Je suis assis à mon bureau, une pile de livres usés à ma droite, leurs tranches marquées par cette teinte rouge caractéristique de la collection J’ai lu. Ce sont ces livres-là, avec leurs couvertures criardes, qui ont hanté mon adolescence et probablement celle de beaucoup d’autres. Des titres étranges, prometteurs, comme des clés d’un savoir interdit : Le Livre des secrets trahis, Les Anciens Astronautes, Les Mystères des Mondes Oubliés. Je feuillette l’un d’eux, celui de Robert Charroux, ce nom qui m’évoque à la fois un chercheur et un conteur. Charroux n’écrivait pas seulement des livres : il ouvrait des tunnels.

J’ai toujours été fasciné par cette idée qu’il existe des choses que nous ne voyons pas, que nous ne savons pas. Ce que nous ignorons devient un espace vierge, une surface à recouvrir de nos propres obsessions. Dans les pages de Charroux, de [Spalding](https://ledibbouk.net/la-vie-des-maitres-spalding.html) (La Vie des Maîtres), ou dans les théories ésotériques des années 60 et 70, ces obsessions prenaient des formes concrètes : des civilisations disparues, des continents engloutis, des êtres invisibles qui auraient choisi de vivre sous terre. Sous mes pieds, sous les vôtres, des mondes entiers. L’Agartha, le Tartare, Telos, Shamballa. Des royaumes où l’histoire humaine se poursuit en silence, loin de notre chaos de surface.

J’ai relu Charroux ce matin. Ou du moins, j’ai cru le relire. Ses mots me paraissent moins facilement crédibles qu’à l’époque où je les découvrais pour la première fois, mais tout aussi hypnotiques. Il parle de l’Agartha, cet immense royaume souterrain que les survivants de l’Atlantide ou de la Lémurie auraient bâti après avoir fui les cataclysmes. Je suis frappé par la manière dont il mélange le mystique et le technologique. L’Agartha, dans son imaginaire, est un lieu qui dépasse la simple survie : c’est une utopie. Les habitants de ce monde souterrain auraient atteint une sagesse que nous, habitants de la surface, avons perdue.

C’est peut-être pour ça que ces récits continuent de circuler, que des auteurs comme Charroux, ou même Spalding, ont trouvé leur place sur mes étagères. Il y a un confort dans l’idée qu’un savoir ancien existe quelque part, intact. Qu’il suffit de trouver la bonne caverne, le bon passage, pour accéder à une bibliothèque secrète où tout, absolument tout, nous serait révélé.

Mais il ne s’agit pas seulement d’Agartha. Le Mont Shasta, cette montagne volcanique en Californie, revient constamment dans ces histoires. À chaque fois que je lis quelque chose sur le sujet, je me demande pourquoi. Pourquoi cette montagne ? Charroux et d’autres prétendent qu’elle abrite une colonie souterraine de Lémuriens. Helena Blavatsky, quant à elle, évoque des "Maîtres de Sagesse" vivant dans des cavernes autour du désert de Gobi. Des êtres éclairés qui veillent sur nous, mais de loin, comme des parents distants. Dans La Vie des Maîtres, Spalding va plus loin : il nous invite à croire que ces maîtres ont un pouvoir quasi-divin, qu’ils transcendent la matière et peuvent même manipuler la réalité.

Je n’ai jamais su quoi faire de cette idée. Ces maîtres sont-ils des figures de consolation, inventées pour combler un vide spirituel ? Ou bien ces histoires renferment-elles quelque chose de plus proche de la vérité, quelque chose que nous n’osons plus croire dans ce siècle saturé de cynisme ?

Je pense à tous ces mythes anciens que j’ai croisés en travaillant sur cet article. Dans la mythologie grecque, Zeus emprisonne les Titans et les Cyclopes dans le Tartare, un abîme si profond qu’on pourrait s’y perdre pour l’éternité. Les Amérindiens, eux, parlent du "Popolo-Ant" et du "Popolo-Locusta", des peuples ayant trouvé refuge sous terre pour échapper aux colères du monde de la surface. Ces légendes semblent toujours revenir au même point : le sous-sol comme lieu de refuge, comme ultime possibilité de survie.

J’ai souvent essayé de comprendre pourquoi ces récits m’obsèdent. Peut-être parce qu’ils ne concernent pas seulement des lieux géographiques, mais aussi des lieux intérieurs. Le sous-sol, c’est notre inconscient. C’est tout ce que nous avons enfoui et oublié. Nos peurs. Nos vérités. Ce que nous refusons d’affronter à la lumière du jour.

Ces derniers jours, j’ai commencé à voir une sorte de fil conducteur dans toutes ces lectures. Les livres de Charroux, les idées de Blavatsky, les contes amérindiens, même les OVNI supposément liés à l’Agartha : tout cela parle d’un besoin profond de se connecter à quelque chose d’autre. Quelque chose qui n’est pas seulement humain.

Je ne peux m’empêcher de penser à ce que m’a dit un ami, il y a quelques années. Il m’avait parlé d’un voyage qu’il avait fait au Pérou, d’un chaman qui lui avait raconté l’existence d’un "monde inversé", une sorte de miroir où tout ce que nous percevons est à l’envers, mais néanmoins réel. Ce n’est pas une métaphore, m’avait-il dit. C’est un lieu. Je me demande s’il avait raison.

Quoi qu’il en soit, je continue à ouvrir ces livres rouges, ces vieux J’ai lu pleins de poussière et d’exagérations. Ils ne me livrent pas de réponses, mais ils me rappellent que l’essentiel se trouve souvent dans ce que nous ne voyons pas. Dans les ombres. Sous la surface.