10 mars 2021
Je n’ai jamais vraiment aimé cette expression. Sans doute parce que « mettre » fait penser à maîtrise, phonétiquement, et pour les esprits tordus, encore à bien d’autres choses. « Faire confiance » ne m’a jamais convenu non plus. Ce fer dans le « faire », je présume. Toutes ces propositions auxquelles on accole la confiance nécessitent une action. Et je pense que la confiance ne naît pas de l’action, mais d’un état.
Si je me sens bien dans ma peau, je n’ai pas peur de grand-chose, alors la confiance vient naturellement, sans effort.
C’est sur ce postulat que je communique avec les groupes d’enfants auprès desquels j’interviens. Je suis ce que je suis avec eux, comme je le suis en général.
Je fournis des pistes de travail, des suggestions afin qu’ils dessinent et peignent dans une atmosphère calme et paisible le plus souvent possible. Il n’y a pas d’enjeu autre que celui de passer ensemble un bon moment.
Cela fait des années que j’ai mis en place cette manière de faire. Ce n’est pas venu tout seul, mais avec le temps et l’expérience.
Grâce à une intuition qui m’a permis de sortir du train-train, d’une zone de confort, et peu à peu, avec l’observation des résultats, j’ai pu créer ces espaces-temps propices à la créativité enfantine.
Comme n’importe qui, un enfant a besoin que l’on reconnaisse son importance, qu’on lui accorde de l’attention.
C’est la seule chose véritable à faire : parvenir à prêter attention à chacun d’eux lors de ces séances récréatives.
Les laisser s’exprimer oralement en premier lieu, même si, parfois, leurs propos sortent du cadre habituel, des règles ordinaires qu’un professeur s’empresse d’installer pour ne pas se laisser déborder.
Cette crainte d’être débordé est délicieuse car elle m’indique régulièrement que je ne fais pas suffisamment attention. Elle m’est très utile et je ne cherche pas à m’en préserver. Au contraire, je l’entretiens comme un petit monstre toujours affamé au fond de moi, un enfant comme les autres.
Et même lorsque la petite Chloé, 7 ans, vient me voir pour raconter à voix haute tous ses rêves, dans lesquels des animaux formidables se jettent sur elle pour la dévorer, ou bien lorsque c’est elle qui se met à manger les autres, je patiente. Ce n’est qu’une variation sur le même thème.
Quand la petite Sara, 6 ans, m’énonce toute la liste des animaux qu’elle a envie de dessiner, avec force détails plus ou moins ragoûtants, je patiente jusqu’à ce qu’elle ait fini. Je regarde les commissures de sa bouche se soulever doucement, marquant sa satisfaction d’être écoutée.
Lorsque la petite Manon se renfrogne suite à un conseil sur son dessin, je n’insiste pas. Je lève un pouce et je dis : « Je te demande de bien vouloir m’excuser, ce que je viens de dire n’est rien d’autre qu’une sale habitude d’artiste qui veut toujours changer ou améliorer les choses. » Elle comprend tout à fait. Elle se rengorge, tourne les talons, et retourne à sa place. Je la vois s’absorber de nouveau dans son dessin, comme si je lui avais donné une clé précieuse.
Je me suis excusé et je lui ai donné l’importance qui convenait à cet instant précis. Je lui ai montré que l’essentiel venait d’elle et que les jugements extérieurs ne sont pas toujours les meilleurs.
Ces petits moments ne durent qu’une heure en moyenne, et je les trouve toujours trop courts. Mais cela suffit pour qu’ils puissent maintenir la concentration nécessaire. En général, tout le monde fait deux ou trois dessins par séance avec ajouts de peinture.
Il en ressort souvent des choses magnifiques, non pas selon les critères artistiques classiques du beau ou du laid, mais peu importe.
Ce qui est important, c’est qu’ils découvrent peu à peu la liberté de tracer la ligne qu’ils désirent, sans se retenir. Ou plutôt, qu’ils puissent associer cette liberté à des souvenirs positifs pour la conserver le plus longtemps possible.
Je ne suis que le servant vigilant et bienveillant de leur liberté d’enfant.
Pour continuer
Carnets | mars
20 mars 2021
Le narrateur évoque la figure maternelle, entre douceur et amertume, à travers des images poétiques et évocatrices. Une exploration de l’amour premier et des souvenirs d’enfance, suspendus entre éblouissement et nostalgie.|couper{180}
Carnets | mars
Les désirs
Harry désormais partageait la pause repas avec ses coreligionnaires. Et bien que ce fut pour lui une véritable torture, le désir de se rapprocher de la petite rousse, Sophie, l'emporta. Une fois de plus constatait- il, il se retrouvait confronté à ses contradictions sans savoir vraiment comment s'en dépêtrer. C'est l'animateur du stage, Christian, qui lui donnera les clefs l'après-midi même en invoquant la notion de désir conscient et inconscient. Un exemple ? Beaucoup de personnes recherchent la gloire, la célébrité ( désir conscient) mais dans le fond ils sont agoraphobes, ils détestent la foule, parfois même l'ensemble de leurs contemporains, et parmi eux nul doute que certaines ou certains préfèreraient qu'une bombe atomique ait tout dévasté de l'humanité. Imaginer un peu ...se retrouver enfin seul et peinard pour tranquillement se rendre dans ce qui reste de supermarché, de boutiques de luxe, sans plus avoir à passer à la caisse. ( désir inconscient) Je vous laisse méditer cela quelques instants ajouta t'il en croisant les bras puis les décroisant pour finir par ne plus se concentrer visiblement que sur les ongles de sa main gauche. Tout cela pour parler de la congruence évidemment. C'est à dire cet effort d'honnêteté vis à vis de soi-même, qui alignerait nos valeurs avec nos actes et nos pensées. Un sujet éminemment passionnant qui n'empêcha nullement Harry de bailler discrètement une bonne dizaine de fois et de se sentir soulagé lorsqu'enfin l'animateur les libéra en fin de journée. Finalement pourquoi s'était-il inscrit à ce stage ? pourquoi s'intéresser au développement personnel ? Il alluma le contact de la Twingo et en roulant au pas pour sortir du parking , il se senti encore plus soulagé d'avoir découvert un sujet de réflexion pour le chemin du retour. Admettons que je veuille apprendre quoique ce soit dans ce domaine, je pourrais invoquer l'envie de me sortir de ma timidité chronique par exemple, est ce vraiment la raison principale ou bien y a t'il d'autres raisons plus profondes que je ne m'avoue pas ? Puis ses pensées dérivèrent à nouveau vers la plastique de Sophie et notamment sur la commissure de ses lèvres qu'il avaient longuement observée durant le déjeuner. La façon dont les gens utilisent leurs bouches pour se nourrir avait toujours été un indice important pour Harry. Il s'en rendait compte soudain. C'était tout à fait le genre de choses à retenir et à noter sur son journal de bord aussitôt qu'il serait de retour chez lui. Enfin ses pensées dérivèrent encore plus avant vers la texture laiteuse de la peau de Sophie, vers le lobe de l'oreille qui avait également accaparé une bonne partie de son attention au cours de cette journée de stage. Et enfin évidemment tout le reste fut passé au crible durant le reste du trajet. En gravissant les sept étages qui le conduisaient à son appartement, il fut assailli par des images érotiques, voire pornographiques. Le désespoir accompagnait le petit film qu'il se faisait. Et si dans le fond il s'était juste inscrit à ce stage pour rencontrer des femmes dans un cadre extraordinaire afin de laisser libre cours à sa libido dévastée ? C'est sur cette dernière trouvaille qu'il décida de s'endormir. Un sommeil agité naturellement ponctué de gémissements et d'encouragements qu'une géante rousse à la peau laiteuse émettait en ondulant de tout son long. .......................................................................................................................................................................................................................................... Jim se curait le nez depuis quelques minutes lorsqu'il entendit le passage des camions poubelles tout en bas de l'immeuble. Il regarda les sacs poubelle qui s'accumulaient depuis quelques temps près du coin cuisine de sa piaule et décida que c'était maintenant ou jamais. A Paris il n'était pas rare que l'on découvre des cadavres en raison des plaintes des voisins quant aux odeurs. L'idée que l'on vienne frapper à sa porte pour voir s'il était mort l'effraya d'un coup et il bondit hors de sa chaise, s'empara des sacs plastique, puis sortit de la chambre , descendit les escaliers quatre à quatre pour rejoindre la rue. Le camion arrivait juste à sa hauteur et il balança les sacs directement dans la benne. Il serait remonté aussitôt si ce n'avait été une si belle journée qui s'annonçait . Il se décida à pousser jusqu'à la rue Custine pour prendre un café. Les platanes avaient recouvré leurs feuillages, il y avait dans l'air une odeur d'essence et de pralines grillées. Jim respira à plein poumons et se dit que c'était vraiment ce genre de sensation qui importait pour lui. Se sentir libre, seul et libre et gouter de tout son saoul à cette liberté comme à cette solitude dans cette rue particulière sur laquelle il avait jeté son dévolu quelques semaines plus tôt. Les bistrots qui sortaient leurs terrasses, l'eau étincelante filant dans les caniveaux, un ciel bleu au dessus des façades et des toits des immeubles, une luminosité particulière accompagnaient les odeurs de la rue, tout paraissait converger exactement vers le centre névralgique de son rêve, ce personnage d'écrivain qu'il avait peu à peu construit grâce à John Fante, Henri Miller, Bukowski, Stendhal et Dostoïevski. Pour rêver des choses extraordinaires il s'était crée une existence pire qu'ordinaire, que n'importe qui d'autre que lui aurait pu considérer misérable. En remuant son café il se demanda pourquoi il mettait autant d'acharnement à refuser de vivre comme tout le monde et il vit passer soudain une ombre sur la façade d'en face, un nuage qui obscurcissait le ciel soudainement. Il jeta un coup d'œil à sa montre, laissa la monnaie sur le ticket de caisse pour clouer celui ci en cas de coup de vent, puis il regagna l'hôtel, monta les escaliers sans hâte et referma la porte doucement derrière lui pour ne pas faire de bruit. Quelque chose s'était mis en travers de son enthousiasme et il fallait qu'il noircisse un bon paquet de feuilles afin de tenter d'en avoir le cœur net. .............................................................................................................................................................................................................................................. Eva Klepper n'avait envie de rien. Elle avait laissé un message quelques minutes plus tôt sur le répondeur de la boite pour se porter pâle. Cela n'avait pas du tout été prémédité, elle avait décroché l'appareil comme elle avait mis en route la cafetière. Et le plus étonnant c'est qu'elle n'éprouvait aucune honte, aucune culpabilité particulière. Elle avait bien le droit de prendre une journée après tout, était-t 'elle si essentielle que cela ? Les gens indispensables peuplent les cimetières, c'était cette dernière pensée qui l'avait aidée à formuler le message laconique sur le répondeur de la boite. L'appartement était d'une propreté chirurgicale. Elle ne s'était pas ménagée la veille jusque tard dans la soirée pour tout briquer, tout effacer, la moindre trace qui pourrait lui rappeler Bob le mollusque qu'elle venait tout juste d'éjecter. A un moment elle regarda le canapé, éprouva une légère crainte comme les petites filles qui jouent à se faire peur toutes seules, puis voyant celui ci désert elle en éprouva une joie soudaine. Un peu exagérée sans doute se dit-elle. Elle se dirigea vers le canapé et s'assit. Elle n'aurait pu dire ce qui clochait vraiment. Par la fenêtre la lumière du printemps pénétrait à flot, elle gagnait bien sa vie, elle était encore potable physiquement, sans trop de douleur articulaire à 50 ans passés ce qui n'est pas négligeable, et elle venait de flanquer dehors une ambiguïté qui la taraudait depuis des semaines. Un homme enfant qui n'avait eu de cesse de lui renvoyer d'elle même l'image d'une maman un peu pute. Eva n'avait jamais voulu avoir d'enfant. Seul sa carrière comptait du moins c'est ce qu'elle s'était toujours efforcé de croire. Cela lui avait permis d'évacuer bon nombre de questions en suspens et qui désormais avec le retour du printemps cette année là précisément revenaient à la charge. Finalement elle n'était pas bien loin de céder à une vision dérisoire de sa vie qui a première vue ne lui renvoyait que son égoïsme. Bon ce n'est vraiment pas le moment de se laisser aller se dit elle en sautant sur ses jambes. Te laisse pas abattre ma vieille, elle se rendit à la salle de bain, se refit une beauté, ce qui n'était pas si difficile qu'elle l'aurait cru quelques minutes auparavant, puis elle enfila un jean, des tennis et acheva de compléter sa tenue sport avec un sweet. Sport et jeune, abordable quoi.. elle esquissa un sourire face au miroir de l'entrée, puis elle sortit de chez elle avec la ferme intention de se remettre en chasse malgré tous les signaux cardiaques qu'elle se hâta de balayer en refermant la porte de l'ascenseur. Enfin parvenu sur le trottoir de la rue Custine où elle vivait, elle était redevenue cette guerrière, cette amazone prête à lutter contre tous les petits désagréments de l'existence, à croquer la vie à pleine bouche, en lui roulant une pelle au besoin. huile sur toile 20x30 cm Patrick Blanchon 2021|couper{180}
Carnets | mars
Le mont des Oliviers.
Emma faisait partie de ces personnes qui se délectent lorsqu'elles propagent de mauvaises nouvelles toujours en quête d'une oreille réceptive, ce qui ne manque pas ici aux alentours de la machine à café. Ce matin là, après un bonjour de rigueur et sans plus de préambule, elle ne pouvait visiblement plus se contenir et déversa d'un coup tout ce qui semblait la torturer depuis un sacré bon moment déjà. Par manque de bol et selon les lois attribuées aux effets collatéraux, j'eus à peine le temps de m'esquiver et de rejoindre mon bureau lorsque la nouvelle m'atteignit de plein fouet. "Le président se tape Grecho j'imagine que vous ne le saviez pas." C'était effectivement une mauvaise nouvelle, le genre de truc qui érode petit à petit ce sentiment fragile que l'on soutient à bout de bras et qui se résume en gros à vouloir bien commencer sa journée. En même temps le dégout l'emportait sans conteste sur la frustration. J'imaginais ce gros porc de Weiss en train de peloter avec ses petits doigts boudinés le corps sculptural de Martine Grécho sur laquelle je ne cache pas avoir eu quelques vues. La belle brune ténébreuse dégringola du petit piédestal de mes fantasmes aussi rapidement qu'elle y était parvenue. Ce qui au bout du compte me laissa mi figue mi raisin face à ce début de journée morose et à la paix soudaine qui nous tombe dessus quand on a perdu une nouvelle illusion, avec toute l' armée d'engouements et de désirs qui l'accompagne. Tandis que les oh et les ah entourant comme un essaim d'abeilles et de bourdons Emma la messagère, des bribes d'Henri IV étrangement associées à des bouts dialogues de big little lies me revinrent inopinément " Don't shoot the messenger" Puis Laura Dern sauta vers David Lynch à l'intérieur du labyrinthe de ma mémoire et ils se perdirent je ne sais où lorsque je découvris soudain la pile de dossier en retard que j'avais sur le coin de mon bureau. J'avais mobilisé une partie importante de ce qui me restait d'énergie lorsqu'au bout de quelques minutes à peine, je refermais le dossier sur lequel je m'efforçais de trouver le moindre intérêt , une affaire de voisinage au sujet d'une haie intempestive devenue le prétexte à tous les déversements haineux de deux vieilles filles frappées par la fatlité des mitoyennetés. Je soulevais un peu le store pour m'accabler un chouia de plus en me rendant compte à quel point je gâchais ma vie et mon talent devant une si magnifique journée lorsque le téléphone sonna. C'était Martine Grecho au bout du fil. Bonjour Paul vous n'oubliez pas la réunion de 9h30 bien sur et le Président aimerait obtenir un point sur les dossiers en cours. Quelque chose comme ça bla bla bla . Puis elle raccrocha. Je consultais ma montre dans l'espoir d'avoir quelques minutes devant moi pour me refaire une contenance car j'avais totalement zappé l'affaire. Je pris ma pile de dossier sous le bras et à 9h34 j'arrivai dans la grande salle de réunion comme d'habitude bon dernier. Le Président, lunettes sur le nez, fit semblant de ne pas me voir évidemment, puis il les releva sur son front et toisa notre petite assemblée avec son air hautain et méprisant. Comme il inclinait légèrement la tète en arrière je m'aperçus qu'il n'aurait vraiment pas été difficile de lui imaginer un groin à la place du nez et du coup en attendant qu'il finisse de débiter les fadaises hebdomadaires concernant des courbes s'épousant s'entrecroisant et divorçant je fis semblant de prendre des notes, en esquissant un joli cochon engoncé dans un costard à rayures et étranglé par un nœud pap. Quand vint mon tour je ne surpris personne en démontrant une fois de plus mon talent à brasser du vent avec peu de chose, ce qui dans mon esprit caricaturait à peine le contenu global de ces putains de réunions. Le Président soupira, Martine Grecho installée près de lui en pleine prise de notes croisa les jambes, et j'eus la nette impression que mon inefficacité soulagea à ce moment là l'ensemble de mes collègues qui s'en trouvèrent comme par magie revalorisés. C'était en quelque sorte une resucée hebdo de la tragédie du Mont des Oliviers dans laquelle j'avais été choisi pour incarner le meilleur rôle. Les doigts boudinés du Président avaient fini par se rejoindre et ils se frottait les mains nerveusement comme un Ponce Pilate excédé d'apercevoir chez son collaborateur à la fois un Judas doublé d'un hurluberlu . A mon front ceint d'une couronne de bévues et d'oublis, j'incarnais très certainement le rejeton de la divine Incompétence que la Providence avait jeté en travers de ses Weston derbies. En général c'était toujours à cet instant précisément que je rêvais de gains pharaoniques, d'un billet de loterie gagnant qui me propulserait en plein milieu de la table de réunion et me transformerait en faune. Je sortirai ma flute de pan et vlan j'inonderais toute cette petitesse, cette mesquinerie par des jets d'urine tout azimut sur l'air de la chevauchée des Walkyries. Le seul obstacle à surmonter pour que ce genre de scénario se réalise aurait été que je me mette à croire au hasard, à la chance et que je pénètre chez un buraliste pour remplir une grille ce qui ne représentait pas autre chose que le symbole absolu d'une défaite totale. Pourquoi ne pas aller à Lourdes aussi et boire de l'eau bénite pendant que j'y suis ? La salle se vida lentement, Martine Grecho ferma la marche. En passant devant elle je tentais un mince sourire auquel elle ne répondit que par un regard bovin. Puis elle donna un tour de clef sec, et disparut au fond d'un couloir accompagnée d'un joli tintement de clochettes. Je rejoignis mon bureau reposai la pile de dossiers exactement au même endroit où je l'avais laissée puis je bougeais la souris reliée mystérieusement à l'Azus préhistorique que la boite m'avait confié. L'écran de veille s'évanouit pour laisser jaillir sur le fond blanc de la messagerie pas moins d'une centaine d'intitulés en gras menaçants comme des idées noires. Je cliquai aussitôt pour réduire la fenêtre sur la barre des taches et ouvrai une nouvelle partie de Freecell. Avec un peu de pugnacité celle ci m'occuperait jusqu'à la pause déjeuner. Bon an mal an je ne me plaignais pas. Ce job m'apportait un sacré répit depuis quelques mois et je m'enfonçais avec résignation dans la vie normale partagée par des millions de personnes, ce qui avait longtemps représenté pour moi une singularité effarante. J'avais fait les 400 coups plus d'une fois, traversé des pays, fréquenté des personnes de tout acabit, et ce sans parcimonie jusqu'au alentours de la trentaine. Et puis soudain l'automne est devenu plus froid que les autres années, la crainte de gâcher ma vie est arrivée comme une bourrasque pour m'emporter vers cette boite d'intérim de la gare de l'Est. Il y avait bien un poste m'avait confié la chargée de clientèle avec un air entendu qui accompagna son 06. Un boulot de scribouillard dans un cabinet d'avocats à l'autre bout de la capitale. C'était une bonne occasion pour me replonger dans un quotidien plus classique, moins interlope, d'autant que les horaires ne crèveraient pas ce que je considérais comme la seule bouée de sauvetage à laquelle je m'agrippais, mon obsession de devenir un grand écrivain. Au final je ne quittais décidemment pas cette vision du mont des oliviers, que ce soit dans ma vie aventureuse passée ou dans cette existence que j'espérais normale il y avait ce lien sacrificiel qui m'obligeait à me considérer comme un juif errant, une sorte d'élu, et ce même lorsque je décidais de mettre de l'eau dans mon vin, surtout lorsque je m'essayais à la modestie. Il fallait toujours que je parvienne à modifier la réalité, ce qui m'en arrivait, que je la malaxe pour me l'accaparer et qu'elle m'aide à faire de moi-même soit un héros soit une victime extraordinaire. En en prenant conscience j'ai passé de sales quarts d'heure. J'ai visité un paquets de trente sixième dessous innombrables et ce d'autant que ma fierté, mon orgueil, mon imagination ne parvenaient pas à accepter que tout cela n'était qu'une sorte de pansement sur une jambe de bois. De la case grand écrivain en devenir je passais régulièrement à la catégorie dernier des cons. A bien y penser c'était encore briguer une place exceptionnelle que je ne méritais certainement pas au bout du compte. Je crois qu'à partir de cette prise de conscience, j'ai arrêté totalement de me rendre à la machine à café , j'ai même arrêté de travailler dans cette boite quelques semaines plus tard, je désirais prendre ma vie en main, en faire quelque chose , arrêter de divaguer. J'ai pris cette année là un sacré coup de vieux qui me flanqua le blues au moins durant 6 mois. Et puis j'ai fini par me dire que tout cela était parfaitement injuste, que je ne méritais vraiment pas ça et je suis vite reparti vers ma vie loufoque et mon rêve d'écriture. En y ajoutant l'alcool -une bouteille de Balantines par jour. Même si c'était une illusion elle me permettait malgré tout d'endurer la médiocrité ambiante qui ne cesse jamais de me sauter au visage à tous les coins de rue et mieux, d'en faire comme de la banalité de profondes sources d'inspiration à venir, quelque chose dans le voisinage du merveilleux. Huile sur toile format 24x30 cm Patrick Blanchon 2021|couper{180}
