Et de nos plaintes

comme du vent dans les arbres —

bruissement sans fin,

bruit de fond de fin de temps,

un barrage de silence

s’érige, s’oppose.

Ponctué parfois d’un pépiement d’oiseau,

d’une sonnette de vélo,

d’un métro qui passe

kif kif bourricot.

Je ne suis pas d’accord pour être triste aujourd’hui.

Pas encore une fois.

Pas encore être jeté à bas, humilié, réduit à rien.

Je ne suis pas d’accord.

Mais eux, ils sont les plus forts.

Ils ont la loi pour eux, vous savez.

Et nous ? Juste nos yeux pour pleurer.

Et la vie reprend comme si de rien.

Exactement.

Juste là, au beau milieu,

une arête en gorge,

une rouelle de rat blanc dans la cervelle.

On maugrée au gré du vent mauvais.

Les révolutions ? Sang et cendres.

Finissent vinaigre en salade.

Les révoltes refroidissent

comme des bols de soupe oubliés

devant la télé.

Elle disait qu’elle n’en avait pas pour son espoir, son argent.

Elle le disait souvent. Qu’elle regrettait.

Et lui ? Il regardait de biais.

Il ne savait plus que faire.

Alors il se tut.

Serrant les dents

jusqu’à ce qu’elles éclatent en silence,

comme des vitres intérieures.

Il ravala. Encore.

Ce qui est beau l’est depuis si longtemps

qu’on n’y voit plus rien.

Et le laid aussi.

Alors ce beau-là — ce beau ancré —

est devenu laid.

Do ré mi

mi ré do.

sous-conversation

— On n’a plus envie, tu comprends ?
— De plier.
— Encore une fois ?
— Oui, encore. Toujours.

— Ils sont plus forts. Ils ont la loi.

— Et nous ?

— Rien.

— Si. Le bruit.

— Le vent. Les arbres. La gorge.

— Mais ça suffit pas.

— C’est ça le pire : que ça ne suffise pas.

— Et pourtant, on revient. On réécrit. On maugrée.

— Un râle, une note. Une arête.

— Do. Ré. Mi.

— La musique du trop-plein.

— Celle qu’on ravale.

note de travail

Un texte-nerf. Un texte-épiderme. Le sujet n’écrit pas ici pour dire, mais pour défaire ce qui le serre, ce qui l’étouffe. Il y a une colère, oui, mais ce n’est pas une explosion : c’est un repli. Une rétention. Le corps implose sous la répétition du mépris.

La formule est brutale mais exacte : "ils ont la loi pour eux". Le sentiment d’injustice est ancré, ancien. Il traverse les générations (la femme qui regrette), les sexes (lui, silencieux), et s’incarne dans la bouche : dents serrées, ravale tout.

C’est un poème politique, mais sans drapeau. Un texte de combat intérieur, pas de slogan. Le "do ré mi" qui clôt n’est pas innocent : c’est une **notation du dérisoire**, ou une **gamme de l’infantile**, un retour à la base, après l’implosion.

Il n’y a pas de solution dans ce texte. Mais il y a un refus. Un refus lucide, articulé, profondément vivant.

Et ce refus, c’est déjà un souffle.