S’entendre parler — toujours ce frottement, ce grésillement insupportable. C’est peut-être pour ça que j’ai commencé à enregistrer mes textes. Pour m’irriter mieux. Ou pour m’accorder à un rythme plus souterrain. J’ai même balisé mes lectures de signes : // pour souffler, /// pour sombrer. Au début, j’ai voulu tricher : poser de la musique derrière, camoufler les craquements de ma diction. Mais non. Trop lisse. Trop truqué. J’ai tout refait, voix nue, matière brute. Et encore, ça ne colle pas. C’est mou. Pâteux. Encombré de moi.
Ma voix a changé, j’en suis presque sûr. Depuis les vidéos de peinture. Et puis l’absence de dents n’aide pas — mais ce n’est pas si grave. C’est même un bon exercice : s’éloigner de cette image stratifiée qu’on a de soi. J’ai écouté P.A lire L’Illiade. Deux minutes. D’une limpidité désarmante. Moi, j’ai aligné douze minutes sur Miéville. Comme d’habitude : trop. Toujours cette foutue limite que je ne sens pas.
T.C., G.V. — leurs journaux, sobres, droits. Je les scrute, et vois plus clairement mon propre dévers. Faire un "digest" ? Impossible tant que l’indigeste domine.
S. revient jeudi. Il faudra réintégrer. Me remettre au monde à partir de mercredi soir. Non que je n’aie rien fait. Mais j’ai fait autre chose. Et cet autre chose, toujours, m’expulse de l’habiter-avec. De ce qu’ils attendent pour me dire vivant.
sous-conversation
ça frotte
la voix
trop proche
trop réelle
pas comme dans la tête
— tu t’écoutes
— tu t’entends
et alors ça coince
les //
les ///
ce sont pas des silences
c’est pour respirer sans plonger
ne pas sombrer dans l’image
la voix nue, c’est
pas nue
c’est nue comme on est seul
devant le micro
les dents manquantes
c’est pas le pire
c’est le souvenir de la voix d’avant
celle qui ne bavait pas
qui montait mieux
peut-être
P.A., lui, deux minutes
et puis plus rien
juste la trace
sobre
claire
toi
douze minutes
toujours trop
toujours déborder
et puis
cette honte
de n’avoir pas su
bref
S. revient
il faudra faire comme si
ressortir des limbes
ça veut dire quoi exactement
revenir au monde ?
ou bien redevenir lisible ?
note de travail
Je lis ce fragment comme on tend l’oreille à une voix brouillée par un vieux dictaphone. Il y a de la gêne — oui, mais une gêne constructive. Le sujet s’écoute et ne se reconnaît pas. Il cherche la bonne distance avec sa propre présence sonore. Ce n’est pas tant l’enregistrement qui le dérange, mais l’écho. L’écho d’un soi stratifié, fossilisé, qu’il aimerait désencombrer.
Ce que je perçois surtout, c’est une tentative de désenvoûtement. La voix comme matériau brut, l’écriture comme lutte contre la pâte — le mot revient, avec ce qu’il suppose d’épaisseur, de fermentation, de matière encore indigeste. L’idéal visé : la sobriété, la simplicité (P.A., T.C., G.V.) — mais qui ne se laisse pas atteindre. Trop de mots. Trop de durée. Trop de soi.
Il me semble que cette quête d’un ton juste est aussi un travail de deuil : celui d’un corps sonore perdu, peut-être (les dents, les vidéos), mais aussi celui d’un mode de présence. L’autre — S. — revient, et c’est l’obligation de réintégrer le circuit du social. Ce texte est donc une zone liminaire : entre l’intime inaudible et l’attente de l’autre.
Diagnostic provisoire ? Un rapport ambivalent au contrôle. Trop lisible, on s’écoeure. Trop flou, on se perd. Entre les deux : cet exercice du micro, qui est peut-être aussi une cure.