Note à moi-même...
L’écrivain moderne n’écrit plus. Il cherche. Il teste, il compare, il guette. Quel est l’outil parfait, celui qui alignera pour lui les phrases, qui lui évitera l’écueil du doute et les tunnels d’incertitude ? Nous avons tous commencé quelque part : Works, pour les pionniers du traitement de texte. Word, pour ceux qui croyaient à la mise en page automatique. Scrivener, pour les apôtres de l’organisation. Puis Ulysses, WordPress, MacWrite, ClarisWorks, et désormais Substack. ( je viens de créer un compte sur Substack aujourd’hui je mélange traitement de texte et plateforme de publication) Chaque outil arrive en messie, chaque mise à jour promet le nirvana. Et demain, un autre apparaîtra, vanté par des convertis. Jusqu’au suivant. Mais en vérité, ce n’est pas l’outil qui manque : c’est l’écriture.
On connaît la rengaine : "Si seulement j’avais LE bon logiciel, j’écrirais tellement mieux…" Non. Kerouac n’a pas attendu un traitement de texte, il a déroulé un rouleau de papier et s’est lancé. Hemingway griffonnait sur des carnets, Modiano sur des fiches. Aucun ne s’est jamais arrêté en soupirant : Ah, si seulement j’avais eu Scrivener… L’outil n’a jamais rien résolu. Seule compte la discipline.
L’éternel drame n’est pas d’écrire, mais de retrouver ce qu’on a déjà écrit. Ce roman prometteur ? Une moitié dans Google Docs, un quart dans un mail intitulé "brouillon", le reste quelque part dans Word, peut-être une note perdue dans Evernote. La solution ? Obsidian (rire). Ou simplement accepter qu’une partie de notre œuvre repose désormais au cimetière des fichiers oubliés.
Prendre des notes, c’est croire que l’on retient quelque chose. En réalité, c’est souvent un acte de panique : Et si j’oublie cette phrase lumineuse ? Alors on empile, on archive, on stocke. Mais tout cela ne fait qu’alimenter une angoisse. Pendant des années, j’ai accumulé : carnets, fiches, classeurs, tiroirs. À force de tout vouloir retenir, je ne retenais plus rien. L’essentiel, ce ne sont pas les fragments conservés mais les liens invisibles entre ce qu’on vit, ce qu’on lit, ce qu’on perçoit. Au fond, prendre des notes par peur de perdre une idée fait de nous des capitalistes de la pensée. On accumule, on thésaurise, persuadés que plus tard, on en tirera profit. Mais l’inspiration ne fonctionne pas ainsi. La mémoire non plus. Et ces deux mots, à bien y réfléchir, ne servent à rien pour écrire.
Un outil est d’abord un songe. Une impulsion. Un élan confus. La précision ? L’ennemie absolue. Bien sûr, un marteau sert à planter des clous. Mais qui plante des clous par désœuvrement ? À moins d’être fou ou artiste – ce qui, aujourd’hui, revient souvent au même. Nous avons vécu un siècle fasciné par le détournement des objets, des mots. Poètes et terroristes s’y sont engouffrés. Certains détournent des avions, d’autres le sens commun. À qui la faute ? Peut-être à l’obsession du profit. De l’accumulation. Je ne suis pas médecin, mais je suis sûr qu’il existe un lien entre la banque, le capital, et la rétention intestinale. Il suffit de chercher.
Alors oui, les outils sont charmants. Tester de nouveaux logiciels, c’est amusant. Mais le meilleur outil, c’est celui que tu utilises. Tu veux écrire ? Ouvre une page blanche et écris. Tu veux retrouver ce que tu as écrit ? Accepte simplement qu’une partie s’évapore, qu’un texte disparu n’était peut-être pas si essentiel. Les écrits perdus ont parfois la sagesse d’avoir disparu. Il se peut aussi que l’écueil soit plutôt dans la relecture. Le meilleur des outils ne relira pas mes textes à ma place, j’ai essayé, je peux le dire, ça ne fonctionne pas. Ne cherche pas le Graal. Écris. Et si vraiment tu tiens à un outil ultime… un carnet, un fichier texte, et une bonne organisation mentale, c’est déjà très bien.
musique : Métamophosis One Philip Glass