Je n’ai jamais vraiment aimé cette expression. Sans doute parce que « mettre » fait penser à maîtrise, phonétiquement, et pour les esprits tordus, encore à bien d’autres choses. « Faire confiance » ne m’a jamais convenu non plus. Ce fer dans le « faire », je présume. Toutes ces propositions auxquelles on accole la confiance nécessitent une action. Et je pense que la confiance ne naît pas de l’action, mais d’un état.
Si je me sens bien dans ma peau, je n’ai pas peur de grand-chose, alors la confiance vient naturellement, sans effort.
C’est sur ce postulat que je communique avec les groupes d’enfants auprès desquels j’interviens. Je suis ce que je suis avec eux, comme je le suis en général.
Je fournis des pistes de travail, des suggestions afin qu’ils dessinent et peignent dans une atmosphère calme et paisible le plus souvent possible. Il n’y a pas d’enjeu autre que celui de passer ensemble un bon moment.
Cela fait des années que j’ai mis en place cette manière de faire. Ce n’est pas venu tout seul, mais avec le temps et l’expérience.
Grâce à une intuition qui m’a permis de sortir du train-train, d’une zone de confort, et peu à peu, avec l’observation des résultats, j’ai pu créer ces espaces-temps propices à la créativité enfantine.
Comme n’importe qui, un enfant a besoin que l’on reconnaisse son importance, qu’on lui accorde de l’attention.
C’est la seule chose véritable à faire : parvenir à prêter attention à chacun d’eux lors de ces séances récréatives.
Les laisser s’exprimer oralement en premier lieu, même si, parfois, leurs propos sortent du cadre habituel, des règles ordinaires qu’un professeur s’empresse d’installer pour ne pas se laisser déborder.
Cette crainte d’être débordé est délicieuse car elle m’indique régulièrement que je ne fais pas suffisamment attention. Elle m’est très utile et je ne cherche pas à m’en préserver. Au contraire, je l’entretiens comme un petit monstre toujours affamé au fond de moi, un enfant comme les autres.
Et même lorsque la petite Chloé, 7 ans, vient me voir pour raconter à voix haute tous ses rêves, dans lesquels des animaux formidables se jettent sur elle pour la dévorer, ou bien lorsque c’est elle qui se met à manger les autres, je patiente. Ce n’est qu’une variation sur le même thème.
Quand la petite Sara, 6 ans, m’énonce toute la liste des animaux qu’elle a envie de dessiner, avec force détails plus ou moins ragoûtants, je patiente jusqu’à ce qu’elle ait fini. Je regarde les commissures de sa bouche se soulever doucement, marquant sa satisfaction d’être écoutée.
Lorsque la petite Manon se renfrogne suite à un conseil sur son dessin, je n’insiste pas. Je lève un pouce et je dis : « Je te demande de bien vouloir m’excuser, ce que je viens de dire n’est rien d’autre qu’une sale habitude d’artiste qui veut toujours changer ou améliorer les choses. » Elle comprend tout à fait. Elle se rengorge, tourne les talons, et retourne à sa place. Je la vois s’absorber de nouveau dans son dessin, comme si je lui avais donné une clé précieuse.
Je me suis excusé et je lui ai donné l’importance qui convenait à cet instant précis. Je lui ai montré que l’essentiel venait d’elle et que les jugements extérieurs ne sont pas toujours les meilleurs.
Ces petits moments ne durent qu’une heure en moyenne, et je les trouve toujours trop courts. Mais cela suffit pour qu’ils puissent maintenir la concentration nécessaire. En général, tout le monde fait deux ou trois dessins par séance avec ajouts de peinture.
Il en ressort souvent des choses magnifiques, non pas selon les critères artistiques classiques du beau ou du laid, mais peu importe.
Ce qui est important, c’est qu’ils découvrent peu à peu la liberté de tracer la ligne qu’ils désirent, sans se retenir. Ou plutôt, qu’ils puissent associer cette liberté à des souvenirs positifs pour la conserver le plus longtemps possible.
Je ne suis que le servant vigilant et bienveillant de leur liberté d’enfant.