L’idée que le temps ait une épaisseur.
Qu’il ralentisse lorsqu’on médite. Ou plutôt qu’il s’absente. Car ce n’est pas le temps qui change, mais la pensée qui s’efface. Être dans l’observation, c’est s’extraire du temps. Comme si, sans pensée, le temps cessait d’exister.
Méditer n’est pas ne rien faire. Ni s’enfuir dans une tâche répétitive. Même ralentie, la pensée continue d’exister. Certaines journées dans la répétition passent en un éclair. D’autres traînent, s’éternisent. Pourquoi ? Sans doute à cause du lien intime qu’on entretient avec l’action. Le désir de la vivre ou non.
Il y a dans l’oisiveté une rébellion, ancienne, tenace. Depuis l’enfance, ce refus — d’abord muet, puis de plus en plus conscient — m’accompagne. Avec lui, longtemps, une culpabilité silencieuse, presque insupportable. Mais je n’ai jamais renoncé.
Tout ce qui ressemble à une injonction me tétanise. Puis enclenche une stratégie de refus. Ce refus, je le sens directement lié au temps : à ce qu’on attend de moi que je consacre à une tâche. Comme un vol. Un rapt.
Alors, quand j’ai « tout mon temps », je le gaspille. Délibérément.
Une vengeance dérisoire, sans cible. Qui me blesse autant qu’elle vise.
Mais c’est la seule façon, peut-être, de reprendre possession du temps volé.
sous-conversation
… pas vraiment du temps… non… une épaisseur… une lenteur…
quand ça pense pas… quand ça regarde juste…
pas tout à fait rien faire… mais pas non plus faire…
et cette tâche… la répétition… des jours courts, d’autres interminables…
pourquoi ?… parce que dedans… ou dehors ?…
le refus… ah, le refus… il est là, lui… toujours…
depuis longtemps… comme un chien de garde… tapi…
et la culpabilité… ce plomb… cette voix…
"tu perds ton temps"… "tu ne fais rien"… "tu ne sers à rien"…
mais non… mais si…
le temps volé… repris à la hâte… gaspillé…
comme une revanche… un bras d’honneur…
mais ça retombe… ça revient… ça cogne…
ça fait mal… mais au moins… c’est moi qui choisis quand ça fait mal…
note de travail
Le texte se présente d’abord comme une réflexion sur le temps, mais très vite, il révèle autre chose. Une lutte. Une négociation avec le réel.
L’auteur décrit ce que Bergson appelait la durée, ce temps intérieur, subjectif. Mais ce n’est pas une thèse philosophique : c’est une expérience vécue. Une résistance intime.
Là où le texte devient saisissant, c’est dans sa confession d’un **refus archaïque** : l’impossibilité d’obéir à l’ordre implicite du temps utile. Ce que le sujet nomme "injonction", "fonction", "inattention", ce sont autant de figures du surmoi social.
La stratégie de refus — d’abord tétanie, puis sabotage — est profondément lucide. Le "gaspillage du temps" devient un acte symbolique : une réappropriation violente, presque sacrée.
Mais le plus touchant est ailleurs : dans cette phrase finale, où le sujet avoue que sa vengeance le blesse.
Ce texte est le témoignage d’un être qui ne veut plus que son temps lui soit pris. Même s’il faut le brûler lui-même pour cela.
Un pacte ambivalent avec le néant. Un appel, peut-être, à en faire autre chose. Une création. Un don.
Illustration : Etude acrylique sur papier, gamme de Zorn.