Ce que ces journées de réécriture m’apprennent, en somme, c’est à disparaître. Rien de tragique là-dedans, au contraire — une certaine paix à s’effacer. Disparaître, oui, comme on dissout un sucre dans un café bien noir, café que je bois d’ailleurs souvent sous le parasol de la cour, si le wifi veut bien coopérer.
À ce régime discret s’ajoute un étrange rituel : suivre presque chaque jour le journal de H.P.L. sur la chaîne YouTube de François Bon. Des phrases maigres, serrées comme les wagons d’un train miniature, ponctuées de détails très réels — mais pas de considérations, pas de métaphysique, rien de lourd. Ça me parle. Peut-être m’orienter vers ce modèle, et pourquoi pas — folie douce — le garder ici, en ligne, à portée de clic. Comme un carnet nomade. Pour le jour, disons, hypothétique, où l’envie me reprendrait d’aller dans le monde.
Mais pour l’heure, donc, le café. S. m’apprend que M. s’est acheté une machine à moudre les grains. Fini les capsules. Question d’économie. Ça tombe bien, le micro-ondes nous a lâchés. Direction Darty à Caluire-Rillieux. On tombe — hasard objectif — sur ladite machine : presque 500 euros. J’essaie de convertir ça en capsules, laisse tomber au bout de quelques dizaines. Je n’aime pas ces cafés-là de toute façon. Mon paquet classique me va, avec ma cafetière de grand-mère, émaillée et cabossée, comme il se doit.
Après un fond de l’œil , centre Ophtalmologique de Colline , Caluire — champ visuel intact, merci, nous passons chez E. pour déjeuner. Couscous réchauffé (son micro-ondes fonctionne très bien, lui), crème dessert aux marrons, excellente. Je dors mal ces temps-ci, alors je m’éclipse sur le canapé. Rêves bizarres. Oubliés dès le réveil, mais une sensation de clarté reste. Une absence très nette, presque spectaculaire.
Sur le retour, mes pupilles avaient retrouvé un diamètre socialement acceptable, j’ai repris le volant. S., déçue pour l’affaire du micro-ondes, propose un crochet par Givors. Autre Darty. Cette fois, la machine est là. Lourde. Mais transportable. Jusqu’à la Dacia, en tout cas.
Puisque j’ai l’ordonnance, autant aller jusqu’à Chanas pour les lunettes. Général d’Optique. Long dialogue sur les verres. Je voulais du simple, on me vend du technique. J’essaie de résister, râle contre les mutuelles, l’URSSAF, les taxes, la TVA sur le sucre, et cette nouvelle obligation de montrer patte blanche pour entrer chez les riches. Petit rouleur, petit code.
S. paie les 82 euros de différence. Je me sens un peu minable, mais bon, je paie la mutuelle pour nous deux. Il y a une forme d’équilibre.
Lu ce matin un article de Thierry Crouzetsur les outils de l’écriture — passionnant, à sa façon. Il recommande le Markdown, et je n’ai pas eu grand mal à adhérer. Sobre, efficace, minimal. Cela dit, je me suis surpris à constater que je ne m’étais, jusque-là, guère soucié de mes outils d’écriture. Pas vraiment. L’essentiel, c’était d’écrire — n’importe où, n’importe comment.
Pendant longtemps, j’ai donc noirci les interfaces successives de mes blogs WordPress comme on gratte une vitre embuée du bout du doigt : pas très méthodique, mais suffisant pour voir à travers. Word, non. Sauf pour des rapports, bien sûr — ces monuments d’ennui administratif, météo grise assurée.
Si je fais un effort de mémoire, je dirais que je suis passé assez naturellement du calepin à l’éditeur WordPress. Sans transition majeure. Je ne pensais pas la mise en page — ce qui m’intéressait, c’était la continuité du geste, écrire un jour après l’autre, comme on avance à petits pas sur une plage où la marée monte.
Le jour où j’ai voulu tout basculer dans SPIP, j’ai commencé à comprendre que WP, comme Word d’ailleurs, ajoutait des balises domestiques, des sortes de résidus organiques numériques. Il faut en tenir compte, surtout si l’on compte utiliser des scripts Python pour extraire du XML — catégories, médias, articles. Une ménagerie.
Depuis, mes brouillons vivent dans SPIP, puis migrent vers Obsidian. Et là, miracle : le Markdown entre en scène, comme un ouvrier discret qui range les outils sans faire de bruit. Je n’ai plus qu’à copier-coller le tout, retour vers SPIP, boucle bouclée.
J’ai bricolé un petit thème CSS dans Obsidian, juste pour visualiser la chose à peu près correctement. Puis, petit à petit, j’ai nourri le fichier output.css généré par Tailwind, en y glissant des détails insignifiants mais auxquels je tiens : une couleur de lien, une graisse plus marquée pour tel ou tel titre, une variation de police ici ou là. Ce genre de choses qui donnent l’impression de savoir ce qu’on fait, même si — entre nous — je suis loin d’être un spécialiste.
Mais désormais, quand je navigue sur certains sites qui se veulent sérieux, je commence à voir des différences. D’infimes décalages qui parlent de rigueur, ou de son absence. Une typographie pensée, ou improvisée. Ce que je ne voyais pas, disons, il y a un an.