie ambiante. Mais ce n’est pas l’air frais qu’il respire ; c’est une angoisse sourde, rampante, celle qu’il a si longtemps étouffée sous les bruits et les images des autres.
Il regarde autour de lui, comme s’il s’attendait à ce qu’un événement se manifeste dans ce vide. Mais rien. Juste lui, et ce vide.
Et si cette peur, depuis toujours, était celle de se retrouver face à lui-même ? De n’avoir aucune réponse à offrir, aucun but à atteindre. Il l’a camouflée derrière des actualités, des opinions, des pseudo-débats, pensant qu’ils le connectaient au monde, alors qu’en réalité, ils n’étaient que des murs qu’il érigeait autour de lui.
La vérité se révèle dans toute sa crudité : il a choisi la facilité de la bêtise collective, l’abrutissement social, plutôt que d’accepter cette angoisse et de la transformer en quelque chose de significatif. Mais que faire maintenant ? Que pourrait-il créer de ce vide qu’il a si longtemps fui ?
Un frisson parcourt son échine. Peut-être que la question n’est pas "quoi faire", mais simplement accepter de ne pas savoir. Accepter d’avancer malgré tout, sans filet, dans l’inconnu.
Il songe à lui-même, à la manière dont il joue son rôle dans la société, un simple "avatar" de ce qu’il ressent être vraiment. Il se voit comme une mèche trempant d’un côté dans l’huile de vidange, de l’autre brûlant avec une flamme. Ce décalage entre son identité sociale et sa véritable essence semble de plus en plus insoutenable.
Il reste là, immobile, le regard perdu dans le vide. La mèche continue de brûler. Jusqu’à quand tiendra-t-elle ? Il l’ignore. Que faire de cette contradiction, de cette tension qui le déchire lentement mais sûrement ? Doit-il abandonner cet avatar et risquer un isolement total, ou continuer à jouer ce rôle jusqu’à ce que la flamme, inévitablement, s’éteigne ?
Il n’y a pas de réponse. Juste cette question qui flotte dans le silence, accompagnée de l’angoisse d’être, tout simplement.