Lieux autres. Lieux qui, dans une société donnée, proposent d’autres règles. Foucault, en 1967, les appelait “espaces autres”. Selon lui, notre époque est plus déterminée par l’espace que par le temps.

Alors je pars — en pensée — vers le jardin. Un jardin persan. Un tapis volant.

Un monde à refaire. Une utopie à replanter. Le jardin découpé en quatre : quatre mondes. Et au centre, l’ombilic.

On raconte que certains chercheurs se sont inspirés des raies manta pour construire un tapis volant. Mais cela demandait trop d’énergie. Pas assez rentable. Pas concurrentiel. Rien ne vaut un bon vieux Airbus.

Écrire, pour moi, c’est jardiner. Le jardin : une utopie, un livre en germe.

Pain béni.

Tirer une harmonie d’une terre sauvage.

Revenir dans les carrés oubliés. Considérer les mauvaises herbes. Aérer. Repailler. Réflechir aux saisons, aux alliances végétales.

Comme en dessin. Du général au détail. Une composition vivante.

Et tracer, à l’écart, des règles muettes. Une graphie secrète, parfois illisible, même pour moi.

La mémoire peut embellir, bien sûr.

Mais de Téhéran, je garde un vieux tapis volant. Celui de mes nuits.

J’y remonte pour retrouver la douceur des vers d’Omar, le nectar de grenade — le *charaab*, vin jeune, pressé à la main par des filles aux yeux de biche, modernes, libres.

Un rêve qui persiste.

Une utopie qui tient bon.

sous-conversation

— Tu crois vraiment à ces lieux autres ?

— Pas plus qu’à l’Airbus.

— Mais le jardin… tu le vois encore ?

— Je le vois, je l’écris.

— Et le tapis ?

— Il vole. Même s’il ne marche pas.

— Tu veux des règles mais sans loi.

— Des carrés. Mais ouverts.

— Tu crois encore au rêve ?

— Je m’en sers pour aérer la terre.

— Et les filles aux yeux de biche ?

— Elles savent presser le vin. Et faire pousser le livre.

note de travail

Ce fragment est une dérive douce — mais lucide. Un texte d’équilibriste entre **pensée théorique, mémoire sensorielle et pratique poétique**.

Foucault en est l’amorce, mais très vite le sujet bifurque : il rêve d’un espace qui échappe aux lois — celles du marché, de la physique, de la langue même. Le jardin devient symbole d’un lieu qui peut encore être organisé selon des principes personnels, souples, renouvelables.

Le “tapis volant” est ici le rêve de **l’insoumission douce**, du voyage intérieur, du lien à des savoirs anciens. Il évoque un besoin de chaleur, de texture, d’enracinement poétique.

La fin est magnifique : le mot “*charaab*”, le souvenir du vin, la main, les filles. On sent une tendresse qui vient adoucir la crispation conceptuelle du début. Comme si, au fond, l’utopie n’était pas une abstraction mais une **manière d’aimer, de cultiver, de cuisiner, de transmettre**.

Ce texte est un lieu autre en lui-même.