Alonso Quichano dit : — Salut, je suis Alonso Quichano. C’est lui qui parle le premier. Ce n’est pas parce qu’il m’adresse la parole que je vais lui répondre ; je ne suis plus cet homme qui répond à la première sollicitation qui surgit.

En attendant, d’un œil je regarde le mouvement de ses lèvres, et d’une oreille j’écoute la tonalité de son bonjour. Ensuite, j’attends que l’information parvienne à ma cervelle, ce lieu commun. J’attends que ces infos soient décryptées en langue vulgaire. Peut-être qu’ensuite je répondrai un bonjour adapté.

Ses lèvres bougent en silence, comme une télé dont on a coupé le son. Voilà ce que je vois : de petites lèvres rose pâle, peu charnues. L’inférieure se tortille comme un lombric tandis que la supérieure reste immobile. Entre les deux lèvres, il y a la forme mouvante et sombre du néant que tente d’exprimer Alonso Quichano. On ne voit pas de dents, ce qui pourrait m’extirper une légère empathie, car sur ce point nous nous ressemblons. Mais c’est un piège, l’empathie, un filet à morue ou à papillon. L’empathie, c’est une espèce de prétexte qu’on avance pour s’autoriser, avec une saleté de bonne conscience, toutes les exactions.

Puis ses lèvres se rejoignent. La forme mouvante rétrécit pour ne plus être qu’une ligne sombre, presque parfaitement horizontale. Un son de maracas seul parvient à mon oreille. Je reconnais vaguement Melody for Melonae de Jackie Mac Lean ; ça doit provenir du mot transistor auquel je viens de penser, ajouté à bungalow, serveuse charmante, et comptoir.

Enfin, j’ai déchiré et chiffonné la feuille, en ai fait une boulette, et j’ai visé la corbeille pour l’expédier.

Je me suis demandé ce que cette rencontre serait si je retirais tout ce qui ne sert à rien. Réduire ce charabia à une simple action dans une phrase simple :

Alonso Quichano me dit bonjour et je ne lui réponds pas.

Les arbres s’en tirent indemnes, mon avenir d’écrivain devient incertain.