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(|oui) ou

rêves

Exercice consistant à noter les rêves au réveil ou peu après. Plus que la description désormais c’est la sensation avec laquelle on en revient, et qui persiste plus longtemps que les détails du rêve. Les détails n’étant là que comme une sorte de recette, de configuration particulière susceptible de déclencher une sensation. Une même sensaton pouvant être déclenchée par plusieurs types de configurations des mêmes détails ou approximativement, ou ayant un vague air de famille.

fictions

Écrire sans moi

Simon Deltour se demande encore pourquoi il écrit. Pas pour quelqu'un en particulier, pas pour changer quoi que ce soit, juste pour garder la main, pour que le mouvement reste fluide. Ça pourrait être une manie, mais il préfère appeler ça un réflexe. Écrire sur soi, comme une manière de tenir, de respirer même, ou juste de remplir l'espace. Il prend un carnet, pas le grand format quadrillé, l'autre, celui qui tient dans la poche. « Écrire sur soi, est-ce un piège ? » Il note ça sans conviction. Les mots tombent comme des pièces sur une table en bois, dispersés. Il a l'impression d'y revenir sans cesse, de se débattre avec la même question. Il raye, recommence. Ça pourrait être n'importe quoi d'autre, mais c'est ça. Cette obsession de se raconter. Peut-être parce que ça demande moins d'effort. Pas besoin de construire, juste assembler ce qui traîne. Il pense à cette phrase qu'il a écrite récemment : « Un homme sans passé entre dans une ville sans histoire. » Il avait trouvé ça percutant sur le moment, l'amorce d'un récit détaché, impersonnel. Mais déjà, ça n'allait plus. La ville ressemblait à ce quartier où il habite depuis quelques mois, l'homme à un type un peu paumé qui traîne encore ses souvenirs. Il y a toujours ce lien, ce fil qui ramène à lui, comme un élastique qui claque au retour. La fiction pure, c'est peut-être juste un rêve. Une de ces illusions qu'on traîne par confort intellectuel. Il ferme le carnet, sort sur le balcon, regarde en bas. Le trottoir est toujours là, avec ce type qui vend des roses à moitié fanées. Il se dit que, peut-être, ce n'est pas la fiction qui coince, mais l'idée même d'écrire quelque chose de propre, de pur, sans aspérité. Ça n'existe pas. C'est comme vouloir marcher sans jamais trébucher. Une idée qui ne tient pas debout. Simon retourne à l'intérieur, ouvre un fichier sur l'ordinateur : « Écrire sans moi.docx ». Le curseur clignote comme un témoin nerveux. Il pense à ces écrivains qui cherchent l'absolu, qui rêvent de textes si denses qu'ils en deviendraient transparents. Comme Charles Juliet qui tente de dégager la vérité du langage. Mais lui, Simon, il a l'impression que tout ça est hors de portée. Peut-être que le problème, c'est de vouloir trop bien faire. De viser une sorte de propreté conceptuelle qui n'existe pas. Il finit par taper : « L'écriture ne sert à rien. Pas plus que le bruit du marteau-piqueur dans la rue. Ce sont des gestes comme les autres, des mouvements pour maintenir l'équilibre. » Il s'arrête là, relit, hésite. Ça sonne presque vrai, et pourtant il n'y croit pas complètement. Peut-être que l'écriture est inutile, mais pas plus que de fabriquer des porte-clés ou de vendre des roses sur le trottoir. Peut-être que c'est simplement ça, rester vivant en occupant l'espace. Il se recale dans son fauteuil, regarde les ombres bouger sur le mur. Il sait que demain, il reprendra ce texte, qu'il ajoutera deux lignes, puis trois, puis qu'il effacera tout. Mais ça n'a pas d'importance. Ce qui compte, c'est de maintenir le mouvement. De continuer, même si rien ne tient vraiment.|couper{180}

fictions brèves rêves

Lectures

L’autofiction

L’autofiction, ainsi qu’on la désigne depuis que Serge Doubrovsky a forgé ce terme en 1977 pour qualifier son propre texte, « Fils », n’est ni une autobiographie, ni une fiction pure. C’est un territoire incertain, bâti sur l’instabilité même des souvenirs et des impressions, un lieu où le langage se risque à des vérités qui n’en sont pas tout à fait. « Autobiographie ? Non. Fiction d'événements et de faits strictement réels ; si l’on veut, autofiction, d'avoir confié le langage d'une aventure à l'aventure du langage », écrivait Doubrovsky. Ce geste littéraire, qui intrigue et inquiète, c’est la tentative de faire résonner le moi à travers les matériaux bruts de l’existence. Il y a dans l’autofiction cette volonté de tenir ensemble le moi vécu et le moi rêvé, de les faire cohabiter dans un même geste d’écriture. Contrairement à l’autobiographie, qui prétend à la fidélité du récit, l’autofiction accepte l’ambiguïté, voire la contradiction. C’est une mise en crise du moi narratif, qui se cherche, tâtonne, ose exagérer pour atteindre une intensité d’être que la simple restitution factuelle ne peut offrir. Ainsi font Annie Ernaux, Christine Angot, ou encore Emmanuel Carrère, qui transforment le réel en un matériau malléable, modelé par l’intensité du vécu. L'autobiographie et la biographie se parent des atours d'une objectivité que l'autofiction, avec une honnêteté crue, dément. Toute écriture de soi est déjà une reconstruction, une mémoire reconfigurée, un passé ressaisi par les mots. L’historien Michel Pastoureau le sait bien : il admet volontiers que l’objectivité historique est une illusion, que la subjectivité imprègne inévitablement tout récit du passé. De même, les prétendues autobiographies et biographies, loin d’être des récits neutres, sont autant d’interprétations où le vécu se tord sous la pression du langage. Dans l’autofiction, le narrateur se dédouble, il s’examine et s’interroge, prêt à assumer des excès pour cerner au plus près ce qui le traverse. La culpabilité, l’obsession de la reconnaissance, la pureté du geste d’écrire se heurtent à la nécessité d’un retour, d’un écho. Ce moi littéraire est un espace de conflit, une recherche inquiète qui n’aboutit jamais tout à fait mais creuse le réel à coups d’images et de métaphores. Si j’écris pour ne rien attendre, pourquoi guetter alors l’empreinte de mes mots sur les autres ? Cette contradiction-là, qui rend le geste impur, n’est-elle pas au fond le signe même de notre condition humaine ? L’autofiction, loin d’être une déviance du réel, en est l’extension, sa résonance prolongée. Elle accepte la contamination du souvenir par l’imaginaire, du factuel par l’intime. Elle prend acte de l’impossibilité de saisir un moi pur, intact, et tente plutôt d’en traduire les échos. L’autofiction accepte la torsion comme mode d’expression : ce qui compte, ce n’est pas tant l’exactitude que la vibration sincère, la tentative de rendre compte de ce qui, en soi, résiste à la clarté. Parce que c’est sans doute la seule manière de témoigner sans trahir. Parce que prétendre à la pureté serait mentir. L’autofiction assume cette impureté foncière de l’écriture, ce mélange de réel et de projection, cette superposition d’un vécu et d’une rêverie. C’est une manière de sauver ce qui reste d’authenticité quand on sait que toute restitution est, déjà, une perte. L’autofiction n’est pas une affirmation, mais une question. Elle est la possibilité de tenir ensemble la mémoire, la fiction et le doute, de faire entendre, à travers la matière incertaine des mots, ce qui vibre encore quand tout semble voué à l’effacement. Plus honnête que l’autobiographie, elle revendique la fêlure, l’inachèvement, l’impossible pureté de l’écriture de soi.|couper{180}

Auteurs littéraires rêves Théorie et critique littéraire

Carnets | mai 2025

8 mai 2025

La conscience du don est déjà une forme de retour. La dette symbolique se crée aussitôt cette prise de conscience effectuée. Le véritable don ne devrait pas passer par la conscience, par la mémoire ; il devrait glisser vers l'oubli dans l'immédiateté même du geste de donner. On ne devrait pas prendre conscience de ce que l'on donne. Si l'autre manifeste une reconnaissance, s'il y a retour, souvenance, le don est déjà entaché par cette réciprocité. Ainsi, n'est-il pas faux, sous cet angle, de dire que toute gratitude annule le don. C’est là tout le paradoxe auquel je me heurte lorsque j’écris. Je voudrais croire en cette gratuité de l’écriture, offrir mes textes comme on laisse des cailloux sur le chemin, sans attendre qu’ils soient ramassés, commentés, ramenés à leur origine. Pourtant, ce geste qui semble si pur se heurte à un besoin presque inconscient de retour, un signe, un écho prouvant que quelqu’un, quelque part, a été touché par ces mots déposés. Consulter les statistiques de visite sur mon carnet n’est donc pas un acte anodin ; c’est comme vérifier si la bouteille lancée à la mer a bien touché une rive. Derrida dirait sans doute que cette recherche d’écho prouve l’impossibilité d’un don littéraire absolument gratuit. Pour lui, dès que l’on prend conscience d’avoir donné, le geste est déjà teinté d’un désir de retour, et donc, impur. Mais n’est-ce pas aussi, comme le suggère Marcel Hénaff, la preuve que la gratuité et la réciprocité appartiennent à des ordres différents ? Que l’élan de l’écriture peut rester gratuit tout en aspirant, secrètement, à être accueilli ? Peut-être que le véritable don de l’écrivain consiste précisément à jongler avec cette contradiction : offrir ses mots sans calcul, mais sans nier non plus ce besoin humain d’une reconnaissance, même discrète. Se poser en écrivain désintéressé, c’est vouloir le beurre et l’argent du beurre : être à la fois le roi et le serviteur, le maître des mots et celui qui les livre sans attendre de retour. Mais l’idéal d’un don pur et absolu est une utopie dangereuse, car elle vous place à une hauteur inconfortable, celle du roi sans sujet. Un geste de pureté qui crée paradoxalement un vide. Or, dès que je vais consulter mes statistiques, je ressens la joie trouble de transgresser cet idéal. Je cède à la tentation de vérifier si mes mots ont touché quelqu’un. Ce geste m’apparaît comme une souillure, un compromis avec le monde capitaliste, un effritement de ma noblesse littéraire. Mais peut-être est-ce aussi la preuve que je refuse cette posture royale, ce pouvoir sans partage, et que j’accepte d’être un écrivain parmi d’autres, en quête d’un écho humain. Finalement, l’utopie du don sans retour est une pureté qui me condamne à la solitude. L’écriture, au fond, n’est-elle pas aussi un appel à descendre de ce trône, à redevenir humain ? Ce plaisir que je nomme pervers, parce qu'il pervertit une utopie, est une façon de jouir de l'inatteignable. Une plus grande perversion serait peut-être que, par ce geste, je cherche à rejoindre ce qu'on nomme le sens commun, le bon sens. Comme si, en cherchant l'écho de mes mots, je m'autorisais enfin à partager ce que tout écrivain désire secrètement : la reconnaissance d'une lecture. Est-ce cela finalement, la vérité du don littéraire ? Non pas une offrande pure, mais une quête de sens, de lien, de résonance ? Il faut l'avouer enfin, il y a aussi la notion de rejoindre la bauge, de redevenir le cochon que je ne veux pas être. Ce qui est une forme de ségrégation ou de toupet magistral . C’est admettre que cette recherche d’écho révèle en moi une part plus triviale, plus humaine, qui refuse l’idéalisme élitiste et s’ancre dans la matière, dans le besoin viscéral d’être entendu, reconnu, accepté. Un roi qui, lassé de sa pureté glacée, se vautre dans la boue du monde. Peut-être que l’écriture, après tout, c’est cela : un élan vers le sublime, toujours contaminé par le désir de retour, de partage, de communauté et à terme d'aller se vautrer comme tout à chacun le veut plus ou moins consciemment dans les effluves du marché aux bestiaux, aux esclaves. Ainsi, et c'est peut-être ce qui aidera au renoncement des plus retors, s'ils l'acceptent : l'écriture, même lorsqu'elle se rêve geste pur, geste gratuit, reste ancrée souillée dans et par l'hémoglobine du monde|couper{180}

Autofiction et Introspection rêves

Carnets | mai 2025

l’écran total

Je viens de revoir quelques épisodes de Twin Peaks. Une envie surgie d’un livre de Pacôme Thiellement, Trois essais sur Twin Peaks, titre érudito-systémique. Lecture brève, pas toujours comprise, mais assez pour relancer la machine. La série, la nuit, écran trop grand, volume trop bas. Et ce qui s’installe alors, ce n’est pas tant une histoire qu’une atmosphère. Pas un récit mais une contamination. Quelque chose qui vous rentre par les pores. Au départ, tout semble simple. Une ville, des pins, des visages. Et puis non. Une lente hystérie s’installe. Ça prend son temps, mais ça s’infiltre. Vous vous retrouvez à trembler sans raison, inquiet pour des personnages qui parlent comme des somnambules et baisent comme des mannequins. Le sexe est là, partout, mais à côté. C’est un rictus, un muscle contracté, jamais un souffle. Une sorte de porno triste. Et propre. Emballé pour l’export. Ce n’est pas que Twin Peaks soit toxique en soi. C’est que la vision qu’elle propose du monde — et que beaucoup d’autres séries prolongent, de Battlestar Galactica à The OA, en passant par True Detective ou Mr. Robot — est elle-même parasitée. Le bien, le mal, ça se superpose, ça se confond, ça se nie. Rien ne tient, sauf la tension. Une énergie nerveuse qui circule dans les images, dans les dialogues, comme un courant alternatif qui ne veut pas trancher. Le spectateur est piégé entre le soupçon et l'attente. Une sorte de paranoïa modérée. Mais continue. Alors on regarde. Encore un épisode. Et encore un. Et on se réveille avec cette impression que quelque chose, dans votre cerveau, a été colonisé. Occupé par une manière de penser qui n’est pas la vôtre. Comme un virus qui parlerait anglais avec une syntaxe parfaite. Une beauté stérile, un rêve froid. Le désir y est toujours calibré. Le mal, théâtralisé. Le bien, flou. Il ne reste plus qu'un écran de fumée. Il faut du temps pour s'en remettre. Pour déprogrammer cette influence. Ce n’est pas un complot. C’est pire : une écriture. Une idéologie douce. Une manière de détourner le regard, de réduire le monde à un affrontement stylisé. Une opéra du chaos. Esthétique, nerveuse, américaine. Le problème, c’est qu’on s’y habitue. Que le trouble devient familier. Que cette confusion entre simulation et vérité vous paraît à la longue plus réelle que la réalité elle-même. On sort de Twin Peaks comme d’un bain trop chaud. Le monde semble trop sec, trop net. On regrette presque la vapeur, le velouté des voix. Mais la tête, elle, a pris. Quelque chose a été imprimé. Et même le corps, parfois, s’en souvient. Une fatigue sourde. Une envie d’oublier ce qu’on a vu. Ou peut-être ce qu'on n'a pas voulu voir. C'est un effet qu'on n'anticipe pas toujours : l'usure invisible du visionnage en rafale. Une fatigue qui ne dit pas son nom, mais qui pèse, désorganise, détruit doucement l'appétit pour l'inattendu. Les plateformes de diffusion en continu, toutes semblables dans leur ergonomie fluide et leur esthétique policée, fonctionnent comme des armes douces de destruction massive des imaginaires singuliers. On croit choisir. On croit explorer. Mais c'est un labyrinthe qui tourne en rond. On navigue d’une héroïne traumatisée à un antihéros abîmé, d’un univers gris bleuté à un autre déjà vu. Le sommeil vient mal. L’esprit ressasse. Et ce qu'on appelait « fiction » finit par ressembler à une interface du monde. L’imagination, alors, se ratatine. Les histoires ne viennent plus. On se met à penser par bribes de dialogues, à ressentir par images intercalées. On devient personnage secondaire d’un feuilleton global. Une statistique. Un profil de visionnage. Et c’est peut-être ça, la plus grande réussite de la machine : vous déshabituer à vos propres rêves. Assez souvent, ça m’a frappé : ce gouffre entre l’épisode pilote et la dernière image. On commence par une étincelle, une promesse de complexité, de beauté, d’audace. Puis quelque chose s’effrite. L’idée géniale s’affadit, lentement. Elle perd ses angles, son ardeur, son étrangeté. Comme si cette génialité même, dans l’économie de la série, était vécue comme un danger. Quelque chose qu’il faudrait lisser, encadrer, effacer. Pour que ça tienne sur la durée. Pour que ça se vende. Presque toutes se terminent en eau de boudin — chute molle, envolée stoppée net — comme si on voulait avertir que le génie, ici-bas, finit toujours écrasé. Laminé par une force obscure : un mélange de foutage de gueule, de mépris discret, et de profit maquillé. Une dramaturgie sabotée de l’intérieur. Et nous, à chaque fois, on regarde jusqu’au bout. Comme s’il fallait vérifier l’agonie. Il y a aussi cette tendance lourde à l’ambiguïté. Devenue norme, presque dogme. C’est à la mode : rien ne doit être tranché, tout doit flotter. L’ambiguïté comme un tapis rouge déroulé à l’inversion des valeurs. Ce qui hier était mal devient aujourd’hui audace, liberté, subversion. Et ce qui était tenu pour bon, sincère, lumineux, passe pour naïf, ringard, suspect. Exactement comme le font ces politiques à la fois correctes et ultra-violentes, ces nouvelles rhétoriques autoritaires qui prennent le masque du bonhomme, du bon enfant, du conseiller bienveillant. C’est le retour du cynisme, mais en version friendly. Les slogans sur les cinq fruits et légumes quotidiens, les injonctions à consommer avec modération, les publicités pour l’auto-contrôle émotionnel — tout ça coexiste avec une brutalité tranquille, normalisée, souriante. Le contraste est écœurant. On est sommés de trouver cela normal. De trouver ça esthétique. De l’aimer, même. Et c’est peut-être là le vrai tour de force : nous faire avaler, sans broncher, ce que nous aurions autrefois vomi d’instinct. Tout cela participe d’une esthétique de l’effondrement contrôlé. Comme ces séries qui montrent la fin du monde mais cadrée, bien éclairée, presque séduisante. Comme ces cinq femmes envoyées dans l’espace par la firme de Jeff Bezos et qui, de retour sur Terre, posent comme si elles sortaient d’un salon de coiffure. Pas une mèche déplacée, pas un mot de travers. Qui peut encore avaler ça ? Cette mise en scène grotesque d’un exploit devenu vitrine. L’espace comme décor, les femmes comme figurantes de luxe. Pourquoi nous prend-on à ce point pour des imbéciles ? Quel est ce besoin de travestir jusqu’à la grandeur, de tout faire rentrer dans une case narrative, souriante et inoffensive ? C’est comme si l’humanité était devenue son propre storyboard. Et que chaque image devait désormais être approuvée par le marketing. Un monde qui s’effondre, peut-être. Mais avec élégance. Et brushing parfait.|couper{180}

rêves Technologies et Postmodernité

Carnets | avril 2025

30 avril 2025

Je ne suis pas un collectionneur. Non, pas un de ceux qui rassemblent les timbres, les armes rouillées, les papillons morts ou les ex-voto exsangues — je n’ai ni cette patience, ni cette foi-là. Mais parfois, l’idée me visite. Elle entre comme un vent de moisson dans une grange vide. Elle parle bas, me flatte, me fait croire à une vocation obscure. Alors je commence. Je trace, je numérote, je cherche à enfermer le monde dans des tiroirs bien rangés. Puis vient l’écoeurement. L’idée reste là, raide, morte, comme un Christ sans croix dans l’église d’un hameau déserté. Ces jours derniers, une nuée de collections a fondu sur moi. Elles ne sentaient ni la naphtaline, ni l'ordre : elles étaient étranges, hirsutes, inclassables. Il y eut celle-là, la plus persistante : recueillir chaque occurrence du mot silence dans ce grand fatras que je prétends écrire. Cent soixante-dix pages de texte serré, cinquante-cinq mille mots. Un travail de moine sans cloître, sans Dieu. J’y passai des heures à extraire les phrases, à guetter le point final comme une délivrance. Je rêvais — oui, littéralement — qu’une forme naîtrait de ce chaos, une structure, une nef, un vitrail peut-être. Mais rien. Sinon l’illusion fugace d’avoir domestiqué un peu de vide. Le soir, j’ouvris Tagebücher 1910–1923. Kafka. L’Allemand m’échappa comme l’eau d’une source entre des doigts gourds. Je lisais pourtant à voix haute, en trébuchant, avec Marthe Robert pour me rattraper. Une idée, comme une flèche douce, me traversa : lire Kafka au micro, en français. Faire podcast, oui, avec la voix d’un autre. Celle d’Alain Veinstein, par exemple. Pas la mienne — trop friable, trop moi. Une heure de si et de donc, comme Perrette et son pot au lait. Un rêve. Et puis : les droits d’auteur. Kafka, rien à dire. Mais Marthe Robert ? Trente ans encore, dit-on. Trente ans, c’est toute une vie pour quelqu’un comme moi, quelqu’un sans suite. Alors j’ai fui sur le site de Gutenberg. J’y ai trouvé Kafka, nu comme un martyr, libre enfin. J’ai balbutié Ich schreibe das ganz bestimmt aus Verzweiflung..., comme une oraison funèbre pour mon propre corps. Puis, nouvelle illumination : et si je le traduisais, Kafka ? À ma façon. En français dépouillé, ravalé. Des phrases pâles comme des os blanchis. Exemple : Écrire est plus facile que vivre. Rien de plus. Mais dans cette platitude, je sentais Pessoa murmurer : Navigar é preciso, viver não é preciso. Alors j’imaginai deux voix disant la même chose : la mienne et une autre, portugaise. Deux timbres, deux silences entre les mots. Une stéréo de l’obsession. Mais alors me prit un vertige. Un vrai. Une chute lente, infinie, comme si j’avais touché une amulette trop ancienne. J’y vis, d’un coup, tout : le ridicule, l’inutile, l’amour absent — surtout lui. L’amour qui m’aurait donné la constance. L’amour qui me manque pour mener quoi que ce soit à terme. Il me vint que je pourrais, à défaut de toute autre collection, faire celle de mes défaites. Elles sont innombrables, elles sont miennes. Mon seul territoire. Enfin, je pensai à ce tableau qu’on m’a commandé. Je revis la scène, très lente, très claire : on me le demande, et je dis oui. Mais j’aurais dû dire non, je le savais, je le savais déjà. Le oui est sorti comme on trébuche. Il ne fut pas prononcé. Il fut, tout simplement.|couper{180}

Auteurs littéraires Autofiction et Introspection rêves

Carnets | avril 2025

Je suis mort, j’ai tout mon temps

Mon attention est partout et nulle part. L’attention est une opportunité qui se présente qui se présente qui se présente qui se présente sauf que lorsqu’elle se présente je suis souvent ailleurs. Mais aujourd’hui, coup de chance, j’étais là. Je n’avais rien à faire qu’être là, et soudain je l’ai vue arriver. Elle était en nage, elle a posé son sac à main sur le bras du canapé, elle s’est assise et elle a commencé à dire comme chaque fois : « ouh ouh je suis là » et j’ai dit : « oui je vois. » Elle a été surprise, et elle a eu un petit rire nerveux. Je ne savais pas que j’avais une tête de clown quand je suis attentif à l’attention. Maintenant c’est fait. L’attention est revenue ce matin. Elle a trébuché sur le tapis de l’entrée. Son sac a glissé par terre avec un bruit mou. Elle s’est redressée, un peu penaude, et elle m’a lancé un regard d’excuse. « Ouh ouh, je suis tombée », a-t-elle dit, en riant comme si cela n’avait pas d’importance. Je n’ai pas bougé. Je n’ai pas parlé. Je l’ai seulement regardée. Peut-être que c’était ça, être attentif : ne rien rattraper, ne rien réparer, juste être là quand l’attention tombe. Alors elle s’est assise par terre, comme si c’était normal. Et moi, j’ai baissé les yeux à son niveau. Nous sommes restés ainsi longtemps, sans rien faire d’autre que de respirer ensemble. Elle est revenue ce soir. Elle s’est arrêtée dans l’embrasure de la porte. Elle avait l’air fatiguée, un peu confuse. Elle a cherché quelque chose dans ses poches, dans son sac, dans sa mémoire. « Comment que je m’appelle déjà ? » a-t-elle murmuré. Je l’ai regardée sans rien dire. Je savais qu’il ne fallait pas l’aider. Que son oubli faisait partie du voyage. Elle a secoué la tête, comme pour chasser un rêve. Elle a haussé les épaules. Elle s’est assise par terre, dos contre le mur, et elle a souri d’un sourire éclaté, maladroit. Je me suis assis en face d’elle, sans un mot. Et ensemble, nous avons laissé l’oubli s’asseoir aussi, entre nous, comme un invité normal. Ce matin-là, je l’ai vue venir de loin. Elle avançait entre les herbes hautes, levant parfois les bras, comme pour saluer. Je me suis redressé, prêt à lui ouvrir la porte. Mais elle a hésité. Elle a regardé à gauche, à droite. Elle a tourné sur elle-même, une fois, deux fois, comme si le chemin lui échappait. Puis elle a pris un sentier de travers. Elle a disparu derrière une haie, une palissade, un brouillard. J’ai attendu un peu. Je me suis dit qu’elle allait revenir. J’ai attendu encore, plus longtemps que raisonnable. Puis j’ai baissé les yeux. Et je suis resté là, avec cette attente dans les mains, comme un oiseau trop léger pour être tenu. Elle est arrivée par le chemin de traverse. Ses pas soulevaient à peine la poussière. Elle ne m’a pas vu. Elle regardait au loin, comme si quelque chose d’urgent l’appelait. Elle a traversé l’air entre nous sans rien effleurer, sans rien soulever. Je l’ai suivie du regard, lentement, sans faire de gestes, sans faire de bruit. Elle a disparu derrière la haie sans se retourner. Je suis resté assis, les mains sur les genoux, à attendre que la poussière retombe sur moi. Elle s’est arrêtée au milieu de la pièce. Elle a levé la tête, tendu l’oreille. Moi je n’entendais rien. Pas un souffle, pas un craquement, pas un murmure. Elle, pourtant, restait immobile, concentrée, comme suspendue à une vibration très fine, très loin, très loin d’ici. Je l’ai regardée sans bouger. Je n’ai pas osé parler. Je n’ai pas osé me lever. Je n’ai pas osé respirer plus fort. Elle semblait entendre quelque chose d’important, quelque chose que je ne pouvais pas atteindre. Alors je suis resté là, à partager avec elle le silence que je ne comprenais pas. Elle s’est approchée du banc. Elle a frôlé le bois du bout des doigts. Elle a regardé le ciel, puis le sol, puis ses mains. Ses épaules ont bougé imperceptiblement, comme si un poids invisible hésitait à se poser ou à s’envoler. Elle a fait un pas en arrière, un pas en avant. Elle a effleuré le bord du banc, sans s’asseoir. Moi, je n’ai rien dit. Je n’ai pas bougé. Je me suis contenté d’ouvrir un peu plus mon silence pour qu’il l’accueille, si elle voulait. Après un long moment, elle a soupiré, très bas, puis elle s’est tournée doucement et elle est repartie, en laissant derrière elle une forme vide, une attente polie. Elle est entrée sans bruit. Elle s’est arrêtée à deux pas de moi. Elle ne s’est pas assise. Elle n’a pas parlé. Elle est restée debout, les bras le long du corps, le regard posé quelque part entre moi et un point que je ne voyais pas. Je n’ai pas bougé non plus. Je n’ai pas rompu le fil ténu qui flottait entre nous. Le temps a commencé à s’étirer, à s’étaler, à s’épaissir. Il n’était plus ni tôt ni tard. Il n’y avait plus ni matin ni soir. Il n’y avait que son silence debout, et le mien qui essayait d’être aussi debout que possible. Elle est revenue sans bruit. Elle s’est approchée plus près que d’habitude. Tellement près que j’aurais pu sentir son souffle, si elle avait respiré. Elle ne disait rien. Elle ne bougeait presque pas. Elle attendait que je regarde vraiment. Alors j’ai eu peur. Pas peur d’elle. Peur de ce qui allait se passer si je m’y plongeais sans retour. Peur que l’attention m’engloutisse comme un puits sans fond, m’efface jusqu’à ce que je ne sois plus qu’une tache d’écoute sur le monde. J’ai détourné les yeux. Pas brusquement, pas méchamment. Juste assez pour échapper au vertige. Quand je suis revenu, elle était partie. Elle n’avait pas eu besoin de courir. Seulement de se fondre doucement dans l’air. Elle était là. Je la voyais. Elle tenait debout, fragile, comme une flamme qui hésite entre la nuit et l’aube. Je n’ai pas bougé. Je n’ai pas cligné des yeux. Mais déjà elle devenait floue. Ses contours tremblaient, se déliaient, s’effilochaient dans l’air. Je voulais tendre la main, pas pour la retenir, juste pour être là au moment où elle se dissoudrait. Mais même ce geste-là aurait été trop lourd. Alors je suis resté immobile, à la regarder devenir presque rien, puis plus rien. Et le silence, doucement, a reflué vers moi.|couper{180}

rêves

Carnets | avril 2025

Tout a déjà eu lieu

Une scène, avec six voix qui ne disent jamais tout à fait la même chose. C’est une histoire d’après, un moment figé, ruminé, ressassé, disséqué jusqu’à ce qu’il parle autrement. 1. Après l’amour, ce qui survient ne tient pas du vide, encore moins du soulagement. C’est une saturation. Une évidence lourde, familière. Ce que je ressens alors, ce n’est pas la chute — non, c’est le retour. Le retour à la condition. À ce qu’on est, ce qu’on fut, ce dont on ne s’est jamais départi. Il y a le corps, détendu, presque hébété. Il y a l’autre, à côté, qui dort peut-être, ou qui fait semblant. Et il y a cette pensée, brutale, sans ornement : je ne suis pas d’ici. Je n’ai pas de lieu à moi. Je n’ai pas de sol natal auquel je puisse m’arrimer. Je le répète en silence, cette phrase d’abord nue, puis chargée de couches, d’années, de boue : Je n’ai pas de chez moi. Ce n’est pas l’aveu d’un homme perdu mais d’un homme né sans royaume, sans garant. Je me lève, je dis que j’ai soif, pour remettre un peu d’ordre dans l’appareil du langage. Le mécanisme est ancien : nommer pour tenir. Boire pour feindre la nécessité. Traverser la pièce comme on traverse un siècle. Dans la cuisine, l’odeur. Pas la sienne — la nôtre. Celle de la chair. Et ça me ramène, irrémédiablement, à ce que j’ai connu : les corps de mes parents, de mes frères, de ces femmes traversées, toutes aussi étrangères que nécessaires. Chaque lieu d’amour fut un lieu de passage. Jamais une demeure. Je bois lentement, comme on rallume une vieille forge. Puis je retourne m’allonger, en pensant aux livres que j’ai laissés, aux carnets jamais remplis, aux idées mortes. Le sommeil me prend au moment exact où la mémoire allait creuser plus loin. Au matin, elle me touche. Me baise. Elle est chaude, ardente, présente. Mais moi, je suis dans une autre strate. Je ne l’ai pas rejointe. Je bois mon café. Je tente de faire surface. Elle parle, elle attend. Et moi, je sens, à peine perceptible mais indiscutable, la chose — pas la pieuvre — non : le poids. Celui qu’on reçoit, toujours, quand on n’a pas su s’appartenir. 2. Après l’amour, j’ai eu cette impression d’effondrement. Ce n’était pas la première fois. Toujours ce même sentiment, presque mécanique, de vide. Ni dégoût, ni tristesse. Plutôt un retrait, une distance qui s’installe d’un coup. Je regardais le plafond. Elle dormait ou faisait semblant. J’ai senti que je n’avais plus rien à faire là. Je me suis levé, j’ai dit que j’avais soif. Ce n’était pas vrai. J’ai juste eu besoin d’un geste, d’un mot. De retrouver une forme de contrôle, une place dans la scène. J’ai traversé la pièce lentement. J’ai pensé à prendre mes affaires et partir. Mais je n’ai pas bougé. Je n’avais nulle part où aller. C’était chez elle. Ce n’était pas chez moi. Je n’ai pas de chez moi. Je suis allé dans la cuisine. J’ai bu un verre d’eau. L’odeur de la chambre me suivait. Mélange de sueur, de liquide, de draps. J’ai pensé à d’autres nuits, d’autres corps. Toujours la même issue. L’impression d’avoir laissé quelque chose, ou d’en avoir été vidé. Je suis revenu. Je me suis allongé à côté d’elle. Sans la toucher. Je me suis répété cette phrase : je n’ai pas de chez moi. Elle est restée longtemps dans ma tête. Je ne sais pas si je me suis endormi ou si j’ai juste cessé de penser. Le matin, elle m’a touché. Elle voulait encore. Elle m’a enlacé, m’a embrassé. Je ne ressentais rien. Elle disait que je ne l’aimais pas comme elle, que je n’étais pas assez là.Dans la cuisine, pendant que je buvais mon café, j’ai eu cette image : une pieuvre. Quelque chose de mou, de collant, posé au milieu, avec ses ventouses, ses tentacules. Je ne sais pas d’où elle venait. Mais elle était là. 3. Après l’amour je me suis senti vidé. Pas triste. Pas heureux. Un peu vaseux. J’ai regardé le plafond. Il y avait une tache d’humidité, fine, presque décorative. Elle dormait ou faisait semblant. Il y avait une odeur. Pas mauvaise, mais forte. Un peu acide. J’ai dit : j’ai soif. Je n’avais pas soif. Je voulais juste dire quelque chose. M’entendre. Reprendre pied. Je suis allé dans la cuisine. Il y avait un verre propre à côté de l’évier. L’eau avait un goût métallique. Je suis revenu. Je me suis recouché. Le matelas faisait un bruit d’air comprimé. J’ai pensé : ce n’est pas chez moi. J’ai pensé : je n’ai pas de chez moi. La phrase est restée. Comme une chanson lente. Elle est devenue plus importante que tout le reste. Je me suis endormi. Le matin, elle m’a serré fort. Elle m’a embrassé dans le cou. Elle m’a dit : tu ne m’aimes pas assez. Elle m’a regardé très longtemps. Dans la cuisine, pendant le café, j’ai vu un truc. Un machin. Une forme. Comme une pieuvre. Elle ne bougeait pas. Mais elle était là. 4. Après l’amour, c’est curieux, il n’y avait rien. Pas même de vide. Une sorte de flottement léger, pas désagréable, mais sans attrait non plus. Il aurait fallu un mot pour le dire, mais aucun ne convenait vraiment. À la place : une impression de chute. D’une certaine hauteur. Pas très haute, mais quand même. Une chute douce, comme dans un rêve où l’on tombe au ralenti, sans panique ni cri. En bas, le sol. Ordinaire. Sec. Pas d’impact spectaculaire. La femme dormait. Ou faisait semblant. Il y avait une ambiguïté dans son immobilité. L’air était un peu lourd, mais c’était peut-être dû à la nuit, à l’humidité, ou simplement à l’histoire. L’histoire entre eux deux, s’entend. Il se leva. Prétexta qu’il avait soif. Cela semblait acceptable. Il aurait pu ne rien dire, mais il tenait à justifier son déplacement, comme pour prouver qu’il était encore là, qu’il faisait partie de la scène.Dans la cuisine, il but un verre d’eau. Un verre simple, transparent, rempli à moitié. L’eau était tiède. Il revint dans la chambre. S’allongea. Tenta de retrouver une position. Ça sentait un peu — disons : un mélange de draps, de corps, de fatigue. Ce n’était pas chez lui. Il se répéta cette phrase : je n’ai pas de chez moi. Elle lui parut soudain très intéressante. Il la creusa mentalement, comme on explore une galerie souterraine. Mais juste au moment d’y voir quelque chose, le sommeil l’attrapa. Le matin, elle se montra expansive. Il fallait répondre à cela. Il le fit plus ou moins. Elle l’enlaça, le frôla, le toucha avec beaucoup de volonté. Lui pensait à son café. Et puis, au centre de la cuisine, il remarqua une chose. Quelque chose qui n’était pas là la veille. Une sorte de masse, informe, avec des tentacules. Il n’en parla pas. Ça n’aurait pas changé grand-chose. 5. Après l’amour je ne vaux plus rien, disais-je, mais ce n’est pas tout à fait cela : c’est qu’il ne reste rien de moi, ou peut-être que le peu qui reste, ce reste informe et suspendu, n’est plus tout à fait moi, mais une vapeur, une conscience défaite, un reste d’homme qui dérive, nu, parmi les bêtes du Bardo — non pas les figures effrayantes des fresques tibétaines, mais des monstres d’aujourd’hui, faits de néons froids, de draps froissés, d’odeurs acides. Je flotte, sans agrément ni douleur, sans feu ni paix. C’est une chute, longue, très lente, comme celle des corps dans les rêves où l’on sait qu’on va mourir mais où l’on meurt sans cri, sans violence, avec cette étrange docilité de l’esprit qui abdique. Je tombe, donc, et j’atterris. La terre est là, quelconque, grise. La femme dort, ou feint. Il y a, dans le grain de l’air, une densité que la pénombre seule n’explique pas — quelque chose d’inexprimé, peut-être d’attendu, qui pèse plus lourd que le silence. Je me lève, et le dis. Que j’ai soif. Je le dis non pour elle mais pour moi, pour me réentendre, pour retrouver la tonalité exacte de ma voix, comme on vérifie que l’on respire encore après l’accident. J’aurais voulu, oui, saisir mes vêtements, partir, m’enfuir, claquer la porte blindée comme on claque la fin d’un chapitre. Mais je ne sais pas où aller. Je bois un verre d’eau dans une cuisine étrangère. Je reviens. L’odeur des corps, des fluides, de la fatigue, me prend à la gorge. C’est chez elle, pas chez moi. Mais ai-je seulement un chez-moi ? Je creuse cette phrase en moi : Je n’ai pas de chez moi. Elle s’approfondit, elle descend loin, et juste au moment où elle touche quelque chose — le noyau, le point obscur, le secret — le sommeil m’emporte comme une marée sale. Et puis vient le lendemain, le retour du jour, du café, de la parole. Elle m’aime, elle le dit, elle me le montre, elle me le donne, elle me prend. Mais son amour me fane. Il me donne un rôle que je ne peux plus tenir. Elle me touche, me frôle, m’enlace, me baise. Je veux juste boire mon café seul, mais déjà je sens que je ne vaux plus rien à ses yeux si je ne l’aime pas comme elle l’exige. Et là, dans cette cuisine, il y a quelque chose. Quelque chose qui n’était pas là avant. Un amas. Une masse. Une créature. Une pieuvre, disons. Un genre de pieuvre immense, invisible sauf à moi, qui darde ses tentacules, qui aspire ce qui reste de suc vital, qui pompe, qui s’étire, qui colle. Et je me tiens là, encore nu sous ma chemise, et je sens que ce jour aussi, il faudra le traverser. 6. Après l’amour, il n’y avait plus rien. Rien que le vide béant de l’accompli. Un gouffre suintant. Le souffle me manquait, non par fatigue mais par effroi.J’étais tombé. Jeté à bas comme un animal qu’on égorge. Son corps à côté du mien. Ouvert, humide, offert, déjà refermé. La chambre était une fosse. Le lit, un charnier chaud. Elle dormait — ou se retirait, comme font les dieux quand ils vous laissent seul avec la profanation. Je me suis levé. Mon sexe encore poisseux. Ma bouche pâteuse. J’ai dit : j’ai soif. Mais ce n’était pas la soif du corps. C’était celle de la présence. D’un sens. J’ai bu de l’eau comme on boit du sang tiède, pour croire encore à une substance. Je suis revenu. L’odeur m’a repris. Odeur de foutre, de salive, de nuit. Pas chez moi. Pas d’endroit où m’ancrer. Rien. Je n’ai pas de chez moi. Je suis à la dérive entre les cuisses de toutes, sans mémoire, sans trace. Et puis ce moment. Ce basculement. Je m’allonge à nouveau. Je ferme les yeux. Mais c’est là que ça monte. Ce cri muet. Cette bête. Un monstre. Une pieuvre. Elle n’était pas image. Elle était. Avec ses ventouses. Elle suçait tout ce qu’il restait de moi. Mon désir. Ma raison. Mon nom. Et j’ai sombré. Le matin, elle m’a pris encore. Elle a voulu me recouvrir. Mais j’étais déjà disparu.|couper{180}

carnet de fiction rêves tout a déjà eu lieu traces

fictions

Gor - chapitre 4

Chapitre 4 Cela commence par une femme qui marche. Pas dans la rue — trop d’aléas, trop de hasards — mais dans un couloir rigoureusement rectiligne, aux parois de verre dépoli, éclairées d’une lueur diffuse, presque aquatique. On penserait volontiers aux couloirs techniques d’un complexe biomédical abandonné ou aux entrailles vidées d’une galerie commerciale oubliée, mais aucun repère précis n’est offert. La femme est nue, détail qui ailleurs éveillerait la surprise, mais qui, ici, semble nécessaire, évident même, en harmonie avec le sol qu’elle arpente. Un sol qui, à chaque pas, libère une vibration subtile, modulée, aux frontières de la musique. Ce n’est pas tout à fait une mélodie — aucun thème précis, aucune structure reconnaissable — mais plutôt un ruissellement sonore délicat, comme des notes étouffées par un voile humide. Ces vibrations échappent aux perceptions ordinaires : elles ne s’offrent qu’à des instruments particulièrement sensibles ou à ceux qui dorment tout près, dans le voisinage du couloir. Dans une pièce adjacente, Jorge dort. Ou il simule le sommeil, rien n’est certain. Ni pourquoi il dort, ni depuis combien de temps. Il ne rêve pas, du moins pas de façon intelligible. Peut-être rêve-t-il dans une langue obscure, jamais décryptée. Pourtant, ce sommeil est traversé par l’étrange musique : sa température baisse imperceptiblement, ses paupières tremblent, épousant involontairement le rythme précis des pas de la femme dans le couloir. Jorge n’en a pas encore conscience — du moins pas explicitement. La femme ne regarde rien, ni le monde indistinct derrière les vitres dépolies, ni le sol translucide s’éveillant discrètement sous ses pieds, ni même son propre reflet fragmenté glissant furtivement à ses côtés. Elle marche avec une régularité hypnotique, exécutant une partition mémorisée sans jamais avoir eu recours à une notation visible. Vingt-deux pas d’un bout à l’autre, puis demi-tour. La vibration du sol change légèrement à chaque retour, portant une nuance presque mélancolique, comme si le couloir lui-même entrait lentement dans un état de mémoire. À son point initial, elle s’immobilise un instant. On pourrait croire à une hésitation. Mais non, elle ne fait que corriger un détail infime — l’alignement précis d’un orteil, une mèche rebelle déplacée par un courant d’air invisible. Puis elle reprend sa marche, parfaitement identique, silencieuse et détachée. Dans sa chambre, Jorge esquisse un sourire discret. Impossible de savoir s’il provient d’un souvenir agréable, d’un inconfort passager, ou simplement de l’écho délicat d’un pas féminin ayant, par inadvertance, franchi la barrière subtile de sa mémoire corporelle. Mais cette fois, une réaction s’enclenche en lui. Jorge ouvre lentement les yeux. Attiré irrésistiblement par le magnétisme sonore émanant du couloir, il se lève, traverse la pièce encore engourdi par le sommeil, et parvient enfin au passage de verre. La femme n’est plus là. À sa place, une vieille porte automatique coulisse lentement, s’ouvrant et se refermant mécaniquement, reproduisant par accident la cadence étrange et envoûtante. Il s’immobilise, saisi par le vertige intime que suscite en lui chaque vibration. Des souvenirs enfouis se réveillent, des désirs refoulés refont surface, comme soulevés par cette pulsation subtile. Jorge distingue alors, flottant comme une aura dans l’air, d’étranges motifs géométriques luminescents qui dérivent lentement, semblables à des entités vagabondes cherchant désespérément une forme tangible sous la surface d’une conscience partagée. Et Jorge comprend soudain, avec une lucidité trouble, qu’il vient de franchir un seuil — pas seulement un seuil physique, mais celui, bien plus intime, d’une révélation intérieure. Quelque chose d’enfoui au plus profond de lui vient d’être réveillé par cette étrange et mélancolique mélodie du couloir.|couper{180}

rêves

Carnets | novembre 2024

05 novembre 2024

ça part d'une vidéo reçue la veille, du voyage au centre de Pierre Patrolin, de souvenirs de lectures de Jules Vernes et de Lovecraft, d'une couverture de B.D signée Rodolphe et Patrice Le Sourd et bien sûr du quotidien.|couper{180}

Auteurs littéraires Lovecraft rêves

Carnets | juin 2024

04 juin 2024

Abandonner une position sociale, n’importe laquelle, cette idée me fait rêver. Il faut que je sois sûr de ne pas le regretter. Je suis comme ça. Je rêve, j’agis dans le rêve et il est assez courant que je veuille revenir en arrière, en réalité, et alors je ne sais rien faire d’autre que regretter. Je crois que le regret est le péage de ma réalité. Anonyme vis-à-vis de tous, mais encore plus vis-à-vis de moi-même. La perte de la mémoire. L’oubli du moindre intérêt pour le futur. Vivre non pas dans le présent, car avec un tel point de vue, il n’y en a pas. Il n’y a rien. Seulement écrire tout son saoul. Creuser sous la surface sur quoi l’on pensait tenir debout. Dans une ivresse du dévalement lent. Il doit bien y avoir un savoir écrire comme un savoir boire. Ni trop vite ni trop lentement. Une cadence qui ne soit pas juste une répétition vide de sève. Hier soir à I., on m’a trouvé désagréable. On ne m’a pas dit le mot mais j’ai traduit tout seul. On m’a demandé si j’étais malade et pour couper court j’ai dit oui, sans autre. Et en un sens, je pense que je le suis vraiment, malade du monde, malade des autres, malade de me voir ici à devoir interagir avec le monde et les autres. Malade de voir le temps s’écouler inexorablement dans l’absurdité, l’inutile, les poses, le rôle. J’étais venu à l’atelier à reculons. Il n’y avait plus cette envie, ce désir, ces illusions qui me permettaient de tromper mon ennui, de l’interrompre en tout cas durant les quelques heures à animer les cours auprès d’enfants, d’adolescents, d’adultes. Pour compenser cette perte, quelque chose en moi s’était durci. Ce que j’avais pris pour de la bienveillance ou de la compassion avait été balayé et ce qui le remplaçait était d’une sécheresse étonnante, d’une acuité implacable. J’avais distribué les conseils sans fioriture, je n’avais pas pris garde de ménager les susceptibilités, je n’avais pas pris de pincettes. Cependant, d’une certaine manière, j’étais aligné avec les forces les plus violentes et les plus effrayantes de qui j’étais. L’impression d’avoir été désagréable, ainsi qu’on me le disait, me renvoya presque aussitôt à une culpabilité habituelle. Ce qui renforça d’autant mon agacement et la sécheresse de mon ton.J’allais dire à voix haute de toutes façons l’année prochaine je ne serai plus là. J’ai trouvé cela inutile aussitôt. J’ai trouvé la réciprocité vaine, comme toute réponse que je pouvais formuler, ou plutôt que j’étais incapable de formuler. J’allais dire à voix haute : de toutes façons, l’année prochaine je ne serai plus là. J’ai trouvé cela inutile aussitôt. J’ai trouvé la réciprocité vaine, comme toute réponse que je pouvais formuler, ou plutôt que j’étais incapable de formuler. Enfin, l’accrochage a été rondement mené. J’avais pris soin d’acheter de la pâte collante pour installer toutes les œuvres des enfants sur les murs. Ensuite, ce fut le tour des adultes d’accrocher leurs tableaux sur les cimaises. L’exposition de fin d’année est prête. Ils feront le vernissage vendredi, et bien sûr je ne serai pas là, mais à R., en train de travailler dans un autre atelier. J’ai pris un podcast au hasard. Une fois sorti, j’ai marché jusqu’à mon véhicule. J’ai vu qu’il faisait presque nuit, j’ai vu les silhouettes des arbres, de la tour, j’ai vu les élèves démarrer leurs véhicules, j’ai vu les feux rouges des feux arrières des véhicules, sortes de points rouges incandescents dans l’obscurité bleue, il pleuviotait. J’ai pris un podcast au hasard après avoir inscrit Paul Léautaud dans la barre de recherche de l’application. Je suis tombé sur l’interview de Frédéric Martin, fondateur de l’édition Tripode. J’ai entendu la phrase de Ponge sur la fabrication des bombes à retardement. Je me suis dit que si j’avais à chercher un jour un éditeur… et puis j’ai pensé à tout autre chose je crois, mais je ne m’en souviens pas. De la réclame, ça me revient. En écoutant une autre vidéo plus tôt – à aller. J’ai pensé au mot réclame qui dit bien ce qu’il veut dire, contrairement à publicité. En même temps, j’ai pensé qu’il m’était complètement impossible de réclamer quoi que ce soit. Il faut se sentir acculé, enfin, c’est cet autre mot qui m’est venu. Proche d’un autre grossier par la sonorité. Enfin quelque chose en rapport avec la chance ou la malchance, l’expression que je n’entends plus : avoir du cul, avoir le cul bordé de nouilles. Mais bien sûr on peut aussi réclamer en ayant démoli tous les remparts d’une pudeur mal placée. Bien sûr on peut réclamer un dû. Ce qui m’a agacé le plus, c’est comment je ne peux pas, moi, réclamer un dû. Voilà la réalité et la petite porte étroite du regret. Photographie d’illustration. 1989 Portugal. Dans le salon de thé du petit village. La télévision était accrochée à l’un des murs de la salle. Elle était en marche du matin au soir ce qui permettait aux visiteurs de s’absorber dans sa contemplation, les dispensant d’entretenir des conversations inutiles. Ces gens, les Portugais semblaient calmes, revenus des confins du monde pour atterrir ici, à C. à l’extrême nord du pays. Ils avaient vécu l’aventure du désir, s’étaient rendus à ses confins, puis le but leur avait échappé, comme il arrive souvent, et ils étaient revenus. Ils étaient revenus de tout, sauf du silence que recouvrait le bruit incessant de la télévision. écrit le 30 mai 2024 publié le 4 juin 2024|couper{180}

Murs rêves

Carnets | Février 2024

03 février 2024

L’ambiguïté est devenue clarté. Le fameux protocole qui veut que l’on exerce sur un ressort une pression telle qu’à un moment il se détende. Une fulgurance. Une clarté dans l’obscurité. La plupart du temps c’est éphémère, à un point tel qu’on croit avoir rêvé. Les choses sont étrangement liées par des passerelles analogiques. Hier déjà je me demandais pourquoi il n’y a pas plus de personnes prêtes à s’insurger contre cette absurdité établie. C’était d’une limpidité extraordinaire. Aujourd’hui, plus calme, plus détendu, la nécessité des protocoles me saute aux yeux. Ceci étant c’est le résultat d’une accumulation, d’un trop plein. Entre mes recherches pour comprendre la notion de prompt afin de communiquer avec l’intelligence artificielle, les interrogations qu’émet à voix haute François Bon sur la possibilité de faire « halluciner » la machine quand on la pousse dans ses retranchements, avec la découverte de la dernière version de Bard et la gymnastique mentale qu’il faut faire pour inverser en grande partie tout ce que j’ai appris du modèle Openai chatGPT pour obtenir un résultat de ce service Google, il est possible que mon cerveau redécouvre soudain l’évidence de ce terme, le protocole. Il y a aussi la fatigue. La fatigue d’un certain type de narration, la fatigue des raisons que l’on veut toujours se donner pour obtenir quoi, on ne le sait même pas précisément, sauf souvent par pure paresse ou crainte, ou pour faire correspondre un désir à un moule préformaté. La fatigue qui m’a terrassée il y a de ça plus d’un an, peut-être bien deux, vraiment, et contre laquelle je n’ai plus eu envie de résister. Une fatigue comme une béance dans laquelle à la fin on s’abandonne. Et tout à coup une comète passe, cette fulgurance : Comme dans cette fresque de Padoue de Fra Angelico. Ce n’est pas le résultat qui compte mais ce que l’on décide de mettre en œuvre pour obtenir un résultat. C’est à dire un protocole que l’on peut même partager avec d’autres qui obtiendront des résultats semblables ou différents peu importe. Et tant mieux qu’il y ait des différences. Ce sont ces différences justement qui font trembler le réel auquel nous nous accrochons. Et pourquoi nous accrocher au tremblement, comment s’y accrocher, on hésite tant et si souvent, et pourquoi — sinon le plus souvent par peur d’en être expulsé, d’arriver à un en dehors du réel qu’on nomme aussi le groupe. Puis, comprendre que c’est depuis ce dehors qu’on voit le mieux le dedans. Le fait que ce mot soit mis en valeur lors de la dernière pandémie n’est sûrement pas une coïncidence. Ces protocoles auxquels nous nous sommes pliés bon grès mal grès. Et L’agacement renforcé d’autant quand nous vîmes le résultat désastreux d’obéir par habitude, par lâcheté, par faiblesse, par fatigue. Tout est lié. Peu à peu le puzzle s’achève. Plus que quelques pièces encore mais d’avis que le plus gros est fait. J’ai renoncé à utilisé DALL-E pour la création d’images. J’explore les prompts en anglais de Stable Diffusion. Mais le résultat n’est guère plus satisfaisant. Et je vois aussi comme une sorte d’obstination malsaine à m’acharner en ce sens. Soit les images sont clairement irréelles, fictives comme la fiction est hélas entendue de l’être, soit elles sont de l’ordre de l’illustration naïve. Elles n’offrent pas, jamais, ce léger tremblement que l’on éprouve à la frontière du rêve et de la réalité. De là à penser que pour l’intelligence artificielle ces deux termes sont tout bonnement dans une même catégorie de langage. Que l’AI considère le rêve, le réel et la fiction comme des synonymes. Par réaction je me suis remis à peindre et presque achevé ma grande toile accrochée au mur de l’atelier depuis plusieurs semaines. Je préfère ce genre d’image dans toute l’imperfection qu’elle me propose. J’en suis même à me demander si je ne suivais pas un protocole sans le savoir. Celui de peindre en m’abstenant toujours d’obtenir un résultat se rapprochant de près ou de loin à quelque chose d’existant. Un protocole minutieux totalement en collaboration avec le hasard, ou l’inconscient, m’expulsant systématiquement en tant qu’entité fabriquant du but, du résultat à atteindre. Atelier de Roussillon. A l’aide de morceaux de papiers découpés ou déchirés dans des magasines, des journaux, créer une composition. Puis utiliser la dominante pour remplir les espaces vides. Ajouter des traits. Créer des rythmes, chercher un équilibre par les déséquilibres. Non pas une idée d’équilibre convenu, mais d’un équilibre personnel, unique. Le second exercice. Faire un fond, peu importe la couleur, mais plusieurs ont décidé le jaune. Découper des morceaux de papier de différentes couleurs et grosseurs. Créer une idée de musique. Puis passer des glacis de couleur chaude ou froide pour regrouper certaines formes par section. Donner une tonalité générale à l’ensemble. En travaillant on s’est mis à évoquer Kurt Cobain, Nirvana. Puis on est passé à Donna Summer, et très vite ensuite aux Bee Gees. X. évoque sa période disco. Un peu de mal à l’imaginer avec un col à jabot et un pantalon moulant. Du coup ça m’a rappelé mon mépris pour ce genre de musique, de rassemblements à l’époque. Je n’en étais pas bien fier. J’aurais pu dire que j’étais par réaction un blouson noir. Mais ce n’est même pas vrai. Je crois que j’étais déjà largué depuis belle lurette.|couper{180}

rêves

Carnets | janvier 2024

07 janvier-2-2024

Elle allait lui raconter son rêve et par pur réflexe il leva la main pour l’interrompre. Car le contenu d’un rêve se dissout dans la parole, il se métamorphose en quelque chose de raisonnable la plupart du temps. Non ce qui l’intéressait c’était la sensation générale qu’elle en avait conservé. Mais elle ne comprit pas sa question, elle voulait raconter tout son rêve par le menu et aussitôt il ne l’écouta plus. Mon rêve est d’aller dans un pays chaud, de trouver une plage de sable fin, de m’y allonger en écoutant le bruit du ressac, de ne plus penser à rien. Elle disait rêve et lui presque aussitôt vécu un cauchemar. Elle veut avoir des enfants c’est son rêve. Puis quand ils sont là elle parle d’un véritable cauchemar. Dans mon rêve, ce rêve là, je veux toujours atteindre cette sensation d’exister tellement intense qu’il m’a été donné une fois de rencontrer. Et il pensa qu’elle avait laissé s’échapper les buts et les raisons de maints autres rêves certainement tout autant honorables, parce qu’elle n’était obnubilée que par celui-là. Il prit un certain temps pour réfléchir à cela et au bout du compte cela l’effraya tellement qu’il ne répondit plus à ses appels, ni à ses sms. Elle ne correspondait certainement pas à son propre rêve. La vie ne serait probablement qu’un rêve si elle n’était pas déjà un cauchemar. Il tournait en boucle sur cette phrase comme si c’était une équation à deux inconnues. Et comme il était nul en maths, il se leva pour aller travailler. Certains caressent un rêve comme ils caresseraient un chien, pour ne pas être mordu. La réalité est à l’exact opposé de mes rêves et vice versa. Une fois cette chose dite, plus rien n’était à dire et ils se quittèrent bons amis — Je ne fais pas de rêve étrange et pénétrant, ça s’arrête toujours avant. La thérapeute renversa la tête en arrière et dit —hum hum mais encore. Son regard était d’une tristesse insondable. C’est alors que je saisis toute l’incongruité de ma présence en ces lieux, la honte s’empara de moi, je n’étais qu’un patient ordinaire, un patient parmi tant d’autres.|couper{180}

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