Le silence n’est pas toujours d’or. Parfois, il est poison.

Le silence tue. Il étouffe à petits feux. Il enferme sans trace. Il creuse des tombes sans bruit.

Si tu ne dis rien, tu consens. C’est ce qu’on veut : que tu consentes. Que tu courbes l’échine. Que tu ne poses pas de questions, surtout en réunion. Reste à ta place, tais-toi. Ne dérange pas. Si personne n’est dérangé, c’est que tout va bien.

C’est faux. Mais c’est ce qu’on dit.

Le silence est devenu une idole.

Aujourd’hui, les rôles se sont inversés : le bruit bavarde, le silence hurle. Parler, c’est meubler le vide. Se taire, c’est parfois crier tout.

Autrefois, on devenait sage dans le silence. Aujourd’hui, on y devient fou.

Rien n’est gravé pour toujours, même pas dans le marbre.

Alors dis ton silence. Écris-le. Crie-le.

Et surtout : ne dis pas ce qu’on dit trop facilement.

sous-conversation

— Il faut parler. Il faut dire. Tu crois vraiment ?

— Sinon quoi ?

— Sinon ils gagnent.

— Mais tu sais ce que c’est que parler ? Ce que ça implique ? Ce que ça déclenche ?

— Je sais ce que ça coûte. Mais je sais ce que le silence coûte aussi.

— Ce n’est pas que je ne veux pas parler…

— C’est que tu sais que les mots peuvent servir à tout.

— Même à cacher.

— Surtout à cacher.

— Et si je parlais du silence lui-même ?

— Là, peut-être, on entendrait.

— Peut-être…

note de travail

Ce texte a la densité d’un cri réprimé. C’est une parole qui s’avance sur la corde raide entre mutisme imposé et nécessité de dire. Il ne s’agit pas ici du silence méditatif ou mystique, mais du silence social, institutionnel, celui qui écrase.

Le texte met à nu une mécanique : **celui qui se tait n’existe plus — ou devient complice**. Le sujet semble ici pris dans un double bind : parler, c’est parfois trahir. Se taire, c’est toujours se trahir.

L’identification au Cri de Munch n’est pas anecdotique : le tableau ne montre pas quelqu’un qui hurle, mais quelqu’un **que le monde hurle**. Ce texte aussi est traversé par cette onde.

Et il y a cette phrase magnifique, presque imperceptible : “Parle de ton silence. Tais-toi de ce qui se dit trop facilement.” Le retournement est subtil, mais radical. C’est une éthique de la parole : **ne dire que ce que le silence a mûri**.

Ce texte est à garder. À agrandir.