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nature
ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas. Est-ce que la mobylette est naturelle ? Est-ce que les banques, les guerres, les meurtres sont naturels ? Et à l’inverse ce qui ne le serait pas serait-il à ranger dans l’humain, dans le surnaturel, la magie ?
Carnets | mai 2025
22 mai 2025
Je me demande, parfois, ce qui distingue la patience de l’obstination. Dans certains domaines, du moins. Sans doute, l’intérêt. Ce qui ne m’intéresse pas ne demande ni patience ni obstination. Encore moins d’effort pour y voir un intérêt. Mais alors, comment ça vient, l’intérêt. On passe à côté de tellement de choses sans même les voir. Moi, je suis souvent indifférent à des sujets que, paraît-il, beaucoup trouvent passionnants. Le sport, par exemple. Je n’y vois rien. Observer des gens courir après une balle m’échappe. Les voir grimper une côte à vélo en transpirant, pareil. Et ceux en bonnet, qui brassent l’eau comme des papillons... Non. Le sport, en général, me laisse froid. À part dans Courir, d’Echenoz, où on suit la vie d’Émile Zatopek. Qui, d’ailleurs, s’en moquait un peu, lui aussi. De la course à pied. Mais ça ne l’a pas empêché de courir. Courir, encore. Et il a couru. Peut-être que l’intérêt vient en s’intéressant. Comme l’appétit, en mangeant. Tourner autour d’un stade m’a toujours déprimé. Courir dans la nature, en revanche, ne me gêne pas. Ça ne demande pas vraiment d’effort. Enfin, je dis ça sur des souvenirs vieux de quarante ans. Après le dîner, j’ai relu quelques vieux articles sur La Grange.net. Ce qui m’attire surtout, c’est la manière dont il tient ses carnets. Depuis 2000, dit-il. Même s’il affirme avoir commencé en 1990. Mais en ligne, ça commence en 2000. Je cherche à me rappeler. À l’époque, j’étais en Suisse, à Yverdon-les-Bains. Mes centres d’intérêt en matière d’internet ne volaient pas très haut. Je crois que j’étais encore sur Windows 95. Un compte Hotmail. L’informatique, pour moi, c’était surtout au travail. Excel, notamment. Je n’y tenais pas particulièrement, mais j’avais compris qu’avec quelques formules et un peu de jugeote, on pouvait finir sa journée en deux heures et rêvasser le reste du temps. Je tenais encore un journal papier. Je notais les petits événements, les miens, ceux du monde. À peine. Je m’intéressais encore à ma vie, au monde. Ou je me disais qu’il fallait s’y intéresser. Peut-être ne voulais-je pas encore admettre que je devenais indifférent à l’un comme à l’autre. Ou que j’avais peur de le devenir. Pourtant, je peux faire preuve de patience. Même d’obstination. Pour des choses que la plupart trouveraient vides de sens. J’ai remarqué : moins une chose intéresse les gens, plus elle m’attire. J’en fais une sorte de passe-temps. Et puis un jour, sans regret, je passe à autre chose. Je crois que c’est en 2001, après le 11 septembre, que j’ai jeté tous mes carnets. C’était un week-end, il faisait un temps splendide. Nous étions partis vers Moûtiers, je crois. Une clairière. J’avais dû préparer mon coup : je ne vois pas pourquoi j’aurais emporté ces carnets par hasard. Il y en avait au moins une vingtaine, rangés dans un sac de supermarché, glissé sous le siège avant. À l’arrivée, j’ai fait comme d’habitude. Cherché du petit bois, des branches mortes un peu plus épaisses, de quoi faire la popote du soir, passer un moment à regarder le feu ou le ciel piqueté d’étoiles. J’ai préparé le foyer tranquillement. Cercle de pierres, l’attirail du parfait petit scout. Quand le feu a pris, je suis retourné au camping-car, j’ai sorti le sac. Mon ex s’occupait je ne sais plus à quoi, de toute façon, ça n’allait déjà plus très fort. Je me suis approché du feu et j’ai déversé les carnets sur les flammes. J’ai essayé d’être attentif à ce que ça me faisait. Toutes ces années à écrire quotidiennement des petites choses sans grand intérêt. Peut-être y voyais-je un calcul. Une sorte de sacrifice. Si tu fais ça, tu auras ça. Ce genre-là. Puis je suis allé chercher un peu plus de bois. Et nous sommes passés à autre chose. C’est-à-dire, entre autres, à ce divorce à l’amiable.|couper{180}
Carnets | mai 2025
9 mai 2025
Il est difficile de parler, à un moment ou un autre, de ce journal, sans retomber sur les traces, déjà anciennes, d’un propos que j’aurais tenu, mais qui s’estompe dans les méandres incertains de la mémoire, comme tout ce qui m’échappe, désormais. Il est difficile, disais-je, de contourner la question des religions — cette persistance, presque séculaire, dans les replis de l’histoire, ce tissu nerveux qui s’étire, fragile, à l’orée du siècle —, et plus encore d’ignorer le catholicisme, qui survit, malgré l’abandon, la décrépitude des pratiques, dans l’esprit même d’un monde qui se défait de ses attaches, peu à peu. Ce que j’en pense importe peu. Qui suis-je, en somme, pour émettre le moindre jugement sur cette ferveur qui me semble irréelle ? Je ne suis rien, en ce sens que devenir quelqu’un ou quelque chose ici-bas requiert de s’inscrire dans le jeu complexe des rapports humains, des gestes appris, des courbettes et des effusions sociales dont je suis, par nature, disqualifié. On y voit comme un vestige de ce que nous fûmes, avant l’effritement, quand l’ordre commun dictait la marche et l’ordonnance des jours. Mais tout ce vacarme pour un nouveau pape m’étonne. Hier soir, je me suis pris à compter tous les papes que j’ai vus passer depuis ma naissance. Huit. Huit papes en soixante-cinq ans, soit le double pour quelqu’un né en 1900. Ce chiffre m’a laissé songeur. Je suis resté, immobile, entre 18 h 45 et 19 h 00, l’heure où, comme chaque soir, je sors de la maison pour donner à manger au chat. J’en suis venu à penser que les papes étaient devenus des figures obsolètes, consommables, soumis à la dégradation programmée, comme tout ce qui nous environne depuis que le monde s’est engagé dans la voie rapide du capitalisme productiviste. Rien de surprenant, finalement, si nous en augmentons le nombre à proportion que la crédulité se dissipe, laissant la place à cette foi réduite à l’état d’ombre, un résidu, peut-être, d’une humanité qui se cherche encore. Car comment croire en Dieu, aujourd’hui. Après Auschwitz, après toutes les guerres entraperçues, après le Biafra, après Gaza, après l’Ukraine après tant d'images résiduelles toutes plus sordides les unes les autres Comment envisager ces actes, ces gestes sans nom, sous le regard impassible de ce Dieu silencieux. Je m’interroge, et cette interrogation, à peine formulée, évoque déjà la nostalgie d’une croyance naïve, celle de l’enfance, où le monde s’expliquait encore par des récits anciens, intangibles, sans appel. Hier, en voyant cette liesse diffuse, sur l’écran — ici, dans ce coin reculé où les voix résonnent faiblement, où les mouvements collectifs semblent se diluer dans l’air épais du soir —, j’ai pensé au mot tendreté. Non pas la tendresse, mais cette malléabilité de la chair, cette capacité de se laisser attendrir par le choc répété, comme la viande que l’on frappe pour la rendre plus souple. L’écran, lui, diffusait cette clameur continue, assourdissante, qui traversait la pièce jusqu’à la porte de l’atelier, restée ouverte, le temps d’aller nourrir le chat et de jeter un œil distrait à la floraison déclinante du jasmin. Cette effusion m’a suivi comme un caniche vieux et déglingué, l’une de ces bêtes que les vieilles dames tiennent en laisse, à la sortie de la messe, avec ce parfum de cachous Lajaunie, d'eau de Cologne et de pastilles Vichy qui s’accroche aux vêtements. L’écran, les hourras, cette ferveur brutale et télévisée m’ont évoqué des coups portés sur un blanc de poulet, cette percussion répétée qui finit par affaisser la fibre et l’amollir. C’est là, après ce mot de tendreté, que j’ai ressenti la compassion. Compassion et tristesse insondable mêlées. Une émotion déroutante, moi qui ne suis pas croyant pour deux sous. Un sentiment qui s’est superposé à cette solitude que je sais aiguë, la certitude que je ne retrouverai jamais l’empreinte crédule de mes cinq ou six ans, quand, pour la première fois, je me suis glissé au catéchisme, sans en parler à mon père, juste pour rejoindre les copains — sans conviction, mais pour appartenir, un peu.|couper{180}
Carnets | avril 2025
8 avril 2025
Parler encore. Il faudrait parler encore. De ça. De ce mot. De ce reste. Générosité. Mot usé jusqu’au sang, mot-trace, mot qui tombe du bec comme une pièce trop polie, mot-don, mot-fuite, mot-échec. Mot porté par des bouches qui ne savent plus ce qu’elles disent. Et pourtant ça recommence. Toujours. Une voix veut parler. Puis une autre. Puis trois. Puis aucune. C’est un chantier de souffle. Un théâtre de rien. Un cabinet d’échos. Une tentative. Rien à prouver. Rien à conclure. Juste cette chose : mettre en mouvement ce qui tremble. Écouter ce que dit un mot quand il passe à travers nous. Alors on ouvre. ⁂ Il faut que je parle de la générosité. Cela fait des années qu’elle me tourne autour, qu’elle me regarde de biais, comme une vieille connaissance dont je ne sais plus très bien si elle m’a aimé ou si elle m’a jugé. J’ai longtemps cru — ou j’ai dit — que j’étais généreux de nature. Que cela allait de soi. Une sorte de qualité organique. Comme avoir les cheveux souples. Mais je commence à me demander si ce n’était pas, déjà, une manière de fuite. Est-ce que je me mens en disant cela ? Ou est-ce que le mensonge est déjà dans la façon de poser la question ? Je ne sais plus trop où se situe le vrai. Peut-être qu’il n’y a rien de vrai. Rien de faux non plus. Seulement des vibrations qui passent à travers nous. Comme ce chat dans la boîte, mort ou pas, selon qu’on le regarde. Une vérité suspendue, dépendante d’un regard. D’un geste. Du nôtre. Et dans cette époque-ci, saturée de prudence, de soupçon, cette époque aux métaux vils et au scrupule généralisé, on pèse tout, on soupèse, on vérifie les intentions comme on vérifie les codes QR. On a peur d’avoir tort. Mais plus encore d’avoir l’air d’avoir tort. Et de s’être fait avoir. Jadis, le monde semblait plus ferme. Même hostile, il avait une texture. Il y avait des choses dures, d’autres molles. Des lignes qu’on ne traversait pas. On savait reconnaître un pingre, un vrai. Aujourd’hui, je ne sais plus. Je crois que j’aurais eu honte — vraiment honte — de me voir un jour dans une glace et d’y lire ce mot-là : pingre. Et c’est peut-être bien pour éviter cette image que j’ai donné. Offert. Ouvert la main. Pas toujours, mais souvent. Non pas pour aider. Mais pour ne pas être vu autrement. Ce qui, en retournant la chose, me désigne précisément. J’ai été généreux pour ne pas être pingre. Ce qui est, peut-être, une forme subtile de pingrerie. D’autant plus habile qu’elle s’ignore. Et ce matin, dans un coin de l’image, c’est la confiture qui m’est venue. Une tartine de pingrerie. Une cuillère de trop. Et puis j’ai compris. Non, pas la confiture. Les perles. Les pourceaux. Voilà. Le verset revient, bancal. Ce n’est pas grave. Je garde quand même la confiture. Parce que je suis ainsi fait : j’aime tout garder. Je suis de ceux qui ramassent les miettes de sens tombées sous la table des Évangiles. Et puis cette vision, très nette : un homme seul, dans la montagne, qui abat des milliers d’arbres pour rejoindre une étoile. Je ne sais pas d’où ça vient. Un vieux film. Tarkovsky, peut-être. Ou bien un rêve ancien. Mais ça me hante. Cette absurdité lumineuse. Ce délire calme. Il croit qu’à force d’abattre, il atteindra la lumière. Il croit. Il agit. Il ne sait pas qu’il se perd. Tout est vanité. Générosité comprise. Pingrerie aussi. Toutes ces catégories, ces gestes. Vanité des vanités. Même sans croire, je fais confiance à cette voix vieille comme le vent qui parle à travers l’Ecclésiaste. Ce qu’il dit vient d’un lieu plus vaste que moi. Une connaissance déposée là, dans la poussière des siècles, offerte sans conditions. Il faudrait peut-être simplement écouter. Il n’y a pas que nous. Il y a ceux qui ont su avant. Et puis, le réel. Qu’est-ce qu’on veut en tirer, exactement ? Qu’est-ce qu’on veut lui arracher, sinon le reflet de ce qu’on y projette ? Nous-mêmes, illusion habillée d’ombre. Théâtre minuscule. Beaucoup de bruit. Pas grand-chose. Je commence à m’embrouiller. Ça fuit. Ça serre. Je veux dire que… que peut-être je n’ai jamais su. Ou que je veux qu’on me voie comme ayant su. Comme étant généreux. Mais je n’y crois plus. Je crois que ce que je voulais vraiment, c’était… que ça tienne. Qu’on ne voie pas l’effondrement. Qu’on dise : regarde, il donne. Mais c’était pour cacher. Je ne veux plus cacher. Je veux comprendre. Même si je n’y parviens pas. Et je reviens. Je termine. Je ne tranche pas. Je regarde. J’écris. Comme un géologue gratte la roche, moi je note ce qui reste. Ce qui tremble encore. Ce qui résiste au feu. Générosité. C’est un mot. Mais il insiste. ⁂ Mais je n’en ai pas fini avec ce mot. Il revient, chargé cette fois d’images plus lourdes, plus archaïques. Des images qui traînent derrière elles des odeurs de fleurs ouvertes trop longtemps, de lait tiède, de semence ancienne. Quelque chose colle à la générosité, dans son fond obscur. Une attente. Une endurance. Un mythe. Depuis des millénaires, dans la nuit, des formes s’échangent en silence : mains tendues, cieux pleuvant, ventres offerts. On a projeté sur le mot tout un commerce symbolique, des pactes anciens, des accords de l’espèce. Donne. Offre. Déborde. On l’a attendu du ciel — cette corne d’abondance, cette pluie fertile, cette manne tombée d’en haut. Une générosité divine, inépuisable, automatique. Il fallait que ça coule. Que ça vienne. On l’a attendu des corps — phallus dressés comme fontaines, seins versant sans fin, hanches accueillantes, bouches ouvertes. On a rêvé l’amour comme un déversement. Un trop-plein. L'autre comme source. Et quand ça ne venait pas, on accusait. On disait : pas assez. Tu ne donnes pas assez. Tu n’as pas donné ce que j’attendais. Tu retiens. Tu bloques. Tu es un puits sec, une terre stérile, un fruit fermé. Dans le sexe aussi, on exige une forme de générosité — invisible, silencieuse, implicite. Que l’un donne tout, se donne tout, offre, s’ouvre, déborde. Que l’autre reçoive, ou inversement. Et que ce soit fluide. Que ce soit beau. Mais souvent, ce n’est pas. Ou pas ainsi. Et la générosité devient alors cette chose amère, ce contrat non signé, ce malentendu inscrit dans la peau. Il ou elle n’a pas donné. Je n’ai pas reçu. Nous sommes restés secs, tendus, ravalés. Même la nature — nature généreuse, dit-on — est sommée de produire, d’être abondante, maternelle, douce, régulière. Mais elle ne donne pas. Elle survit. Elle se défend. Elle saigne. Elle perd. Elle pousse quand elle peut. Et moi, là-dedans, je ne sais plus très bien ce que je dois. Si je dois. À qui. Ce qu’on attend encore de moi, en silence. J’ai peut-être dit « générosité » pour parler d’un mot plus ancien. Un mot qu’on ne sait plus écrire. Un mot qui dirait à la fois la faim, le don, la peur, l’attente, la nuit. Ce mot-là n’existe pas. Mais il insiste, lui aussi. ⁂ Assez parlé du mot. Il ne suffit plus. Maintenant il faut parler dans. Il faut parler depuis. Il faut cracher. Il faut ouvrir le barrage. Laisser venir. Je donne. Je donne tout. Je donne la salive, le souffle, la nuit qui me coule entre les dents, les vieilles pensées moites que je n’osais plus dire, les gémissements, les odeurs, les mots morts, les mots vivants, les mots qui ne sont pas encore nés, les mots-bébés, les mots-monstres, les mots-stalactites, les mots qui pleurent tout seuls dans le noir. Je donne les larmes non versées de mon père. Je donne le sein que je n’ai pas. Je donne mon flanc droit, et le gauche aussi. Je donne ma langue, ses bosses, ses grottes, ses baves. Je donne tout ce qui dépasse. Je donne tout ce qui pue. Je donne mes réserves. Mes réserves de honte. Mes réserves de foutre et d’histoires. Je donne la fin et le début, mélangés dans un gros pot de confiture ancienne. Générosité ? Ce n’est pas un mot. C’est un flux. C’est une chute. C’est un trop-plein qui n’a plus le choix. Je donne sans savoir si on prend. Je donne même si ça tombe à côté. Je donne même si c’est ridicule. Je donne même si je me vide. Parce que c’est ça, peut-être, au fond : Donner jusqu’à disparaître. Et recommencer. Parce qu’il reste du souffle. Et que ça doit sortir. Et que c’est ça qui fait qu’on est encore là. Je donne. Tiens. Prends. Ou pas. Mais moi, je n’en veux plus.|couper{180}
Carnets | avril 2025
07 avril 2025
Cette nuit, un mot — ritournelle — s’est mis à battre, sourdement, quelque part dans la pénombre d’un couloir ancien, celui, précisément, de l’appartement de la rue Jobbé Duval. Il ne s’agissait pas d’un signal d’alerte, d’une balise clignotante prévenant d’un péril, mais d’un de ces battements mous, bleutés, que laissent les réveils numériques lorsqu’ils redémarrent, seuls, dans le silence, après qu’un défaut d’alimentation a suspendu l’ordre réglé des jours. Il m’a fallu, presque malgré moi, descendre, traverser la pièce où flottent encore les voix du passé, ouvrir la bibliothèque aux rayons vacillants, et extraire Mille Plateaux. Non point par méthode, mais parce qu’un exercice entamé il y a un peu plus de deux mois, dans le cadre d’un atelier d’écriture, semblait appeler, de manière oblique, son retour. Mais la chose était antérieure. Le mot — ritournelle — je le possédais déjà, en amont de toute lecture, de tout éclaircissement doctrinal. Je savais. C’est ce savoir antérieur, cette précognition obscure, ce qui vient avant même que le langage ne le reçoive et que l’entendement ne s’y applique, qui mérite qu’on s’y arrête. C’est là, dans cette faille entre ce que l’on sait et ce qu’on découvre, que les images se sont pressées. Non pas des souvenirs isolés, identifiés, mais un afflux de formes, de gestes et d’odeurs : des marelles crayonnées sur l’asphalte noir, des enfants qui sautillent, maladroits, à cloche-pied dans la lumière basse d’une cour, des tourbillons de feuilles mortes, arrachées aux trottoirs par un vent anguleux, le dessin tremblant de cartes gravées à même l’écorce fendue des platanes. Un paysage d’enfance, oui — mais un palimpseste, une superposition d’instants morcelés venus de différents lieux, de différentes années, réunis par une nécessité interne. Une image composite, et pourtant d’une intensité inentamable, presque douloureuse. On y respirait, sans erreur possible, l’odeur fauve de l’automne — humus, bois pourri, entame de décomposition. L’odeur exacte de la fin, celle qui précède le basculement dans le silence. Ce qui m’a frappé, c’est que nous étions au printemps. J'écris donc ce début de billet. Je vais me chercher un café. Je relis, tiens mais on dirait presque du Bergounioux. Ce qui ne serait pas étonnant car j'ai relu *l'arbre sur la rivière* il y a quelques jours. Puis je me demande à quel point ce que j'écris peut-être influencé par ce que je lis. Panique légère. Sensation giratoire. gouffres. Puis quand même j'ai une vraie voix, j'ai ma voix, qui est ce qu'elle est, mais c'est bel et bien la mienne. Donc je cherche la différence. Les mots tenue et relâchement sont arrivés d'un seul coup comme deux ivrognes dans un bar tranquille. Ce fut bruyant, désagréable. C'est parfois la vie telle qu'elle est. Quand on est bien installé dans un certain confort, dans sa petite ritournelle. Beaucoup de respect, d'affection, pour les ouvrages de Pierre Bergounioux. C'est une langue minérale, issue d'un territoire hercynien, du pli tectonique, une langue qui se tient, susceptible d'affronter le temps qui passe avec une certaine indifférence à l'air du temps, en apparence. Ce qui évidemment s'oppose par nature à la mienne, langue de vagabond, de nomade, d'exilé perpétuel. Parfois, il m'est arrivé d'avoir honte de ma voix tout autant à l'écrit qu'à l'oral. Elle est me semble t'il toujours pâteuse, grasse, fertile mais anarchique, refusant souvent justement d'adopter une « tenue ». Ce n'est pas une langue de sédentaire.|couper{180}
Carnets | mars 2025
Moments et traversées du temps michaldiens
Des arrachements à l'idée du temps, du moment en les traversant, les retraversant, dans l'immobilité de l'écriture. Le texte se nourrit journalièrement, ne pas hésiter à y revenir.|couper{180}
fictions
Le Roi sans sujet
On pourrait l’intituler Le roi sans sujet. Titre un peu trop accrocheur, mais allons-y. Cela commence ainsi : un matin, le roi se réveille seul. Non pas seul dans le sens sentimental du terme, non. Seul au sens politique. Son dernier sujet est parti. Le plus fidèle, le plus tordu aussi, le plus tyrannique peut-être : lui-même. Il a attendu que le roi parle. Le roi n’ayant rien dit, le sujet a pris la porte. Il l’a même claquée, après avoir déclaré, sans se retourner : « Je ne sais pas où je vais, mais j’y vais ». Le roi, placide, s’inspectait les ongles. Le silence était son domaine. Désormais seul, le roi se mit à la photographie. C’était une manière comme une autre de tuer le temps, surtout celui du vide. Il avait un Leica , cadeau d’une reine italienne de passage (l’histoire, épuisante, n’a pas lieu d’être racontée ici). Il déambula dans son palais, l’oeil vissé à l’oeilleton, traquant on ne sait quoi. Deux jours plus tard, lassitude. Que pouvait-il bien avoir transmis à la machine ? Mystère. Il entreprit de développer les pellicules. Trois cuvettes, révélateur, fixateur, eau. Il avait déniché un vieil agrandisseur dans un placard. Premiers constats : les noirs montent plus vite que les blancs. Révélation technique et symbolique. Sur les tirages : rien. Des perspectives tordues, des formes indéfinies, des flous obstinés. Rien qui mérite l’attention d’un souverain, même sans royaume. Alors le roi tenta la peinture. Il claqua des doigts, obtint chevalet, toile, pinceaux. On le vit un moment, campé devant la toile blanche, en tenue beige à poches multiples, faux air de Rembrandt déclassé. Le pinceau en l’air, il se prit vaguement pour Vélasquez. Puis il eut une crampe. Changea de jambe. Vira le tabouret. Et, dans un geste flou entre la colère et la grâce, barbouilla la toile. Il recula, contempla son œuvre, et comme personne n’était là pour discuter, il décréta : « Voici un tableau sans sujet. C’est ça, l’art. » C’est de l’art, et c’est unique puisque c’est royal. Sur cette pensée un peu brûlée, il se creva les yeux, par souci d’authenticité. Il voulait éviter de devenir le faussaire de lui-même. Puis il alla s’asseoir à une petite table, dans une pièce minuscule et sombre, pour souffler. Un effort royal, après tout, n’est pas une mince affaire. C’est là qu’il se mit à écrire, non pas pour dire quelque chose, mais pour vider ce qui encombrait. Il avait vu, avant de perdre la vue, une vidéo expliquant qu’il fallait débuter tout rangement par les placards. Peut-être était-ce cela. Il écrivit. Des pages et des pages. Cela lui faisait du bien, il le sentait. Il resta là, à sa table, royale bien que minuscule, pendant cinq ans. Parfois il mangeait une biscotte beurrée. Quand il n’y eut plus de beurre, il la mangea nature. Quand il n’y eut plus de biscotte, il mangea l’air. Comme le font, dit-on, certains yogis hindous. Et c’est ainsi que le roi, sans sujet, sans image, sans regard, vécut encore longtemps. Presque heureux. illustration Rouaut : Ubu Roi|couper{180}
Carnets | mars 2025
25 mars 2025
Couché tard, levé tôt, sans y voir d'héroïsme. Lecture rapide, pain acheté. Printemps dans l’air, tiédeur approximative. À l’intersection d’un parfum de lilas et de gaz d’échappement, l’idée vague d’une odeur naturelle du monde. Mais existe-t-elle vraiment, cette odeur ? L’hypothèse reste suspendue, comme les particules fines en suspension. Pas de correspondance, pas de commentaires – ou alors, en mode bouffon, comedia dell’arte version réseau social, le masque comme dernier recours. Repli stratégique et farouche, donc. Retour de F., toujours aussi elliptique. Une phrase, une seule, qui donne envie de la décortiquer pendant des heures pour en extraire du sens – avant de lâcher prise. Tout comprendre n’est pas obligatoire. Faire le boulot et se taire : telle pourrait être la devise non officielle de l’époque. Apprendre ? Oui, non, peut-être. Si c’est pour devenir prof, tout le monde peut. Mais qui veut encore vraiment apprendre ? Et pourquoi ? Le seuil, cette zone de clarté trouble, revient hanter l’angle de vue. Peut-être une réponse vivante à toute question abstraite. Avancer, donc. Progresser dans un livre comme on avance dans une rue qu’on ne connaît pas. Ne pas chercher midi à quatorze heures. Faire l’oie. Halcyon Ridge, île secrète ou fiction mal ficelée ? Enquête floue, opacité intrigante. Trop d’infos tue le mystère, ou le confirme. À voir. (Rubrique lectures). Article de Diakritik sur « qu’est-ce qu’aimer » chez les écrivains". Intéressant. Suite de celui sur P.V., suite attendue, comme une nouvelle saison d’une série sentimentale. Passage sur Liminaire de P.M article sur Artemisia Gentileschi à l'occasion d'une exposition au Musée Jacquemart André très troublé par la photographie au rayon X de Kathleen Gilje Grande question : une histoire peut-elle être vécue sans devenir récit ? Longtemps, j’ai vécu mes histoires comme des récits dont je n’étais qu’un figurant vaguement principal. C’était rassurant. Et puis j’avais ce sentiment un peu idiot mais utile d’être un personnage au courant de sa nature fictive, ce qui me donnait un avantage. Peut-être. Aujourd’hui, nous sommes tous des personnages, jetables comme des gobelets compostables. Les auteurs, eux, s’ils existent, rient sans doute doucement depuis leur banquet céleste, hydromel à la main, regard tendre sur notre agitation. Dis-moi quel personnage tu fabriques, je te dirai quel genre d’auteur tu es. Le rebondissement comme problème narratif. Les trente-six situations dramatiques ? Lassantes. Franchir le seuil, c’est aussi laisser tomber cette vieille mécanique. Avancer à tâtons. Homère, s’il a existé, devait déjà le savoir. Beethoven aussi, dans ses silences. Illustration : Kathleen Gilje : Suzanne et les vieillards au rayon X- Musée national des femmes artistes|couper{180}
Lectures
Le sexe dans l’oeuvre de HP Lovecraft
Je me souviens de la première fois où j'ai lu Lovecraft. J'ai eu l'impression d'entrer dans une pièce où quelque chose de terrible venait d'arriver. Pas le genre d'horreur avec du sang et des cris, non. Quelque chose de plus discret, de plus insidieux. Comme si la pièce se souvenait d'un événement que nous autres avions délibérément choisi d'oublier. Ce quelque chose, c'était peut-être le sexe. Ou son absence. Ou sa mutation impossible. Bobby Derie, dans son livre Sex and the Cthulhu Mythos, décolle le papier peint de l'univers de Lovecraft et trouve, derrière les dieux visqueux et les cités décomposées, l'ombre de quelque chose d'organique, d'indicible, et de familier. Lovecraft n'écrit jamais vraiment sur le sexe. Ce serait trop simple. Il le laisse plutôt hanter le récit comme une radiation de fond. On le sent dans la fausseté des choses, dans les suggestions de lignées hybrides et d'unions blasphématoires. Yog-Sothoth ne se contente pas de roder à la frontière : il la féconde. « Yog-Sothoth's wife is the hellish cloud-like Shub-Niggurath, in whose honour nameless cults hold the rite of the Goat with a Thousand Young... He has begotten hellish hybrids upon the females of various organic species throughout the universes of space-time. » Ce que cela signifie n'est pas entièrement clair, mais cela devrait vous donner des frissons. « L'épouse de Yog-Sothoth est l'infernale Shub-Niggurath... Il a engendré d'atroces hybrides avec les femelles de diverses espèces à travers l'espace-temps. » Imaginez les matrices humaines comme des ports d’accueil pour des entités extradimensionnelles. La chair devient une interface. Une interface défaillante. Chez Lovecraft, la peur ne réside pas seulement dans l’Étranger, mais dans la contamination par l’Étranger. Dans The Shadow over Innsmouth, l’horreur ne vient pas des créatures marines elles-mêmes, mais de la réalisation que nous sommes déjà mélangés avec elles. Que nous sommes peut-être elles. « ... if they mixed bloods there'd be children as ud look human at fust, but later turn more'n more like the things, till finally they'd take to the water an' jine the main lot o' things daown thar. » Il ne s'agit pas d'évolution. Il s'agit d'inversion. Votre humanité est une phase. Votre véritable nature attend, sous la peau, qu'on active la bonne fréquence. « S'ils mélangaient leur sang, il naîtrait des enfants d'apparence humaine, qui peu à peu deviendraient comme eux, jusqu'à rejoindre les profondeurs. » Ce n’est pas la peur de l’Autre. C’est la peur d’avoir toujours été l’Autre. Dans At the Mountains of Madness, la reproduction ne passe pas par le sexe mais par des spores. C'est froid, efficace, totalement inhumain. C'est le rêve de Lovecraft : un monde sans libido. Sans pulsion. Une société sans Freud. Bruce Lord, cité par Derie, l’exprime ainsi : « Societies that propagate themselves using means other than sexual reproduction... circumvent the pitfalls of degeneration. » La dégénérescence, ici, c'est le désir. La folie du vouloir. Lovecraft voulait de l'ordre. Il voulait des ontologies nettes, des filiations pures. Mais l'univers qu'il a créé ne lui a offert rien de tout cela. Les auteurs venus après ont saisi le message et l'ont poussé plus loin. Ils ont réécrit le Mythe avec des tentacules et des gémissements, du rouge à lèvres sur des goules et du latex sur les Profonds. C'est devenu bizarre. C'est devenu sexuel. C'est devenu dangereusement proche de ce que Lovecraft ne pouvait écrire, mais ne cessait de concevoir. Le résultat, c'est Cthulhurotica, des parodies rule 34(1). Le Necronomicon n'est plus un grimoire. C'est un objet fétiche. Il vibre quand on le touche. Le sexe chez Lovecraft est comme un bug dans la simulation. Il n'a rien à faire là, mais il revient toujours. Il laisse des traces : dans les ventres humains, dans les rituels de sectes, dans l'ADN des abominations cosmiques. Lovecraft n'écrivait pas le sexe. Il écrivait le souvenir du sexe. L'angoisse qu'il provoque. L'erreur systémique qui surgit quand la biologie touche l'inconnu. Et peut-être que c'est cela, au fond, le plus terrifiant. Pas que nous soyons observés par des dieux aliens. Mais que nous les ayons déjà laissés entrer. Par nos corps. Par notre sang. Par nos rêves. (1) La règle 34 (en anglais : « Rule 34 ») est un mème et une catégorie pornographique ou érotique, suggérant que sur n'importe quel sujet, il existe un équivalent pornographique **Illustrations** Galen Dara .|couper{180}
Lectures
Scorpion, grenouille et bicyclette : sur la nature des choses
C’est dans un recueil de nouvelles de Paul Bowles que j’ai noté, un jour, cette histoire de scorpion et de grenouille. Le scorpion demande à la grenouille de le faire traverser la rivière. Elle hésite, réfléchit, puis conclut qu’il serait absurde qu’il la pique : s’il le faisait, ils mourraient tous deux. Elle accepte. Et au beau milieu du fleuve, le scorpion la pique. -- Mais pourquoi as-tu fait ça ? demande la grenouille. -- Parce que c’est ma nature, répond-il. Paul Bowles n’a pas inventé cette histoire. Elle circule sous de nombreuses formes, et son origine remonterait peut-être à Ésope — dans la fable du fermier et de la vipère, parfois appelée Le laboureur et le serpent gelé. On la retrouve aussi dans un roman russe paru en 1933, Le Quartier allemand de Lev Nitoburg, et encore chez Georgii Tushkan, dans Jura, devenu en anglais The Hunter of the Pamirs. Elle deviendra véritablement célèbre en Occident grâce à Orson Welles, dans son film Mr Arkadin, en 1955. Si cette histoire a tant inspiré les artistes russes, et ce génie du cinéma, ce n’est pas un hasard. Elle dit quelque chose d’essentiel. Un fait. Une énigme vieille comme l’humanité : certains comportements sont irrépressibles, quels que soient les risques, quelles que soient les conséquences. Et c’est précisément ce que la culture, depuis toujours, tente d’empêcher — en opposant à la pulsion la pensée, la morale, le savoir, et tout l’art de maîtriser l’émotion. Cela m’a toujours fasciné. Depuis l’enfance. En voyant les adultes se comporter de manière absurde, tout en m’enjoignant d’être sage, de bien travailler, d’apprendre et de me surveiller, pour paraître raisonnable, poli. Ce paradoxe m’a d’abord terrifié. Puis, à force, je m’y suis fait. Peut-être que la nature même de l’existence est paradoxale. Mais je n’ai jamais vraiment cherché à aller contre ma propre nature. Ni les avertissements, ni les menaces, ni les sanctions n’y ont changé grand-chose. Cette nature, après tout, m’appartient. Tout comme la culture que j’ai dû bricoler, inventer, pour pouvoir parler à mes contemporains. Et encore aujourd’hui, il m’arrive de faire bien plus confiance à cette nature qu’à ma propre culture. Car je vois bien, trop souvent, combien cette culture n’est qu’un barrage fragile face à la bêtise humaine — et à la nature elle-même, dans ce qu’elle a de sauvage et d’inévitable. Je n’ai jamais vraiment respecté grand-chose chez les humains. En revanche, j’ai toujours été attentif, respectueux, presque pieusement, de ce qui touche à la nature. La vraie différence entre la nature et la bêtise humaine, c’est que la nature s’assume, tandis que la bêtise se planque. Si chacun assumait sa propre stupidité, on verrait sans doute à quel point la vie est plus simple qu’on ne l’imagine. Je déteste tuer une mouche. Je peux passer des heures à contourner un insecte. Mais je n’ai aucun scrupule à rouler dans la farine le premier imbécile venu, surtout s’il se protège, en toute bonne conscience, derrière la loi et les bonnes manières. Je n’aime pas les zombies. Ni les gens qui parlent par slogans, répétant des phrases qu’ils ne comprennent même pas. Je n’aime pas la bêtise humaine, surtout lorsqu’elle s’abrite derrière une façade cultivée pour mieux dissimuler le peu de naturel qu’il leur reste. Ces gens-là ne vivent que dans le paraître. Autant dire qu’ils n’existent pas. Ces gens, tartinés de culture, sont à mes yeux l’incarnation de la vulgarité la plus crasse. J’ai connu des cloportes qui avaient plus d’élégance. Même en vieillissant, même si je me suis un peu adouci, je ressens encore une sorte de hargne, une allergie de peau en leur présence. Avec le temps, j’ai juste appris à mieux dissimuler. À sourire. À faire le clown, même. Inspirer la pitié ou le mépris : voilà la meilleure stratégie que j’aie trouvée pour qu’ils me laissent en paix. Ces gens n’aiment la nature que domestiquée, bien cadrée, inoffensive. Une nature qui ne déborde pas du cadre. J’ai toujours pensé que la politesse était une arme. Il faut dégainer le premier, sinon c’est toi qu’on descend. Voilà pourquoi je suis poli. Toujours poli. Affable. Respectueux. C’est une barrière que je dresse d’entrée. Et ceux que je sens lâches, mal accordés, hypocrites, je les embobine, je les saoule de paroles, je les noie jusqu’à ce qu’ils fuient. Je ne leur laisse pas le crachoir. Ils finissent par avaler leur morgue. Je ne fais plus confiance facilement. Plus maintenant. Plus je vieillis, plus je me protège. Et je préfère fuir dans la nature — la mienne, celle des bêtes, des plantes, des chemins. Plutôt que d’avoir affaire aux gens. Quand je suis là-bas, dans cet état de nature, il n’y a plus rien d’humain en moi. Je peux être un arbre, planté là pour des heures, tendu vers le ciel. Ou autre chose. Je ne suis plus séparé de rien. L’humain reste dehors. Pour repérer les cons, j’ai une question : D’après vous, cher monsieur, chère madame : est-ce qu’une bicyclette est quelque chose de naturel ? S’ils répondent à côté, tant pis pour eux. Ils n’ont rien compris au film. Je tourne les talons. Et je m’en fous.|couper{180}